Pays africains : au-delà des mesures d’urgences, il est vital de changer de paradigme (Texte du Collectif Afrique du PCF)

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Ce que révèlent les promesses de l’Europe, de la Banque Mondiale et du G20 pour l’Afrique

Face aux conséquences redoutées de la pandémie, les promesses affluent en Afrique. La Banque mondiale vient de décaisser en urgence 270 millions de dollars pour 11 pays. Elle annonce également 160 milliards de dollars re-fléchés dans les semaines à venir dans la lutte contre le Covid-19 et dans le soutien aux économies africaines. Le 7 avril, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a proposé 15,6 milliards d’euros pour aider les pays les plus vulnérables, dont 90% se situent sur le continent. Il s’agit de fonds non encore dépensés, dont des réserves du Fonds européen pour le Développement (FED), pour aider les pays à faire face aux difficultés économiques et sociales et soutenir les systèmes de santé. A cela s’ajoutent les aides des pays européens, dont la France qui annonce 150 millions de dons et 1 milliard sous forme de prêts. Ces contributions nationales additionnées aux annonces de la Commission dépassent au global 20 milliards d’euros pour l’Union européenne.

Les promesses ronflantes de M. Macron

Lors d’une allocution télévisée le 13 avril, le président français Emmanuel Macron a appelé à une annulation «massive» de la dette des pays africains. Quelques jours auparavant, le gouvernement français avait pris soin d’annoncer qu’au-delà des membres du Club de Paris, groupe principal de créanciers publics, les autres créanciers bilatéraux devraient en faire de même, la Chine étant visé en premier lieu.

Il aura fallu le désastre de cette pandémie pour que l’endettement qui asphyxie l’Afrique au quotidien revienne au centre des débats. Rappelons que l’endettement public du continent se situe à environ 500 Mds de dollars, il a doublé depuis 10 ans. Cette hausse s’explique par plusieurs facteurs :

La baisse du prix des matières premières, au lendemain de la crise de 2008, dont les tarifs sont décidés en dehors du continent;

Des taux d’intérêts élevés (plus importants que pour les pays du Nord);

La faiblesse des rentrées fiscales liées à des optimisations encouragées par les institutions de Bretton-Woods (FMI et Banque Mondiale) et à l’évasion fiscale;

Les choix d’investissements non démocratiques de gouvernements inféodés aux puissances économiques et politiques extérieures…

Le seul service de la dette publique absorbe en moyenne 13% des revenus des pays africains (avec bien sûr de fortes disparités entre les pays). La situation économique redoutée à l’issue de la pandémie est telle que de toute façon le remboursement des dettes n’est plus tenable.

Voilà qui contextualise les propos ronflants mais peu suivi d’effets de M. Macron.

Annonces du G20 sur la dette : une avancée minimale, qui ne sort pas l’Afrique de l’impasse

Le G20 a proposé le 15 avril une suspension d’un an de la dette de 76 États sous perfusion de la Banque Mondiale, dont 40 d’Afrique subsaharienne. Un geste qui libère 20 milliards de dollars de liquidités. Ce moratoire concerne une partie seulement de la dette publique – 20 milliards sur les 32 que ces pays doivent rembourser tous les ans, aussi bien à des États qu’à des institutions internationales. Un pas dans la bonne direction, mais notoirement insuffisant. Il ne résoudra rien puisque les mêmes causes produiront voire aggraveront les mêmes effets… Sans recettes fiscales suffisantes, sans changement de modèle économique actuellement extraverti, le recours à l’endettement se poursuivra, auprès de créanciers publics ou privés. Ces derniers ont le vent en poupe et représentent un tiers de la dette africaine. Ils profitent de la situation comme le montre la forte augmentation de la part des dettes privées après l’initiative PPTE (Pays Pauvres Très Endettés). Une initiative qui n’a pas résolu le problème structurel des déficits. Le recours à des dettes privées donne en outre l’illusion d’échapper à l’ajustement structurel. Dans cette mécanique, les dettes publiques d’aujourd’hui seront remplacées progressivement par des dettes privées demain, au profit de multinationales. Les rééchelonnements, suspensions ou annulations seront alors rendus encore plus aléatoires.

Pour être cohérent avec ses propres annonces, M. Macron aurait dû annuler les 14 milliards d’euros de créances que l’État français détient vis-à-vis de 41 pays africains. Ce n’est pour l’instant pas le cas.

Un pragmatisme sanitaire et économique par nécessité

Les sommes ronflantes et les divers engagements annoncés témoignent-il de prises de consciences qui s’opèrent devant le risque à la fois de l’épidémie et de ses conséquences sur le plan humain? «Il faut faire de l’Afrique une priorité absolue de la communauté internationale avec un investissement massif», prévient le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, qui estime à 3 000 milliards de dollars la somme nécessaire. Alarmiste, il ajoute que «plus il y aura de malades et plus le risque de mutation du virus est grand. Dès lors, tous les investissements faits sur un vaccin seront perdus et la maladie reviendra du Sud vers le Nord». Sur le plan sanitaire, les mesures annoncées, même si elles sont loin du compte, relèvent d’un pragmatisme par nécessité. Elles trancheraient provisoirement avec les politiques d’ajustement structurel imposées jusqu’alors, qui se sont traduites par des privatisations et coupes franches dans les dépenses de santé, produisant des inégalités abyssales dans l’accès aux soins et des systèmes de santé souvent sinistrés. Nombre de pays africains ont adopté des logiques libérales et d’austérité qui ont fait la démonstration de leur incapacité à répondre aux enjeux de santé publique, y compris, déjà, dans la lutte contre les maladies infectieuses qui font des ravages au quotidien. Des ébauches de Couverture maladie universelles, sans réels financements pérennes, voient le jour mais elles sont placées sous les fourches caudines d’une conception libérale-caritative très éloignés des systèmes solidaires les seuls à même d’être efficaces. L’État français qui, dans les années 2000, a exigé du gouvernement ivoirien de Laurent Gbagbo, de renoncer à son projet d’assurance maladie universelle, va-t-il changer d’avis après la pandémie? Il sera toujours temps…

Par ailleurs et malgré leur affaiblissement, ces pays ont sur place ainsi que dans les diasporas un grand nombre de personnes compétentes, dont des chercheurs, sur lesquelles il faudra s’appuyer pour trouver des solutions africaines et mondiales.

Il n’y a plus d’îlots de prospérité

On ignore encore à ce jour l’étendue et la morbidité de la pandémie car nous n’en sommes qu’au début et en aveugle dans une Afrique subsaharienne disposant d’une encore plus faible capacité de test et de réponse sanitaire que beaucoup de pays dits développés. Cependant, on redoute des conséquences gravissimes pour les peuples africains. Le Covid-19 va agir comme un ultime électrochoc, une dernière piqure de rappel. A l’heure de l’expansion du capitalisme financier, l’humanité n’a pas tiré les enseignements des multiples alertes des épidémies de Sras et d’Ebola. La démonstration est désormais évidente: il ne peut y avoir d’îlot de prospérité dans un environnement sanitaire, économique et écologique mondial dégradé.

Un branle-bas de combat à minima et provisoire est donc amorcé en urgence. « Les riches ou ceux profitant des rapports de classe et de domination sont parfois forcés d’agir pour le bien public lorsque le monde va si mal qu’il les pénalise eux aussi » disait très justement le sociologue Pierre Bourdieu. Les annonces de mobilisation et la mise en sourdine superficielle des dogmes libéraux vont-elles perdurer? L’expérience montre malheureusement qu’une fois passées les déclarations, rares sont les promesses qui se réalisent vis-à-vis de l’Afrique.

Mais il y aura un avant et un après. L’idée d’assurer les besoins fondamentaux, de sécuriser la vie, fait un retour fracassant, autour du rôle de l’État et du besoin de financements de systèmes solidaires de soin. Mêmes affaiblies, les forces de gauche et de progrès sur le continent africain pourraient s’engouffrer dans cette brèche ouverte. Les coopérations, transferts de compétences, sauts technologiques et capacité à produire localement pour dépasser le drame des économies extraverties, sont plus que jamais à l’ordre du jour.

La Chine en arrière fond

Les promesses européennes se veulent une réponse à l’inquiétude face aux conséquences en Afrique du Covid-19 pour le reste du monde. Elles suivent un autre objectif: contrebalancer l’offensive inattendue de la Chine auprès des gouvernements et des peuples du monde, dont l’Afrique. La Chine qui, pour l’instant, a réussi à endiguer l’épidémie, vient en aide à de nombreux pays, via ses entreprises privées ou des coopérations d’État. Tous les regards se tournent vers elle au moment où les pays de l’UE donnent une image de pays faibles, avec des hôpitaux submergés, en manque de produits les plus basiques comme les masques. Au moment également où les États-Unis s’avèrent incapables d’affronter la crise, tant son système sanitaire et économique sont inopérants. Avec en plus l’image hideuse des atermoiements de Trump, son égoïsme vis-à-vis du reste du monde, ses attaques contre l’OMS et sa croisade contre le Venezuela.

Le soft power de la Chine lui permet de renforcer son ancrage en Afrique. La diplomatie, l’aide et la coopération en sont les principales armes, énième effet du Covid-19.

La lutte contre l’exil fiscal et pour garantir une sécurité humaine

Pour les peuples des pays concernés, la vigilance s’impose, afin que ces aides et coopérations d’où qu’elles viennent soient vertueuses, se concrétisent dans l’amélioration des conditions de vie, et ne se traduisent pas par de nouveaux endettements et des démarches intéressées qui au final profiteraient aux multinationales.

Le contexte d’urgence ne doit pas masquer la nécessaire lutte contre le moins disant fiscal imposé par les traités internationaux actuels. C’est ce que portent plusieurs parlementaires communistes français, sénateurs ou députés. Ce moins disant fiscal, associé à la fraude et à l’exil fiscal, expliquent pour une grande partie l’endettement et le sous-développement des pays africains, en empêchant la mobilisation des ressources internes. S’ajoute à ce tableau la persistance dans la zone ECO/CFA, malgré quelques ajustements à la marge, d’une politique monétaire complètement inadaptée à un développement endogène.

Pourtant, l’Afrique dispose de suffisamment de ressources pour assurer un tel développement et garantir une sécurité humaine à tous les niveaux (paix, éducation, santé, industrie, emploi, alimentation, etc.). Les recettes fiscales peuvent être augmentées fortement, sans peser sur les populations les plus fragiles. Il faut mettre à contribution le capital local et étranger, dans l’objectif de réduire le secteur de l’économie informelle qui reste dominant dans les pays concernés. Cela constituerait un cycle vertueux, le seul à même de briser celui de l’endettement.

Sur tous ces sujets, et alors que le capital s’apprête à présenter l’addition économique de la pandémie aux peuples – pour mieux justifier ensuite de nouvelles mesures d’austérité – l’urgence civilisationnelle est grande et incite à mener des combats communs.

Collectif Afrique du Parti communiste français (PCF)

La dette africaine et la pandémie de Covid-19 (suite et fin)

« Nous avons levé des centaines de millions de dollars », « eurobonds* », « refinancement de la dette », « l’excellente signature » sont des expressions qui se sont imposées dans le jargon politico-médiatique ces dix dernières années. Cette floraison sémantique témoigne d’une nouvelle réalité, le rôle de tout premier plan des marchés internationaux dans le financement des infrastructures et la restructuration des dettes des pays africains. À l’an 2000, la palette d’instruments à la disposition des pays africains pour financer leur développement se limitait principalement à l’aide officielle au développement des pays riches et les prêts concessionnels** des institutions multilatérales (Banque mondiale, FMI, Banque africaine de développement, BOAD). Depuis, le paysage du financement du développement s’est profondément modifié. L’aide au développement traditionnelle a fait les frais des restrictions budgétaires dans les pays les plus riches, tandis que de nouveaux acteurs sont apparus, notamment les bailleurs émergents (Chine, Inde), les fonds pour le financement climatique, les investisseurs « équitables », les fonds « philanthropiques ». D’institutionnels nationaux – tels que les banques, les sociétés d’assurance ou les caisses de retraite – et les investisseurs privés locaux, enfin, se sont également montrés actifs.  

Un changement de paradigme

Au début des années 2000, l’aide publique au développement comptait pour plus de 60% des flux financiers à destination des pays bénéficiaires. En 2014, la situation était tout autre : 70% de ces flux financiers étaient des apports de nature privée et aux conditions de marché. Outre le recul de l’aide publique, les sources de financement concessionnelles ont également fortement diminué. De 2000 à 2015, le stock de la dette externe d’Afrique subsaharienne a doublé, passant de 200 milliards de dollars en 2000 à 403 milliards et la part des créanciers privés représentait 56% du total, dont les deux tiers non garantis. Ce changement de paradigme peut être illustré par l’exemple ivoirien, en 2015, le stock d’eurobonds de ce pays sur le marché a même atteint 4,25 milliards de dollars US, soit le montant le plus important en Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud). Le Sénégal n’a pas été en reste, entre 2009 et 2019 ce sont six « opérations » d’eurobonds (voir détail dans le tableau ci-dessous) qui ont été faites pour un montant total de 5 milliards de dollars. En novembre 2019, le ministre sénégalais de l’économie Amadou Hott envisageait de « lever jusqu’à 800 millions d’euros » d’obligation sur le marché international en 2020. Selon le ministre, cette somme devrait être affecté à des projets d’infrastructures et pour payer la dette de la Sénélec. Quelques jours plus tard, il se faisait rectifier, « le Sénégal ne va pas lever des eurobonds en 2020 » déclarait son collègue, le ministre du Budget Abdoulaye Diallo devant la représentation nationale.

 Tableau Émission d’eurobonds par le Sénégal

AnnéeMontantTaux d’intérêtÉchéance
2009200 millions de dollars8,75%10 ans
2011500 millions de dollars8,75%10
2014500 millions de dollars6,25%10
2015500 millions de dollars6,25%10
20171100 millions de dollars6,75 %15
20181100 millions de dollars6,75%30
1100 millions d’euros4,75%10

Étendre à l’Afrique les territoires de la finance mondialisée

La finance internationale a commencé à s’intéresser à l’Afrique pour de multiples raisons. La croissance économique des pays africains a connu au tournant du siècle une forte hausse qui s’est poursuivie pendant une quinzaine d’années. Cette croissance qui a oscillé entre 5 et 7 % par an a été tiré par l’essor économique chinois qui a entretenu une tendance à la hausse du cours des matières premières et notamment du pétrole. Les pays africains ont profité de la hausse de leurs recettes budgétaires pour financer des projets d’infrastructures de grande envergure (autoroute, aéroports, barrages électriques, installations de câbles de fibres optiques…). Les marchés, confrontés au contexte de liquidité abondante, de faiblesse des taux d’intérêt prévalant dans les pays développés trouvaient des avantages à placer leurs fonds sur de nouveaux marchés tels que ceux des pays africains, une occasion de diversifier leurs risques tout en augmentant leurs rendements. Pour compléter le tableau, les annulations de dette des bailleurs de fonds tels que le FMI (Initiative PPTE, IADM) ont permis à de nombreux pays africains d’afficher de meilleur ratio d’endettement (rapport dette extérieure/ PIB inférieur à 40%) et de pouvoir se réendetter à des conditions « favorables ». À titre d’exemple en 2012, la Côte d’Ivoire a bénéficié d’une remise de dette de 4,4 milliards de dollars de la part de la BM et du FMI au titre de l’initiative PPTE et de IADM ainsi qu’une baisse de 4,7milliards de dollars de dettes bilatérales accordée par le Club de Paris.

Et comme le capitalisme financier rime avec perversion, les Agences de notation y ont mis du leur, des pays africains se sont vus attribuer des notations financières égales, voire parfois supérieures, à celles de la Turquie, le Brésil ou l’Argentine. Cette « reconnaissance » a fait bomber plus d’un torse. Pas seulement celui d’Abdoulaye Wade qui y a vu une preuve supplémentaire de son génie. Beaucoup de dirigeants africains ont vu dans les marchés financiers un moyen de se soustraire à la tutelle FMI sur le plan budgétaire et à celle de la Banque mondiale dans le financement des infrastructures. Les institutions de Brettons Wood donnaient l’impression qu’elles laissaient dorénavant le choix aux pays alors que tout avait été mis en place pour que l’Afrique dernière zone échappant au capitalisme financier triomphant y entre de plain-pied. Par des artifices comptables et de véritables numéros de prestidigitation dont elles sont coutumières, La Banque mondiale et le FMI ont fait de véritables pays pauvres des pays à revenu modéré pour les rendre inéligibles aux guichets de prêts concessionnels de la Banque mondiale ou d’autres banques multilatérales de développement et ceci pour mieux les lancer dans les bras de la finance internationale. Cette ouverture soudaine aux marchés a fait lever des fonds pour projets d’investissements insuffisamment matures. Ainsi, il a été financé à coups de centaines milliards une ligne ferroviaire qui, quinze mois après son inauguration, attend… qu’un train siffle.

La pandémie de Codvid-19 est l’accélérateur, au sens chimique du terme, de la crise de la dette africaine. Elle était attendue et comme toujours dans la finance, elle était anticipée par certains acteurs. En 2018, le Mozambique avait fait défaut dans le paiement de ses échéances. Les coups de menton de Macky Sall sur la nécessité de la rigueur le 1er mai 2019 annonçaient les couleurs des temps difficiles au Sénégal. La pandémie de Codiv-19 a acté un moratoire sur la dette africaine, car elle ne peut pas être payée dans ces circonstances exceptionnelles. Mais, que cela soit le moratoire ou l’annulation de la dette, ce n’est pas de là que viendra la solution. Il faut s’attaquer frontalement aux inégalités mondiales des termes de l’échange, les bases de productions et d’exportations trop étroites, la vulnérabilité aux chocs exogènes (y compris aux fluctuations des flux de capitaux) des pays africains. En d’autres termes, il faut s’attaquer au capitalisme financier mondialisé, un énorme défi ! C’est pourquoi il faut s’étonner et même être suspicieux des chercheurs de « solutions africaines » qui passent sous silence qu’il y a des Africains parmi les plus 1% les plus riches de la planète dont la richesse correspond à plus de deux fois celle de 90 % de la population mondiale (6,9 milliards). Nous sommes à un moment historique, où le capitalisme financier mondialisé a fait suffisamment de victimes pour susciter des synergies d’actions et de luttes transfrontalières et transcontinentales. Pour que ces luttes aient une chance de triompher, elles doivent se prémunir de l’européocentrisme qui a discrédité bien souvent l’internationalisme.  

* L’eurobond ou euro-obligation est une obligation qui permet aux États ou aux entreprises d’emprunter dans une autre devise que celle du pays émetteur. Contrairement à ce peut suggérer le nom, les eurobonds sont principalement libellés en dollars.

** Les prêts concessionnels sont des prêts accordés à des conditions bien plus avantageuses que celles du marché. Leurs taux d’intérêt sont inférieurs à ceux du marché, et ils sont généralement assortis d’un différé d’amortissement de longue durée.

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La dette africaine et la pandémie de Covid-19

Il est parfois suffisant de faire des expériences de pensée pour se rentre compte de l’inanité de certaines annonces. Imaginez que vous gagnez bien votre vie, que vous avez un patrimoine conséquent et que vous prêtez 15 000 francs CFA à un voisin qui vient régulièrement vous solliciter pour boucler ses fins de mois. Il ne tient pas toujours ses engagements aux dates échues, mais, tout compte fait, il reste un débiteur plus ou moins fiable. À la suite de circonstances exceptionnelles pour tous, votre débiteur se trouve dans la situation où la question de son logement et celle de son alimentation deviennent des préoccupations majeures et immédiates. Quelle est votre attitude ? J’exclus l’éventualité où vous êtes une brute que la violente gratuite peut soulager et dans ce cas vous le passez à tabac sans recouvrer votre créance. En être doté de bon sens, vous renoncez à recouvrer votre créance à court terme. Si vous êtes cynique, vous présenterez cela comme la preuve de votre magnanimité et l’expression de votre foi religieuse et de l’amour que vous avez pour l’espèce humaine. En tout état de cause vous faites avec la réalité qui est que votre débiteur est dans l’incapacité absolue de vous payer.

Cette expérience de pensée n’est pas sans analogie avec la situation des pays africains en ces temps de pandémie à Covid-19. La quasi-totalité des pays africains est dans l’incapacité d’assurer le service de la dette. Comment payer les fonctionnaires, assurer la riposte contre le Covid-19 quand les recettes fiscales ont fondu comme beurre au soleil du fait du fort ralentissement de l’activité économique et des échanges avec le centre du système capitaliste mondial ? Où trouver l’argent pour rembourser la dette, dans un contexte marqué par la baisse drastique des prix des matières premières (principales sources de recettes des pays africains) ? Comment assurer le service de la dette ? Les rares pays dont les réserves de changes le permettent ne peuvent aller dans cette direction, car la sanction des « marchés » sera… une forte dépréciation de leurs monnaies. Pour les autres, prenons le Sénégal en exemple : le voudrait-il fortement qu’il serait dans l’incapacité d’assurer ses échéances de remboursement. La Loi des finances 2020 prévoyait des recettes fiscales de 2675 milliards de francs CFA pour un service de la dette évalué à 870 milliards de CFA. Où trouver l’argent quand les recettes d’exportations sont au plus bas ou que les touristes ne peuvent pas venir ? À l’impossible, nul n’est tenu ! Les discours sur la nécessité d’aider l’Afrique ne procèdent pas de la générosité, mais du bon sens le plus élémentaire. Il faut un moratoire sur le remboursement de la dette parce que les pays africains sont dans l’incapacité de payer.  

Depuis le début de la pandémie à Covid-19, les pays riches ont pris des mesures fortes pour soutenir l’activité économique sur leurs territoires. Des plans d’aide sans précédent ont été élaborés pour venir en aide aux citoyens et aux entreprises. L’Union européenne (UE) a décidé qu’elle soutiendrait « sans limites » les économies européennes, au besoin en rachetant la dette souveraine et celle des entreprises, tandis que le fantasque président américain, Donald Trump, mettait en place un plan de relance de 2000 milliards de dollars américains. Pendant le même temps, ce sont 83 milliards de dollars qui quittaient les économies émergentes.  

Ce qui ne manque pas de piquant dans la soi-disant générosité des leaders mondiaux dont le président français Emmanuel Macron veut être le porte-parole, c’est qu’ils prennent des engagements à la place de la Chine qui est devenue ces deux dernières décennies l’un des plus gros créanciers de l’Afrique avec un stock de dettes estimé à 145 milliards de dollars. Il est bien commode de se montrer généreux avec l’argent des autres. Dans le parler abidjanais popularisé par le zouglou des années 1990, on parle de côcô !! On est quand même impressionné par le cynisme d’Emmanuel Macron quand on sait la manière dont la France a traduit en actes, l’Initiative pays pauvres très endettés (PPTE). Au lieu de procéder à l’annulation de ses créances, Paris a mis en place les contrats de désendettement et de développement (C2D) qui ont été un outil de diplomatie économique au service des intérêts des multinationales françaises.

Ces dernières années, de nombreux pays africains se sont lancés dans un endettement inconsidéré en faisant largement appel aux marchés financiers. Sous le prétexte chimérique d’attirer les investisseurs, ils ont sacrifié les recettes fiscales pour entrer dans le cycle vicieux de l’endettement. Le Sénégal par exemple, a eu recours aux euro bonds pour financer des infrastructures sans effets d’entraînement sur les leviers de croissance de l’économie. Depuis 5 ans, les lois de finances rectificatives s’empilent parce que les objectifs de recettes fiscales sont loin d’être atteints. Quelques semaines après le début de la pandémie à Covid-19, le 20 février 2020, Macky Sall a donné le premier coup de pioche du Stade olympique de Diamniadio. Une infrastructure sportive dite de « dernière génération » financée par un prêt de 150 milliards de FCFA d’une banque privée…

À suivre

La vaccination et le progrès sanitaire au Sénégal

Il y a quelques jours, une estimée consoeur m’exprimait ses craintes pour le futur du Programme élargi de vaccination (PEV) au Sénégal. Certaines réactions suscitées par les propos abjects du Pr Jean-Paul Mira sur le plateau de la chaîne de télévision française LCI, le 1er avril 2020 prenaient à son avis et du mien également, des tours anti-vaccination et antimédecine voire obscurantistes que l’on ne peut passer par perte et profit vu leurs succès dans l’opinion.  La crainte de ma consoeur est une perte d’efficacité de toutes les stratégies pédagogiques déployées ces dernières décennies pour favoriser le développement des programmes de vaccination.

Les campagnes de vaccination ont sauvé des vies

Le PEV a été lancé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1974 dans le but de rendre les vaccins accessibles à tous les enfants dans le monde. Au début des années 1970, cinq millions d’enfants mourraient chaque année dans le monde à la suite d’une maladie évitable par la vaccination. Le taux de couverture vaccinale des enfants était alors inférieur à 5 %. Dix ans après la création du PEV, en 1984, l’OMS a établi un calendrier standard de vaccination pour les premiers vaccins du PEV : le BCG (bacille de Calmette et Guérin), le DTCoq (diphtérie, tétanos, coqueluche), le vaccin oral contre la poliomyélite, et le vaccin contre la rougeole. Par la suite, de nouveaux vaccins ont été développés et ajoutés à la liste du PEV des vaccins recommandés : le vaccin contre l’hépatite B, le vaccin contre la fièvre jaune dans les zones d’endémie, et le vaccin conjugué contre Haemophilus influenzae de type b (Hib) pour les pays à forte prévalence. Au cours des dernières décennies, la couverture vaccinale a beaucoup progressé dans le monde, atteignant 79% en 2005.  Elle est l’un des plus grands succès de la santé publique : la variole a été éradiquée en 1980, l’incidence mondiale de la poliomyélite a baissé de 99%. On estime que la vaccination a permis d’éviter chaque année 2 à 3 millions de décès. Plusieurs études épidémiologiques montrent que 1,5 million de vies supplémentaires pourraient être sauvées en améliorant la couverture mondiale de la vaccination qui est restée stable, ces dernières années.

Le Sénégal, un cas d’école

Le Sénégal, peut être considéré comme un cas d’école, de l’efficacité des programmes de vaccination. De l’indépendance à nos jours, le Sénégal a divisé par 6 son quotient de mortalité infanto-juvénile. Le quotient de mortalité infanto-juvénile est le risque de décès entre la naissance et le cinquième anniversaire. De 1960 à 2018, il est passé 296 à 44 pour 1000 naissances vivantes. Au cours des premières années de l’indépendance, sur 10 enfants qui naissaient, trois mourraient avant d’atteindre leur cinquième anniversaire. En 2018, il faut compter 100 naissances vivantes pour observer la mortalité des années 1960. L’évolution de la mortalité infanto-juvénile qu’illustre la figure ci-dessous, a été grandement déterminée des raisons d’ordre démographique, politique et climatique.     

Entre 1960 et 1970, la baisse de la mortalité a été lente parce que l’immense majorité des Sénégalais vit en milieu rural où il y a peu d’infrastructures sanitaires. L’accélération de la baisse observée au cours des années 1970 et 1980 est la conséquence des politiques de vaccination généralisée des enfants contre les maladies de la petite enfance. La vaccination a fait rapidement baisser la mortalité même si seulement la moitié des enfants a pu être touchée par les campagnes volontaristes qui ont été menées.  Les progrès cessent dans les années 1990 en raison de la stagnation de l’effort vaccinal et de la recrudescence de la mortalité due au paludisme, elle-même conséquence de la fin des années de sécheresse.  Au début des années 2000, le regain de l’effort vaccinal, notamment par l’introduction de la journée de la vaccination et l’organisation de campagnes spécifiques de vaccination contre la rougeole ont permis de faire des progrès dans la réduction de la mortalité infanto-juvénile. 

L’importance du rôle de la vaccination dans la baisse de la mortalité infanto-juvénile a été bien documentée par des équipes de l’Institut de recherche en développement (IRD) qui ont travaillé au Sénégal. Il ressort des diverses observations que les progrès les plus importants ont commencé au début des années 1970 et sont marqués par le contraste entre les niveaux de mortalité dans les grandes villes et les zones rurales. On est passé d’une différence de l’ordre d’un à trois au cours de la période 1960 – 1975 à un contraste d’un à deux à la fin des années 80. Dans les zones rurales, cette baisse ne s’est pas faite en un seul temps même si le schéma de baisse a été le même. Il a été noté dans les Observatoires de populations en zone rurale de l’IRD des différences dans l’amorce du mouvement de baisse de la mortalité. Pour les chercheurs, la plus ou moins grande précocité de la baisse de la mortalité dans les zones rurales est corrélée à la richesse en services de santé. La baisse relativement rapide de la mortalité des enfants en zone rurale à partir de la fin des années 1970 pourrait est liée en grande partie à la décentralisation des infrastructures et à la nouvelle politique de santé qui ont permis de faire bénéficier de soins de santé la majorité des zones rurales. L’étude de la zone rurale du Bandafassi où il existe un Observatoire de populations montre le rôle déterminant qu’a pu jouer le Programme élargi de vaccination (PEV) dans les régions du Sénégal éloigné de la capitale et pauvres en équipements sanitaires. Non seulement la mortalité des enfants a baissé brutalement dans la zone étudiée après l’introduction de la vaccination, mais en plus la poursuite de la baisse a été étroitement liée au niveau de couverture vaccinale.

Trump, l’OMS et le Covid-19

Le mardi 7 avril 2020, le président américain, Donald Trump, avait l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans son collimateur. Lors de son point de presse sur la pandémie du Covid-19 à la Maison Blanche, il a déclaré : « l’OMS s’est vraiment plantée », et continuant sur sa lancée il s’en est pris aux positions « très favorables à la Chine » du directeur général de l’organisme onusien, l’Éthiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus. Avec la finesse qu’on lui connaît, il terminait sa diatribe contre l’OMS par une volte-face sur la suspension « des sommes destinées à l’OMS » qu’il avait annoncé quelques instants auparavant. Ouf ? Pas du tout, le 10 avril 2020, il revenait sur le sujet en promettant pour la semaine prochaine une « annonce » sur le financement de l’OMS.

Trump dans la tradition de la droite américaine

Même si la critique de l’OMS par Trump n’est qu’un contre-feu pour masquer son incurie dans la gestion de l’épidémie, elle ne s’en inscrit pas moins dans une longue tradition d’une partie de la droite américaine contre le multilatéralisme et en particulier l’OMS. Depuis plus d’une décennie, l’OMS fait face aux critiques les plus virulentes sur son inefficacité supposée, son mode de fonctionnement « archaïque », le scope « trop étendu de ses missions » et subie des coups de boutoir destinés à l’affaiblir. En décembre 2010, dans un article au vitriol paru dans Foreign Policy, Jack C. Chow médecin spécialiste de santé publique, ambassadeur des États-Unis sur le VIH/sida et la santé mondiale au Département d’État pendant l’administration de George W. Bush assimilait l’OMS a une relique de « l’aube de l’ère des antibiotiques ». À l’Assemblée mondiale de la santé (l’instance suprême de l’organisation qui réunit les ministres de la Santé des 193 membres) réunie à Genève du 16 au 24 mai 2011, Madame Margareth Chan alors Directrice générale de l’organisation s’était vue refuser le budget qu’elle demandait. Ce revers a eu pour conséquences la suppression de 300 postes sur 2400 au siège à Genève et dans les différentes représentations dans les pays membres et partant moins d’expertise pour l’organisation. Ironie de l’histoire ou pied de nez à l’OMS quelques semaines après que les pays riches et notamment les États-Unis eurent amputé son budget bisannuel prévisionnel de près d’un milliard de dollars (3,96 milliards accordés pour 4,8 milliards de dollars demandés), ils faisaient une promesse de dons de 4,3 milliards — plus que la somme espérée- à l’Alliance Gavi ou Alliance mondiale pour les vaccins et l’immunisation, une organisation humanitaire non gouvernementale créée en l’an 2000 et regroupant quelques pays, la Bill and Melinda Gates Foundation, l’UNICEF, l’Organisation mondiale de la santé et la Banque mondiale et des industriels des vaccins.

L’OMS et le progrès sanitaire

La situation l’OMS est paradoxale, alors qu’au cours de vingt dernières années la santé a conquis une place de choix dans l’agenda des relations internationales, son leadership n’a cessé d’être contesté. En 1990, l’OMS était le premier fournisseur de l’aide au développement en matière de santé. Depuis le début du siècle, elle est bien loin derrière les États-Unis, le Fonds mondial de lutte contre la tuberculose, le paludisme et le sida (GFATM), les ONG et autres fondations telle Bill and Melinda Gates Foundation (BMGF). Ces dernières années pour éviter de financer l’OMS tout en investissant dans le secteur de la santé, les pays riches ont préféré multiplier les partenariats et les initiatives sur des maladies particulières. L’aide internationale dans le domaine de santé qui est passée de 5,6 milliards de dollars en 1990 à 26,9 milliards de dollars en 2010 a suscité des vocations ! Une pléthore d’organismes ont vu le jour et il est devenu extrêmement difficile de savoir qui fait quoi, pourquoi et pour qui. Les gouvernements dans les pays en développement cherchant à résoudre les problèmes de santé dans leurs pays doivent s’adresser à une multitude d’agences mondiales pour obtenir un soutien. Les administrations sanitaires se plaignent souvent du temps mis à rédiger des propositions et des rapports pour des donateurs dont les intérêts et les procédures diffèrent ou entrent en opposition le plus souvent. Le point commun à ces initiatives et partenariats est qu’elles sont souvent loin des besoins sanitaires des populations des pays défavorisés.

L’OMS a été créée au sortir de la Seconde guerre mondiale avec l’objectif « d’amener tous les peuples au meilleur état de santé possible. » Son histoire est riche de succès contre les maladies. Les campagnes mondiales de vaccinations initiées par l’OMS ont permis d’éradiquer la variole en 1977. En 2004, son action énergique a permis de limiter l’extension du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS). L’OMS est à l’origine de la convention-cadre sur la lutte antitabac, adoptée en 2003 et son réseau mondial d’alerte suit systématiquement le déclenchement d’épidémies dans le monde entier. En 2007, l’OMS consacrait son rapport annuel sur santé dans le monde à la sécurité sanitaire avec en point d’orgue le nouveau Règlement sanitaire international (RSI), adopté en 2005. Cette nouvelle législation négociée par les États dans un contexte marqué par le triomphe des idées néolibérales. Elle consacrait un changement de paradigme : le concept de maladies à notifier disparaissait au profit de la notion d’« Événements de santé publique d’importance internationale (ESPII) ». Cette innovation a été de portée considérable, parce qu’elle laisse une large place à l’appréciation des décideurs. Elle rend intelligible les atermoiements à considérer en 2012 le coronavirus du Syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV) comme un ESPII ou encore le délai injustifiable mis à notifier comme telle l’épidémie Ebola de 2014 en Afrique de l’Ouest.

La coopération internationale gage du succès

Dans la crise sanitaire créée par la pandémie au Covid-19, l’OMS cherche à jouer son rôle face à des États qui ont décidé de faire cavalier seul parce que pour les gouvernements l’occasion est trop belle de montrer qu’ils sont au-devant des préoccupations des populations. Ce que l’OMS a rappelé aux États et qui lui a valu la diatribe de Donald Trump découle du RSI. La quarantaine, le confinement ne sont pas dans le RSI, encore moins les fermetures de frontières. En principe, dans un monde extrêmement interdépendant, fermer les frontières veut dire s’isoler et empêcher les secours d’arriver. Cependant, arrêter le trafic aérien et abaisser les barrières terrestres et maritimes sont des mesures attendues, populaires, prévisibles, qui donnent à l’opinion l’impression de garantir un succès immédiat à court terme. Cette fuite en avant est destinée à échouer, parce que nul État n’a les moyens de se jouer d’un virus qui ignore les frontières et pour lequel les connaissances accumulées sont encore parcellaires et les moyens de l’étudier et de le contrer loin d’être au point. En l’absence de vaccin et d’antiviraux, les « victoires » sur le virus doivent être considérées comme des répits et l’occasion d’une solidarité agissante envers ceux qui sont dans l’épreuve. En tout état de cause, seule la coopération internationale dans la recherche peut aider à trouver des solutions.Dans le passé, cette coopération a été efficace dans la lutte contre le SRAS, le VIH/Sida etc. L’OMS et son directeur général le répètent à satiété sans succès pour le moment.

Les indignés Africa-Africa* 2.0

À mon ami Malick Sonko confronté au deuil        

Hier vendredi 3 avril 2020, le Professeur Jean-Jacques Muyembe annonçait fièrement que son pays, la République démocratique du Congo, était choisi pour les futurs essais cliniques d’un candidat vaccin contre le Covid-19. Cette déclaration a suscité de vives protestations chez des « internautes » et quelques heures après son annonce, Jean-Jacques Muyembe reculait piteusement pour dire que sa déclaration a été mal comprise et tronquée et annonçait que… la RDC attendrait que le vaccin soit testé ailleurs (Chine et USA) et mis au point avant que les Congolais en bénéficient. Le professeur Muyembe est un virologue qui a une longue expérience de la santé publique. Il est reconnu mondialement et a mené et participé à plusieurs recherches biomédicales. Il pilotait encore la riposte à la dixième épidémie d’Ebola à l’est de la RDC, quand il a été choisi le 10 mars dernier pour diriger la lutte contre le Covid-19. Il est codécouvreur du virus Ebola, avec le docteur Peter Piot et le Docteur Ngoï-Mushola à qui l’on doit la première description clinique de la Maladie de la fièvre hémorragique à virus Ebola.

Il est important que les futurs candidats vaccins contre le Covid-19 soient aussi testés dans les pays africains.

Même s’il est cynique de le dire comme ça, il est souhaitable que le repentir et la reculade de monsieur Muyembe ne soient que transitoires et destinés à calmer l’ardeur des « défenseurs des Congolais » du net en attendant qu’ils passent à un autre sujet d’indignation. Le principe de la vaccination est l’administration d’un agent antigénique (le vaccin) dans le but de stimuler le système immunitaire afin d’y développer une immunité adaptative contre un agent infectieux. Chacun de nous répond différemment à un vaccin et à l’échelle populationnelle, il y a des différences liées à la génétique, l’écologie, l’alimentation, etc. Il n’est jamais certain qu’un vaccin testé et ayant montré son efficacité dans tel pays ou un continent aura la même efficacité dans un autre. Les pays africains ont besoin de participer aux essais cliniques, afin que des réajustements s’opèrent sur le candidat vaccin en tenant compte du retour d’expérience.

L’histoire de la médecine et notamment des essais cliniques en Afrique a donné lieu, dans un passé pas si lointain, à de nombreux manquements aux règles éthiques et déontologiques de la profession. Parfois des actes criminels ont été commis au prétexte de l’efficacité scientifique. L’urgence sanitaire liée au Codiv-19, ne doit pas être un prétexte pour baisser la garde dans l’exigence de respect des piliers d’une éthique médicale minimale : autonomie, bienveillance, non-malveillance et justice vis-à-vis des sujets qui se prêtent aux recherches. S’il faut garder en mémoire ce passé et faire preuve d’exigence et de vigilance dans l’évaluation éthique des programmes de recherches biomédicales, il est inadmissible, pour autant, de donner le pouvoir aux « indignés du net » de mettre un terme à des programmes de recherche biomédicale.

Oui au débat démocratique

Les questions sanitaires et surtout quand elles engagent la vie et la mort comme nous le vivons dans cette pandémie au Covid-19, relèvent du politique et donc, normalement, du débat démocratique. Il va de soi de ne pas laisser le monopole de ce débat aux seuls experts et spécialistes. Mais il est tout aussi impérieux de ne pas laisser le pouvoir à tous ces gens qui se proclament vigies de « l’honneur de l’Afrique » et « défenseurs des Africains » et qui mis à part leurs indignations pourvoyeuses de likes et de clics ne proposent rien. Tous ces gens qui les yeux rivés sur les chaînes de télévisions européennes et le smartphone en main, recherchent à travers les élucubrations des piliers de plateaux de télévision (qui ne sont pas différents de ceux des bars) européennes, le propos offensant pour « l’Afrique ». Personnellement, certains de nos indignés auraient été crédibles à mes yeux si, au moment des guerres néocoloniales de Nicolas Sarkozy en Côte d’Ivoire et en Libye en 2011, ils avaient seulement protesté.   

Africa-Africa* : néologisme que j’emprunte à ma fille cadette et qui désigne pour elle les tentatives de présenter l’Afrique comme un bloc monolithique, sans contradictions internes