De la laïcité et de l’hyperprésidentialisme

Il n’y a pas l’ombre d’un doute. Les mesures et les décisions du Président Bassirou Diomaye Faye et de son gouvernement sont scrutées avec attention et vigilance par les Sénégalais. Pourvu que dure ce réenchantement de l’action politique ! Que continuent les réactions passionnées, mais surtout argumentées pour ou contre les délibérations de l’exécutif ! La démocratie est la possibilité du débat public. Ne boudons pas notre plaisir.

Le communiqué publié à la suite du Conseil des ministres du 17 mars 2024 a fait réagir plusieurs de nos concitoyens. Dans les médias et sur les réseaux sociaux, le compte rendu de cette réunion a été abondamment discuté. En cause l’annonce de la création au sein de la présidence de la République d’une direction des Affaires religieuses et de l’insertion des diplômés de l’Enseignement arabe. Cette direction qui sera composée du Bureau des affaires religieuses et de celui de l’insertion des diplômés de l’enseignement arabe a suscité des interrogations teintées d’inquiétudes. On peut schématiquement distinguer trois groupes dans la controverse induite par l’annonce de l’érection de cette direction. Il y a ceux qui soutiennent la mesure. Le deuxième groupe est composé de ceux qui considèrent que c’est le principe de la laïcité qui est ébranlé par cette décision. Enfin, un troisième groupe — auquel j’appartiens — considère que cette nouvelle administration logée à la Présidence jure avec la promesse de rupture avec l’hyperprésidentialisme.  

La laïcité sénégalaise

L’article Premier de la Constitution proclame que « La République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion. Elle respecte toutes les croyances. » Tout comme le mot « démocratie », « laïc » est polysémique et peut même être un piège sémantique pour qui considère qu’il renvoie à une réalité unique et universelle. Il y existe une laïcité sénégalaise, fruit d’un processus historique qui date de plusieurs siècles. Depuis le moyen-âge, à l’exception des rares théocraties, la majorité des États ou des organisations politiques qui ont existé sur le territoire sénégalais ont été laïcs. L’État colonial n’a pas créé la laïcité sénégalaise. Certes, il l’a modelé au mieux de ses intérêts, mais il ne l’a nullement conçu.

 La laïcité sénégalaise renvoie à l’État entendu comme communauté politique. C’est une communauté indivisible du fait de l’égale liberté reconnue à tous et de l’égalité de ceux qui la composent. L’idée de laïcité dont la traduction est d’ordre juridique ramène à ce que nous avons en commun musulmans, catholiques, protestants, agnostiques, athées, adeptes du boekin, charismatiques, mourides, khadres, tidianes, etc. La laïcité fonde la loi commune sans souscrire à une quelconque préférence partisane, qu’elle soit religieuse ou non. Elle est soumise à un double impératif : la liberté absolue de conscience et la stricte égalité de tous les Sénégalais. Partant de ce principe, l’État sénégalais se déclare a priori incompétent à normer les options spirituelles. Fondamentalement, il se l’interdit.

Ce n’est pas parce que l’État sénégalais se déclare neutre vis-à-vis des cultes qu’il ne se préoccupe des conditions de leur exercice. Il assure la liberté de religion et croyance. Il finance par divers mécanismes les institutions religieuses. Au ministère de l’Intérieur, c’est à la Direction des Affaires générales notamment à la Division des Affaires religieuses et Coutumières (DARC) que revient la gestion du fichier national des imams, notabilités religieuses et coutumières. Si ce sont ces attributions du ministère de l’Intérieur que le Président veut mettre sous son autorité, il n’y a pas de raison de crainte pour la laïcité de l’État. Mais, les motifs d’inquiétude surgiront si d’aventure ladite direction parce que rattachée à la Présidence se découvre des ambitions… présidentielles et ne se contente plus de gérer les fichiers. Qu’elle émette des directives religieuses et la préoccupation pour notre laïcité trouvera justification.        

Il faut dégraisser le mammouth  

La décision présidentielle de créer une Direction des Affaires religieuses et de l’insertion des arabisants est troublante. Bassirou Diomaye Faye a été élu entre autres sur la promesse de rupture avec une institution présidentielle omnipotente. Alors que nous sommes en attente du dégraissement du mammouth qu’est devenue au fil des dernières décennies la Présidence, le Président Diomaye Faye ajoute une nouvelle direction à l’organigramme. C’est une prérogative du ministère de l’Intérieur qui va être transférée à l’avenue Léopold Sédar Senghor. Si le Président veut montrer qu’il accorde une importance particulière aux questions religieuses, il peut de la DARC, une direction générale du ministère de l’Intérieur.

 Il est légitime et c’est une question de justice, que les diplômés des institutions de l’enseignement en arabe soient employés par l’État. Il faut qu’ils trouvent leur place dans l’administration. Que leurs compétences et diplômes soient reconnus et leur ouvrent les portes aujourd’hui fermées. L’insertion professionnelle des arabisants peut être prise en charge par le ministère de l’Emploi. Au besoin, il peut être créé une Agence ou un secrétariat d’État sous la tutelle du ministère de l’Emploi.

Adaptation de mon éditorial dans le quotidien YOOR YOOR Bi du 22 avril 2024

De quoi Ousmane Sonko est-il le nom ?

Un spectre hante le président Macky Sall et son régime : le spectre d’Ousmane Sonko et de Pastef. L’appareil d’État, les instances judiciaires, des patrons de groupe de presse, les forces conservatrices, des intellectuels organiques, la coalition BBY, les vétérans de partis de gauche se sont constitués en une Alliance pour anéantir ce spectre. La Confédération pour la démocratie et le socialisme (CDS) n’est pas en reste. Incapable d’avoir l’unité organique et d’actions promises aux militants il y a près d’une dizaine d’années, spectatrice impassible des dérives autoritaires du pouvoir, soutien indéfectible des politiques de démission nationale et de régression sociale, se découvre dorénavant la vocation de préserver le Sénégal d’Ousmane Sonko et de Pastef ! Sortant de sa léthargie et de son atonie éditoriale, en une dizaine de jours, elle a publié deux tribunes pour conjurer ce spectre. Dans la toute dernière invoquant la « république et la démocratie », la CDS telles les marionnettes politiques que dénonçait Senghor dans son rapport sur la méthode au Ve congrès du Bloc démocratique sénégalais (BDS) des 3, 4 et 5 juillet 1953, a lancé des slogans importés de l’actualité politique européenne. Parlant, sans craindre le ridicule, de « populisme », « fachopopulisme », « néonazis », « islamisme radical anti confrérique » et de « groupes d’obédience irrédentiste » pour désigner Pastef et son leader. Il est temps de sortir de cette fantasmagorie qui ne sert qu’à escamoter le débat politique et d’exposer à partir de faits stylisés en rapport avec la situation socioéconomique et politique du pays ce qu’est ce parti.

Qu’est-ce que le populisme ?

Le ridicule et le caractère outrancier de certains qualificatifs de la CDS à l’endroit d’Ousmane Sonko et ses amis ne méritent pas qu’on s’y attarde. « Fachopopulisme », « néonazis », « islamisme radical anti confrérique » et « groupes d’obédience irrédentiste » ne sont que des injures sans grande originalité. Le seul terme de la déclaration de la CDS qui mérite l’attention est celui de « populisme ». Pastef et son dirigeant incarnent-ils un populisme ? Si oui, est-ce une rupture par rapport à la tradition politique sénégalaise ? Est-il porteur de solutions antidémocratiques, antirépublicaines et périlleuses pour l’unité nationale et la paix civile ?

Le populisme est un terme qui est revenu à la mode médiatique où il sert le plus souvent, mais pas toujours, le discours de disqualification des forces politiques qui sont porteuses de propositions alternatives au néolibéralisme mondialiste. Sur le plan étymologique, « populisme » dérive du latin populus qui veut dire peuple. Il est assez savoureux de noter qu’il a la même signification que la racine grecque (démos qui veut dire peuple) de démocratie. D’un point de vue académique, il n’y a pas de consensus sur sa signification. Pour les spécialistes de la science politique, il s’agit d’un terme qui prête à confusion. Il y a un consensus qui s’est noué récemment pour trouver deux constantes aux discours politiques désignés comme populisme : l’élite et le peuple. Le politologue néerlandais Cas Mudde définit le populisme comme « une idéologie qui considère que la société est séparée en deux groupes homogènes et antagonistes, le peuple et l’élite corrompue, et qui soutient que la politique devrait être une expression de la volonté générale du peuple. » Il y a des courants de pensée de la sociologie politique qui accorde un statut idéologique au populisme alors que d’autres ne lui en reconnaissent que la qualité ersatz idéologique. Le populisme est considéré tantôt comme un moyen de mobilisation des masses, d’autre fois — comme le théorise Esnesto Laclau — un projet d’émancipation pour instaurer la véritable démocratie dans laquelle le peuple est le véritable souverain.

Le peuple exalté recouvre deux réalités différentes selon que l’affiliation du populisme est de droite ou de gauche. À droite, la référence est l’ethnos c’est-à-dire la supposée communauté d’habitants partageant les mêmes ancêtres, divinités, cultes, sanctuaires et fêtes pour faire court « les nationaux de souche » qui sont menacés de « grand remplacement » par les populations d’origine étrangère. Dans la version de gauche, le peuple désigne les ouvriers, les employés, « ceux d’en bas » ; opposé à « ceux d’en haut », à la bourgeoisie, l’oligarchie, les « éditocrates », etc.

L’ascension politique d’Ousmane Sonko

En 2017, trois ans après la création de son parti Pastef, il est élu député à l’Assemblée nationale, mais son parti obtient moins de 1 % des voix aux législatives. En 2019, pour sa première participation au scrutin présidentiel il arrive troisième avec 16 % des suffrages exprimés. Au cours de la campagne électorale, Ousmane Sonko s’était présenté comme le candidat « antisystème ». Son programme était un plaidoyer pour l’exercice effectif de la souveraineté nationale. Sur le plan économique, il a proposé une sortie du franc CFA, présenté comme l’instrument de la mainmise française sur le Sénégal, dénoncé la fraude fiscale et critiqué le train de vie de l’État. Pour financer les réformes préconisées dans son programme, il a recommandé une mobilisation des ressources internes par une plus grande efficience de l’administration fiscale à la place de l’endettement extérieur inconsidéré en cours. Le thème politique qui a participé le plus grandement à son succès électoral a été la dénonciation des ponts d’or faits aux entreprises étrangères alors que les entrepreneurs locaux et l’industrie nationale étaient abandonnés à leur sort par l’état. Il promettait d’y remédier par un patriotisme économisme qui favoriserait l’essor de champions nationaux dans le domaine industriel. En dehors des propositions radicales énoncées plus haut, son programme dénommé Jotna, présentait des aspects plus consensuels comme l’exigence faire de l’agriculture le « fer de lance » de l’économie sénégalaise, « l’égalité de chance par l’éducation » pour tous, ou « la promotion de la femme ». Mais le discours politique pour antisystème qu’il fut n’a jamais épousé les contours d’un antiélitisme.

Les circonstances dans lesquelles Ousmane Sonko s’est fait connaitre sur la scène politique sénégalaise ont fait de lui, aux yeux de l’opinion, une figure incarnant la probité et le désintéressement. Pionnier du syndicalisme dans la haute fonction publique, lanceur d’alertes, revendiquant un parcours sans faute dans un corps où les tentations d’enrichissements illicites sont nombreuses, le président de Pastef était le candidat disruptif du scrutin présidentiel de 2019. C’est une personnalité charismatique aux influences éclectiques (anti-impérialiste, islam politique, nationalisme et panafricanisme). Son rigorisme musulman présenté par ses adversaires politiques comme le signe d’une adhésion au « salafisme » et ses avatars, ne l’a pas été empêché d’avoir de nombreux soutiens dans les milieux catholiques et les confréries musulmanes. Le curé d’une grande paroisse de Dakar rapporte que les jeunes et les femmes qui fréquentent son église revendiquent leur adhésion au discours de Ousmane Sonko et votent pour Pastef.  

À l’élection présidentielle de 2019, le vote en faveur d’Ousmane Sonko a été celui des jeunes, des personnes avec un niveau d’instruction élevé et des citadins. À l’exception de la région de Ziguinchor sa percée dans les milieux ruraux était plutôt modeste. Dans la région de Dakar, il a fait de bons scores dans les quartiers réunissant les classes moyennes supérieures (Fann, Point E, Amitiés, Mermoz, Sacré-Cœur, etc.), dans les milieux populaires (grand-Yoff ; Parcelles Assainies, Keur Massar, Mbao) qui accueillent une majorité de populations pauvres, voire très pauvres. Il y a eu une pluralité sociologique dans le vote en sa faveur. Dans la diaspora sénégalaise, les zones d’immigration récente (Amérique du Nord, pays scandinaves, le Maghreb et les pays de la péninsule arabique) le vote qui se portait naguère sur le président en sortant, a choisi en 2019 Ousmane Sonko. En France, dans les villes universitaires il est sorti largement en tête. Au dernier scrutin présidentiel, Ousmane Sonko a réuni autour de sa personne une bonne partie du vote des plus aisés et des plus pauvres. Il cristallisait les revendications contre les inégalités sociales et la volonté de sortir de la domination française et de la démission nationale des régimes précédents.

Sur quel terreau poussent les semis pastefiens ?

      Le Sénégal comptera à la fin de cette année 2023, un peu plus de 18 millions d’habitants. Il reste un pays rural (51 % de la population), jeune avec un âge médian (celui qui divise la population en deux parts égales) de 18,5 ans. Plus des trois quarts de la population sont âgés de moins de 35 ans. Chaque année, ils sont dizaines de milliers de jeunes qui arrivent sur le marché du travail sans trouver un emploi. C’est le secteur dit informel qui crée l’essentiel des emplois. Ceux-ci sont précaires et donnent des revenus irréguliers rendant l’accès au crédit bancaire difficile pour les travailleurs. La croissance économique tant vantée par les pouvoirs publics est erratique, vulnérable aux chocs extérieurs et est portée par la consommation privée et les investissements publics financés par l’endettement extérieur. Les investissements ont très peu d’effets d’entraînement sur l’économie réelle et ses nombreux entrepreneurs nationaux. La croissance économique n’est pas inclusive et le taux de pauvreté reste élevé (37 % de la population). Les inégalités se sont creusées, la part de la richesse nationale détenue par les 20 % les plus pauvres n’a pas augmenté depuis vingt ans. Les 10 % les plus riches détiennent le tiers de la richesse nationale. Les scandales financiers se succèdent sans que les auteurs de ces véritables actes de prédations soient inquiétés.

Les libertés individuelles et publiques n’ont jamais été autant bafouées dans l’histoire contemporaine du pays. Des dizaines de militants politiques, associatifs, activistes et youtubeurs sont en détention préventive pour des commentaires ou des propos passionnés. Des députés, des maires issus des rangs de l’opposition ont également. Faisant l’impasse sur la valeur instrumentale du droit, comme le souligne si pertinemment Jurgen Habermas, dans la formation de l’opinion du citoyen, le pouvoir en répétant ad nauseam que « force doit rester à la loi » veut en faire une fin. Et encore ! C’est faire trop d’honneur à ce pouvoir que de ne pas voir que l’évocation de la loi n’est que le « cache-misère » de l’arbitraire le plus barbare. Les réunions publiques de l’opposition ne sont qu’exceptionnellement autorisées. À l’occasion des dernières élections législatives, le Conseil constitutionnel a décidé de priver les citoyens de choix pour une erreur matérielle dans l’établissement de la liste de la coalition d’opposition Yewi Askan Wi (YAW) dont le Pastef est membre.

Les manifestations sont réprimées avec violence inouïe. Depuis mars 2021, on a dénombré 17 personnes tuées et plus de 600 blessés. À la différence du président Abdou Diouf, au pouvoir de 1981 à mars 2000, dont la doctrine en matière de maintien d’ordre était claire et précise : « pas d’utilisation d’armes létales », on ne sait rien des ordres donnés par Macky Sall. On peut toutefois constater que les forces de l’ordre sont surarmées et selon plusieurs rapports d’organisations de droits de l’homme les manifestants tués le sont avec des armes létales utilisées par la police ou la gendarmerie.     

Quel est le projet d’Ousmane Sonko ?

Depuis l’élection présidentielle de février 2019, le champ politique sénégalais a connu de nombreuses mutations. Avec le ralliement d’Idrissa Seck au pouvoir, Ousmane Sonko est devenu le principal opposant. Le cadre très schimittien[1] en place depuis 2012, qui fait du rapport « ami-ennemi » la clef de structuration du jeu politique s’est davantage accentuée depuis 2019. À la mobilisation de l’appareil d’État pour le mettre hors de courses, Ousmane Sonko en a appelé au peuple pour se défendre. Le peuple à lui, c’est d’abord la jeunesse à qui il demande de ne pas se faire « voler le projet » censé parachevé la « révolution sociale » initiée par Senghor et Mamadou Dia et interrompue en 1962 par la mise à l’écart du dernier nommé.   

À part la jeunesse, dans « son peuple » il inclut les travailleurs du secteur informel — des femmes, dans leur écrasante majorité — la petite bourgeoisie (enseignants, personnels de santé, techniciens, ingénieurs, etc.), les ndongo daara[2]… La paysannerie reste un angle mort de son discours sur le peuple et c’est également une limite dans la continuité qu’il voit entre son « projet » et celui de Mamadou Dia. S’il faut trouver un continuum avec les formes d’expression politique du passé, il faut le rechercher du côté du Manifeste du PAI de 1957. Ousmane Sonko réactualise le « Mom sa Rew, bok sa rew et le Defar sa rew »[3] des anciens, le rend populaire tout en atténuant sa radicalité. Il le fait parce qu’il n’envisage la prise du pouvoir que par le suffrage universel ce qui n’était pas le cas des initiateurs du PAI. Et pour finir, il est accommodant avec l’essentiel des formes de légitimité traditionnelle.

Ousmane Sonko incarne un courant de pensée nationaliste ou souverainiste comme on le dit plus volontiers actuellement. Cet attachement à la patrie n’est pas du chauvinisme et il n’y aucune exaltation de l’ethnos dans son discours. Il en appelle à une révolution citoyenne pour que la démocratie sénégalaise tienne ses promesses de liberté et d’égalité. Ce discours a d’autant plus de succès auprès des Sénégalais que depuis une décennie la démocratie est bafouée et que nous sommes dans une caricature d’État de droit. Les appels au peuple d’Ousmane Sonko sont en résonnance avec les propos d’Amílcar Cabral[4] : « ne pas avoir peur du peuple et l’amener à participer à toutes les décisions qui le concernent — telle est la condition fondamentale de la démocratie révolutionnaire que nous devons réaliser progressivement. » La CDS renie-t-elle Amílcar Cabral ?

Article publié sur le site seneplus.com  le 13 mars 2023

https://www.seneplus.com/opinions/de-quoi-ousmane-sonko-est-il-le-nom


[1] En référence à Carl Schmitt

[2] Diplômés des écoles de théologie musulmane

[3] Indépendance, unité et construction nationales

[4] Amílcar Cabral (12 septembre 1924 – 20 janvier 1973), alias Abel Djassi, est le fondateur du Parti africain l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIG) C qui amena à l’indépendance ces deux États colonisés par le pour Portugal.

Coup de semonce

À peine nommé, le gouvernement nommé le 5 avril 2024 par le Président Bassirou Diomaye Faye sur proposition du Premier ministre Ousmane Sonko est confronté à sa première crise médiatique. En cause, la « sous-représentation » des femmes dans l’équipe gouvernementale. Selon les calculs de nombreux observateurs et de collectifs citoyens qui dénoncent ce fait, les femmes ne représentent que 13 % des membres du gouvernement. Elles sont quatre femmes sur trente ministres et secrétaires d’État. L’image que renvoie cet attelage ministériel a semé le trouble jusque dans les rangs de Pastef. Ne parlons pas de tous ceux qui n’attendaient que le premier faux pas pour ruer dans les brancards de ce duo sorti de prison pour gouverner le Sénégal. Une célèbre journaliste connue pour son hostilité à la nouvelle équipe dirigeante a même prétendue être « déçue ». Pour être déçu, il faut avoir aimé.

Pour être déçu, il faut avoir aimé

Des collectifs féministes et de citoyens ont lancé des appels et initié des pétitions pour déplorer ou condamné ces choix ministériels. Ils ont reçu un accueil poli de la plupart des soutiens du nouveau pouvoir. Dans d’autres cas, les réponses ont été agressives. Les Patriotes ont le devoir d’entendre toutes les paroles émanant de la société. Ils sont aux affaires et ont la responsabilité d’agir pour le bien de l’ensemble du corps social. Ils ne peuvent pas avoir le monopole de l’action et disputer aux autres, notamment l’opposition, le « ministère de la parole ». Cela ne veut point dire qu’ils ne doivent pas communiquer. Leur tâche prioritaire est d’ordre pédagogique. Expliquer ce que fait le gouvernement. Et dans le cas d’espèce, la « sous-représentation » des femmes dans l’exécutif mérite quelques éclaircissements à défaut de justifications.

Nous sortons d’une séquence qui a instauré des rapports de force politique et suscité des craintes sur les marchés financiers où s’échangent les titres de la dette sénégalaise. Elle a également entrainé des bouleversements géopolitiques interne et externe. Le processus électoral a montré combien la place des femmes en politique reste marginale malgré les avancées sur la parité à l’Assemblée nationale et dans les exécutifs territoriaux. Sur les quatre-vingt-quatorze « candidats à la candidature présidentielle », il y avait moins d’une dizaine de femmes et finalement deux sur les vingt finalement retenue par le Conseil constitutionnel. La sélection des ministrables a commencé avec cette séquence. D’autre part, le gouvernement Diomaye a été conçu également pour envoyer des signaux positifs à certains secteurs inquiets pour ne pas dire affolés par l’arrivée au pouvoir de ceux que nul n’attendait dans certains cercles. D’où la nomination de personnalités de la société civile.

La politique se joue aussi sur la scène des représentations symboliques

Toutes ses considérations ont pesé en défaveur des femmes. D’autant plus que le programme présidentiel a fixé a priori le nombre maximum de ministres. Le Président et son Premier ministre étaient face à une équation qu’ils ont, diront certains, sur le dos de la représentation des femmes. Une telle conclusion est injuste. Il faut intégrer dans la balance l’aspect qualitatif. Cela ne satisfera pas tout le monde, mais il est indéniable que les femmes du gouvernement Sonko exercent de grandes responsabilités. Madame Yacine Fall, chargée du ministère régalien de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères, suit dans l’ordre protocolaire le chef du gouvernement. Elle sera confrontée à de grands défis. Les Sénégalais ont voté pour un nouveau rapport du pays au monde. Le secteur des pêches (3,2 % du PIB, plus de 10 % des exportations et 600 000 emplois directs ou indirects) et des infrastructures portuaires est sous la responsabilité de Madame Fatou Diouf. Madame Khady Diène Gaye dirige le grand ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Culture. Et enfin au ministère de la Femme et des Solidarités (bourses familiales, programme d’inclusion sociale, etc.), on a Madame Maïmouna Diéye.  

Gouverner, c’est prendre en considération que la politique se joue également sur la scène des représentations symboliques. La révolution citoyenne qui a mené au pouvoir le « projet » est une quête de liberté et d’égalité des femmes et des hommes de la terre africaine du Sénégal. La proportion de femmes dans l’exécutif renvoie l’image d’un rendez-vous manqué. Au prochain remaniement, le Premier ministre fera des propositions au Président Diomaye Faye pour que la rupture annoncée se traduise par une augmentation de la présence féminine aux Conseils des ministres. Mais, ne nous berçons pas d’illusions, la représentation des femmes au gouvernement est le reflet d’inégalités structurelles que le volontarisme non traduit en actes législatifs ne résoudra pas. De même, la présence des femmes au gouvernement est une des moindres inégalités que subissent les femmes.

Article paru dans le qutidien YOOR YOOR Bi du 15 avril 2024

Au travail !

Le Président Bassirou Diomaye Faye a prêté serment, il est dorénavant le Président de la République du Sénégal c’est-à-dire le chef de l’État, le garant de l’unité nationale et le chef suprême des armées. Il a nommé Oumane Sonko Premier ministre quelques heures après la sobre cérémonie de prestation de serment. Une première promesse électorale de tenue. « Sonko mooy Diomaye, Diomaye mooy Sonko » est le slogan qui a mobilisé les militants puis les électeurs. Le tandem doit maintenant rouler pour satisfaire les engagements vis-à-vis du peuple souverain sénégalais. Au sens propre, selon le Larousse, un tandem est une bicyclette conçue pour être actionnée par deux personnes placées l’une derrière l’autre. Au Président, l’avant, avec pour mission la définition des grandes orientations et au Premier ministre, le rôle de les décliner en politiques publiques, programmes et projets. Au sens figuré, un tandem désigne « l’association de deux personnes, qui collaborent étroitement à une même œuvre ou qui sont obligatoirement liées dans une action ou une entreprise. » Les Sénégalais ont voté en majorité au sens propre et figuré pour cela.

La mise au travail passe la formation d’un gouvernement et une majorité à l’Assemblée nationale. Il n’y a pas de doute qu’une équipe gouvernementale va être rapidement formée. Dans l’immédiat, elle consistera en un subtil dosage de cadres militants compétents, de technocrates, d’alliés, etc. Il ne fait pas de doute que les considérations géopolitiques et sociologiques seront prises en compte dans sa formation. Elle sera une équipe de défis qui a vocation à ne que durer 6 à 7 mois. Certains diront que c’est peu. Il nous semble que c’est suffisant pour donner l’impulsion à un quinquennat réussi. Les objectifs de ce gouvernement seront de prendre les mesures les plus urgentes. Celles-ci sont relatives à la satisfaction de la demande sociale. Celles des couches les plus vulnérables de la population. C’est-à-dire les jeunes, le monde rural et les foyers pauvres. Il faut améliorer le pouvoir d’achat de ces populations. Il est attendu que l’argent injecté dans la consommation de ces couches sociales bénéficiera aux industries et services nationaux. Les bourses familiales doivent être augmentées. Cette mesure peut ne pas avoir un coût exorbitant si on prend la peine d’enlever du Registre national unique (RNU) tous ceux qui ne doivent pas y figurer. Les prix aux producteurs des spéculations agricoles transformées au Sénégal doivent être augmentés. Pour éviter les effets d’aubaine, il faudra instaurer des autorisations d’exportations pour les industriels de ces secteurs. Cette mesure aura pour finalité de les empêcher de prendre les subventions et d’exporter des produits non transformés. En attendant l’augmentation des bourses des étudiants, il faudra corriger une inégalité. Tous les étudiants qui ne sont pas logés dans une résidence universitaire et qui apportent la preuve qu’ils sont locataires chez des privés doivent bénéficier d’une aide au logement. Les conducteurs de taxi-moto doivent bénéficier de subventions pour payer les primes d’assurances, des casques, etc. Avec les syndicats de fonctionnaires, il faudra négocier une trêve sociale sur la base d’une augmentation substantielle du point indiciaire. En contrepartie, il y aura une cristallisation des diverses indemnités. Toutes ces mesures nécessiteront un collectif budgétaire. Il est certain qu’il en existe un dans les tuyaux de l’administration des finances. Au cours des douze ans passés à la tête du pays, le président Macky Sall nous a habitués à des Lois des finances rectificatives.   

La mise en application de toutes ces mesures nécessitera une majorité à l’Assemblée nationale. Il est possible d’en avoir une sans recourir aux méthodes du Président Abdoulaye Wade après l’alternance de 2000. Débaucher des députés de l’ancien régime, qui sans honte, proclame « adhérer à la vision » du nouveau Président n’est pas recommandable. La victoire à l’élection présidentielle du 24 mars 2024 a été préparée par les succès aux territoriales et aux législatives de 2022. Les députés Taxaw Sénégal vont voter les textes du Gouvernement si on ne cherche pas à les humilier ou leur faire payer ce qu’il s’est passé dans l’année qui a précédé le scrutin présidentiel. Le groupe parlementaire constitué autour du PDS également. Donc on revient à la configuration 80 (YAW et WALU) -82 (BBY) — 3 (non-inscrits) de septembre 2022. Dans les semaines qui viennent, le recours d’Aminata Touré va être examiné par les tribunaux. Elle va donc réintégrer l’Assemblée nationale parce qu’elle en a été exclue illégalement. La majorité présidentielle a besoin de son talent même si formellement elle ne peut pas se réclamer de YAW. Sa présence au parlement est nécessaire en attendant qu’elle soit la candidate du Sénégal à la présidence de la Commission de l’Union africaine poste qui sera bientôt vacant. En utilisant les bonnes cartes avec ceux qui en réalité désignent le premier responsable de cette institution, cette candidature triomphera. Il est bon pour un pays d’avoir ses filles et fils dans les rouages des institutions internationales. La nouvelle majorité à l’Assemblée nationale pourra bénéficier du vote de l’aile « gauche » de BBY. Je vois mal, les députés de la LD, du PS et de l’AFP voter contre des mesures en faveur des travailleurs et du monde rural. Ces divers chantiers vont occuper le Président, le Premier ministre, le Gouvernement et tous ceux qui veulent un changement rapide.

Editorial publié dans le quotidien YOOR-YOOR BI du 5 avril 2024

Les sens d’un triomphe électoral

Bassirou Diomaye Faye à la veille de ses quarante quatrièmes ans, le 24 mars 2024, a été élu Président de la République du Sénégal. Il va prêter serment ce jour et deviendra ainsi le cinquième chef de l’État du Sénégal. La victoire électorale du Président Faye a été nette et sans ambages. Elle matérialise un désir de changement que le corps social attendait avec impatience, mais sans précipitation. Il devance très largement le Premier ministre Amadou Ba, candidat de la « continuité », du Président Macky Sall et de la coalition BBK. Le taux de participation au scrutin est de 61, 30 %. Il est en retrait de 5 points par rapport à la présidentielle de 2019. Cependant, il est meilleur que celui de 2012 (51,58 %) et est comparable à celui de 2000 (62,23 %). Le taux de participation au scrutin de 2024 est d’autant plus appréciable, que la date de son déroulement était inconnue au début du mois. La mobilisation est d’autant plus exceptionnelle que jusqu’aux derniers jours beaucoup d’incertitudes planaient autour de sa tenue. Sans compter qu’il a été tenu en plein ramadan et le dimanche des Rameaux pour les catholiques.

La victoire du candidat du PASTEF est l’expression d’un désir de rupture avec l’autoritarisme anachronique du président Macky Sall, la remise en cause des acquis démocratiques, l’assujettissement de la justice aux impératifs politiques des tenants du pouvoir. Elle est la traduction d’une volonté de changement de paradigme économique avec un souverainisme assumé notamment dans les domaines monétaire, alimentaire, militaire et énergétique. L’intention affirmée de résorber les inégalités sociales et géographiques par la promotion d’une croissance économique plus inclusive et mieux redistributive. C’est également l’accomplissement d’un dessein : l’expression d’un discours de rupture avec le vieux système françafricain ne conduit pas à la marginalité politique. Il existe un débouché électoral à la radicalité, à la critique du franc CFA, à la remise de la relation de soumission aux intérêts économiques et diplomatiques de la France.

Ce qui s’est passé dans notre pays est une révolution. Dans le sens, pour le moment, du mode désignation de ceux qui ont la tâche de diriger l’État. Mais il s’en faut de beaucoup pour que ce que nous vivons soit une révolution démocratique et populaire. En cette période pascale, remettons-nous à la parole du Christ pour nous en consoler : « à chaque jour suffit sa peine » (Matthieu, 6 :34). Le plus dur commencera dès la prise de fonction du Président Bassirou D. Faye. Les chantiers sont énormes, les attentes nombreuses et les embuches de la caste déchue ne vont pas manquer. Ils ont des intérêts à préserver ! C’est en cela que nous avons à apprendre de notre histoire, mais également des expériences dans la sous-région. Au-delà de la sympathie que nous avons pour Mamadou Dia, pourquoi sa liquidation politique est-elle passée comme lettre à la poste ? Que devons-nous retenir de la lutte héroïque, mais perdue de Ruben Um Nyombe, Ernerst Ouandié et l’Union des populations du Cameroun (UPC) ? Que retenir, pour nous en inspirer, des passages au pouvoir de Patrice Émery Lumumba, Sylanius Olympio, Thomas Sankara, Laurent Gbagbo ou Mouammar Kadhafi ?

La victoire électorale Bassirou Diomaye Faye a un architecte. C’est Ousmane Sonko. On peut même dire en empruntant une métaphore au génie civil qu’il est également maître d’ouvrage. Le maître d’œuvre et d’ouvrage a mouillé le maillot et a été décisif diront les footeux. Le président et tous ceux qui ont voté pour le changement ont besoin de lui. Il doit être dans la mêlée. Les prochains jours, semaines et mois seront décisifs ! Il faut créer les conditions de tenue des promesses électorales. Dans l’immédiat, il faut au Président quelqu’un en qui il a confiance, qui a l’expérience, l’autorité et la légitimité politique pour faire adopter par le Parlement actuel les mesures qui ne peuvent attendre l’installation d’une nouvelle Assemblée nationale. Le maire de Ziguinchor coche à toutes ces cases. En septembre, octobre ou novembre, il faudra aller à la conquête d’une majorité parlementaire. Qui est mieux placé qu’Ousmane Sonko pour diriger la campagne du camp présidentiel ?  Personne ! Ousmane Sonko est le Premier ministre dont le pays et le président ont besoin. Sa place n’est pas dans la position confortable de conseiller de l’ombre ou de figure tutélaire du Président. Il ne doit pas se mettre en une quelconque réserve de la République.