Une brève histoire des politiques sanitaires
Jusqu’en 1972, le
système de santé du Sénégal était marqué par un centralisme étatique hérité de
l’administration coloniale. La fourniture des services de santé et la formation
du personnel de santé étaient gérées par l’État. Les soins de santé étaient gratuits
dans les établissements de soins relevant du secteur public. À la suite de la
crise économique née des chocs pétroliers de 1973-1974, les finances publiques
n’étaient plus à même de supporter le fonctionnement du système qui est tombé
en décrépitude et a vu les patients le déserter. En décembre 1989, le Sénégal a
mis en place la Déclaration de Politique de Santé. En 1992, le pays adopte
l’Initiative de Bamako introduisant la participation financière des usagers et
la décentralisation de la gestion des systèmes de santé publics, afin de créer
un environnement favorable à un marché de la santé. Depuis un peu plus
de deux décennies, le Sénégal a sous l’égide et le financement de la Banque
mondiale a initié des cycles de planification sanitaire. Le Plan national
de Développement sanitaire (PNDS 2009-2018) qui
a succédé au PNDS (1998-2007) proclamait une rupture dans la façon d’aborder le
développement sanitaire. Son objectif était la répartition équitable de l’offre
de services et au financement de la demande en santé. Le plan promettait que
tous les ménages et toutes les collectivités bénéficieraient d’un accès
universel à des services de santé promotionnels, préventifs et curatifs de
qualité, sans aucune forme d’exclusion. Ce plan avait également pour but la
réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) santé. Un
accent particulier était mis sur l’amélioration de la gestion du secteur dans
un cadre multisectoriel afin de mieux prendre en charge les déterminants de la
santé et réduire les inégalités. Le PNDS 2009-2018 comme les plans et
politiques sectorielles précédents a réaffirmé l’option du Sénégal pour la
Stratégie des soins de santé primaires (SSP) préconisée par l’OMS et l’adhésion
aux principes de justice sociale que.
Questionner l’idéal de justice sociale qui fonde les
politiques de santé
Ce qui fonde la bonne réputation
de la stratégie de
soins de santé primaire (SSP) est sa promesse de justice. C’est l’idéal de
justice contenue dans le slogan « la santé pour tous à l’an 2000 ». Ce
slogan n’a jamais prétendu qu’à cette date, maladie et le handicap ne seraient
plus de ce monde. Le sens qui lui a été donné avant 1998 était que tout
individu a le droit d’avoir accès aux soins primaires et par leur
intermédiaire, à tous les échelons de système de santé. La stratégie d’avant
1998 était basée sur la lutte contre l’exclusion. Il s’agissait de donner à
chacun la possibilité d’accéder à des soins lui permettant d’être productif et
de participer à la vie sociale. Après 1998 la stratégie des soins de santé
primaire sera réactualisée avec pour but : combattre la pauvreté,
promouvoir la santé dans des contextes différents et harmoniser les politiques
sectorielles en faveur de la santé. Dans cette optique le système de santé est
considéré comme un moyen de récupérer les pauvres en mettant l’accent sur les
problèmes qui les touchent. La croissance économique est vue comme un moyen de
permettre aux pauvres de vaincre le cercle vicieux de la pauvreté et de la
maladie. Le postulat est que le cercle vicieux de l’exclusion sanitaire
fonctionne en relation avec d’autres cercles vicieux comme le manque d’accès
aux services de base, les difficultés au travail, etc. La conséquence est une
vision qui préconise une approche intersectorielle ou multisectorielle comme les
interventions sanitaires et l’amélioration de l’éducation. L’harmonisation des
politiques qui ont un rapport direct ou indirect sur la santé devient une idée-force.
Il est recommandé que les politiques qui s’attaquent à réduire les inégalités
dans le secteur de la santé devraient également viser aussi les inégalités sur
le plan de la qualité et de la disponibilité des services de santé par exemple
(du côté de l’offre) et les inégalités de revenus, de savoir, de pouvoir (dans
le domaine de la santé) d’alimentation, etc. (du côté de la demande). L’OMS
explique la disparité de santé au détriment des pays en développement et des
pauvres où qu’ils se trouvent, autant par des modes de vie pathogènes « mauvaises
habitudes alimentaires absence de mesures d’hygiène élémentaire, etc. » que par
l’inadéquation des systèmes de santé « absence de services, services inadaptés ».
Elle dénonce aussi on accorde généralement la priorité à la médecine curative
plutôt que la médecine préventive et à la promotion de la santé. Elle fait le
constat que les inégalités économiques et inégalités de santé se conjuguent au
détriment des plus défavorisés. C’est pourquoi elle insiste sur la nécessité de
réduire les inégalités sociales et économiques comme elle s’engage à réorienter
les actions en faveur des plus démunis et des victimes de la pauvreté.
La conception de la « justice
sociale » de l’OMS est une approche qui combine plusieurs théories avec
toutefois un net penchant pour le courant rawlsien de la justice sociale. Dans
les politiques et programmes de l’OMS, la santé est conçue comme un bien
spécial qui doit échapper aux logiques marchandes. On peut donc affirmer que la
conception de la santé que défend l’OMS est loin de celle des libéraux. Le
droit à la santé que revendique l’OMS est un droit fondamental (ou de base) de
l’être humain. De même, il y a un consensus pour dire que « l’égalité d’accès
aux soins » que recommande l’OMS peut s’entendre comme la possibilité de
consommation ou comme possibilité de traitement ou d’utilisation. L’égalité
d’accès au sens de possibilité de consommation signifie que les personnes
devraient avoir la même possibilité de recevoir des soins, que le système de
soins devrait être organisé de façon à ce qu’il n’y ait pas d’obstacle pour
quiconque dans la réception des soins. L’égalité d’accès aux soins au sens de
l’égalité de traitement ou d’utilisation suppose la distribution des soins
selon les besoins : les individus devraient bénéficier de soins identiques
s’ils ont les mêmes besoins, indépendamment de leurs caractéristiques
personnelles (âge, sexe, revenu, etc.) indépendamment des données structurelles
(localisation des professionnels de santé). Ce principe d’utilisation comporte
deux dimensions : une dimension d’équité horizontale en vertu de laquelle
des personnes égales dans le besoin doivent être traitées également ; et une
dimension d’équité verticale qui accorde davantage à ceux dont les besoins sont
plus grands et qui traitent différemment les personnes dont les besoins sont
différents. L’égalité préconisée par l’OMS est dans la réalité une égalité
formelle et l’équité en tant que principe de justice s’applique aux moyens
plutôt qu’aux résultats, au système de santé de soins plutôt qu’à l’état de
santé. Pour l’OMS un système équitable de soins de santé doit assurer l’accès
universel à un niveau adéquat de soins tout au long de l’existence, et cela
sans imposer de charges excessives.
Dans les faits ? Signaler à gauche et tourner à droite !
Plan après plan, les différentes politiques
menées depuis plusieurs décennies prétendent faire de la stratégie des SSP l’alpha
et l’oméga de la santé publique au Sénégal. La réalité est plus nuancée. Quand
on examine le financement de la santé, on note l’inégale répartition des
dépenses d’investissement : les dépenses de santé sont plus orientées vers
les villes que vers les zones rurales (centres de santé, postes de santé,
districts, maternités rurales et cases de santé). Les hôpitaux régionaux et
nationaux et les structures de santé spécialisées reçoivent plus de moyens
financiers que les services de santé à la base, plus proches des populations
les plus démunies et plus aptes à faire réduire efficacement les charges de
morbidité. Dans les dépenses d’investissement, la part des hôpitaux constitue
75 % du budget contre 17 % pour les centres de santé et 8 %
seulement pour les postes de santé. De la fin des années 1970 jusqu’en
2005, les ménages ont été, la première source de financement du secteur de la
santé. Les crises du secteur public dans les années 1980 et 1990 ont
conduit le pays à développer la participation financière des usagers. Si cette
contribution restait relativement symbolique dans les années 1980, elle
est devenue une véritable composante de la mobilisation des ressources au début
des années 1990 à la suite de l’initiative de Bamako. Selon
l’OMS, les dépenses privées de santé représentaient en 2014, 48,17 % des
dépenses totales du secteur. Les disparités dans l’utilisation des services
de santé entre Dakar et les autres régions, surtout les plus pauvres, reflêtes
beaucoup plus les différences dans la disponibilité et dans l’accessibilité
géographique des services entre les régions ce qui contrevient aux principes d’égalité
et d’équité de la stratégie des SSP.
Le
budget alloué au secteur de la santé par l’État sénégalais a connu une hausse
importante au début des années 2000, tant en fonctionnement qu’en
investissement. Ainsi, de l’an 2000 à 2005 il a connu une augmentation
de 116 % (dans un contexte d’inflation faible). L’accroissement des
dépenses publiques de santé a permis au pays d’atteindre l’un des niveaux de
dépense en santé les plus importants de la sous-région. En 1998 la part des
dépenses publiques de santé dans le PIB était au Sénégal très inférieure à la
fois à celle de la moyenne des pays d’Afrique subsaharienne (Afrique du Sud et
Nigeria exclus) et des pays de l’UEMOA. En 2002, le pays avait, avec une
dépense publique de santé estimée à 2,31 % du PIB, atteint le niveau moyen
des premiers (2,35 %) et dépassé la moyenne de l’UEMOA (2,01 %). Pour
les dernières données disponibles, les dépenses de santé sont estimées à 4,66 %
du PIB. Les ratios des budgets de la santé sur le budget de l’État ou par
rapport au PIB ont tous deux évolué de façon positive au cours des dernières
années. Ainsi, le budget total consacré à la santé en pourcentage du budget de
l’État est passé de près de 5,5 % en 2000 à 7,8 % en 2004 et même 8,1 %
en 2005. La part du budget de la santé dans le budget total est restée sur la
période en deçà de l’objectif de 9 % recommandé par l’OMS puis de 15 %
(sommet d’Abuja) sur lequel le gouvernement s’est engagé.
L’analyse des dépenses
sociales 2006-2013 montre une augmentation des financements publics
dans le secteur de la santé. Toutefois, ces dépenses restent encore en deçà du
seuil de 9 % recommandé par l’OMS, et très en dessous l’objectif de 15 %
des dépenses totales du gouvernement prôné dans la Déclaration d’Abuja. Sur la
période étudiée, l’État n’a consacré annuellement en moyenne que 6 % de
son budget total à la santé. Ce qui correspond à moins de 2 % du PIB. Et,
ces ressources publiques sont essentiellement utilisées pour financer les
dépenses de fonctionnement du secteur de la santé. Il n’y a guère qu’un
cinquième des dépenses de santé qui est consacré aux autres programmes considérés
comme stratégiques. Ainsi pour la santé de la mère et de l’enfant, moins de 2,5 %
de la dépense totale de santé y est consacrée. Sur cette même période, les
dépenses d’investissement ont aussi fortement augmenté en volume, passant de 28 milliards
de francs CFA en 2006 à 54 milliards en 2013. Cette forte progression des
dépenses d’investissement est liée à l’implication des partenaires extérieurs. Les
financements d’origine extérieure représentent ainsi plus des deux tiers des
investissements dans le secteur de la santé sur la période étudiée. Ce qui a
pour corollaire une faible maîtrise des programmes d’investissements par les
autorités nationales.
À
suivre