La démographie de l’Afrique subsaharienne entre fantasme et réalité (3/3)

Le contexte économique et social

Depuis le milieu des années 80, la plupart des pays d’Afrique subsaharienne sont sous la coupe réglé des institutions de Bretton Woods (Banque mondiale, Fonds monétaire international). Elles imposent des politiques néo-libérales inspirées du Consensus de Washington[1]. Que ces politiques aient pour nom Ajustement structurel, stratégie de croissance accélérée, initiative PPTE (Pays pauvres très endettés), Document stratégique de réduction contre la pauvreté (DSRP) elles ont en commun d’être fondées sur le postulat que les forces du marché sont les mieux à même de favoriser la croissance économique qui elle-même est confondue avec le développement. Le postulat de cette théorie est que la croissance économique est favorable à la création d’emploi et au développement humain compris comme réducteur de la pauvreté. Pour ce faire, il faut libéraliser le commerce, déréguler le secteur financier, réduire la sphère d’intervention de l’État[2].

Au cours de la première décennie du siècle, les taux de croissance enregistrés ont été de l’ordre de 5 à 6%.  Cette croissance a permis aux pays d’Afrique subsaharienne de surmonter dans d’assez bonnes conditions les conséquences de la grave crise financière mondiale de 2008-2009 et le retournement de conjoncture dans l’économie mondiale. Cette croissance annuelle robuste de près de 5 % en Afrique devrait se poursuivre, ce qui ferait du continent l’une des régions du monde où la croissance est la plus rapide[3].

Pour la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (CEA) ce cycle de croissance peut être expliqué par des considérations géopolitiques, socio-économiques et technologiques. Ainsi les changements dans l’environnement international avec   la fin de la guerre froide et du régime d’apartheid en Afrique du sud ont eu pour conséquence la mise à bas de régimes autoritaires et dictatoriaux et l’ouverture, variable selon les pays, du jeu et de la compétition politiques. De même une baisse significative des conflits violents a été observée. Entre 2002 et 2011, la part de l’Afrique dans les conflits violents du monde entier a chuté de 55 à 24 pour cent[4]. En particulier, en Afrique de l’Ouest et dans la région des Grands Lacs, devenues plus pacifique. D’autres facteurs comme la révolution technologique illustrée par une augmentation de l’utilisation des téléphones mobiles a rendu plus facile pour les gens leur participation à la vie sociale et politique, en particulier dans les villages reculés. Ces appareils ont également eu de grandes répercussions sur la vie économique des populations, par exemple, en augmentant l’efficacité d’épargne et de dépense de l’argent et en facilitant la commercialisation des récoltes par les agriculteurs.  L’amélioration significative des indicateurs sociaux a été observée.

Les taux de mortalité liée au paludisme et les taux de mortalité infantile et juvénile, ont chuté. Les taux d’immunisation et de vaccination se sont améliorés. Les gens sont de plus en plus instruits : entre 2000 et 2008, le taux de scolarisation en secondaire a augmenté de près de 50 pour cent. Il est évident que des personnes plus instruites et profitant d’une durée de vie plus grande, génèrent plus de croissance.

Mais cette croissance ne bénéficie pas à tout le monde et est loin d’avoir fait reculer la pauvreté. Elle n’est pas suffisamment forte pour absorber les millions de jeunes qui grossissent chaque année les rangs des demandeurs d’emploi. La majorité des Africains restent empêtrés dans la pauvreté. En termes absolus, le nombre de pauvres dans la région est passé de 297 millions en 1990, à 390 millions en 2013[5]. Plus grave, ces politiques néolibérales ont raréfié l’emploi décent sur le continent. L’essentiel des emplois créés relèvent du secteur informel[6]

Pourtant, ce phénomène qui présente l’Afrique comme le nouveau pôle émergeant de l’économie mondiale n’est pas universel. La majorité des pays africains ont à peine diversifié leur économie, dont la base reste étroite et fortement dépendante des produits de base, ou modifié de façon appréciable leur structure socio-économique. L’investissement étranger et intérieur a certes beaucoup augmenté, la demande intérieure a progressé sous l’impulsion des classes moyennes au cours des 10 dernières années, mais la croissance en Afrique demeure tributaire de facteurs extérieurs. La période de haute conjoncture pour les produits de base, qui a changé complètement la perception des investisseurs, n’a pas encore produit des retombées à l’échelle de l’ensemble de l’économie d’un pays, d’une région ou du continent. De 2000 à 2011, la part de la population en Afrique subsaharienne a été réduite de 77,5 % à 69,5 %. Si l’on prend une période plus longue, ce chiffre n’a présenté presque pas d’amélioration ; en 1981 (premières données disponibles) il a enregistré 72 ,2 %[7].

L’Afrique et les migrations internationales

L’Afrique subsaharienne occupe aujourd’hui une place dominante dans les discours politiques et médiatiques portant sur l’immigration en Europe. Les images de migrants tentant de traverser les barrières qui séparent le Maroc des deux enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, les arrivés d’embarcations vétustes dans l’île italienne de Lampedusa ont frappé les esprits. Et depuis, les mesures politiques, policières et diplomatiques se sont succédées en France et en Europe pour cibler les priorités d’action sur l’Afrique et la Méditerranée. L’Afrique subsaharienne est vue comme un réservoir massif et problématique de migrants, à l’égard duquel les Européens devraient avoir des politiques de contrôle de frontière.

 En 2017, 258 millions d’individus vivaient en dehors de leur pays d’origine, soit une nette hausse par rapport à 1990 où ils étaient 153 millions[8] . En proportion de la population mondiale selon les statistiques de l’OCDE, en un siècle la part des migrants est passée de 5% à 3%. L’Afrique compte pour 10 % dans les migrations internationales (35 % pour l’Europe et 25 % pour l’Asie).  En Afrique, les migrations s’effectuent avant tout dans l’espace régional. En 2015, 52 % des migrants africains se trouvaient en Afrique, l’Europe n’en recevant que 27 %.  L’Afrique n’accueille que   8,5 % des migrants du monde, loin derrière l’Europe (31,15 %), l’Asie (30,75 %) et l’Amérique du Nord (22,1 %). Au total 34 millions d’Africains sont en situation de migration internationale contre 104 millions d’Asiatiques, 62   millions d’Européens et 37   millions de Latino-américains[9].

Les deux principales destinations des migrations africaines sont la Côte d’Ivoire en Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Sud en Afrique australe. Les gros flux de migrants partent du Mali, Guinée et Burkina Faso en Afrique de l’Ouest et du Mozambique, Angola, Zimbabwe et Lesotho en Afrique australe. D’autres pays sont autant des pays d’émigration que d’immigration (Sénégal, Nigeria, Ghana). Les principaux corridors migratoires sont ceux qui relient le Burkina à la Côte d’Ivoire, le Zimbabwe à l’Afrique du Sud, le Kenya et l’Ouganda, l’Érythrée et le soudan, le Lesotho à l’Afrique du Sud[10].

Le discours sur l’immigration escamote l’économie politique des migrations internationales de ces dernières décennies. Les personnes qui tentent d’émigrer ne sont pas des migrants appauvris et privés de tout, issus de la pression démographique. Ce sont des gens qui peuvent profiter des perspectives d’emploi offertes par les pays riches. L’explication des poussées migratoires accrues de ces dernières années doit plus à la mondialisation capitaliste qu’à la simple croissance démographique[11].

En France des années soixante à aujourd’hui, le profil des migrants subsahariens en France n’a cessé d’évoluer. Les aires de départ se sont élargies de la vallée du fleuve Sénégal à l’ensemble des pays du golfe de Guinée. Aux migrations de travail tournantes ont succédé des formes migratoires plus durables. En porte à faux avec les idées reçues sur leur caractère massif, récent ou uniforme, les migrations subsahariennes sont à analyser sur la longue durée. Et dans cette longue durée les politiques françaises et européennes ne sont pas sans avoir été -par moments- le principal motif de leur essor.

 Lors de la reconstruction d’après-guerre et la période de croissance économique qui a suivi en Europe, l’État français a conduit une politique active pour attirer la main-d’œuvre étrangère, principalement des hommes issus des colonies africaines, dont le Sénégal. Les flux vers la France se sont intensifiés après l’indépendance (1960) pour répondre aux besoins de l’industrie automobile alors en pleine expansion. C’est ainsi que se sont constitués des réseaux migratoires que les politiques restrictives (instauration du visa en 1985) n’ont pas réussis à tarir[12]. De même les politiques d’immigration choisie mises en place par les pays du Nord ont accru la mobilité internationale des travailleurs hautement qualifiés. Dans le secteur du soin par exemple, elles s’accompagnent de logiques néolibérales visant à pour pallier le manque de main-d’œuvre. En 2001, le gouvernement britannique lançait une campagne de recrutement de médecins étrangers. De nombreux médecins africains saisirent l’occasion. Au cours de la même période l’Afrique du Sud, qui avait elle-même engagé 350 médecins cubains pour compenser l’exode de diplômés nationaux, demandait au Canada de ne plus puiser dans le vivier sud-africain pour pallier la carence de généralistes en zones rurales[13]. Une étude a montré récemment que le nombre de médecins formés à l’étranger avait triplé dans plusieurs pays de l’OCDE ces trente dernières années. D’autres professions de santé sont aussi touchées par ce phénomène. L’étude a montré que, chaque année, au Swaziland, 60 à 80 infirmiers ou infirmières émigrent au Royaume-Uni, alors que moins de 90 obtiennent leur diplôme.

Conclusion

La croissance démographique est devenue un sujet de prédilection de l’analyse des problèmes l’Afrique. Elle ne doit pas pour autant apparaître comme le facteur privilégié et à plus forte raison l’unique explication. Cette croissance démographique dans les pays où elle est la plus rapide comme certains pays du sahel est en rapport avec une forte fécondité. Les niveaux élevés de fécondité qu’y sont observés sont en rapport avec la situation socio-économique qu ces pays. La Conférence internationale du Caire sur la population et le développement en 1994 avait montré que l’accès à l’éducation, à la santé, au développement, singulièrement pour les femmes, amenait à une baisse du taux de fécondité. Le progrès social et plus particulièrement la promotion de la femme par l’amélioration de la santé génésique et le respect de ses droits est le meilleur moyen pour réduire la fécondité et partant ralentir la croissance démographique. Que l’on permette aux pays africains de mettre en œuvre des choix de développement endogènes, créateurs d’emploi, valorisant les richesses du sol et du sous-sol au profit des populations, avec de larges programmes sociaux et un retour des services publics, et l’on verra automatiquement baisser le taux de fécondité. Voilà la réalité qu’il faut opposer au retour des discours dominants néomalthusiens.


[1]Philippe Hugon, 2012. Géopolitique de l’Afrique : Prépas. Editions Sedes.

[2]Otoo, K.N. and Osei-Boateng, C., 2014. “Défis des systèmes de protection sociale en Afrique ». Alternatives Sud Protection sociale au Sud Les défis d’un nouvel élan, 21, p.93.Volume 21-2014 / 1

[3]CEA  2015. Rapport économique sur l’Afrique : L’industrialisation par le commerce. CEA, Addis-Abeba (Éthiopie).

[4]CEA 2016.  Rapport économique sur l’Afrique : le cadre macroéconomique de la transformation structurelle des économies africaines. CEA, Addis-Abeba (Éthiopie).

[5]Beegle, Kathleen, Luc Christiaensen, Andrew Dabalen et Isis Gaddis. 2017. La pauvreté dans une Afrique en essor. Washington, DC : La Banque mondiale. DOI : 10.1596/978-1-4648-0965-1. Licence: Creative Commons Attribution CC BY 3.0 IGO

[6]    Kwabena Nyarko Otoo et Clara Osei-Boateng. « Défis des systèmes de protection sociale en Afrique. » Alternatives Sud Protection sociale au Sud Les défis d’un nouvel élan 21 (2014) : 93.

[7] CEA  2015. Rapport économique sur l’Afrique : L’industrialisation par le commerce. CEA, Addis-Abeba (Éthiopie).

[8] UN POPULATION DIVISION (2015). Trends in International Migrant Stock : The 2017 Revision. December. https://esa.un.org/unmigration/. Consulté le 9 mai 2018.

[9] Vincent Adoumié et Jean-Michel Escarras, Les mobilités dans le monde, Hachette Supérieur, 2017, Chap. 3, p.52

[10]   Alain Antil et al., « Migrations : logiques africaines », Politique étrangère 2016/1 (Printemps), p. 11-23.

    DOI 10.3917/pe.155.0011

[11]   Sen, Amartya, and Jean-Christophe Valtat. « Il n’y a pas de bombe démographique. » Esprit (1940-) (1995) :118-147.

[12]Sorana Toma et al., « Quels sont les facteurs de migration multiple en Europe ? Les migrations sénégalaises entre la France, l’Italie et l’Espagne », Population 2015/1 (Vol. 70), p. 69-101.DOI 10.3917/popu.1501.0069

[13] Dominique Frommel, « Quand le Nord débauche les médecins du Sud. » Manière de voir 2 (2004) : 036-036.

Boris et Bachir

Dans un nouvel article censé relancer son débat avec Souleymane Bachir Diagne, Boubacar Boris Diop dit que son premier texte « s’est voulu courtois » et s’étonne de la colère de son interlocuteur. Boris devrait se relire ou demander à de vrais amis de le faire pour lui. La chute de son premier article est injurieuse.  Disons les choses telles qu’elles sont : Boris Diop y traite Bachir Diagne de « Bounty », « Uncle Tom », « Agboliagbo », etc. ! Certes, ces mots ne sont pas écrits, mais la référence à Aimée Césaire, au Discours sur le colonialisme et « les élites décérébrées », l’aube de la conquête coloniale et « les complicités africaines », l’allusion à la racine « du mal africain » suffisent à énerver le plus placide des Africains ! Ce texte n’était pas une interpellation amicale ou cordiale et il est étonnant que Boris Diop demande à Bachir Diagne de distinguer « la critique de l’affront ». Que Boris Diop assume les affects que suscitent en lui les idées et la personne ( ?) de Bachir Diagne ! L’histoire des idées et de la vie intellectuelle est aussi celle des fortes inimitées !

La démographie de l’Afrique subsaharienne entre fantasme et réalité (2/3)

Démographie de l’Afrique : état des lieux

L’Afrique au sud du Sahara a la croissance démographique la plus rapide du monde (2,7 % par an sur la période 2010-2015 contre 0,8 % à 2 % dans les autres régions en développement), une fécondité élevée (5,1enfants par femme contre 1,8 à 3,5 ailleurs) et une forte mortalité (espérance de vie de 60 ans contre au moins 63 ans partout ailleurs). Elle représente aujourd’hui 12 % de la population[1].

Le contexte général et historique

La population mondiale a augmenté de 2,9 milliards de personnes ces 40 dernières années, passant de 4,4 milliards en 1980 à 7,3 milliards en 2015. Bien que les taux de croissance démographique aient ralenti, la population mondiale continue de s’accroître de 81 millions de personnes chaque année. L’Afrique contribue fortement à ce phénomène. La population de l’Afrique subsaharienne a quasiment doublé de 1990 (493millions d’habitants estimés) à 2015 (969 millions d’habitants estimés). Elle devrait atteindre 1,418 milliard de personnes d’ici 2030, 2,467milliards de personnes d’ici à 2050 et 4 milliards en 2100. Les sept pays qui contribuent le plus à cette croissance sont le Nigeria, l’Éthiopie, la République démocratique du Congo, la Tanzanie, le Kenya, l’Ouganda et l’Afrique du Sud. Ces 7 pays représentent pour 61 % de la croissance démographique totale de l’Afrique sur la période 1980-2015. Le taux de croissance démographique annuel du continent est élevé, à 2,7 %, sur la période 1990-2015, et devrait se maintenir à 2,4 % les 10 prochaines années[2].

La région est aussi – et de loin – la plus défavorisée du monde sur le plan économique et social. En 2016, son revenu par habitant en parité de pouvoir d’achat internationaux courants (1516 $) est inférieur à celui de l’Asie du sud et près de quatre fois plus bas que celui de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient[3]. En matière de développement humain, la région est nettement derrière l’Asie du Sud et très loin de l’Amérique latine ou de l’Asie de l’Est[4]. Dans le classement mondial du PNUD, 35 des 41 derniers pays appartiennent à l’Afrique subsaharienne. De même, dans le classement selon le degré de pauvreté, la plupart des pays africains sont parmi les derniers.

Jusqu’à la fin des années 1960, l’Afrique dans son ensemble souffrait d’un manque de données socio-démographiques. A de rare exception l’état civil n’y fonctionnait pas. Aujourd’hui encore, soixante ans plus tard, il ne fonctionne correctement que dans quelques pays. En revanche, en matière de recensements et d’enquêtes, la situation s’est améliorée considérablement à partir des années 1970, avec le développement des instituts de statistique, la formation de cadres (statisticiens et démographes) et la mise en place de grands projets internationaux, comme le programme de l’enquête mondiale de fécondité (EMF) de 1974 à 1982 et le programme américain des enquêtes démographiques et de santé (EDS) depuis 1984[5].

L’histoire du peuplement de l’Afrique depuis l’Antiquité est mal connue. Les estimations de population varient d’un auteur à l’autre pour le passé lointain : 21 à 30 millions d’habitants vers l’an 1000, de 48 à 78 vers 1500, de 83 à 92 pour 1800. Pour les XIXe et XXe siècles, les estimations se rapprochent : de 95 à 101 millions vers 1900. En revanche, les historiens s’accordent sur le rôle important des facteurs climatiques et de leurs conséquences (sécheresses, disettes, famines, épidémies) dans le passé et sur les effets tragiques de la traite négrière atlantique sur les dynamiques démographiques et sociales des sociétés. De 1700 à 1900, contrairement aux autres régions du monde qui voient doubler ou tripler leur population, celle de l’Afrique noire stagnera ou augmentera légèrement.  Son poids dans la population mondiale, croissant depuis l’Antiquité, ne fera que reculer du XVIe siècle à la fin du XIXe. Globalement, la croissance démographique du continent restera lente jusqu’au XXe siècle (de 0,13 % à 0,21 % par an selon les périodes). La période de colonisation intense (1880-1920) fut même encore une phase de ralentissement ou parfois de régression démographique brutale dans certaines régions (en raison du travail forcé, des déplacements de populations, de l’importation de maladies, etc.)[6].

Croissance démographique rapide mais variée depuis 1960

Après 1950, l’Afrique au subsaharienne se peuple très rapidement, à des rythmes qui vont même croissant de 1950 à 1990 (2% à 2,8%), et se stabilise depuis à 2,7%. Cette croissance est liée au maintien de la fécondité et du recul de la mortalité. D’ici 2050, cette croissance devrait baissée et se chiffrer à 1,9%.

Selon de nombreux chercheurs, dans son ensemble, l’Afrique au sud du Sahara est entrée dans le processus global de la transition démographique, avec une baisse préalable de la mortalité dès les années 1950 et 1960, suivie plus récemment d’un début de recul de la natalité, mais seule une minorité de pays suivent le modèle classique. En 2004, TABUTIN et SCHOUMAKER[7]  notait qu’en Afrique subsaharienne, coexistent quatre grandes situations ou modèles :

—le modèle encore traditionnel, illustré par le Mali, où la mortalité a reculé mais où la natalité se maintient à des niveaux très élevés (de 45 à 50 ‰). S’y rattachent une douzaine de pays, parmi les plus pauvres, Niger, Burkina Faso, Guinée), Angola, Congo, Tchad, Ouganda, Somalie ;

—le modèle classique de changement, illustré par le Ghana, où la mortalité baisse régulièrement depuis cinquante ans, la natalité diminue depuis vingt ans et la croissance ralentit tout en demeurant encore forte. Une dizaine de pays suivent ce schéma, comme le Sénégal, la Gambie, le Gabon, Sao Tomé et Principe, les Comores, le Soudan ou l’Érythrée ;

— le modèle perturbé par le sida, illustré par le Zimbabwe : fécondité et mortalité ont reculé normalement jusque vers 1990, mais le processus a été brutalement interrompu par des reprises importantes de la mortalité, conduisant, nous l’avons dit, à des réductions parfois drastiques de la croissance. Ce modèle est celui des 5 pays d’Afrique australe, d’un certain nombre de pays de l’Afrique de l’Est (Kenya, Malawi, Tanzanie, Zambie), de la Côte d’Ivoire, du Cameroun et de la Centrafrique ;

—le modèle perturbé par des guerres, illustré ici par le Liberia, avec des reprises brutales de mortalité dues aux conflits eux-mêmes, mais aussi à la paupérisation qui s’en suit, ainsi parfois qu’au sida. La Sierra Leone, le Congo (R.D.) sans doute, le Burundi et surtout le Rwanda (avec le génocide de 1994) entrent dans ce schéma.

Dans la théorie de la transition démographique l’évolution de la nuptialité, notamment de l’âge au premier mariage, précède celle du contrôle des naissances dans le mariage.

Dans la plupart des pays, l’âge médian au premier mariage des femmes a augmenté, passant de 18-19 ans dans les années 1970 à 19-20 ans à la fin des années 1990. Seuls quelques pays conservent aujourd’hui un modèle de mariage précoce : le Niger (16,8 ans), le Tchad (17,7 ans), l’Ouganda (17,5 ans) et le Mozambique (17,8 ans). À l’autre extrême se situent les pays d’Afrique australe, qui dès les années 1970 avaient déjà adopté un modèle tardif, et où l’âge au mariage est aujourd’hui de l’ordre de 28 ans. Entre les deux, on trouve une majorité de pays dans lesquels il se situe autour de 20 ans. Chez les hommes, les âges médians d’entrée en union, déjà relativement élevés dans les années 1970, ont eux aussi souvent augmenté, mais moins que chez les femmes. Dans une majorité de pays, ils sont aujourd’hui autour de 25 ou 26 ans, en dehors de l’Afrique australe et de la Réunion où ils atteignent 31 ans[8].Les écarts d’âge au premier mariage entre hommes et femmes, en moyenne très élevés dans les années 1960 et 1970 (souvent de 6 à 7 ans), ont légèrement régressé, mais demeurent encore importants dans une majorité de pays. On note enfin que le mariage demeure la règle, que la polygamie persiste.

 La fécondité : des déclins à des rythmes inégaux

Le taux de fécondité moyen total des régions de l’Afrique a baissé de moitié ces 30 dernières années, et cette tendance devrait se poursuivre à l’avenir. Ce taux est actuellement estimé à 5,1 enfants par femme.

La vitesse et l’ampleur de cette baisse varient considérablement d’un pays à l’autre. Si certains pays tels que Maurice, les Seychelles et l’Afrique du Sud affichent des taux bas, d’autres, tels que le Niger, le Mali, la Somalie, le Tchad, l’Angola, la République démocratique du Congo, le Burundi, l’Ouganda, la Gambie et le Nigeria continuent d’enregistrer des taux relativement élevés. La fécondité des femmes africaines est passée, selon les pays, de 6 à 8 enfants dans les années 1960 à 2,6 à 8,0 aujourd’hui. Dans la grande majorité des pays et des sociétés, le désir d’enfants est toujours puissant et l’image de la famille nombreuse valorisée, même si dans l’ensemble la demande d’enfants recule[9].

La preuve du changement en cours est mondes urbains et ruraux sont aujourd’hui bien distincts et dans l’ensemble, on est loin des fécondités voisines entre villes et campagnes que l’on observait dans les années 1970. Dans tous les pays, les fécondités sont sensiblement plus faibles en ville elles se situent souvent entre 3 et 4 enfants, contre 5 à 6 enfants en milieu rural. Dans les capitales et les grandes villes notamment, la fécondité est nettement plus basse qu’ailleurs, la demande d’enfants moins élevée, le mariage plus tardif, la polygamie moins répandue[10].

Le rôle de l’instruction s’affirme partout, comme dans les autres régions du monde. En dehors de quelques rares pays (Niger, Tchad ou Mali), le simple fait d’avoir suivi un enseignement primaire modifie déjà sensiblement les normes et les comportements, mais c’est surtout l’accès au niveau secondaire (ou plus) qui, pour le moment, conduit à une chute brutale de la fécondité (autour de 3 enfants dans de nombreux pays).

De même on note que les différences régionales de fécondité s’accroissent dans les pays, conséquence des inégalités de développement, économique, éducatif ou sanitaire. La fécondité va d’une région à l’autre de 5,0 à 6,9 enfants par femme au Bénin, de 4,4 à 6,6 au Cameroun et de 3,7 à 5,7 au Kenya.

L’Afrique n’est plus dans la situation des années 1970 ou 1980 où en dehors de quelques rares pays (Maurice, Cap-Vert, Afrique du Sud, Zimbabwe), le recours à la contraception était négligeable, avec des prévalences comprises entre 1 % et 5 % chez les femmes mariées. Depuis, il y a eu des progrès réels, mais dans l’ensemble lents et souvent limités aux grandes villes et aux groupes sociaux les plus instruits ou favorisés.[11]

Des indicateurs démographiques et épidémiologiques qui montrent des progrès

Si l’on part des espérances de vie à la naissance particulièrement basses dans les années 1950 (37 ans pour la région entière) tous les pays africains ont progressé sensiblement dans les années 1960,1970 et 1980 avec des gains moyens annuels d’espérance de vie à la naissance de l’ordre de 0,30 année [12].  Malgré les effets catastrophiques de l’épidémie de VIH/sida, qui a culminé en 2004, la Région a réussi à accroître l’espérance de vie générale à la naissance – passée de 50 en 1990 à 58 ans en 2015[13] .

La réduction des taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans a progressé.  Entre 1990 et 2015, le taux de mortalité des moins de 5 ans dans la Région est passé de 181 à 83 pour 1000 naissances vivantes. Parallèlement, le taux mondial moyen de mortalité des enfants de moins de 5 ans est passé de 90 à 42 pour 1000 naissances vivantes [14].

Dans plus de la moitié des pays le taux dépasse 400 décès pour 100000 naissances vivantes pour atteindre 1360 pour 100000 naissances au Sierra Leone [15].    

Une population jeune et de plus en plus urbaine

L’Afrique affiche une structure jeune des âges, avec environ deux cinquième d’habitants âgés de 0 à 14 ans, et près d’un cinquième d’habitants (19 %) âgés de 15 à 24 ans. Les enfants âgés de 0 à 14 ans représentaient pour près de 45 % de la population africaine en 1980. Bien que ce chiffre ait baissé à 41 % en 2015, il a augmenté en valeur absolue pour passer de 213,5 millions en 1980 à 473,7 millions en 2015[16].

La population en âge de travailler et active (âgée de 25 à 64 ans) a augmenté plus rapidement que tout autre groupe d’âge, passant de 123,7 millions de personnes (33,3 %) en 1980 à 425,7 millions de personnes (36,2 %) en 2015[17].

La population âgée (de 65 ans et plus) s’est également accrue, passant de près de 15 millions en 1980 à plus de 40 millions en 2015. Si ce groupe d’âge est le moins nombreux de la population totale (3,1 % en 1980 et 3,5 % en 2015), il devrait atteindre toutefois 6 % d’ici à 2050[18].

La population urbaine est actuellement estimée à 40 %, contre seulement 27 % en 1980. Malgré la rapidité de cette urbanisation, qui est la plus forte parmi toutes les régions du monde, l’Afrique reste le continent le moins urbanisé de la planète. La population urbaine africaine devrait augmenter de 867 millions d’habitants ces 35 prochaines années. L’Afrique sera majoritairement urbaine d’ici à 2050, avec près de 56 % de personnes vivant en zone urbaine.[19]


[1]CEA 2016.Profil démographique de l’Afrique. CEA, Addis-Abeba (Éthiopie).

[2]United Nations, Department of Economic and Social Affairs, Population Division (2017). World Population Prospects: The 2017 Revision, Key Findings and Advance Tables. Working Paper No. ESA/P/WP/248.

[3]      Banque mondiale Afrique subsaharienne | Data (consulté le 20 juin 2017)

http://donnees.banquemondiale.org/region/afrique-subsaharienne

[4]      Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT HUMAIN 2016 ; PNUD, New York (USA)

[5]      Dominique Tabutin, Bruno Schoumaker, « La démographie de l’Afrique au sud du Sahara des années 1950 aux années 2000. Synthèse des changements et bilan statistique », Population 2004/3 (Vol. 59), p. 521-622.

[6]Ibid.

[7]Ibid.

[8]  Dominique Tabutin, Bruno Schoumaker, « La démographie de l’Afrique au sud du Sahara des années 1950 aux années 2000. Synthèse des changements et bilan statistique », Population 2004/3 (Vol. 59), p. 521-622.

[9]Ibid.

[10]    Ibid.

[11]Ibid.

[12]Ibid.

[13]   Banque mondiale Afrique subsaharienne | Data (consulté le 10 mai 2018)

http://donnees.banquemondiale.org/region/afrique-subsaharienne

[14]Ibid.

[15] OMS Afrique (2016) Atlas des statistiques sanitaires africaines 2016

Cliquer pour accéder à Atlas-2016-fr.pdf

[16] CEA  2016. Profil démographique de l’Afrique. CEA, Addis-Abeba (Éthiopie).

[17]Ibid

[18]Ibid

[19]Ibid.

L’ISJA, la laïcité, la liberté et la constitution : à quel Maître Sarr se vouer ?

Maître Mousa Sarr « démonte » depuis quelques jours le règlement intérieur de l’Institution Sainte Jeanne d’Arc de Dakar (ISJA). Il évoque la constitution, la liberté de religion et va jusqu’à dire : « ce règlement intérieur est illégal, car non conforme à la Constitution ».  Je veux bien être d’accord avec Maître Sarr s’il considère que l’étalon est la liberté ou même la laïcité. Puisque Maître Sarr en fait peu cas, laissons de côté la liberté de l’ISJA d’avoir un règlement intérieur qui répond à ses objectifs. Par contre, signalons que Maître Sarr est l’avocat de l’association des parents d’élèves des écoles Yavuz Selim. Cette association se bat avec courage, contre la raison d’État, pour leurs réouvertures. Dans ces écoles, le port du voile était obligatoire. Pas de liberté d’avoir la tête nue dans ces établissements. Croyantes et non croyantes, musulmanes et non-musulmanes étaient sommées de s’en tenir à cette disposition ! Celles qui ne voulaient pas étaient priées d’aller voir ailleurs.  Maître Sarr veut donc que les écoles Yavuz Selim rouvrent. Il y met tout son talent et en parle au quotidien français Le monde.  Il se démène en ayant en tête la liberté, la laïcité, la constitution et … le règlement intérieur spécifique des écoles Yavuz Selim. C’est toujours au nom de la liberté, la laïcité et la constitution que Maître Sarr dénie à l’ISJA le droit d’avoir un règlement intérieur spécifique. Deux poids, deux mesures ! Traduction en vieux (?) parlé de Ziguinchor: Maître Sarr prend l’ISJA pour « l’instrument » de Yacine!

Post-scriptum: dans l’article du quotidien français Le Monde cité plus haut, on peut lire que Madiambal Diagne, le président du conseil d’administration de Yavuz Selim, envisage « un nouveau projet éducatif qu’il nomme Concorde ». Des écoles de la maternelle au bac qui suivraient… le cursus français. Le grand écart : de l’école de Yavuz Selim à celle de Jules Ferry. Pour vendre son projet, il déclare qu’il y a « une forte demande de l’intelligentsia sénégalaise » et ajoute que « les écoles françaises sont toutes complètes ». Décidément ! Les voies de la bourgeoisie compradore sont trop pénétrables : loin des intérêts des masses laborieuses !  

L’ISJA, la laïcité et la décolonisation des imaginaires au Sénégal

Dans l’affaire que l’on pourrait appeler « Institution Sainte Jeanne d’Arc (ISJA) contre les parents d’élèves portant un voile », la laïcité est convoquée pour clouer au pilori l’établissement scolaire privé catholique de la Congrégation des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny qui en est la fondatrice et en assure la tutelle. Un rappel des faits s’impose avant de revenir à l’objet de ce post qui est la laïcité. Depuis le 2 septembre 2019, date de la rentrée scolaire 2019-2020, l’ISJA refuse de recevoir en son sein des élèves qui portent le voile. Elle invoque pour cela son règlement intérieur dont de nouvelles dispositions définissent un code vestimentaire qui impose aux enfants d’avoir la tête nue et le visage découvert. L’ISJA précise également que son nouveau règlement a fait l’objet de publicité depuis le mois de mai 2019 et qu’en plus la nouvelle charte a été soumise aux parents d’élèves qui se sont engagés par signature à la respecter lors de l’inscription ou la réinscription des enfants.

Dans cette affaire, l’observateur attentif remarquera que cette rentrée scolaire se fait au mois de septembre alors qu’elle est prévue pour les établissements relevant de l’Éducation nationale de la République du Sénégal au mois d’octobre.  D’autre part un rapide tour sur le site internet de l’établissement nous renseigne que l’ISJA a un statut d’établissement partenaire de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) et est homologuée par le ministère de l’Éducation nationale français. Les établissements homologués par l’AEFE sont « porteurs de valeurs universelles » selon la vision des Français (la précision est de moi). Pour en finir avec ce qui devrait alerter l’observateur attentif j’ajouterai que l’offre d’établissements scolaires de qualité est importante au Plateau de Dakar.  Mise à part l’homologation de l’AEFE, les autres établissements de la zone n’ont rien à envier à l’ISJA.  Enfin nous parlons d’enfants, des mineurs qui sont sous la tutelle de leurs parents :  leurs « choix » sont donc à relativiser.

C’est au nom du principe de laïcité que certains en appellent à l’État en lui demandant de « prendre ses responsabilités » en exigeant de l’ISJA qu’elle change son règlement intérieur et réintègre les enfants qui en sont exclus. D’autres avancent que le service public de l’Éducation nationale exige que soit mis un terme à la situation à l’ISJA. Je considère qu’aucun des deux arguments n’est pertinent dans cette situation. La seule disposition qui éviterait ce type de situation est un service public unique et universel de l’Éducation nationale c’est-à-dire une étatisation. Qui en parle ? Pas ceux qui sont en pointe contre les dispositions de l’ISJA. La laïcité sénégalaise renvoie à l’État entendu comme communauté politique. C’est une communauté indivisible du fait de l’égale liberté reconnue à tous et de l’égalité de ceux qui la composent. L’idée de laïcité dont la traduction est d’ordre juridique ramène à ce que nous avons en commun que nous soyons musulmans, catholiques, protestants, agnostiques, athées, adeptes du boekin, charismatiques, mourides, khadres, tidianes etc. La laïcité fonde la loi commune sans souscrire à une quelconque préférence partisane, qu’elle soit religieuse ou non. Elle est soumise à un double impératif :  la liberté absolue de conscience et la stricte égalité de tous les Sénégalais. L’État sénégalais est donc incompétent à normer les options spirituelles, et refuse d’en valoriser une sous peine de rompre immédiatement le principe d’égalité.  Or ce que certains demandent à l’État, c’est de dire que tel voile est un attribut des adeptes d’une religion donnée et que le refus de son port dans l’enceinte de l’ISJA constitue une discrimination vis-à-vis des adeptes de la religion en question. Si certains veulent un État totalitaire qu’ils le disent !! Demain accepterons-nous que l’État nous dise comment être catholique, musulman, mouride, tidiane etc. ?  Jusqu’à présent, l’État sénégalais s’est montré respectueux des cultes, acceptant la diversité des interprétations de leurs dogmes comme corollaire du régime de liberté de conscience. C’est au nom du principe de laïcité que l’État sénégalais considère qu’il est de son devoir d’entériner qu’un même évènement religieux puisse être commémoré à des dates différentes sur le territoire.  C’est cela la laïcité sénégalaise et non l’agressivité que certains veulent promouvoir.   

Le beurre, l’argent du beurre et le c… de la crémière

Dans la vie, certains aiment avoir le beurre, l’argent du beurre et le c… de la crémière !! On ne peut pas vouloir un diplôme délivré par l’État français et faire semblant de croire qu’il revient à l’État sénégalais d’en fixer les modalités. Les rapports de forces diplomatique, économique entre la France et le Sénégal ne le permettent pas !! La Congrégation des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny a de nombreux établissements scolaires qui ont des dispositions réglementaires sur le voile, différentes de celles de l’ISJA. C’est donc dire que cette disposition a pour fonction d’avoir l’homologation de l’AEFE, chose pour laquelle les parents des filles qui portent le voile choisissent le l’ISJA. Qu’elles renoncent à avoir un diplôme français ou demandent des comptes à l’État français sur son territoire !! Cette histoire de l’ISJA montre à souhait comment des pans importants de l’élite de ce pays vivent en symbiose avec la France même quand en apparence ils ont un discours communautariste ou nationaliste. Un exemple patent de cette extraversion est la convocation au Sénégal de concepts comme l’islamophobie. La seule explication est que ceux qui en parlent vivent le regard tourné vers Paris, leurs télévisions bloquées sur les chaînes françaises et croient que ce qu’ils y entendent et voient s’applique au Sénégal. Ils devraient décoloniser leurs références et leurs imaginaires.

La démographie de l’Afrique subsaharienne entre fantasme et réalité (1)

La démographie africaine notamment la croissance de sa population est devenue depuis quelques années, un sujet éminemment politique en France. Sans insister sur les outrances qu’elle inspire aux Le Pen père[1] et fille[2], ils sont nombreux les responsables politiques à avoir un point de vue trancher sur ce qu’elle représente et les périls qu’elle est censée faire courir à la France et à l’Europe.  A l’entame de l’année 2017, le favori des sondages et candidat de la droite républicaine à l’élection présidentielle d’avril 2017, François Fillon, déclarait dans un discours prononcé[3] à Nice le mercredi 11 janvier : « En 30 ans, la population de l’Afrique va plus que doubler. Avec solennité, je dis que l’immigration en France n’est pas l’avenir de l’Afrique !». En juillet de la même année, le président nouvellement élu, Emmanuel Macron répondant à une question sur un éventuel plan Marshall pour l’Afrique embrayait… après avoir parlé de « crise civilisationnelle » sur la démographie africaine : « qu’il ne sert à rien de dépenser des milliards d’euros » dans « des pays qui ont encore sept à huit enfants par femme »[4]. Quelques mois plus tard, il réitérait, certes avec moins de brutalités, les mêmes propos à Ouagadougou : « Le nombre d’enfants par femme, ça ne se décrète pas, c’est un choix intime. […] Mais quand une femme a 7, 8, 9 enfants, êtes-vous bien sûr que c’est véritablement son choix ?»[5] ! En août 2013 lors du séminaire de rentrée de l’Élysée, Manuel Valls alors, ministre de l’Intérieur, avait « jeté un froid » en évoquant les évolutions de la politique migratoire en France face à la future poussée démographique africaine[6].

Les piliers de la technocratie du développement et les intellectuels ne sont pas en reste. Ainsi Serge Michailof, ancien haut fonctionnaire de la Banque mondiale (BM) et de l’Agence française de développement (AFD)dans un ouvrage au titre évocateur[1], fait un parallèle entre l’Afghanistan et certains pays de l’Afrique de l’ouest. Dans cet ouvrage où il prend à revers certaines thèses optimistes sur le développement de l’Afrique, il met l’accent sur la forte croissance démographique. D’où l’arrivée sur le marché du travail d’une foule de jeunes qui compte tenu du type de croissance que connaît le continent ne trouveront pas un emploi à même de leur permettre de s’insérer économie et socialement. Il en conclue que cela entraînera une forte augmentation des flux migratoires depuis les pays du Sahel et plus graves des conséquences dommageables pour l’Europe et, particulièrement, pour la France. Le 15 mai 2015, l’Institut de géopolitique des populations organisait un colloque sur le thème « Afrique : le cauchemar démographique ». Ce colloque à l’intitulé original pour une rencontre entre universitaires a vu ses actes publiés aux éditions L’Æncre avec pour titre : « Les 4,2 milliards d’Africains pourront-ils submerger l’Europe ? »

Ces positions ne sont pas nouvelles et renvoient au vingtième siècle et aux débats   sur la « bombe démographique » mais aussi à Malthus et au … dix-neuvième siècle. Alors que dans le passé on parlait de bombe démographique en qui concerne la population mondiale maintenant à propos de l’Afrique on parle d’ « explosion ». Ce discours néomalthusien accuse la croissance démographique africaine des plus grands périls à craindre pour la France et L’Europe.  La réalité migratoire est assimilée à un flux du Sud vers le Nord. Dans cette perspective, l’Afrique est vue comme un réservoir massif et problématique de migrants, à l’égard duquel les Européens devraient avoir des politiques de contrôle des frontières.

Ces discours participent à une campagne idéologique visant à accréditer le fait que l’Afrique ne s’en sort pas à cause de sa démographie et de manière sous-jacente qu’elle est un danger pour le reste du monde ou, à tout le moins, pour la France et l’Europe.  Sans vouloir faire contrepoids à cette tendance à prophétiser des désastres imminents en emboîtant le pas le pas ceux qui considèrent que la croissance démographique rapide que connaît l’Afrique ne doit susciter aucun questionnement, il s’agit ici de s’interroger sur l’état des lieux et les perspectives qui en découlent. Quelle est la situation démographique en Afrique ? Dans quel contexte socio-économique se fait la croissance démographique ? Quelles sont les conséquences de cette croissance démographique ? Qu’en est-il des migrations en Afrique ? La France et l’Europe doivent-elles craindre un afflux massif d’immigrés en provenance d’Afrique ? Quelles solutions pour cette croissance démographique rapide pour la fécondité collaboration et contrôle ?


À suivre



[1] http://lelab.europe1.fr/la-prophetie-de-jean-marie-le-pen-sur-la-deferlante-demographique-africaine-1348190

[2] https://www.facebook.com/MarineLePen/videos/2080236945325952/

[3]https://www.republicains.fr/actualites_meeting_francois_fillon_nice_20170111

[4] http://www.france24.com/fr/20170711-macron-croissance-afrique-probleme-nombre-enfants-africaines-developpement

[5] http://www.liberation.fr/planete/2017/11/28/macron-a-ouagadougou-il-n-y-a-plus-de-politique-africaine-de-la-france_1613111

[6] https://www.nouvelobs.com/infographies/20130820.OBS3751/infographie-afrique-vers-une-explosion-demographique.html

[7] Serge Michailof, Africanistan : l’Afrique en crise va-t-elle se retrouver dans nos banlieues ? Fayard, 2015.