Le contexte économique et social
Depuis le milieu des années 80, la plupart des pays d’Afrique subsaharienne sont sous la coupe réglé des institutions de Bretton Woods (Banque mondiale, Fonds monétaire international). Elles imposent des politiques néo-libérales inspirées du Consensus de Washington[1]. Que ces politiques aient pour nom Ajustement structurel, stratégie de croissance accélérée, initiative PPTE (Pays pauvres très endettés), Document stratégique de réduction contre la pauvreté (DSRP) elles ont en commun d’être fondées sur le postulat que les forces du marché sont les mieux à même de favoriser la croissance économique qui elle-même est confondue avec le développement. Le postulat de cette théorie est que la croissance économique est favorable à la création d’emploi et au développement humain compris comme réducteur de la pauvreté. Pour ce faire, il faut libéraliser le commerce, déréguler le secteur financier, réduire la sphère d’intervention de l’État[2].
Au cours de la première décennie du siècle, les taux de croissance enregistrés ont été de l’ordre de 5 à 6%. Cette croissance a permis aux pays d’Afrique subsaharienne de surmonter dans d’assez bonnes conditions les conséquences de la grave crise financière mondiale de 2008-2009 et le retournement de conjoncture dans l’économie mondiale. Cette croissance annuelle robuste de près de 5 % en Afrique devrait se poursuivre, ce qui ferait du continent l’une des régions du monde où la croissance est la plus rapide[3].
Pour la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (CEA) ce cycle de croissance peut être expliqué par des considérations géopolitiques, socio-économiques et technologiques. Ainsi les changements dans l’environnement international avec la fin de la guerre froide et du régime d’apartheid en Afrique du sud ont eu pour conséquence la mise à bas de régimes autoritaires et dictatoriaux et l’ouverture, variable selon les pays, du jeu et de la compétition politiques. De même une baisse significative des conflits violents a été observée. Entre 2002 et 2011, la part de l’Afrique dans les conflits violents du monde entier a chuté de 55 à 24 pour cent[4]. En particulier, en Afrique de l’Ouest et dans la région des Grands Lacs, devenues plus pacifique. D’autres facteurs comme la révolution technologique illustrée par une augmentation de l’utilisation des téléphones mobiles a rendu plus facile pour les gens leur participation à la vie sociale et politique, en particulier dans les villages reculés. Ces appareils ont également eu de grandes répercussions sur la vie économique des populations, par exemple, en augmentant l’efficacité d’épargne et de dépense de l’argent et en facilitant la commercialisation des récoltes par les agriculteurs. L’amélioration significative des indicateurs sociaux a été observée.
Les taux de mortalité liée au paludisme et les taux de mortalité infantile et juvénile, ont chuté. Les taux d’immunisation et de vaccination se sont améliorés. Les gens sont de plus en plus instruits : entre 2000 et 2008, le taux de scolarisation en secondaire a augmenté de près de 50 pour cent. Il est évident que des personnes plus instruites et profitant d’une durée de vie plus grande, génèrent plus de croissance.
Mais cette croissance ne bénéficie pas à tout le monde et est loin d’avoir fait reculer la pauvreté. Elle n’est pas suffisamment forte pour absorber les millions de jeunes qui grossissent chaque année les rangs des demandeurs d’emploi. La majorité des Africains restent empêtrés dans la pauvreté. En termes absolus, le nombre de pauvres dans la région est passé de 297 millions en 1990, à 390 millions en 2013[5]. Plus grave, ces politiques néolibérales ont raréfié l’emploi décent sur le continent. L’essentiel des emplois créés relèvent du secteur informel[6].
Pourtant, ce phénomène qui présente l’Afrique comme le nouveau pôle émergeant de l’économie mondiale n’est pas universel. La majorité des pays africains ont à peine diversifié leur économie, dont la base reste étroite et fortement dépendante des produits de base, ou modifié de façon appréciable leur structure socio-économique. L’investissement étranger et intérieur a certes beaucoup augmenté, la demande intérieure a progressé sous l’impulsion des classes moyennes au cours des 10 dernières années, mais la croissance en Afrique demeure tributaire de facteurs extérieurs. La période de haute conjoncture pour les produits de base, qui a changé complètement la perception des investisseurs, n’a pas encore produit des retombées à l’échelle de l’ensemble de l’économie d’un pays, d’une région ou du continent. De 2000 à 2011, la part de la population en Afrique subsaharienne a été réduite de 77,5 % à 69,5 %. Si l’on prend une période plus longue, ce chiffre n’a présenté presque pas d’amélioration ; en 1981 (premières données disponibles) il a enregistré 72 ,2 %[7].
L’Afrique et les migrations internationales
L’Afrique subsaharienne occupe aujourd’hui une place dominante dans les discours politiques et médiatiques portant sur l’immigration en Europe. Les images de migrants tentant de traverser les barrières qui séparent le Maroc des deux enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, les arrivés d’embarcations vétustes dans l’île italienne de Lampedusa ont frappé les esprits. Et depuis, les mesures politiques, policières et diplomatiques se sont succédées en France et en Europe pour cibler les priorités d’action sur l’Afrique et la Méditerranée. L’Afrique subsaharienne est vue comme un réservoir massif et problématique de migrants, à l’égard duquel les Européens devraient avoir des politiques de contrôle de frontière.
En 2017, 258 millions d’individus vivaient en dehors de leur pays d’origine, soit une nette hausse par rapport à 1990 où ils étaient 153 millions[8] . En proportion de la population mondiale selon les statistiques de l’OCDE, en un siècle la part des migrants est passée de 5% à 3%. L’Afrique compte pour 10 % dans les migrations internationales (35 % pour l’Europe et 25 % pour l’Asie). En Afrique, les migrations s’effectuent avant tout dans l’espace régional. En 2015, 52 % des migrants africains se trouvaient en Afrique, l’Europe n’en recevant que 27 %. L’Afrique n’accueille que 8,5 % des migrants du monde, loin derrière l’Europe (31,15 %), l’Asie (30,75 %) et l’Amérique du Nord (22,1 %). Au total 34 millions d’Africains sont en situation de migration internationale contre 104 millions d’Asiatiques, 62 millions d’Européens et 37 millions de Latino-américains[9].
Les deux principales destinations des migrations africaines sont la Côte d’Ivoire en Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Sud en Afrique australe. Les gros flux de migrants partent du Mali, Guinée et Burkina Faso en Afrique de l’Ouest et du Mozambique, Angola, Zimbabwe et Lesotho en Afrique australe. D’autres pays sont autant des pays d’émigration que d’immigration (Sénégal, Nigeria, Ghana). Les principaux corridors migratoires sont ceux qui relient le Burkina à la Côte d’Ivoire, le Zimbabwe à l’Afrique du Sud, le Kenya et l’Ouganda, l’Érythrée et le soudan, le Lesotho à l’Afrique du Sud[10].
Le discours sur l’immigration escamote l’économie politique des migrations internationales de ces dernières décennies. Les personnes qui tentent d’émigrer ne sont pas des migrants appauvris et privés de tout, issus de la pression démographique. Ce sont des gens qui peuvent profiter des perspectives d’emploi offertes par les pays riches. L’explication des poussées migratoires accrues de ces dernières années doit plus à la mondialisation capitaliste qu’à la simple croissance démographique[11].
En France des années soixante à aujourd’hui, le profil des migrants subsahariens en France n’a cessé d’évoluer. Les aires de départ se sont élargies de la vallée du fleuve Sénégal à l’ensemble des pays du golfe de Guinée. Aux migrations de travail tournantes ont succédé des formes migratoires plus durables. En porte à faux avec les idées reçues sur leur caractère massif, récent ou uniforme, les migrations subsahariennes sont à analyser sur la longue durée. Et dans cette longue durée les politiques françaises et européennes ne sont pas sans avoir été -par moments- le principal motif de leur essor.
Lors de la reconstruction d’après-guerre et la période de croissance économique qui a suivi en Europe, l’État français a conduit une politique active pour attirer la main-d’œuvre étrangère, principalement des hommes issus des colonies africaines, dont le Sénégal. Les flux vers la France se sont intensifiés après l’indépendance (1960) pour répondre aux besoins de l’industrie automobile alors en pleine expansion. C’est ainsi que se sont constitués des réseaux migratoires que les politiques restrictives (instauration du visa en 1985) n’ont pas réussis à tarir[12]. De même les politiques d’immigration choisie mises en place par les pays du Nord ont accru la mobilité internationale des travailleurs hautement qualifiés. Dans le secteur du soin par exemple, elles s’accompagnent de logiques néolibérales visant à pour pallier le manque de main-d’œuvre. En 2001, le gouvernement britannique lançait une campagne de recrutement de médecins étrangers. De nombreux médecins africains saisirent l’occasion. Au cours de la même période l’Afrique du Sud, qui avait elle-même engagé 350 médecins cubains pour compenser l’exode de diplômés nationaux, demandait au Canada de ne plus puiser dans le vivier sud-africain pour pallier la carence de généralistes en zones rurales[13]. Une étude a montré récemment que le nombre de médecins formés à l’étranger avait triplé dans plusieurs pays de l’OCDE ces trente dernières années. D’autres professions de santé sont aussi touchées par ce phénomène. L’étude a montré que, chaque année, au Swaziland, 60 à 80 infirmiers ou infirmières émigrent au Royaume-Uni, alors que moins de 90 obtiennent leur diplôme.
Conclusion
La croissance démographique est devenue un sujet de prédilection
de l’analyse des problèmes l’Afrique. Elle ne doit pas pour autant apparaître
comme le facteur privilégié et à plus forte raison l’unique explication. Cette
croissance démographique dans les pays où elle est la plus rapide comme
certains pays du sahel est en rapport avec une forte fécondité. Les niveaux
élevés de fécondité qu’y sont observés sont en rapport avec la situation
socio-économique qu ces pays. La Conférence internationale du Caire sur la
population et le développement en 1994 avait montré que l’accès à l’éducation,
à la santé, au développement, singulièrement pour les femmes, amenait à une
baisse du taux de fécondité. Le progrès social et plus particulièrement la
promotion de la femme par l’amélioration de la santé génésique et le respect de
ses droits est le meilleur moyen pour réduire la fécondité et partant ralentir
la croissance démographique. Que l’on permette aux pays africains de mettre en
œuvre des choix de développement endogènes, créateurs d’emploi, valorisant les
richesses du sol et du sous-sol au profit des populations, avec de larges
programmes sociaux et un retour des services publics, et l’on verra
automatiquement baisser le taux de fécondité. Voilà la réalité qu’il faut opposer
au retour des discours dominants néomalthusiens.
[1]Philippe Hugon, 2012. Géopolitique de l’Afrique : Prépas. Editions Sedes.
[2]Otoo, K.N. and Osei-Boateng, C., 2014. “Défis des systèmes de protection sociale en Afrique ». Alternatives Sud Protection sociale au Sud Les défis d’un nouvel élan, 21, p.93.Volume 21-2014 / 1
[3]CEA 2015. Rapport économique sur l’Afrique : L’industrialisation par le commerce. CEA, Addis-Abeba (Éthiopie).
[4]CEA 2016. Rapport économique sur l’Afrique : le cadre macroéconomique de la transformation structurelle des économies africaines. CEA, Addis-Abeba (Éthiopie).
[5]Beegle, Kathleen, Luc Christiaensen, Andrew Dabalen et Isis Gaddis. 2017. La pauvreté dans une Afrique en essor. Washington, DC : La Banque mondiale. DOI : 10.1596/978-1-4648-0965-1. Licence: Creative Commons Attribution CC BY 3.0 IGO
[6] Kwabena Nyarko Otoo et Clara Osei-Boateng. « Défis des systèmes de protection sociale en Afrique. » Alternatives Sud Protection sociale au Sud Les défis d’un nouvel élan 21 (2014) : 93.
[7] CEA 2015. Rapport économique sur l’Afrique : L’industrialisation par le commerce. CEA, Addis-Abeba (Éthiopie).
[8] UN POPULATION DIVISION (2015). Trends in International Migrant Stock : The 2017 Revision. December. https://esa.un.org/unmigration/. Consulté le 9 mai 2018.
[9] Vincent Adoumié et Jean-Michel Escarras, Les mobilités dans le monde, Hachette Supérieur, 2017, Chap. 3, p.52
[10] Alain Antil et al., « Migrations : logiques africaines », Politique étrangère 2016/1 (Printemps), p. 11-23.
DOI 10.3917/pe.155.0011
[11] Sen, Amartya, and Jean-Christophe Valtat. « Il n’y a pas de bombe démographique. » Esprit (1940-) (1995) :118-147.
[12]Sorana Toma et al., « Quels sont les facteurs de migration multiple en Europe ? Les migrations sénégalaises entre la France, l’Italie et l’Espagne », Population 2015/1 (Vol. 70), p. 69-101.DOI 10.3917/popu.1501.0069
[13] Dominique Frommel, « Quand le Nord débauche les médecins du Sud. » Manière de voir 2 (2004) : 036-036.