ECO… CFA répondit l’écho !

Le mercredi 20 mai 2020 en Conseil des ministres du gouvernement français, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères et son collègue de l’économie et des finances ont présenté un projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et les Gouvernements des États membres de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA)[1]. En principe, le Parlement français devrait adopter avant la fin du troisième trimestre le projet de loi qui entérine l’accord signé le 21 décembre 2019 à l’occasion d’une visite d’Emmanuel Macron en Côte d’Ivoire.  Selon le compte-rendu du Conseil des ministres, cet accord qui remplace l’accord de coopération monétaire du 4 décembre 1973 est une « réforme ambitieuse des relations entretenues par l’UMOA avec la France ».

L’accord coopération monétaire entre la République française et les Républiques membres de l’UMOA du 4 décembre 1973, comme tous les accords de coopération monétaire entre la France et les pays africains de la Zone franc[2] est régie par « trois principes fondamentaux : garantie de convertibilité illimitée apportée par le Trésor français, fixité des parités, libre transférabilité et centralisation des réserves de change. » La réforme introduite par l’accord du 21 décembre 2019 objet du projet de loi adopté le 20 mai 2020 consiste à faire de la France « un simple garant financier ».  La réforme acte un changement de nom de la monnaie de l’UMOA, aujourd’hui le franc CFA, qui devient l’ECO. De même, l’accord met « fin à la centralisation des réserves de change de l’UMOA à Paris, en actant la suppression du compte d’opérations ». Enfin, la France se retire de l’ensemble des instances de gouvernance de l’Union. Avec cette réforme, elle ne nommera plus de représentant au conseil d’Administration et au comité de politique monétaire de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), ni à la commission bancaire de l’Union.

Le contexte politique de la signature de l’accord de coopération monétaire du 21 décembre 2019 était marqué au plan intérieur français par le mouvement des gilets jaunes qui 15 mois après son apparition persistait tandis que la « réforme des retraites » était fortement contestée par les syndicats dans la rue et les transports. En Afrique et notamment dans le Sahel, le « sentiment anti-français » donnait des urticaires aux diplomates français qui ne se privaient pas de polémiquer avec des …artistes. Quant au franc CFA, cela faisait plusieurs années qu’il était sur la sellette.  Colloques d’économistes, réunions de militants politiques et parfois forums d’entrepreneurs étaient autant d’occasions de pourfendre cette « relique de la colonisation ».  En janvier 2017, plusieurs capitales africaines et européennes ont été le théâtre de manifestations contre cette monnaie. Des rues d’Abidjan, Bamako, Bruxelles, Dakar, mais aussi Londres, Ouagadougou ou encore Paris, des manifestants ont lancé un « Appel mondial » pour demander la fin du franc CFA. Aux yeux du plus grand nombre le symbole – autant que la présence de bases militaires – de la tutelle que Paris exerce sur ses anciennes colonies africaines.

La « réforme ambitieuse » du franc CFA d’Emmanuel Macron n’a que le mérite de ce qu’elle est : une manœuvre politique. Elle donne l’illusion de prendre en compte l’hostilité croissante des populations africaines envers la politique française et les pouvoirs qui y apparaissent liés. Par ailleurs le jeudi 16 janvier, dans le cadre de la Zone monétaire ouest-africaine (ZMAO), le Nigeria et cinq autres pays de la CEDEAO ont condamné la décision de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA) de renommer « unilatéralement » le franc CFA en ECO et de court-circuiter le projet de monnaie de la CEDEAO nommé également ECO… Car dans les faits, les fondamentaux de l’ECO proposé par la France sont ceux du franc CFA. L’arrimage à l’euro est réaffirmé et la lutte contre l’inflation érigée en horizon indépassable, même si sa conséquence directe, est d’entravée un véritable développement industriel et agricole ainsi qu’à une politique de progrès social pourvoyeuse d’emplois décents et par là même d’une mobilisation des ressources internes notamment fiscales. La « rénovation » du CFA laisse aussi de côté la question de la transférabilité qui permet aux entreprises notamment multinationales de soustraire leurs bénéfices aux pays africains et fait l’impasse sur le manque criant d’échanges économiques entre pays africains. La France se « retire de l’ensemble des instances de gouvernance de l’Union », mais pour mieux y revenir à travers « le Comité de politique monétaire de la BCEAO comprend une personnalité indépendante et qualifiée, nommée intuitu personae par le Conseil des ministres de l’UMOA en concertation avec le Garant. Cette personnalité est choisie en fonction de son expérience professionnelle dans les domaines monétaire, financier, ou économique. » (Article 4 de l’accord de coopération monétaire).

L’ECO n’est qu’un avatar du franc CFA. Il est utile de rappeler que l’utilisation franc CFA n’a pas permis d’amorcer la transformation sur place de matières premières et encore moins favorisé les échanges entre économies de la zone franc. Le franc CFA permet également aux multinationales et aux bourgeoisies compradores africaines de rapatrier facilement des capitaux en Europe. Cela explique leur attachement à cette monnaie qui est en osmose avec les politiques libérales appliquées au forceps dans la zone. Il est sans doute temps de passer à une autre étape qui confirme notre rejet d’un système monétaire colonial, dont l’ECO est une prolongation, et pour construire des propositions, répondant à la question de savoir au service de quelle politique de progrès social une politique monétaire souveraine africaine devra se faire.


[1] L’UMOA comprend actuellement : le Bénin, le Burkina, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo

[2] La Zone franc regroupe 14 pays d’Afrique subsaharienne (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo, Cameroun, Congo, Gabon, Guinée Équatoriale, Centrafrique et Tchad), les Comores et la France. Bâtie sur les liens historiques, la Zone franc est une survivance de la colonisation de ces pays par la France.

Sahel : Macron garde le cap sur le désastre

La crise née de la pandémie de Covid-19 n’a pas entamé les certitudes et la vision toute militaire et sécuritaire de la politique sahélienne d’Emmanuel Macron. Selon ses conseillers diplomatiques, il « garde » le cap. Que les évènements l’obligent à reporter le sommet Afrique-France prévu initialement à Bordeaux du 4 au 6 juin 2020 à l’année prochaine ou que la saison Africa 2020 soit décalée de plusieurs mois n’y change rien. Dans l’agenda élyséen, le report du sommet G 5 de Nouakchott des 29 et 30 juin 2020 n’est pas envisagé. Dans quelques semaines, Emmanuel Macron devrait retrouver ses homologues de Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad pour dresser le bilan du sommet de Pau du 13 janvier dernier et annoncer le maintien de l’opération militaire Barkhane.

 Sur le terrain, malgré les effectifs des forces françaises qui sont récemment passés de 4 500 à 5 100 militaires, la situation reste préoccupante. Les groupes djihadistes multiplient les attaques. En moins d’une semaine, deux légionnaires français sont morts à la suite de combats dans la zone transfrontalière entre le Mali, le Niger et le Burkina. Au Mali, après l’opposant Soumaïla Cissé otage d’un groupe djihadiste depuis le 25 mars, le préfet de Gourma-Rharous a été enlevé le 2 mai par des hommes armés alors qu’il regagnait son poste en voiture depuis Tombouctou. En 2019, selon l’Organisation des Nations unies, les violences djihadistes et les conflits connexes ont fait 4 000 morts au Mali, au Niger et au Burkina Faso, cinq fois plus qu’en 2016, malgré la présence de forces africaines, onusiennes et françaises. Depuis 2013, date de l’opération Serval, 44 militaires français ont trouvé la mort dans la région. Des centaines de militaires maliens et de la Mission de stabilisation des Nations unies au Mali (Minusma) ainsi que des milliers de civils ont subi le même sort. Au Burkina Faso, la violence armée a poussé près d’un demi-million de personnes à prendre la fuite pour trouver refuge ailleurs dans le pays. Aujourd’hui, au Burkina Faso, au Mali et au Niger, plus de cinq millions de personnes dépendent entièrement de l’assistance humanitaire. Ce sont des centaines de milliers de familles qui ont tout perdu en fuyant les violences.

Le Sahel reste sous la menace d’une déstabilisation lente et diffuse. Le scénario que l’on pouvait redouter au lendemain de l’intervention militaire française au Mali se déroule dangereusement. La primauté de l’action militaire, avec un mélange des genres entre Barkhane (antiterrorisme), G5 Sahel et Minusma (Maintien de la paix des Nations unies), sur des objectifs non explicités masque l’absence de réponse politique. « Pour se prémunir autant que possible contre le risque de rejet de la présence militaire étrangère, il faut aussi mener des projets de développement », déclarait il y a quelques mois la ministre de la défense, Florence Parly, auditionnée par le Sénat. Elle ajoutait qu’à cet égard, « nous souhaitons articuler de manière plus efficace l’action de Barkhane et les actions de l’Agence française de développement, pour que le rétablissement de la sécurité bénéficie directement aux populations. C’est ainsi que la présence militaire sera mieux tolérée ». L’aide au développement est conçue comme un instrument complémentaire, destiné à faire accepter une présence militaire étrangère.

Comme une évidence, la seule réponse militaire est un échec. D’autant qu’elle est orchestrée de la part d’un État français qui n’a eu de cesse de jouer au pompier pyromane depuis les années 60 aux quatre coins du continent africain. Il ne suffit pas de signer des traités laissant à l’armée française toute latitude pour aller et venir et occuper le terrain, pour sortir la sous-région du guêpier. Les solutions sont ailleurs, dans la réponse aux immenses défis sociaux, économiques, environnementaux, pour donner des perspectives et une place aux Sahéliens, singulièrement aux jeunes.

La Global health aux temps du Covid-19 (1/3)

Au 3 mai 2020, le Centre de contrôle des maladies de l’Union africaine (Africa CDC) a dénombré 43029 cas confirmés de coronavirus. Le Covid-19 a déjà coûté la vie à 1 761 personnes sur le continent. L’Afrique du Sud et l’Égypte sont les pays les touchés. Suivis par le Maroc, l’Algérie, le Ghana et le Nigeria. Comparée à celles de l’Europe de l’Ouest ou de l’Amérique du Nord, la situation épidémiologique de l’Afrique est donc sans commune mesure en matière de morbidité et de mortalité. Le temps permettra d’en élucider les raisons si cette situation s’avère définitive. En attendant que la science résolve la question, de nombreuses explications sont avancées : démographiques (jeunesse de la population), météorologiques et/ou climatiques (chaleur, humidité, etc.), virologique (c’est un virus à enveloppe) et économiques (faiblesse des échanges sino-africains), etc. Ces explications, de bon sens, relèvent pour le moment d’extrapolations. Il manque des données empiriques pour les confirmer ou les infirmer. L’étude des situations particulières des pays les plus touchés montre que les déterminants de l’épidémie sont loin d’être connus. La publication par le gouvernement français le vendredi 1er mai 2020 de la carte sur l’état de l’épidémie en France par département, selon les critères de circulation active du virus et des tensions hospitalières sur les capacités en réanimation, montre une situation hétérogène. Les différentes explications données plus haut sont-elles de nature à rendre compte des différences notées dans ce pays ? Jusqu’à présent, la compréhension que la médecine a des épidémies met en relief un germe (virus, bactérie, etc.) et un écosystème qui permet sa dissémination. La pandémie de Covid-19 va-t-elle faire changer nos cadres d’intelligibilité ? Est-on à la veille de ce que Thomas Kuhn appelle une révolution scientifique ?

Si la catastrophe épidémique n’a pas touché le continent, ses conséquences économiques sont bien présentes. Selon la Banque mondiale, la croissance économique en Afrique subsaharienne passera de 2,4% en 2019 à une fourchette comprise entre -2,1 % et -5,1 % en 2020, ce qui constituera la première récession dans la région depuis 25 ans. Des millions d’emplois ont été détruits dans le secteur informel qui occupe plus de 80 % des actifs dans la majorité des pays. Nos gouvernants ont-ils eu une réaction disproportionnée par rapport à la menace ? Une réponse affirmative serait à mon sens injuste. Les épidémies sont, au-delà de leur caractère objectif en matière de données épidémiologiques, des constructions sociales. Les images d’hôpitaux italiens débordés où les patients sont intubés dans les couloirs ou encore celle de professionnels de la santé en France, haut lieu de tourisme médical des élites des pays africains francophones, se plaignant de manquer du minimum de moyens pour faire face à l’afflux de patients infectés, ne pouvait qu’inciter les pouvoirs publics à prendre les mesures les plus radicales pour faire face au risque d’épidémie. Il y a eu également une demande de protection face aux menaces qui étaient en mondiovision. Cette demande s’exprimait dès la mi- février dans divers pays du continent. Et quand on sait qu’il y a des toujours de nettes différences entre les dimensions affectées aux problèmes de santé par l’imaginaire collectif et leur réalité, on ne peut que comprendre l’empressement des gouvernants africains à dupliquer sur leurs territoires les mesures des pays les plus touchés. Les pouvoirs de la périphérie du système-monde voyant les États du centre (États unis, France, Royaume-Uni, Italie) démunis face à la pandémie, sauf à être absolument sûrs de leurs capacités coercitives, ne pouvaient que prendre les mesures de prévention les plus hardies.

Les systèmes de santé africains pourront-ils faire face si l’expression épidémiologique de la pandémie de Covid-19 venait à changer négativement ?  Sans entrer dans des généralisations abusives, il est légitime de craindre que les difficultés qu’ont connues les pays touchés par l’épidémie à virus Ebola qui a dévasté de l’Afrique de l’Ouest en 2014-2015 se reproduiront dans divers endroits du continent en cas dissémination du SRAS-Cov2. Et, malheureusement, une telle situation sera une preuve supplémentaire de l’impuissance des systèmes de santé en Afrique subsaharienne et l’échec de la Santé globale ou Global health* fille de la Banque mondiale et de l’idéologie néolibérale.

À suivre

*  La santé globale est la santé d’une population dans un contexte global (ou mondial). Le bureau exécutif des Universities for Global Health explique que « la croissance rapide de la vitesse des voyages et de la communication, ainsi que l’interdépendance économique de toutes les nations ont entraîné un degré nouveau et une rapidité nouvelle d’interconnexion globale ou de globalisation qui se répercutent sur la santé des populations partout sur la planète ».