Le mardi 7 avril 2020, le président américain, Donald Trump, avait l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans son collimateur. Lors de son point de presse sur la pandémie du Covid-19 à la Maison Blanche, il a déclaré : « l’OMS s’est vraiment plantée », et continuant sur sa lancée il s’en est pris aux positions « très favorables à la Chine » du directeur général de l’organisme onusien, l’Éthiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus. Avec la finesse qu’on lui connaît, il terminait sa diatribe contre l’OMS par une volte-face sur la suspension « des sommes destinées à l’OMS » qu’il avait annoncé quelques instants auparavant. Ouf ? Pas du tout, le 10 avril 2020, il revenait sur le sujet en promettant pour la semaine prochaine une « annonce » sur le financement de l’OMS.
Trump dans la tradition de la droite américaine
Même si la critique de l’OMS par Trump n’est qu’un contre-feu pour masquer son incurie dans la gestion de l’épidémie, elle ne s’en inscrit pas moins dans une longue tradition d’une partie de la droite américaine contre le multilatéralisme et en particulier l’OMS. Depuis plus d’une décennie, l’OMS fait face aux critiques les plus virulentes sur son inefficacité supposée, son mode de fonctionnement « archaïque », le scope « trop étendu de ses missions » et subie des coups de boutoir destinés à l’affaiblir. En décembre 2010, dans un article au vitriol paru dans Foreign Policy, Jack C. Chow médecin spécialiste de santé publique, ambassadeur des États-Unis sur le VIH/sida et la santé mondiale au Département d’État pendant l’administration de George W. Bush assimilait l’OMS a une relique de « l’aube de l’ère des antibiotiques ». À l’Assemblée mondiale de la santé (l’instance suprême de l’organisation qui réunit les ministres de la Santé des 193 membres) réunie à Genève du 16 au 24 mai 2011, Madame Margareth Chan alors Directrice générale de l’organisation s’était vue refuser le budget qu’elle demandait. Ce revers a eu pour conséquences la suppression de 300 postes sur 2400 au siège à Genève et dans les différentes représentations dans les pays membres et partant moins d’expertise pour l’organisation. Ironie de l’histoire ou pied de nez à l’OMS quelques semaines après que les pays riches et notamment les États-Unis eurent amputé son budget bisannuel prévisionnel de près d’un milliard de dollars (3,96 milliards accordés pour 4,8 milliards de dollars demandés), ils faisaient une promesse de dons de 4,3 milliards — plus que la somme espérée- à l’Alliance Gavi ou Alliance mondiale pour les vaccins et l’immunisation, une organisation humanitaire non gouvernementale créée en l’an 2000 et regroupant quelques pays, la Bill and Melinda Gates Foundation, l’UNICEF, l’Organisation mondiale de la santé et la Banque mondiale et des industriels des vaccins.
L’OMS et le progrès sanitaire
La situation l’OMS est paradoxale, alors qu’au cours de vingt dernières années la santé a conquis une place de choix dans l’agenda des relations internationales, son leadership n’a cessé d’être contesté. En 1990, l’OMS était le premier fournisseur de l’aide au développement en matière de santé. Depuis le début du siècle, elle est bien loin derrière les États-Unis, le Fonds mondial de lutte contre la tuberculose, le paludisme et le sida (GFATM), les ONG et autres fondations telle Bill and Melinda Gates Foundation (BMGF). Ces dernières années pour éviter de financer l’OMS tout en investissant dans le secteur de la santé, les pays riches ont préféré multiplier les partenariats et les initiatives sur des maladies particulières. L’aide internationale dans le domaine de santé qui est passée de 5,6 milliards de dollars en 1990 à 26,9 milliards de dollars en 2010 a suscité des vocations ! Une pléthore d’organismes ont vu le jour et il est devenu extrêmement difficile de savoir qui fait quoi, pourquoi et pour qui. Les gouvernements dans les pays en développement cherchant à résoudre les problèmes de santé dans leurs pays doivent s’adresser à une multitude d’agences mondiales pour obtenir un soutien. Les administrations sanitaires se plaignent souvent du temps mis à rédiger des propositions et des rapports pour des donateurs dont les intérêts et les procédures diffèrent ou entrent en opposition le plus souvent. Le point commun à ces initiatives et partenariats est qu’elles sont souvent loin des besoins sanitaires des populations des pays défavorisés.
L’OMS a été créée au sortir de la Seconde guerre mondiale avec l’objectif « d’amener tous les peuples au meilleur état de santé possible. » Son histoire est riche de succès contre les maladies. Les campagnes mondiales de vaccinations initiées par l’OMS ont permis d’éradiquer la variole en 1977. En 2004, son action énergique a permis de limiter l’extension du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS). L’OMS est à l’origine de la convention-cadre sur la lutte antitabac, adoptée en 2003 et son réseau mondial d’alerte suit systématiquement le déclenchement d’épidémies dans le monde entier. En 2007, l’OMS consacrait son rapport annuel sur santé dans le monde à la sécurité sanitaire avec en point d’orgue le nouveau Règlement sanitaire international (RSI), adopté en 2005. Cette nouvelle législation négociée par les États dans un contexte marqué par le triomphe des idées néolibérales. Elle consacrait un changement de paradigme : le concept de maladies à notifier disparaissait au profit de la notion d’« Événements de santé publique d’importance internationale (ESPII) ». Cette innovation a été de portée considérable, parce qu’elle laisse une large place à l’appréciation des décideurs. Elle rend intelligible les atermoiements à considérer en 2012 le coronavirus du Syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV) comme un ESPII ou encore le délai injustifiable mis à notifier comme telle l’épidémie Ebola de 2014 en Afrique de l’Ouest.
La coopération internationale gage du succès
Dans la crise sanitaire créée par la pandémie au Covid-19, l’OMS cherche à jouer son rôle face à des États qui ont décidé de faire cavalier seul parce que pour les gouvernements l’occasion est trop belle de montrer qu’ils sont au-devant des préoccupations des populations. Ce que l’OMS a rappelé aux États et qui lui a valu la diatribe de Donald Trump découle du RSI. La quarantaine, le confinement ne sont pas dans le RSI, encore moins les fermetures de frontières. En principe, dans un monde extrêmement interdépendant, fermer les frontières veut dire s’isoler et empêcher les secours d’arriver. Cependant, arrêter le trafic aérien et abaisser les barrières terrestres et maritimes sont des mesures attendues, populaires, prévisibles, qui donnent à l’opinion l’impression de garantir un succès immédiat à court terme. Cette fuite en avant est destinée à échouer, parce que nul État n’a les moyens de se jouer d’un virus qui ignore les frontières et pour lequel les connaissances accumulées sont encore parcellaires et les moyens de l’étudier et de le contrer loin d’être au point. En l’absence de vaccin et d’antiviraux, les « victoires » sur le virus doivent être considérées comme des répits et l’occasion d’une solidarité agissante envers ceux qui sont dans l’épreuve. En tout état de cause, seule la coopération internationale dans la recherche peut aider à trouver des solutions.Dans le passé, cette coopération a été efficace dans la lutte contre le SRAS, le VIH/Sida etc. L’OMS et son directeur général le répètent à satiété sans succès pour le moment.