Coup de semonce

À peine nommé, le gouvernement nommé le 5 avril 2024 par le Président Bassirou Diomaye Faye sur proposition du Premier ministre Ousmane Sonko est confronté à sa première crise médiatique. En cause, la « sous-représentation » des femmes dans l’équipe gouvernementale. Selon les calculs de nombreux observateurs et de collectifs citoyens qui dénoncent ce fait, les femmes ne représentent que 13 % des membres du gouvernement. Elles sont quatre femmes sur trente ministres et secrétaires d’État. L’image que renvoie cet attelage ministériel a semé le trouble jusque dans les rangs de Pastef. Ne parlons pas de tous ceux qui n’attendaient que le premier faux pas pour ruer dans les brancards de ce duo sorti de prison pour gouverner le Sénégal. Une célèbre journaliste connue pour son hostilité à la nouvelle équipe dirigeante a même prétendue être « déçue ». Pour être déçu, il faut avoir aimé.

Pour être déçu, il faut avoir aimé

Des collectifs féministes et de citoyens ont lancé des appels et initié des pétitions pour déplorer ou condamné ces choix ministériels. Ils ont reçu un accueil poli de la plupart des soutiens du nouveau pouvoir. Dans d’autres cas, les réponses ont été agressives. Les Patriotes ont le devoir d’entendre toutes les paroles émanant de la société. Ils sont aux affaires et ont la responsabilité d’agir pour le bien de l’ensemble du corps social. Ils ne peuvent pas avoir le monopole de l’action et disputer aux autres, notamment l’opposition, le « ministère de la parole ». Cela ne veut point dire qu’ils ne doivent pas communiquer. Leur tâche prioritaire est d’ordre pédagogique. Expliquer ce que fait le gouvernement. Et dans le cas d’espèce, la « sous-représentation » des femmes dans l’exécutif mérite quelques éclaircissements à défaut de justifications.

Nous sortons d’une séquence qui a instauré des rapports de force politique et suscité des craintes sur les marchés financiers où s’échangent les titres de la dette sénégalaise. Elle a également entrainé des bouleversements géopolitiques interne et externe. Le processus électoral a montré combien la place des femmes en politique reste marginale malgré les avancées sur la parité à l’Assemblée nationale et dans les exécutifs territoriaux. Sur les quatre-vingt-quatorze « candidats à la candidature présidentielle », il y avait moins d’une dizaine de femmes et finalement deux sur les vingt finalement retenue par le Conseil constitutionnel. La sélection des ministrables a commencé avec cette séquence. D’autre part, le gouvernement Diomaye a été conçu également pour envoyer des signaux positifs à certains secteurs inquiets pour ne pas dire affolés par l’arrivée au pouvoir de ceux que nul n’attendait dans certains cercles. D’où la nomination de personnalités de la société civile.

La politique se joue aussi sur la scène des représentations symboliques

Toutes ses considérations ont pesé en défaveur des femmes. D’autant plus que le programme présidentiel a fixé a priori le nombre maximum de ministres. Le Président et son Premier ministre étaient face à une équation qu’ils ont, diront certains, sur le dos de la représentation des femmes. Une telle conclusion est injuste. Il faut intégrer dans la balance l’aspect qualitatif. Cela ne satisfera pas tout le monde, mais il est indéniable que les femmes du gouvernement Sonko exercent de grandes responsabilités. Madame Yacine Fall, chargée du ministère régalien de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères, suit dans l’ordre protocolaire le chef du gouvernement. Elle sera confrontée à de grands défis. Les Sénégalais ont voté pour un nouveau rapport du pays au monde. Le secteur des pêches (3,2 % du PIB, plus de 10 % des exportations et 600 000 emplois directs ou indirects) et des infrastructures portuaires est sous la responsabilité de Madame Fatou Diouf. Madame Khady Diène Gaye dirige le grand ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Culture. Et enfin au ministère de la Femme et des Solidarités (bourses familiales, programme d’inclusion sociale, etc.), on a Madame Maïmouna Diéye.  

Gouverner, c’est prendre en considération que la politique se joue également sur la scène des représentations symboliques. La révolution citoyenne qui a mené au pouvoir le « projet » est une quête de liberté et d’égalité des femmes et des hommes de la terre africaine du Sénégal. La proportion de femmes dans l’exécutif renvoie l’image d’un rendez-vous manqué. Au prochain remaniement, le Premier ministre fera des propositions au Président Diomaye Faye pour que la rupture annoncée se traduise par une augmentation de la présence féminine aux Conseils des ministres. Mais, ne nous berçons pas d’illusions, la représentation des femmes au gouvernement est le reflet d’inégalités structurelles que le volontarisme non traduit en actes législatifs ne résoudra pas. De même, la présence des femmes au gouvernement est une des moindres inégalités que subissent les femmes.

Article paru dans le qutidien YOOR YOOR Bi du 15 avril 2024

Auteur : Félix Atchadé

Je suis médecin, spécialiste de Santé Publique et d’Éthique Médicale. Je travaille sur les questions d’équité et de justice sociale dans les systèmes de santé. Militant politique, je participe à l'oeuvre de refondation de la gauche sénégalaise.

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