De la laïcité et de l’hyperprésidentialisme

Il n’y a pas l’ombre d’un doute. Les mesures et les décisions du Président Bassirou Diomaye Faye et de son gouvernement sont scrutées avec attention et vigilance par les Sénégalais. Pourvu que dure ce réenchantement de l’action politique ! Que continuent les réactions passionnées, mais surtout argumentées pour ou contre les délibérations de l’exécutif ! La démocratie est la possibilité du débat public. Ne boudons pas notre plaisir.

Le communiqué publié à la suite du Conseil des ministres du 17 mars 2024 a fait réagir plusieurs de nos concitoyens. Dans les médias et sur les réseaux sociaux, le compte rendu de cette réunion a été abondamment discuté. En cause l’annonce de la création au sein de la présidence de la République d’une direction des Affaires religieuses et de l’insertion des diplômés de l’Enseignement arabe. Cette direction qui sera composée du Bureau des affaires religieuses et de celui de l’insertion des diplômés de l’enseignement arabe a suscité des interrogations teintées d’inquiétudes. On peut schématiquement distinguer trois groupes dans la controverse induite par l’annonce de l’érection de cette direction. Il y a ceux qui soutiennent la mesure. Le deuxième groupe est composé de ceux qui considèrent que c’est le principe de la laïcité qui est ébranlé par cette décision. Enfin, un troisième groupe — auquel j’appartiens — considère que cette nouvelle administration logée à la Présidence jure avec la promesse de rupture avec l’hyperprésidentialisme.  

La laïcité sénégalaise

L’article Premier de la Constitution proclame que « La République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion. Elle respecte toutes les croyances. » Tout comme le mot « démocratie », « laïc » est polysémique et peut même être un piège sémantique pour qui considère qu’il renvoie à une réalité unique et universelle. Il y existe une laïcité sénégalaise, fruit d’un processus historique qui date de plusieurs siècles. Depuis le moyen-âge, à l’exception des rares théocraties, la majorité des États ou des organisations politiques qui ont existé sur le territoire sénégalais ont été laïcs. L’État colonial n’a pas créé la laïcité sénégalaise. Certes, il l’a modelé au mieux de ses intérêts, mais il ne l’a nullement conçu.

 La laïcité sénégalaise renvoie à l’État entendu comme communauté politique. C’est une communauté indivisible du fait de l’égale liberté reconnue à tous et de l’égalité de ceux qui la composent. L’idée de laïcité dont la traduction est d’ordre juridique ramène à ce que nous avons en commun musulmans, catholiques, protestants, agnostiques, athées, adeptes du boekin, charismatiques, mourides, khadres, tidianes, etc. La laïcité fonde la loi commune sans souscrire à une quelconque préférence partisane, qu’elle soit religieuse ou non. Elle est soumise à un double impératif : la liberté absolue de conscience et la stricte égalité de tous les Sénégalais. Partant de ce principe, l’État sénégalais se déclare a priori incompétent à normer les options spirituelles. Fondamentalement, il se l’interdit.

Ce n’est pas parce que l’État sénégalais se déclare neutre vis-à-vis des cultes qu’il ne se préoccupe des conditions de leur exercice. Il assure la liberté de religion et croyance. Il finance par divers mécanismes les institutions religieuses. Au ministère de l’Intérieur, c’est à la Direction des Affaires générales notamment à la Division des Affaires religieuses et Coutumières (DARC) que revient la gestion du fichier national des imams, notabilités religieuses et coutumières. Si ce sont ces attributions du ministère de l’Intérieur que le Président veut mettre sous son autorité, il n’y a pas de raison de crainte pour la laïcité de l’État. Mais, les motifs d’inquiétude surgiront si d’aventure ladite direction parce que rattachée à la Présidence se découvre des ambitions… présidentielles et ne se contente plus de gérer les fichiers. Qu’elle émette des directives religieuses et la préoccupation pour notre laïcité trouvera justification.        

Il faut dégraisser le mammouth  

La décision présidentielle de créer une Direction des Affaires religieuses et de l’insertion des arabisants est troublante. Bassirou Diomaye Faye a été élu entre autres sur la promesse de rupture avec une institution présidentielle omnipotente. Alors que nous sommes en attente du dégraissement du mammouth qu’est devenue au fil des dernières décennies la Présidence, le Président Diomaye Faye ajoute une nouvelle direction à l’organigramme. C’est une prérogative du ministère de l’Intérieur qui va être transférée à l’avenue Léopold Sédar Senghor. Si le Président veut montrer qu’il accorde une importance particulière aux questions religieuses, il peut de la DARC, une direction générale du ministère de l’Intérieur.

 Il est légitime et c’est une question de justice, que les diplômés des institutions de l’enseignement en arabe soient employés par l’État. Il faut qu’ils trouvent leur place dans l’administration. Que leurs compétences et diplômes soient reconnus et leur ouvrent les portes aujourd’hui fermées. L’insertion professionnelle des arabisants peut être prise en charge par le ministère de l’Emploi. Au besoin, il peut être créé une Agence ou un secrétariat d’État sous la tutelle du ministère de l’Emploi.

Adaptation de mon éditorial dans le quotidien YOOR YOOR Bi du 22 avril 2024

Auteur : Félix Atchadé

Je suis médecin, spécialiste de Santé Publique et d’Éthique Médicale. Je travaille sur les questions d’équité et de justice sociale dans les systèmes de santé. Militant politique, je participe à l'oeuvre de refondation de la gauche sénégalaise.

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