Sonko, Diomaye et l’espérance fanonienne : ne pas laisser la révolution sans boussole

Dans quelques jours s’ouvrira à Dakar le colloque international du centenaire de Frantz Fanon (17 — 20 décembre 2025), au Musée des Civilisations noires. Ce rendez-vous n’est pas un simple hommage savant : les documents préparatoires le rappellent avec force. Fanon nous lègue moins une statue qu’un programme de lutte, un souffle destiné à « clarifier la mission historique que l’Afrique et sa diaspora doivent remplir aujourd’hui ».

Le texte de présentation insiste sur cet avertissement qui traverse toute l’œuvre fanonienne : le recul du colonialisme portait la promesse d’une reprise de l’humanité, mais cette promesse fut trahie par des bourgeoisies bureaucratiques qui, selon Fanon, n’allèrent pas à l’indépendance « en combattants, mais en négociants ».

 Cette lucidité est d’une brûlante actualité, alors même que le Sénégal expérimente un moment inédit : une alternance sans compromission apparente, portée par une mobilisation populaire d’une intensité rare sur le continent.

À l’heure où Dakar s’apprête à accueillir chercheurs, artistes, militants et étudiants, le colloque rappelle un impératif politique : une révolution n’avance que si elle reste fidèle aux forces qui l’ont rendue possible. C’est sous ce prisme qu’il faut comprendre les interrogations croissantes autour de la relation entre le Président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko.

La «bourgeoisie nationale» selon Fanon : la tentation de s’éloigner du peuple

Dans les textes rassemblés pour le colloque, une phrase revient comme un fil rouge : la « bourgeoisie nationale » est une classe qui n’a pas de projet historique, qui s’insère dans les structures coloniales au lieu de les briser, et qui met son énergie non dans la transformation, mais dans la gestion de la dépendance

Cette bourgeoisie n’est pas seulement une catégorie économique et sociale : c’est une attitude, un imaginaire, une manière d’habiter le pouvoir sans rompre avec les logiques de domination.

C’est à l’aune de cette critique que l’on doit analyser la situation actuelle. Un sentiment diffus circule : celui que le Président Diomaye Faye semble vouloir s’affranchir du mouvement social qui l’a porté au pouvoir, mouvement dont PASTEF est l’expression politique la plus organisée. Je dis semble, car je peine encore à saisir la rationalité d’une telle stratégie. Pourquoi tenter de se tenir à distance de l’énergie populaire qui a rendu possible l’alternance du 24 mars 2024? Pourquoi laisser croire que l’État pourrait fonctionner désormais comme un appareil neutre, affranchi de la pression révolutionnaire qui l’a remis en mouvement ?

Et pourtant, les signaux existent. Ils inquiètent. Ils interrogent. Ils rappellent ce que Fanon nommait le « glissement » : cette manière insidieuse qu’ont certains dirigeants, même sincères, de se réapproprier le pouvoir au détriment de la dynamique collective.

Mais si tel est le chemin qui se dessine, alors nous en prendrons acte. Sans colère, sans naïveté, mais avec cette vigilance politique que Fanon appelait de ses vœux. Car une révolution ne survit qu’à une condition : que les masses restent le cœur battant du processus.

La nécessité de maintenir l’espérance révolutionnaire

Il serait faux de dire que la relation entre Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye s’est rompue. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que leurs rôles institutionnels créent une tension politique inédite : l’un incarne la radicalité transformatrice, l’autre la présidence républicaine dans sa dimension la plus classique. Fanon avait prévenu : les institutions ont une puissance de domestication redoutable.

Dans les réunions populaires comme dans les cercles militants, une peur s’exprime : que la présidence se normalise, que la rupture s’émousse, que la dynamique collective se dissolve dans les codes d’un État qui, depuis soixante ans, sait absorber ses propres contestataires. Ce risque est réel. Il n’est pas une trahison ; il est la tentation structurelle de toute situation de pouvoir.

Face à cela, la position du mouvement doit être claire : nous ne transigerons pas.

Non par défi. Non par orgueil. Mais parce que le peuple révolutionnaire a des exigences légitimes : justice, transparence, refonte de l’État, fin des privilèges, décolonisation des institutions.

Ce peuple — celui qui a résisté, qui a souffert, qui a été emprisonné, torturé, humilié — n’a pas mené ce combat pour revenir à une gestion soft de l’ordre ancien.

Et surtout parce que l’espérance ne doit pas s’éteindre. Comme le rappelle le texte du colloque, Fanon n’était pas seulement le théoricien de la violence libératrice ; il était le penseur d’une immense espérance africaine, d’un avenir à inventer où les peuples reprennent initiative et dignité.

Cette espérance-là ne peut être abandonnée à la seule verticalité présidentielle. Elle doit rester entre les mains de celles et ceux qui l’ont portée ces dernières années : ambulants, djakartamen, syndicats, étudiants, quartiers populaires, paysans, intellectuels, travailleurs de la fonction publique, diaspora, travailleurs informels, jeunes précarisés.

La justice fiscale exige la fin des privilèges ; les fonds communs en sont un symbole

À l’heure où l’Assemblée nationale décortique le Budget 2026, le pays entre dans une zone où l’ambiguïté n’est plus tolérable. Les documents officiels eux-mêmes ne laissent aucun doute : le Sénégal doit « restaurer la crédibilité et la viabilité des finances publiques » et engager un « assainissement » profond de ses comptes, après la révélation d’un endettement réévalué à 119 % du PIB et d’un déficit approchant les 12 % du PIB[1].

Cette exigence nouvelle, affirmée dans le Projet de loi de finances, repose sur une idée simple : la souveraineté financière ne naîtra ni des slogans ni des artifices comptables, mais d’un effort fiscal juste, assumé, équitable.

Les fonds communs : les impensés d’une République qui se veut juste

Le Gouvernement reconnaît dans son projet de loi que la maîtrise de la masse salariale doit être rigoureuse et que la transparence sur les rémunérations publiques est devenue indispensable. Le document Voies et Moyens va plus loin en indiquant que la réforme du Code général des impôts doit permettre une meilleure segmentation des contribuables, une centralisation des « bénéficiaires effectifs » et un renforcement de la justice fiscale.

Cette ambition, déjà inscrite dans les textes, appelle une conséquence logique : les fonds communs doivent être imposés.

Le Code général des impôts soumet à l’impôt sur le revenu les traitements, salaires, indemnités et primes de toutes natures. Il ne crée aucune catégorie spéciale pour les « fonds communs ». S’ils échappent encore largement à l’impôt, ce n’est pas parce que la loi les protège, c’est parce que l’administration les a installés dans une zone grise, à l’abri du regard du fisc. Et dans un contexte où l’État affirme vouloir relever la pression fiscale pour atteindre les standards UEMOA (20 %), il est incohérent de faire peser l’effort public sur les usagers du mobile money, les agriculteurs, les ménages modestes ou les petites entreprises, tout en épargnant les segments les mieux rémunérés de la haute administration.

Dans un pays où le Président et le Premier ministre ont choisi la vérité contre le maquillage des chiffres, ne pas imposer les fonds communs revient à maintenir une zone d’ombre au cœur même de l’État. C’est incompatible avec l’idéal de souveraineté, incompatible avec l’agenda de refondation et incompatible avec l’idée simple que la République se bâtit d’abord par l’exemplarité de ceux qui la servent.

La fiscalité foncière : le socle oublié de l’autonomie nationale

Le document Voies et Moyens[2] insiste sur le rôle que doit jouer la fiscalité foncière dans l’élargissement de l’assiette et l’augmentation des recettes internes. Le Projet de loi, lui, annonce une « régularisation foncière massive » dont le rendement est projeté à plus de 100 milliards FCFA. Ces formulations ne sont pas anodines : elles expriment la reconnaissance officielle d’une évidence économique longtemps mise de côté.

La taxe foncière sénégalaise n’est plus en phase avec les réalités contemporaines. Elle est faible, sous-évaluée, parfois inopérante. Elle ne reflète ni la valeur réelle du patrimoine, ni les dynamiques urbaines, ni les besoins criants des collectivités. Elle ne peut plus rester dans cet état alors que le pays affirme vouloir financer ses ambitions sans s’en remettre aux bailleurs.

Un État qui néglige son foncier néglige la première pierre de sa souveraineté. La nation reconnaît la valeur de son territoire et choisit d’en faire une part équitable de l’effort collectif. Réformer la fiscalité foncière, mettre à jour les valeurs, intégrer les terrains vacants, responsabiliser les propriétaires, donner aux communes un socle de ressources stable et prévisible : tout cela n’est pas un luxe, mais une obligation politique si l’on veut sortir d’un modèle où l’État vit à crédit pendant que la richesse immobilière échappe à l’impôt.

La souveraineté budgétaire exige la justice fiscale

Le Projet de loi de finances 2026 parle d’une « mobilisation de nouvelles ressources endogènes », d’une volonté de « retrouver définitivement les équilibres budgétaires » et d’une réduction de la dépendance aux financements extérieurs. Le document Voies et Moyens décrit la même trajectoire : élargir l’assiette, sécuriser les recettes, réformer les codes fiscaux et douaniers, corriger les niches et renforcer la transparence.

Ces formulations officielles ne prennent sens que si l’État a le courage d’aller jusqu’au bout. La vérité budgétaire est devenue un choix politique. Et ce choix oblige l’administration à se réformer elle-même, à abandonner ses zones d’exception, à accepter que l’effort fiscal soit partagé.

Le peuple a toujours payé. Il est temps que l’État, lui aussi, paie sa part. Et c’est à ce prix — pas un autre — que la souveraineté budgétaire annoncée dans les textes deviendra une réalité vécue par tous.


[1] Ministère des Finances et du Budget. (2025). Projet de loi de finances pour l’année 2026. République du Sénégal.

[2] Ministère des Finances et du Budget. (2025). Voies et moyens — Annexe au projet de loi de finances pour l’année 2026. République du Sénégal.

Aminata Touré et la coalition fantôme

Aminata Touré tente de ranimer une coalition sans existence réelle. Une manœuvre d’appareil sans portée politique, face à un PASTEF solidement ancré dans le réel.

La lettre publiée le 11 novembre 2025 au nom du « président » (?) de la « Coalition Diomaye Président » — sans sceau officiel, et surtout sans mention de la qualité de son signataire — a suffi à provoquer une agitation médiatique. Elle annonçait le remplacement de Aïda Mbodj par Aminata Touré à la tête d’une structure dont plus personne n’entendait parler. Une tempête dans un verre d’eau, rien de plus.

Créée à la veille de la présidentielle pour rallier des soutiens extérieurs au projet souverainiste de Bassirou Diomaye Faye et d’Ousmane Sonko, la coalition a depuis perdu toute raison d’être. Le 17 novembre 2024, PASTEF, victorieux de la présidentielle du 24 mars, s’est présenté sous sa propre bannière aux législatives et a raflé 130 sièges sur 165. Dès lors, la logique des alliances d’appoint est devenue caduque : la « Coalition Diomaye Président » n’a connu aucune activité notable et ne subsiste plus que sur papier — et dans les ambitions de quelques-uns.

C’est dans ce vide qu’Aminata Touré tente de revenir dans le jeu. L’ancienne Première ministre, rompue aux intrigues d’appareil, se fait désigner à la tête d’une coalition sans vie, sans ancrage, et dont la principale composante — PASTEF — ne veut pas, en l’état, reconnaître la légitimité.

Ce mélange de confusion et de calcul illustre une vieille pathologie de la classe politique sénégalaise : celle de croire que les rapports de force se fabriquent à coups de signatures et de communiqués. On crée des coalitions sans militants, on se distribue des titres sans base sociale, on s’autoproclame président d’un vide. La manœuvre amuse, mais elle n’entraîne aucune conséquence.

Car la réalité politique du Sénégal d’aujourd’hui se joue ailleurs : dans le redressement économique après le choc de la dette cachée, dans la reconstruction morale de l’État, dans la souveraineté retrouvée sur les choix budgétaires et stratégiques. C’est là que le peuple observe et juge. Pas dans les couloirs d’une coalition virtuelle.

Le geste d’Aminata Touré relève davantage de la visibilité médiatique que de l’action politique. Mais l’histoire est passée à une autre époque : celle où les forces vives du pays se réapproprient la parole publique, où les sigles creux ne trompent plus personne.

Le TERA Meeting : un peuple en marche, une révolution en cours

Ce 8 novembre 2025, le Sénégal a vécu un moment d’histoire. Plus de 100 000 citoyens venus des quatre coins du pays ont convergé vers Dakar pour le TERA Meeting, dans une atmosphère d’unité rare. De la Casamance au Fouta, du Baol à la diaspora, toutes les voix du pays se sont retrouvées autour d’un même souffle : celui de la révolution citoyenne initiée par le PASTEF.

Une mobilisation impressionnante : une marée humaine, joyeuse et disciplinée, symbole d’un Sénégal multiple et uni. Ce n’était pas une simple démonstration de force politique, mais l’expression d’un engagement collectif. Dans la diversité des chants et des visages, on lisait une certitude partagée : le pays a changé de cap.

Au centre de cette journée, le discours d’Ousmane Sonko a été à la hauteur de l’attente. Sobre, clair, et d’une intensité rare, il a rappelé « une certaine vérité » : nous sommes en révolution. Pas une révolution de slogans, mais une révolution morale, politique, sociale et économique. PASTEF en est le fer de lance, mais c’est le peuple qui en est le moteur. En répondant aux impatiences, en réaffirmant la ligne de rupture et de souveraineté, le Premier ministre Ousmane Sonko a recentré le projet national autour de l’essentiel : rendre au Sénégal son autonomie, sa dignité et sa promesse.

Ce moment de ferveur populaire a aussi rappelé l’unité du tandem dirigeant : l’alliance fraternelle et stratégique entre Ousmane Sonko et le président Bassirou Diomaye Faye, symbole d’une continuité dans la révolution en cours et d’une confiance partagée dans la mission de refonder l’État.

L’union œcuménique observée aujourd’hui — musulmans, chrétiens, femmes du bois sacré, confréries, laïcs, jeunes, anciens, ruraux, urbains — illustre la maturité d’une société qui a décidé de reprendre la parole politique. Le rassemblement a aussi prouvé que la révolution sénégalaise n’est pas une aventure partisane, mais un processus collectif : une marche lente, exigeante, vers la justice et la souveraineté.

L’enjeu, désormais, est de transformer cette énergie populaire en force de construction. La révolution ne s’arrêtera pas dans les stades : elle doit irriguer l’État, l’économie, la culture et la conscience. Le 8 novembre aura été le point d’équilibre entre l’espérance et la responsabilité. PASTEF a montré qu’il sait rassembler ; il lui revient maintenant de continuer à gouverner avec la même foi.

Le peuple sénégalais a parlé, non par les urnes cette fois, mais par sa présence. Et sa présence dit tout : la révolution est en marche.

8 novembre : le Sénégal à la croisée des ruptures

À la veille du rassemblement de PASTEF où Ousmane Sonko doit s’adresser au pays, le Sénégal entre dans un moment de vérité. Entre les attentes du peuple, les hésitations du pouvoir et la profondeur des défis à venir, se joue plus qu’un tournant politique : la fidélité ou le reniement d’une révolution.

À la veille du TERA meeting de PASTEF prévu ce 8 novembre, où Ousmane Sonko doit faire une déclaration que d’aucuns annoncent décisive, le Sénégal retient son souffle. Depuis l’élection du 24 mars 2024, le pays vit dans une étrange tension entre espoir et attente. Le peuple, victorieux des urnes, observe désormais un pouvoir hésitant à se définir.

Les atermoiements du Président Bassirou Diomaye Faye, jusque-là perçus comme une prudence tactique, prennent aujourd’hui la forme d’un malaise politique plus profond : celui d’un État en transition qui peine à choisir sa ligne de front. Et dans ce silence, les impatiences montent. Ce 8 novembre pourrait bien être le moment de vérité — celui où se mesurera la cohérence entre les promesses de la rupture et les lenteurs du pouvoir.

Le contexte ne saurait être minimisé. Comme je le soulignais dans un récent billet, le débat sur la « haine » et la « vengeance » orchestré par les ralliés de la vingt-cinquième heure n’est qu’une diversion : le vrai problème n’est pas moral, il est politique. Il tient à la direction que doit désormais prendre le pays, et à la capacité du pouvoir de rester fidèle à son mandat populaire — celui de reconstruire le Sénégal sur des bases souveraines, sociales et panafricaines.

Un État prisonnier de ses formes

Le premier défi du Sénégal est d’ordre structurel. L’État sénégalais demeure colonial dans son architecture : centralisé, bureaucratique, régi par un droit et une langue qui le rattachent encore à la matrice française.

La continuité du franc CFA, les accords de défense et les réflexes technocratiques de la haute administration illustrent cette dépendance. L’audit des finances publiques et la révélation de la dette cachée de 4 300 milliards FCFA ont mis à nu un système politique où l’État servait d’abord les créanciers avant de servir les citoyens.

La rupture institutionnelle annoncée par le Président Bassirou Diomaye Faye suppose donc plus qu’une bonne gouvernance : elle exige une refondation historique. Ce n’est pas seulement la manière de gérer qu’il faut changer, mais la manière de concevoir le pouvoir. Tant que les institutions resteront extraverties, la souveraineté demeurera un mot d’ordre et non une réalité.

Économie : produire pour vivre ou importer pour survivre

Sur le terrain économique, le choix est tout aussi tranché. Depuis plus d’un demi-siècle, le Sénégal vit selon le schéma de l’économie extravertie décrit par Samir Amin : exportation de matières brutes, dépendance aux importations alimentaires, endettement chronique, domination des bailleurs.

Le Plan Sénégal émergent (PSE) de Macky Sall, censé moderniser le pays, a surtout accru la dépendance financière et élargi le fossé social.

Le nouveau pouvoir a amorcé une inflexion : souveraineté alimentaire, industrialisation nationale, contrôle du contenu local dans les hydrocarbures. Mais cette orientation se heurte à la rigidité du cadre monétaire, à la pression des institutions de Bretton Woods et à la résistance des élites administratives.

Le choix est existentiel : produire pour vivre ou importer pour survivre. Et cette décision ne se prendra pas dans les bureaux, mais dans les champs, les ateliers, les écoles et les ports — là où se fabrique la richesse réelle.

Diplomatie et géopolitique : entre prudence et audace

Sur la scène régionale, le Sénégal joue une partition délicate. Au moment où la CEDEAO se fissure, où l’AES s’affirme comme un pôle alternatif, Dakar tente de concilier médiation et fermeté.

La diplomatie sénégalaise revendique une neutralité active : dialoguer avec tous, mais ne se soumettre à personne. La France, l’Allemagne, la Chine, la Turquie, la Russie, l’Arabie Saoudite, etc. ; — tous veulent leur part du « nouveau Sénégal ». Le pays cherche, dans cette mêlée, à bâtir une politique étrangère fondée sur la réciprocité et la dignité.

Mais l’équilibre est précaire. Une erreur d’orientation, et le pays pourrait retomber dans la vassalisation ou l’isolement. Le 8 novembre devra donc aussi être un moment de clarification géopolitique : dire clairement avec qui et pourquoi nous voulons coopérer.

Les forces sociales de la souveraineté

Le sort du projet dépend désormais de la société sénégalaise elle-même. Trois forces peuvent ou non faire basculer l’histoire.

La première est la jeunesse, immense et impatiente, qui a fait tomber le régime de Macky Sall. Elle a soif de participation, non de clientélisme ; de dignité, non d’assistanat. Le risque est qu’elle se sente trahie si le pouvoir ne lui ouvre ni l’économie ni la parole.

La deuxième est la classe laborieuse — ouvriers, paysans, fonctionnaires modestes, pêcheurs, transporteurs — qui porte silencieusement le pays. Sans leur mobilisation, la politique de production et de redistribution restera un vœu pieux.

La troisième enfin, c’est l’intelligentsia critique, celle qui relie la pensée à l’action : universitaires, artistes, journalistes, militants. Leur rôle est de redéfinir le récit national, de donner un sens à la rupture et de défendre la cohérence du projet face aux tentations bureaucratiques ou opportunistes.

Le dilemme du pouvoir

Le Sénégal doit choisir entre deux voies. Celle du réformisme prudent, qui rassure les partenaires extérieurs, mais déçoit le peuple ; ou celle du réalisme révolutionnaire, qui assume les tensions pour reconstruire sur le long terme.

Le président de la République, jusqu’ici, oscille entre les deux : il mesure ses mots, ménage les uns, temporise avec les autres. Mais à force d’équilibre, on risque l’immobilisme. Comme l’écrivait Chroniques sénégalaises : « Rompre le silence, c’est retrouver le sens. » Le pays attend un cap.

Le 8 novembre ne sera pas un simple rassemblement partisan. Il peut devenir un moment de bascule : soit le pouvoir assume la profondeur de la rupture, soit il se laisse engloutir par la routine d’État. Les choix à venir — économiques, diplomatiques, institutionnels — détermineront si le Sénégal reste prisonnier de la dépendance ou s’engage dans la souveraineté réelle. Mais l’histoire, elle, n’attend jamais : elle passe ou elle se venge.

Nous faisons confiance à Ousmane Sonko, président de PASTEF, pour trouver les mots justes et prendre la pleine mesure des enjeux. Il connaît le souffle du peuple, parce qu’il en est le fruit et la voix. Il est le souffle même de cette révolution, celle qui ne se mesure pas à la durée d’un mandat, mais à la profondeur d’une espérance collective : celle d’un Sénégal debout, lucide et souverain.

Justice ou vengeance ? Le faux débat des ralliés de la vingt-cinquième heure

Le peuple sénégalais ne réclame pas la vengeance : il réclame la justice que redoutent les ralliés de la dernière heure.

Ils étaient absents pendant la tourmente, muets dans la répression, prudents quand il fallait du courage. Et les voilà, ralliés de la vingt-cinquième heure, déserteurs du camp patriotique au plus fort de la tempête, aujourd’hui regroupés en alliance hétéroclite pour dire au gouvernement comment il faut gouverner le Sénégal. Ce sont les nouveaux « situationnistes » : ceux qui s’invitent à la victoire sans avoir livré bataille. On y retrouve un ministre à la tête d’un microparti, quelques transfuges du régime déchu, et d’anciens opposants recyclés en donneurs de leçons. Leur refrain est connu : « On ne gouverne pas dans la haine et la vengeance ».

Mais qui donc a parlé de haine ? Qui donc prêche la vengeance ? Certainement pas ceux qui ont porté le combat démocratique jusqu’à la prison et jusqu’à la mort.

Justice n’est pas vengeance

Le peuple sénégalais, lui, n’a jamais été un peuple de haine. Il a toujours su faire la part des choses entre justice et vengeance, entre pardon et oubli. Ce que le peuple demande, c’est la vérité ; ce qu’il exige, c’est la justice. Car il y a eu un président, Macky Sall, qui tenta une échappée solitaire de dictateur, jalonnée de milliers d’arrestations, de dizaines de morts, et d’une terreur d’État étalée de 2021 à 2024. Rendre justice aux inconsolés de cette terreur n’est pas céder à la haine : c’est refuser l’amnésie nationale. C’est affirmer que la République n’a pas de mémoire courte et que le pardon, pour être sincère, suppose d’abord la reconnaissance du crime.

Le Sénégal est une République, avec une Constitution qui consacre la séparation des pouvoirs. Le président de la République est, sans doute, le chef de l’exécutif. Mais il y a dans la situation actuelle une réalité politique inédite : le Premier ministre, Ousmane Sonko, est à la tête du plus grand parti du pays, le PASTEF, fort d’une large majorité parlementaire. Dans une démocratie vivante, la réalité institutionnelle ne peut ignorer les rapports de forces politiques. Le gouvernement n’est pas une cour de dévotion ; c’est l’expression d’une volonté populaire, celle d’un peuple qui a voté massivement pour Bassirou Diomaye Faye sur la base d’un contrat clair : « Sonko moy Diomaye, Diomaye moy Sonko. »

Cette formule n’est pas un slogan sentimental : elle exprime la continuité d’un projet, l’unité d’une espérance. L’un gouverne, l’autre impulse, mais le dessein reste un : reconstruire un État souverain, juste et transparent.

Les opportunistes de la réconciliation

Ce qui est demandé au gouvernement, ce n’est pas d’écouter les pleurnicheries des opportunistes, mais de réaliser l’espérance du peuple sénégalais. De redresser l’économie, de rendre des comptes, de rétablir la justice, d’assainir la fonction publique, de restaurer la dignité nationale. Ceux qui parlent de « réconciliation » voudraient, en réalité, réhabiliter l’ancien ordre. Ils confondent la paix civile avec la continuité du système. Ils voudraient que l’on tourne la page avant même de l’avoir lue. Mais on ne réconcilie pas un peuple avec ses bourreaux : on le réconcilie avec sa propre souveraineté.

Il faut le dire sans détour : l’appel à « oublier » est la dernière ruse de ceux qui craignent que la vérité ne remonte à la surface. Gouverner, ce n’est pas apaiser les consciences des coupables ; c’est apaiser les blessures des victimes.

Et dans cette tâche, le Premier ministre Ousmane Sonko incarne ce que la politique sénégalaise n’avait plus connu depuis longtemps : la fidélité à un combat. Il n’a pas changé de camp, ni de discours, ni d’alliés. Il agit avec cohérence, parfois avec rudesse, mais toujours avec la conviction que l’histoire ne s’écrit pas dans les salons des ralliés tardifs.

S’expliquer ou assumer : le silence du pouvoir est inacceptable

La descente des forces de l’ordre dans les studios de 7 TV et de TFM, suivie de la coupure de leurs signaux, a plongé le pays dans un silence officiel incompréhensible. Aucun ministère, aucune autorité n’a revendiqué ni même expliqué cette décision. Dans une République qui se veut de rupture, le mutisme n’est pas une option tolérable.

Il y a des silences qui font plus de dégâts que des fautes. Ce qui s’est passé à 7 TV et à TFM ne peut rester sans explication. Des gendarmes pénétrant dans des rédactions, des journalistes interpellés, des signaux coupés sur la TNT, et depuis… rien. Pas une ligne officielle, pas une voix pour assumer.

Pourtant, selon Jeune Afrique, ni le CNRA, ni la Télédiffusion du Sénégal, ni le ministère de la Communication, ni le Bureau d’information du gouvernement n’ont reconnu avoir ordonné l’intervention. Aucun document, aucune notification, aucune trace. Deux médias nationaux réduits au silence sans que personne ne dise pourquoi, ni au nom de qui ? Ce flou n’est pas seulement une anomalie administrative : c’est une faute politique.

On ne peut pas faire la transparence budgétaire et tolérer l’opacité institutionnelle. On ne peut pas mettre fin aux fonds politiques et laisser s’installer un brouillard de responsabilités. Gouverner, c’est rendre des comptes — toujours, surtout quand l’acte en cause touche à la liberté d’informer.

Si la mesure a été légale, qu’on en montre la base. Si elle a été improvisée, qu’on le reconnaisse et qu’on en tire les conséquences. Mais il faut parler, car le silence de l’État est la première forme de censure. Ceux dont la responsabilité est engagée doivent sortir de leur cachette. La République n’est pas une maison d’ombres.

Le peuple sénégalais a voulu un gouvernement de vérité, pas un pouvoir qui se dérobe. Ce qui s’est passé est un test : celui de la cohérence entre les paroles et les actes, entre la promesse de rupture et la pratique du pouvoir.

Expliquer ou assumer — c’est la seule voie de responsabilité. Car un pouvoir qui se tait sur un acte incompris finit par en porter le soupçon.

Liberté de la presse : quand la solidarité de caste brouille la vérité

Deux journalistes ont été brièvement arrêtés après avoir donné la parole à Madiambal Diagne, fugitif au cœur d’un scandale financier. Derrière les indignations de circonstance sur la liberté de la presse se dessine une réalité plus trouble : celle d’une solidarité de caste et d’un État encore prisonnier de ses vieux réflexes autoritaires.

Les interpellations, puis la libération de Maïmouna Ndour Faye (7 TV) et Babacar Fall (RFM) ont déclenché une tempête de réactions indignées, du PDS à la CAP, en passant par Reporters sans frontières et Article 19. Partout, le même refrain : « atteinte à la liberté de la presse ». Mais derrière ce chœur vertueux, la réalité est bien plus complexe. Car ces deux journalistes n’ont pas été inquiétés pour un reportage d’investigation ou un éditorial subversif — mais pour avoir offert, à distance, une tribune à Madiambal Diagne, fugitif recherché dans une affaire de détournements présumés de deniers publics et de blanchiment de capitaux.

Un fugitif au cœur d’un scandale d’État

Rappelons les faits : Madiambal Diagne, ancien président de l’Union internationale de la presse francophone et patron du groupe Avenir Communication (éditeur du Quotidien), est sous le coup d’un mandat d’arrêt international. Selon Jeune Afrique, la justice sénégalaise le soupçonne d’avoir été un maillon clé d’un vaste réseau de surfacturation autour du Programme de modernisation des infrastructures judiciaires (PROMIJ), un marché public de 250 milliards FCFA attribué à la société française Ellipse Projects sans appel d’offres.

Selon les enquêteurs, la SCI Pharaon, société immobilière contrôlée par monsieur Diagne et sa famille, aurait servi de relais pour la sous-traitance et la réception de paiements douteux. Les montants évoqués sont colossaux : plus de 1,17 milliard FCFA auraient transité sur les comptes de son épouse. Depuis sa fuite vers la France, le 24 octobre, il dénonce une « persécution politique », tout en refusant de comparaître devant la justice de son pays.

Ce profil rend d’autant plus troublant le comportement de certains médias. Donner la parole à un homme poursuivi pour association de malfaiteurs et blanchiment de capitaux peut relever du journalisme — si l’intention est d’informer, de confronter les faits, de chercher la vérité. Mais offrir, sans contradiction, une tribune à un fugitif qui s’autovictimise, cela relève davantage de la connivence que de la liberté d’informer.

La presse entre réflexe corporatiste et responsabilité citoyenne

Les descentes de gendarmerie à 7TV et RFM, coupures de signal à la clé, relèvent d’un archaïsme répressif dont il faut se départir. Personne n’en sort grandi : ni l’État, qui se laisse enfermer dans le rôle du censeur, ni les journalistes, qui se parent d’un courage qu’ils n’ont pas démontré. Car ce n’est pas le journalisme d’investigation qui est sanctionné ici, mais une communication intéressée autour d’un homme en fuite.

Derrière les envolées sur la « liberté de la presse », se cache un esprit de caste, cette tendance du milieu médiatique à protéger ses figures, fussent-elles compromises. Les mêmes voix qui dénoncent un « pouvoir liberticide » sont souvent celles qui rechignent à payer impôts et cotisations sociales, ou qui vivent sous perfusion de conventions publiques signées avec les régimes successifs. Autrement dit : on veut les avantages de la presse d’État sans en assumer les devoirs.

L’indépendance n’est pas qu’une vertu ; c’est aussi une conquête économique. Elle suppose un lectorat prêt à payer le prix de la vérité, non celui du vacarme. Ce n’est pas facile, j’en conviens, mais c’est nécessaire — car sans ce socle, la liberté n’est qu’un mot vide, offert à toutes les récupérations.

Sortir des pièges : lucidité et professionnalisme

La tentation est grande, pour le pouvoir, de répondre à ces provocations par la répression. Ce serait une erreur politique et symbolique. Les mauvais réflexes d’un État postcolonial — la descente policière, la coupure de signal, l’arrestation musclée — ne font que nourrir la narration d’une « dérive autoritaire ». C’est précisément ce que recherchent certains acteurs : transformer une faute professionnelle en posture de martyr politique.

L’enjeu, aujourd’hui, est d’élever le débat. Plutôt que de s’épuiser à traquer les chroniqueurs des réseaux sociaux, équivalents modernes des piliers de comptoir et des animateurs de grand-place, il faut renforcer la culture politique, l’éducation civique et la conscience professionnelle.

Car la vraie bataille de la démocratie ne se joue pas entre un État qui bâillonne et une presse qui se compromet, mais dans la lucidité collective : celle qui distingue l’information de la manipulation, la liberté de l’impunité, le journalisme du clientélisme.

PASTEF : rompre le silence pour retrouver le sens

Le parti de la révolution entre dans la maison du pouvoir, mais la maison résiste. Entre héritage colonial et exigence populaire, la souveraineté s’éprouve au quotidien.

En début de soirée ce 25 octobre 2025, dans une courte vidéo publiée sur les réseaux sociaux, le président de PASTEF, Ousmane Sonko, a rompu le silence. Il y annonce la tenue d’un grand rassemblement — le « Tera meeting », prévu le 8 novembre à Dakar. L’événement, présenté comme une « rencontre avec la base », se veut à la fois un moment de remobilisation et de clarification : pourquoi cette léthargie du parti depuis l’arrivée au pouvoir ? Quelle place doit occuper désormais le mouvement qui, en moins d’une décennie, a bouleversé la scène politique sénégalaise ?

Cette allocution s’inscrit dans la continuité du discours du 10 juillet dernier, où le président Ousmane Sonko appelait déjà à raviver le « Projet » et la flamme du 24 mars 2024 — date de la victoire électorale qui mit fin à douze ans de règne du régime Macky Sall. Le ton était alors combatif ; celui du 25 octobre est introspectif. Car la question qui se profile, derrière le calme apparent du pouvoir, est celle du rôle de PASTEF dans la transformation du pays.

S’il a été le moteur de la conquête, que doit-il être maintenant que le pouvoir politique est conquis ?

Le dilemme de la victoire : du parti-instrument au parti-outil

Né dans la dissidence, forgé dans la répression, PASTEF fut avant tout un instrument de libération politique. En avril 2024, il porta Bassirou Diomaye Faye à la tête de l’État, puis en novembre 2024 lui offrit une large majorité parlementaire.

Sa victoire fut celle d’un peuple qui refusa la confiscation du suffrage universel et imposa une alternance véritable, rompant avec l’« alternance contrôlée » qui, depuis 2000, reconduisait sous d’autres noms les mêmes logiques d’allégeance et de rente.

PASTEF est aujourd’hui confronté à son propre succès. Il ne peut plus se contenter d’être le parti des mobilisations, des colères et des symboles. Il lui faut devenir l’outil de la refondation. Or, transformer un instrument de conquête en instrument de construction est, historiquement, le défi majeur de tous les partis révolutionnaires.

Dès lors, la question posée par Ousmane Sonko résonne comme une épreuve : « S’il a été un puissant instrument qui a permis la conquête du pouvoir, quel doit être maintenant son rôle que le pouvoir est conquis ? »

Le danger est double : devenir un parti-gadget absorbé par l’appareil d’État, ou se figer dans la posture de la contestation sans prise sur le réel.

De l’épopée au quotidien, il y a un gouffre ; de la critique du système à sa transformation, un long apprentissage.

Un parti dans l’étau institutionnel : la théorie face à la pratique du pouvoir

Dans un système de compétition électorale encadré par la Constitution et le principe de séparation des pouvoirs, à quoi sert un parti politique une fois la victoire acquise ?

La démocratie libérale, héritée du modèle français, enferme les partis au pouvoir dans un jeu institutionnel rigide : le gouvernement agit, le Parlement contrôle, la justice veille. Or, dans un pays où la justice n’est pas élue et où l’administration conserve les réflexes de la dépendance, la volonté de rupture se heurte vite aux murs du juridisme et du formalisme.

Cette tension n’est pas nouvelle : elle hante tous les mouvements qui ont défié l’ordre établi, et qui, une fois au pouvoir, doivent choisir entre le confort de la normalisation et le risque de la transformation. Entre la fidélité à la promesse révolutionnaire et le respect des procédures de l’État de droit, le risque est de se dissoudre dans la normalité qu’on prétendait combattre.

L’un des obstacles majeurs identifiés est l’administration sénégalaise, héritière directe du modèle colonial.

Pétrie d’idéologie et de routines, elle demeure un vecteur de dépendance structurelle. Dans un article précédent, nous écrivions : « Protéger la révolution, c’est discipliner l’administration ».

Le diagnostic est sans détour : l’État postcolonial a conservé les instruments de contrôle du colon, au lieu de les transformer en outils de souveraineté.

Le proverbe ivoirien résume ce paradoxe : « On ne reste pas dans les magnans pour se débarrasser des magnans. »

Autrement dit, on ne combat pas le système en s’y installant confortablement. Si l’administration demeure inchangée, la révolution s’y enlise.

Du militantisme à la refondation : la fidélité à la cause

PASTEF s’est toujours défini comme panafricaniste, souverainiste de gauche et antisystème néocolonial. Ces termes ne sont pas des slogans : ils dessinent un horizon.

Être panafricaniste, c’est penser la souveraineté au-delà des frontières héritées, construire des solidarités économiques et politiques africaines.

Être souverainiste de gauche, c’est refuser les tutelles financières — celles du FMI, de la Banque mondiale ou du franc CFA — tout en plaçant la justice sociale au cœur du projet national.

Être antisystème néocolonialiste, c’est refuser la continuité invisible de la domination coloniale : celle qui s’exerce à travers la dette, la monnaie, l’expertise et les marchés. C’est dénoncer un ordre où l’indépendance s’arrête aux frontières politiques, tandis que les décisions économiques et symboliques se prennent ailleurs.

Être antisystème, pour PASTEF, c’est vouloir décoloniser l’État et la pensée, arracher la souveraineté aux routines administratives héritées, et replacer le peuple au cœur de la décision publique.

La « cause » de PASTEF n’est donc pas simplement de participer à la gestion du pays ; elle est de transformer en profondeur les structures de l’économie et de l’État. Cette ambition justifie que le parti conserve sa vitalité militante, même depuis les allées du pouvoir.

Pour ce faire, PASTEF doit assumer son hétérogénéité : un parti large, mouvant, traversé par des sensibilités diverses, mais uni par une exigence de souveraineté.

Le parti doit désormais assumer son rôle de « groupe de pression, de subversion et catalyseur de la transformation » : un moteur de vigilance citoyenne, un rappel constant des idéaux patiemment mûris de mars 2021 à mars 2024, trois années d’éveil populaire qui ont fait basculer plus de six décennies de système.

La question n’est pas de s’opposer au gouvernement, mais d’empêcher la révolution de s’endormir.

Les partis de transformation partout dans le monde ont connu cette tension : comment gouverner sans trahir ? Comment durer sans se corrompre ?

Le PASTEF n’y échappera pas. Mais il dispose d’un avantage : sa jeunesse militante, sa base populaire et son ancrage idéologique clair.

Loi de finances 2026 du Sénégal : la vérité des chiffres, l’épreuve du peuple

Sous le sceau de la transparence, le budget 2026 trace la ligne de crête entre la rigueur comptable et la justice sociale. La vérité des chiffres ne suffira pas : elle devra se traduire en bien-être, en écoles construites, en hôpitaux dignes. Car un budget peut être sincère sans être juste — et la sincérité, seule, ne nourrit pas le peuple.

Le Projet de Loi de Finances 2026 n’est pas un simple document comptable : c’est un acte politique majeur. Il symbolise la volonté du gouvernement du Président Bassirou Diomaye Faye et du Premier ministre Ousmane Sonko de tourner la page d’une décennie d’opacité budgétaire et de reconstruire la République sur la base d’un principe cardinal : la vérité.

Après la révélation de la dette cachée — 4 300 milliards FCFA hors budget, faisant passer l’endettement réel du pays de 77 % à près de 130 % du PIB selon les audits ultérieurs — le Sénégal a dû choisir entre la fuite en avant et la lucidité

Le budget 2026, arrêté à 7 434 milliards FCFA de dépenses pour 6 189 milliards de recettes, traduit cette orientation. L’État entend ramener le déficit à 5,37 % du PIB avant de retrouver la norme communautaire de 3 % en 2027. C’est le second jalon du Plan de redressement économique et social (PRES — « Jubbanti Koom »), arrimé à la Stratégie nationale de Développement (SND 2025-2029) et à la Vision Sénégal 2050.

Derrière la technicité budgétaire se profile une ambition claire : financer la souveraineté par les ressources nationales, non par la dette extérieure. La réforme fiscale, fondée sur la révision du Code des impôts et des douanes, vise à générer plus de 760 milliards FCFA de recettes nouvelles en 2026.

Mais cette révolution silencieuse se heurte à des obstacles bien réels.

Les pièges de l’exécution

Le premier écueil est budgétaire. Le redressement s’effectue sous contrainte : un service de la dette écrasant, des arriérés intérieurs à apurer, et des besoins sociaux immenses. La marge de manœuvre est étroite. Si la collecte fiscale ne suit pas, le risque est grand que l’investissement public soit sacrifié sur l’autel de la consolidation.

Le second écueil est administratif. Le Sénégal n’a pas encore une machine publique à la hauteur de ses ambitions. Les retards dans la mise en œuvre du système intégré de gestion (SIGIF), les lenteurs de passation de marchés et la fragmentation entre services risquent de compromettre la qualité de l’exécution. Le danger est connu : des crédits votés, mais non consommés, des promesses visibles seulement sur papier.

Enfin, le contexte social demeure fragile. Après la victoire démocratique du 24 mars 2024, les attentes populaires sont immenses. Le peuple veut voir, vite. Or, la rigueur budgétaire, si elle n’est pas accompagnée d’une pédagogie politique et d’une redistribution tangible, peut être perçue comme une austérité masquée.

La vérité budgétaire ne suffira pas : elle devra devenir une vérité vécue.

Les forces de progrès à la manœuvre

Dans cette phase cruciale, les forces de progrès — PASTEF, syndicats, mouvements citoyens, intellectuels et diaspora — doivent jouer un rôle déterminant.

Elles ne doivent ni se taire par loyalisme ni fragiliser la refondation par impatience. Leur responsabilité est d’accompagner le redressement sans renoncer à la justice sociale.

D’abord, en faisant vivre la pédagogie du redressement. Il faut expliquer que la rigueur actuelle n’est pas une punition, mais une condition d’indépendance. C’est par la sincérité des comptes que le pays recouvrera sa dignité économique.

Ensuite, en veillant à la cohérence sociale du budget. La souveraineté financière n’aura de sens que si elle se traduit par des politiques visibles : santé gratuite, éducation publique rénovée, emploi des jeunes, réindustrialisation.

Enfin, en transformant la souveraineté budgétaire en souveraineté productive. Car le vrai défi n’est pas seulement de lever des recettes, mais de bâtir une économie de valeur ajoutée, fondée sur le travail, la transformation locale et l’innovation.

Entre vérité et justice

Le budget 2026 est une promesse : celle d’un État qui se redresse et d’une Nation qui se regarde enfin en face. Mais cette promesse ne tiendra que si la transparence ne devient pas un dogme froid, et si la rigueur reste au service du peuple.

Les forces de progrès devront être la conscience vigilante de cette révolution budgétaire : soutenir la discipline sans renoncer à l’égalité, exiger la sincérité sans abandonner la solidarité.

Car un budget peut être exact sans être juste ; il ne sera souverain que lorsqu’il servira la dignité du plus grand nombre.