Sonko, Diomaye et l’espérance fanonienne : ne pas laisser la révolution sans boussole

Dans quelques jours s’ouvrira à Dakar le colloque international du centenaire de Frantz Fanon (17 — 20 décembre 2025), au Musée des Civilisations noires. Ce rendez-vous n’est pas un simple hommage savant : les documents préparatoires le rappellent avec force. Fanon nous lègue moins une statue qu’un programme de lutte, un souffle destiné à « clarifier la mission historique que l’Afrique et sa diaspora doivent remplir aujourd’hui ».

Le texte de présentation insiste sur cet avertissement qui traverse toute l’œuvre fanonienne : le recul du colonialisme portait la promesse d’une reprise de l’humanité, mais cette promesse fut trahie par des bourgeoisies bureaucratiques qui, selon Fanon, n’allèrent pas à l’indépendance « en combattants, mais en négociants ».

 Cette lucidité est d’une brûlante actualité, alors même que le Sénégal expérimente un moment inédit : une alternance sans compromission apparente, portée par une mobilisation populaire d’une intensité rare sur le continent.

À l’heure où Dakar s’apprête à accueillir chercheurs, artistes, militants et étudiants, le colloque rappelle un impératif politique : une révolution n’avance que si elle reste fidèle aux forces qui l’ont rendue possible. C’est sous ce prisme qu’il faut comprendre les interrogations croissantes autour de la relation entre le Président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko.

La «bourgeoisie nationale» selon Fanon : la tentation de s’éloigner du peuple

Dans les textes rassemblés pour le colloque, une phrase revient comme un fil rouge : la « bourgeoisie nationale » est une classe qui n’a pas de projet historique, qui s’insère dans les structures coloniales au lieu de les briser, et qui met son énergie non dans la transformation, mais dans la gestion de la dépendance

Cette bourgeoisie n’est pas seulement une catégorie économique et sociale : c’est une attitude, un imaginaire, une manière d’habiter le pouvoir sans rompre avec les logiques de domination.

C’est à l’aune de cette critique que l’on doit analyser la situation actuelle. Un sentiment diffus circule : celui que le Président Diomaye Faye semble vouloir s’affranchir du mouvement social qui l’a porté au pouvoir, mouvement dont PASTEF est l’expression politique la plus organisée. Je dis semble, car je peine encore à saisir la rationalité d’une telle stratégie. Pourquoi tenter de se tenir à distance de l’énergie populaire qui a rendu possible l’alternance du 24 mars 2024? Pourquoi laisser croire que l’État pourrait fonctionner désormais comme un appareil neutre, affranchi de la pression révolutionnaire qui l’a remis en mouvement ?

Et pourtant, les signaux existent. Ils inquiètent. Ils interrogent. Ils rappellent ce que Fanon nommait le « glissement » : cette manière insidieuse qu’ont certains dirigeants, même sincères, de se réapproprier le pouvoir au détriment de la dynamique collective.

Mais si tel est le chemin qui se dessine, alors nous en prendrons acte. Sans colère, sans naïveté, mais avec cette vigilance politique que Fanon appelait de ses vœux. Car une révolution ne survit qu’à une condition : que les masses restent le cœur battant du processus.

La nécessité de maintenir l’espérance révolutionnaire

Il serait faux de dire que la relation entre Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye s’est rompue. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que leurs rôles institutionnels créent une tension politique inédite : l’un incarne la radicalité transformatrice, l’autre la présidence républicaine dans sa dimension la plus classique. Fanon avait prévenu : les institutions ont une puissance de domestication redoutable.

Dans les réunions populaires comme dans les cercles militants, une peur s’exprime : que la présidence se normalise, que la rupture s’émousse, que la dynamique collective se dissolve dans les codes d’un État qui, depuis soixante ans, sait absorber ses propres contestataires. Ce risque est réel. Il n’est pas une trahison ; il est la tentation structurelle de toute situation de pouvoir.

Face à cela, la position du mouvement doit être claire : nous ne transigerons pas.

Non par défi. Non par orgueil. Mais parce que le peuple révolutionnaire a des exigences légitimes : justice, transparence, refonte de l’État, fin des privilèges, décolonisation des institutions.

Ce peuple — celui qui a résisté, qui a souffert, qui a été emprisonné, torturé, humilié — n’a pas mené ce combat pour revenir à une gestion soft de l’ordre ancien.

Et surtout parce que l’espérance ne doit pas s’éteindre. Comme le rappelle le texte du colloque, Fanon n’était pas seulement le théoricien de la violence libératrice ; il était le penseur d’une immense espérance africaine, d’un avenir à inventer où les peuples reprennent initiative et dignité.

Cette espérance-là ne peut être abandonnée à la seule verticalité présidentielle. Elle doit rester entre les mains de celles et ceux qui l’ont portée ces dernières années : ambulants, djakartamen, syndicats, étudiants, quartiers populaires, paysans, intellectuels, travailleurs de la fonction publique, diaspora, travailleurs informels, jeunes précarisés.

La justice fiscale exige la fin des privilèges ; les fonds communs en sont un symbole

À l’heure où l’Assemblée nationale décortique le Budget 2026, le pays entre dans une zone où l’ambiguïté n’est plus tolérable. Les documents officiels eux-mêmes ne laissent aucun doute : le Sénégal doit « restaurer la crédibilité et la viabilité des finances publiques » et engager un « assainissement » profond de ses comptes, après la révélation d’un endettement réévalué à 119 % du PIB et d’un déficit approchant les 12 % du PIB[1].

Cette exigence nouvelle, affirmée dans le Projet de loi de finances, repose sur une idée simple : la souveraineté financière ne naîtra ni des slogans ni des artifices comptables, mais d’un effort fiscal juste, assumé, équitable.

Les fonds communs : les impensés d’une République qui se veut juste

Le Gouvernement reconnaît dans son projet de loi que la maîtrise de la masse salariale doit être rigoureuse et que la transparence sur les rémunérations publiques est devenue indispensable. Le document Voies et Moyens va plus loin en indiquant que la réforme du Code général des impôts doit permettre une meilleure segmentation des contribuables, une centralisation des « bénéficiaires effectifs » et un renforcement de la justice fiscale.

Cette ambition, déjà inscrite dans les textes, appelle une conséquence logique : les fonds communs doivent être imposés.

Le Code général des impôts soumet à l’impôt sur le revenu les traitements, salaires, indemnités et primes de toutes natures. Il ne crée aucune catégorie spéciale pour les « fonds communs ». S’ils échappent encore largement à l’impôt, ce n’est pas parce que la loi les protège, c’est parce que l’administration les a installés dans une zone grise, à l’abri du regard du fisc. Et dans un contexte où l’État affirme vouloir relever la pression fiscale pour atteindre les standards UEMOA (20 %), il est incohérent de faire peser l’effort public sur les usagers du mobile money, les agriculteurs, les ménages modestes ou les petites entreprises, tout en épargnant les segments les mieux rémunérés de la haute administration.

Dans un pays où le Président et le Premier ministre ont choisi la vérité contre le maquillage des chiffres, ne pas imposer les fonds communs revient à maintenir une zone d’ombre au cœur même de l’État. C’est incompatible avec l’idéal de souveraineté, incompatible avec l’agenda de refondation et incompatible avec l’idée simple que la République se bâtit d’abord par l’exemplarité de ceux qui la servent.

La fiscalité foncière : le socle oublié de l’autonomie nationale

Le document Voies et Moyens[2] insiste sur le rôle que doit jouer la fiscalité foncière dans l’élargissement de l’assiette et l’augmentation des recettes internes. Le Projet de loi, lui, annonce une « régularisation foncière massive » dont le rendement est projeté à plus de 100 milliards FCFA. Ces formulations ne sont pas anodines : elles expriment la reconnaissance officielle d’une évidence économique longtemps mise de côté.

La taxe foncière sénégalaise n’est plus en phase avec les réalités contemporaines. Elle est faible, sous-évaluée, parfois inopérante. Elle ne reflète ni la valeur réelle du patrimoine, ni les dynamiques urbaines, ni les besoins criants des collectivités. Elle ne peut plus rester dans cet état alors que le pays affirme vouloir financer ses ambitions sans s’en remettre aux bailleurs.

Un État qui néglige son foncier néglige la première pierre de sa souveraineté. La nation reconnaît la valeur de son territoire et choisit d’en faire une part équitable de l’effort collectif. Réformer la fiscalité foncière, mettre à jour les valeurs, intégrer les terrains vacants, responsabiliser les propriétaires, donner aux communes un socle de ressources stable et prévisible : tout cela n’est pas un luxe, mais une obligation politique si l’on veut sortir d’un modèle où l’État vit à crédit pendant que la richesse immobilière échappe à l’impôt.

La souveraineté budgétaire exige la justice fiscale

Le Projet de loi de finances 2026 parle d’une « mobilisation de nouvelles ressources endogènes », d’une volonté de « retrouver définitivement les équilibres budgétaires » et d’une réduction de la dépendance aux financements extérieurs. Le document Voies et Moyens décrit la même trajectoire : élargir l’assiette, sécuriser les recettes, réformer les codes fiscaux et douaniers, corriger les niches et renforcer la transparence.

Ces formulations officielles ne prennent sens que si l’État a le courage d’aller jusqu’au bout. La vérité budgétaire est devenue un choix politique. Et ce choix oblige l’administration à se réformer elle-même, à abandonner ses zones d’exception, à accepter que l’effort fiscal soit partagé.

Le peuple a toujours payé. Il est temps que l’État, lui aussi, paie sa part. Et c’est à ce prix — pas un autre — que la souveraineté budgétaire annoncée dans les textes deviendra une réalité vécue par tous.


[1] Ministère des Finances et du Budget. (2025). Projet de loi de finances pour l’année 2026. République du Sénégal.

[2] Ministère des Finances et du Budget. (2025). Voies et moyens — Annexe au projet de loi de finances pour l’année 2026. République du Sénégal.

Guinée-Bissau : la chute annoncée de l’aventuriste Embaló

Depuis deux ans, ce blog avertit : Umaro Sissoco Embaló est un danger public, un aventuriste installé au sommet d’un État dont il a méthodiquement affaibli les institutions, méprisé les forces politiques et dévoyé les processus électoraux. Les évènements actuels à Bissau ne sont donc ni une surprise ni une fatalité : ils sont l’aboutissement d’un pouvoir qui a confondu ruse et stratégie, clientélisme et gouvernance, imposture et leadership.

Un pouvoir affaibli qui croyait manipuler l’élection

Tout commence avec la présidentielle du 23 novembre. Le camp d’Embaló et celui de Fernando Dias revendiquent chacun la victoire. Le scrutin s’est tenu en l’absence du PAIGC et de Domingos Simões Pereira, exclus par la justice dans des conditions contestées. Le président sortant pensait ainsi avoir neutralisé toute concurrence sérieuse.

Mais il n’avait pas anticipé le geste décisif qui allait bouleverser la partie : le soutien du PAIGC à Fernando Dias, geste politique rappelant, toutes proportions gardées, la dynamique sénégalaise où Ousmane Sonko fit la passe à Bassirou Diomaye Faye. La Guinée-Bissau vient d’inventer son propre « Simões Domingo », un leader empêché qui, faute d’être candidat, a fait gagner celui qui pouvait battre Embaló.

La comparaison est douloureuse pour d’autres pays de la région : là où l’intelligence politique a prévalu, le régime s’est fissuré ; là où elle a manqué, l’autoritarisme s’est durci.

La pantalonnade dangereuse : Embaló simule, des militaires exécutent

À peine trois jours après le vote, le pouvoir s’est effondré en direct. Le président a annoncé qu’il était en train d’être arrêté, tout en continuant de donner des interviews, scène digne d’un Boy Djiné institutionnel.

Des militaires menés par le général Denis N’Canha proclament qu’ils prennent « le contrôle total du pays », suspendent le processus électoral, ferment les frontières, imposent un couvre-feu et forcent les médias au silence. Ils justifient leur intervention en évoquant un « plan de déstabilisation » impliquant des acteurs politiques et des barons de la drogue, sans fournir la moindre preuve.

Plus incohérent encore : les opposants Fernando Dias et Domingos Simões Pereira sont arrêtés et détenus, tandis que le président sortant continue de circuler médiatiquement comme si de rien n’était. Quel coup d’État authentique neutralise les vainqueurs potentiels d’une élection, mais laisse le chef de l’État déposé à communiquer avec la presse internationale ?

Il n’est pas interdit de penser qu’il s’agit moins d’un renversement que d’une mise en scène soigneusement préparée pour empêcher la proclamation de résultats défavorables. Une manœuvre grossière, mais révélatrice d’une panique politique.

Le moment de vérité pour le Sénégal : la CEDEAO a échoué

Les faits sont clairs : Embaló a perdu l’élection et tente de se maintenir par des réseaux parallèles, des clients armés, et une communication chaotique. La gravité de la situation dépasse la seule Guinée-Bissau : elle pose désormais une question directe au Sénégal.

Le président Bassirou Diomaye Faye avait été averti. Il doit désormais agir avec fermeté et lucidité. Toute autre attitude serait un renoncement aux idéaux panafricanistes et démocratiques qu’ont porté la révolution sénégalaise du 24 mars 2024. Dans ce contexte trois décisions s’imposent.

Les militaires sénégalais doivent se retirer de Guinée-Bissau. Leur présence au titre de la CEDEAO visait à sécuriser le processus électoral et à préserver la stabilité institutionnelle, mais cet objectif n’a pas été atteint. Rester reviendrait désormais à cautionner un fiasco diplomatique et à prêter main-forte à une dérive autoritaire.

Le Sénégal ne doit accorder aucune légitimité au groupe d’officiers qui s’est autoproclamé « Haut Commandement militaire pour la souveraineté et la restauration de l’Ordre public ». Leur invocation d’un prétendu « état de guerre » n’est que la rhétorique d’un pouvoir aux abois cherchant à couvrir un coup de force improvisé.

Enfin, Dakar doit réaffirmer une évidence fondamentale : la souveraineté appartient au peuple bissau-guinéen, et à lui seul. Elle ne saurait être confisquée ni par des putschistes improvisés ni par les miliciens d’un régime finissant, mais doit revenir aux citoyens à travers un processus électoral transparent et incontestable.

La Guinée-Bissau vit un moment de vérité. Mais ce moment dépasse ses frontières. Il rappelle que les peuples ouest-africains savent reconnaître les impostures et résistent aux manipulations. Il rappelle aussi que le panafricanisme est une exigence politique : soutenir les peuples, jamais les régimes en déroute.

Les dirigeants qui s’accrochent aux rentes et aux intrigues — les autocrates amateurs, les « clowns tristes », les illusionnistes de la force — finissent toujours balayés. Non par les armes, mais par la lucidité populaire.

La justice sénégalaise à l’épreuve de sa propre indépendance

Invité de l’émission Point de vue sur la Radiotélévision Sénégalaise, le dimanche 16 novembre 2025, le président de l’Union des Magistrats du Sénégal (UMS), Cheikh Ba, a choisi la défense du statu quo. Alors que le pays s’interroge sur la manière de refonder ses institutions, la magistrature, elle, se drape dans une indépendance devenue privilège. Catégoriquement opposée à l’intégration de « corps étrangers » dans le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et au contrôle des parlementaires, l’UMS revendique un pouvoir sans contre-pouvoir — un pouvoir sans légitimité démocratique.

Une indépendance devenue corporatisme

Que réclament au fond les magistrats ? Qu’on ne les interroge pas. Qu’on ne les évalue pas. Qu’on ne les entende pas. Derrière les formules d’apparence noble – « indépendance », « garantie des libertés », « séparation des pouvoirs » – se dissimule une conception fermée et autoréférentielle de la justice. Car ce que l’UMS nomme indépendance n’est plus le principe républicain de neutralité face au pouvoir exécutif, mais une volonté de se soustraire à tout regard extérieur, fût-il celui du peuple représenté par ses députés. En refusant que le législatif exerce un contrôle démocratique minimal, la magistrature s’érige en caste. Elle se protège elle-même, s’administre elle-même et s’absout elle-même : voilà le corporatisme dans sa forme la plus pure.

Ce repli sur soi n’a rien d’un hasard. Il s’enracine dans une tradition coloniale où la justice n’était pas conçue comme un service public, mais comme un instrument disciplinaire. Le juge colonial n’était pas le garant du droit : il était le bras juridique de l’ordre impérial. La figure du magistrat sénégalais postcolonial a hérité de ce double héritage : l’autorité sans contrôle et la verticalité sans débat. La culture du secret, le fétichisme du texte, le refus de l’imputabilité découlent directement de ce modèle. Tant que la justice restera enfermée dans cette matrice, elle demeurera une institution d’ordre, non de liberté.

Une vision carcérale de la justice

Il n’est pas indifférent que dans leur argumentaire, les dirigeants de l’UMS justifient l’inflation carcérale par la « nécessité de protéger la société ». Ce langage de l’enfermement, où la loi devient une machine à punir plus qu’à réhabiliter, trahit une vision de la justice comme prolongement du pouvoir disciplinaire. Or, comment parler d’État de droit lorsque plus de 45 % des détenus sont en détention provisoire ? Comment invoquer la légitimité morale du juge quand la prison demeure la seule réponse à la misère, à la colère et à la dissidence ?

La magistrature ne s’interroge pas sur les causes sociales du crime : elle les sanctionne. Elle ne revendique pas des politiques publiques de prévention : elle réclame des moyens de répression. Elle ne voit dans la réforme du Conseil supérieur de la magistrature qu’une menace contre ses privilèges, non une chance d’ouvrir le débat sur la fonction sociale du droit. Ainsi, la justice sénégalaise continue de reproduire une logique carcérale héritée de la colonisation : celle d’une institution qui ne libère pas, mais qui enferme ; qui ne protège pas le faible, mais qui rassure le fort.

La justice, pouvoir ou service public ?

Les magistrats aiment rappeler que la justice est un « pouvoir ». Mais de quel pouvoir s’agit-il ? Dans une démocratie, le pouvoir judiciaire n’est légitime que parce qu’il tire sa force du peuple. Or, contrairement au pouvoir exécutif ou législatif, le juge n’est pas élu ; son autorité ne procède que de la confiance que les citoyens lui accordent. Cette confiance ne peut exister sans transparence. Refuser le contrôle parlementaire ou l’ouverture du CSM, c’est rompre le pacte démocratique : c’est dire au peuple « vous nous devez obéissance, mais nous ne vous devons aucun compte ».

Dans la tradition républicaine, la justice n’est pas un pouvoir au-dessus des autres, mais un service public parmi d’autres. Elle n’est pas une forteresse, mais un bien commun. Elle ne tire pas sa légitimité du silence des autres institutions, mais de sa capacité à rendre compte. Ouvrir le CSM à des représentants de la société civile, ce n’est pas fragiliser la justice : c’est la rapprocher du citoyen.

L’indépendance judiciaire n’a de sens que si elle s’accompagne d’une responsabilité devant la nation. Se couper du peuple au nom de la loi, c’est transformer une mission républicaine en privilège corporatiste. En refusant d’être redevable, la magistrature sénégalaise ne s’émancipe pas : elle s’arroge un pouvoir sans légitimité.

La transparence n’effraie que ceux qui craignent la vérité

Depuis plusieurs jours, certains commentateurs tentent d’imputer au Premier ministre Ousmane Sonko la responsabilité d’une prétendue « catastrophe » économique. Selon eux, la révélation des dettes cachées du Sénégal et le refus de « restructurer » selon les conditions du FMI auraient provoqué la défiance des marchés. L’argument est commode : il exonère ceux qui ont dissimulé l’ampleur du désastre budgétaire et transforme la transparence en crime politique.

Or la réalité est simple : le Premier ministre n’a pas créé la crise, il l’a révélée. Les audits de la Cour des comptes, du ministère des Finances, de Mazars et du FMI lui-même ont confirmé l’existence de plus de 4 300 milliards FCFA de dettes non déclarées entre 2019 et 2023. En d’autres termes, le pays vivait dans le mensonge statistique. Fallait-il taire cela ? Continuer à gouverner sur des chiffres falsifiés pour ménager la susceptibilité des marchés ? Un État souverain ne se fonde pas sur la dissimulation, mais sur la vérité.

Dialogue ou tutelle? La question du FMI

Les tenants de la doxa ultralibérale présentent le FMI comme un arbitre neutre, voire comme un partenaire généreux offrant « les taux les plus bas du monde ». Cette image d’Épinal ne résiste pas à l’histoire. Partout où ses plans d’ajustement ont été appliqués, ils ont provoqué l’appauvrissement des populations, la contraction des services publics et la perte de souveraineté budgétaire.

Au Sri Lanka, la dette, la crise et la restructuration ont laissé des traces profondes : après une contraction sévère, l’économie rebondit, mais reste amputée, et près d’un quart de la population vit en pauvreté multidimensionnelle[1]. Au Ghana[2] comme en Zambie[3], la restructuration de la dette s’est faite sous fortes contraintes extérieures ; les deux pays ont dû accepter l’agenda global des créanciers, ce qui a réduit leur marge de manœuvre souveraine.

La restructuration selon le FMI n’est pas un allègement, c’est une prolongation de la dépendance. Elle consiste à repousser les échéances, à réduire quelques intérêts pour mieux imposer les contreparties : privatisations, gel des salaires, restrictions des dépenses sociales. L’État, étranglé hier, se retrouve demain sous tutelle.

Le temps long de la souveraineté

La panique boursière du lendemain d’un meeting ne saurait être le critère de la politique économique d’une nation. Les variations observées ne traduisent rien d’autre que des mouvements spéculatifs : une réaction nerveuse de courtiers et d’algorithmes, sans rapport avec les fondamentaux de l’économie réelle.

Les marchés ne raisonnent qu’à court terme ; les peuples, eux, vivent au long cours. En rétablissant la vérité sur la dette, le gouvernement sénégalais affirme la volonté de reconstruire la confiance nationale sur la base de la transparence et du courage. Car la crédibilité d’un État ne se mesure pas à son indice de risque, mais à la cohérence de son projet national.

Cette orientation s’inscrit dans un nouveau paradigme : le Plan de redressement économique et social (PRES). Il ne s’agit plus de subir la norme financière mondiale, mais de la repenser depuis nos réalités. Le budget national doit redevenir un instrument de production et non de rente. La coopération internationale doit se déployer dans une logique de complémentarité et non de dépendance. Et la planification du développement doit à nouveau s’enraciner dans les besoins concrets du peuples, plutôt que dans les indicateurs des institutions financières. Ce mouvement n’est pas un caprice idéologique : c’est la condition d’une renaissance économique durable.

Le Plan de redressement économique et social contre la soumission

Refuser une restructuration imposée, ce n’est pas défier le monde : c’est choisir sa dignité — et sa rationalité économique.

Car aucune économie ne se redresse en cédant à la panique. La discipline budgétaire ne consiste pas à obéir aux injonctions des créanciers, mais à assainir ses finances par une fiscalité plus juste, une réduction des gaspillages et une mobilisation des ressources internes.

Face aux prophètes de la résignation, le gouvernement a choisi la voie la plus difficile : celle de la vérité, du courage et de la cohérence économique. Car, au-delà des humeurs des marchés, la rationalité commande de consolider la base productive nationale, de soutenir l’agriculture, l’énergie et l’industrie locale, afin de restaurer la soutenabilité réelle de la dette par la création de valeur. Ce choix n’est pas populiste ; il est économique. Et il est juste.


[1] Kristina Rehbein (Jubilee Germany) et Ahilan Kadirgamar (Université de Jaffna), Sri Lanka’s Debt Restructuring and Lessons towards the Overhaul of a Broken International Financial Architecture, Position Paper, Jubilee Deutschland & Law and Society Trust, Colombo, 2024.

[2] David A. Grigorian et Lili Vessereau, Ghana: A Case Study of Sovereign Debt Restructuring under the G20 Common Framework, Center for Global Development Working Paper n°710, Washington DC, 2024.

[3] David A. Grigorian et Aditya Bhayana, Zambia: A Case Study of Sovereign Debt Restructuring under the G20 Common Framework, Center for Global Development, Working Paper n° 707, Washington DC, 2024.

Clarifier pour tenir la promesse du 24 mars 2024

Le 24 mars 2024 restera dans l’histoire comme le jour où le peuple sénégalais a repris la parole. Ce n’était pas une alternance de plus, mais une rupture majeure : la victoire d’un peuple lassé du mensonge, de la confiscation et de la peur. Ce jour-là, la souveraineté populaire a fait irruption dans la politique. Deux hommes, un seul projet : un État au service du peuple, un pouvoir rendu à la nation.

Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko portaient cette promesse. Le premier, par l’incarnation institutionnelle et la continuité de l’État ; le second, par la vision et le courage de l’action. Ensemble, ils représentaient la rencontre entre la légitimité des urnes et celle du combat. Mais dix-huit mois après l’élection, la flamme vacille. Les réformes tardent, les décisions se font rares, la prudence s’installe là où l’audace était attendue. Ce qui passait pour de la méthode ressemble désormais à une forme de conservatisme. Et face à cette lenteur, le peuple s’interroge : la promesse du 24 mars 2024 sera-t-elle tenue ?

Une épreuve de vérité, non une querelle d’hommes

Il serait trop facile de lire cette situation à travers le prisme d’une rivalité personnelle. Ce qui se joue n’est pas une querelle d’ego, mais une épreuve de vérité politique. Le pouvoir actuel doit choisir entre deux chemins : celui de la fidélité à la rupture ou celui de la gestion prudente de l’existant.

Les blocages institutionnels ne sont plus seulement techniques ; ils deviennent symboliques. La réforme constitutionnelle destinée à redonner toute sa force à la fonction de Premier ministre, promise depuis des mois, n’a toujours pas vu le jour. La transparence financière, la réforme de la justice, la réorientation de la politique économique : tout avance, mais tout avance trop lentement.

Or la politique, comme l’histoire, ne supporte pas l’immobilisme : lorsqu’on s’arrête, c’est le passé qui revient.

Le jeu de la confiance

La théorie des jeux nous enseigne que dans toute coopération, la confiance ne se décrète pas ; elle se construit et s’entretient. Deux partenaires peuvent gagner ensemble à condition de jouer la loyauté. Mais s’ils se défient ou se trompent, chacun finit perdant.

C’est précisément la situation du tandem exécutif : s’ils agissent de concert, le projet souverainiste triomphe ; s’ils s’éloignent, la technostructure reprend la main, les réformateurs s’épuisent et le peuple se détourne.

La loyauté, pour exister, doit s’appuyer sur la clarté. On ne gouverne pas avec des intentions, mais avec des engagements publics. La confiance ne se nourrit pas de gestes discrets ; elle a besoin de signes visibles, de décisions assumées, de jalons datés.

Clarifier pour avancer

La phase de clarification qui s’ouvre ne doit pas être redoutée : elle est nécessaire. Clarifier, c’est dire où l’on va, quand on y va et avec qui.

Clarifier, c’est accepter que la révolution du 24 mars 2024 ne soit pas un simple souvenir de campagne, mais une méthode de gouvernement.

Clarifier, c’est reconnaître que l’on ne peut pas se réclamer du peuple souverain tout en différant les réformes qu’il a exigées.

Il ne s’agit pas de se dresser contre le Président de la République, mais de rappeler la cohérence d’un mandat. Le pouvoir qui se tait devant les lenteurs finit toujours par leur ressembler. Le Sénégal ne demande pas des miracles : il demande de la cohérence, du courage et des résultats tangibles.

Les institutions doivent redevenir des instruments de souveraineté, non des refuges pour l’attentisme. La transparence ne doit plus être une promesse, mais une pratique. L’économie ne doit plus être un terrain de rente, mais de création.

Agir pour ne pas décevoir

Les symboles ne suffisent plus. L’heure n’est plus aux promesses générales, mais aux faits vérifiables : des décisions qui améliorent le quotidien, des réformes qui redonnent confiance, des résultats qui prouvent que la rupture est réelle. C’est dans la maîtrise des prix, la qualité des services publics, la justice sociale et la transformation productive que se mesurera la fidélité au peuple.

Car la souveraineté n’est pas un mot abstrait : elle se voit dans le prix du riz, dans la transparence des contrats, dans la dignité du fonctionnaire et du paysan.

Elle se traduit dans la rapidité de la prise en charge d’une urgence dans un hôpital, la solidité d’une école, la confiance d’un citoyen envers son État.

Tenir la ligne, sans se renier

La loyauté n’est pas la soumission. Être loyal, c’est refuser le double langage ; c’est rester fidèle à l’esprit du 24 mars 2024 tout en exigeant l’action. Nous ne défendons pas un homme contre un autre ; nous défendons une promesse contre l’oubli. Nous savons que la division affaiblit, mais nous savons aussi qu’un silence prolongé finit par ressembler à une abdication.

Le camp souverainiste doit garder le cap : parler vrai, proposer, mobiliser, construire. Car l’adversaire n’est pas à la présidence, il est dans la routine, dans la tentation de gouverner sans âme, dans la peur de déplaire aux forces qui ont toujours voulu confisquer notre avenir.

Aminata Touré et la coalition fantôme

Aminata Touré tente de ranimer une coalition sans existence réelle. Une manœuvre d’appareil sans portée politique, face à un PASTEF solidement ancré dans le réel.

La lettre publiée le 11 novembre 2025 au nom du « président » (?) de la « Coalition Diomaye Président » — sans sceau officiel, et surtout sans mention de la qualité de son signataire — a suffi à provoquer une agitation médiatique. Elle annonçait le remplacement de Aïda Mbodj par Aminata Touré à la tête d’une structure dont plus personne n’entendait parler. Une tempête dans un verre d’eau, rien de plus.

Créée à la veille de la présidentielle pour rallier des soutiens extérieurs au projet souverainiste de Bassirou Diomaye Faye et d’Ousmane Sonko, la coalition a depuis perdu toute raison d’être. Le 17 novembre 2024, PASTEF, victorieux de la présidentielle du 24 mars, s’est présenté sous sa propre bannière aux législatives et a raflé 130 sièges sur 165. Dès lors, la logique des alliances d’appoint est devenue caduque : la « Coalition Diomaye Président » n’a connu aucune activité notable et ne subsiste plus que sur papier — et dans les ambitions de quelques-uns.

C’est dans ce vide qu’Aminata Touré tente de revenir dans le jeu. L’ancienne Première ministre, rompue aux intrigues d’appareil, se fait désigner à la tête d’une coalition sans vie, sans ancrage, et dont la principale composante — PASTEF — ne veut pas, en l’état, reconnaître la légitimité.

Ce mélange de confusion et de calcul illustre une vieille pathologie de la classe politique sénégalaise : celle de croire que les rapports de force se fabriquent à coups de signatures et de communiqués. On crée des coalitions sans militants, on se distribue des titres sans base sociale, on s’autoproclame président d’un vide. La manœuvre amuse, mais elle n’entraîne aucune conséquence.

Car la réalité politique du Sénégal d’aujourd’hui se joue ailleurs : dans le redressement économique après le choc de la dette cachée, dans la reconstruction morale de l’État, dans la souveraineté retrouvée sur les choix budgétaires et stratégiques. C’est là que le peuple observe et juge. Pas dans les couloirs d’une coalition virtuelle.

Le geste d’Aminata Touré relève davantage de la visibilité médiatique que de l’action politique. Mais l’histoire est passée à une autre époque : celle où les forces vives du pays se réapproprient la parole publique, où les sigles creux ne trompent plus personne.

Le frisson des marchés, la force tranquille des réformes

Les marchés tremblent, mais le Sénégal avance. En choisissant la vérité plutôt que la facilité, le gouvernement affirme une souveraineté qui dérange. Ce n’est pas une crise, c’est une épreuve : celle d’un peuple décidé à reprendre en main son destin économique.

Ce lundi, les obligations sénégalaises ont reculé sur les marchés internationaux, signe d’une méfiance passagère des investisseurs. Cette réaction s’explique moins par une fragilité économique que par la fermeté du gouvernement à défendre la souveraineté financière du pays. En refusant de restructurer la dette selon les conditions du FMI, le Premier ministre Ousmane Sonko a affirmé le droit du Sénégal à choisir ses priorités. Des investisseurs, déroutés par cette indépendance, ont vendu les titres, provoquant une baisse. Mais derrière ce mouvement, il faut surtout voir la réaction d’un système financier circonspect par une nouvelle approche africaine de la souveraineté : celle d’un pays qui entend assumer pleinement la responsabilité de ses choix budgétaires, sans renoncer au dialogue ni à la transparence.

Quand les marchés testent la détermination du Sénégal

Ce recul traduit avant tout une mise à l’épreuve : les marchés testent la détermination du Sénégal à maintenir sa ligne souveraine. Après la révélation des dettes cachées laissées par Macky Sall, le gouvernement a choisi la transparence plutôt que la dissimulation — un choix courageux mais coûteux à court terme. Les investisseurs, eux, se méfient de la vérité quand elle bouscule leurs habitudes ; pourtant, pour un pays qui veut bâtir son avenir, mieux vaut une vérité exigeante qu’une illusion commode.

Cette baisse traduit donc moins une crise qu’un moment de méfiance. Les investisseurs attendent de voir si le gouvernement maintiendra le cap ; le Premier ministre y a déjà répondu lors du TERA meeting du 8 novembre, devant plus de 100 00 Sénégalais venus de tout le pays : la transformation demandera « deux à trois ans d’efforts » partagés. Cet effort, celui de la sobriété et du patriotisme économique, engage tout un peuple derrière un État décidé à assainir plutôt qu’à dissimuler. Les marchés jugent à court terme ; l’histoire, elle, jugera à long terme.

Tenir le cap de la souveraineté

Cette crise rappelle d’abord qu’affirmer son indépendance économique a un prix. Rompre avec des décennies de tutelle financière provoque des secousses, mais c’est le passage obligé de toute émancipation.

Chaque pays qui a retrouvé sa souveraineté économique – de la Malaisie à la Bolivie – a d’abord affronté la défiance des marchés. Le Sénégal n’échappera pas à cette étape, mais il peut la transformer en tremplin. L’essentiel est de rester unis.   

L’enjeu n’est pas de rassurer la finance, mais de bâtir la confiance à partir de ses propres forces : justice fiscale, production locale, parole de vérité, mobilisation des travailleurs, des forces populaires et la diaspora. La confiance ne se quémande pas ; elle se conquiert.

Le TERA Meeting : un peuple en marche, une révolution en cours

Ce 8 novembre 2025, le Sénégal a vécu un moment d’histoire. Plus de 100 000 citoyens venus des quatre coins du pays ont convergé vers Dakar pour le TERA Meeting, dans une atmosphère d’unité rare. De la Casamance au Fouta, du Baol à la diaspora, toutes les voix du pays se sont retrouvées autour d’un même souffle : celui de la révolution citoyenne initiée par le PASTEF.

Une mobilisation impressionnante : une marée humaine, joyeuse et disciplinée, symbole d’un Sénégal multiple et uni. Ce n’était pas une simple démonstration de force politique, mais l’expression d’un engagement collectif. Dans la diversité des chants et des visages, on lisait une certitude partagée : le pays a changé de cap.

Au centre de cette journée, le discours d’Ousmane Sonko a été à la hauteur de l’attente. Sobre, clair, et d’une intensité rare, il a rappelé « une certaine vérité » : nous sommes en révolution. Pas une révolution de slogans, mais une révolution morale, politique, sociale et économique. PASTEF en est le fer de lance, mais c’est le peuple qui en est le moteur. En répondant aux impatiences, en réaffirmant la ligne de rupture et de souveraineté, le Premier ministre Ousmane Sonko a recentré le projet national autour de l’essentiel : rendre au Sénégal son autonomie, sa dignité et sa promesse.

Ce moment de ferveur populaire a aussi rappelé l’unité du tandem dirigeant : l’alliance fraternelle et stratégique entre Ousmane Sonko et le président Bassirou Diomaye Faye, symbole d’une continuité dans la révolution en cours et d’une confiance partagée dans la mission de refonder l’État.

L’union œcuménique observée aujourd’hui — musulmans, chrétiens, femmes du bois sacré, confréries, laïcs, jeunes, anciens, ruraux, urbains — illustre la maturité d’une société qui a décidé de reprendre la parole politique. Le rassemblement a aussi prouvé que la révolution sénégalaise n’est pas une aventure partisane, mais un processus collectif : une marche lente, exigeante, vers la justice et la souveraineté.

L’enjeu, désormais, est de transformer cette énergie populaire en force de construction. La révolution ne s’arrêtera pas dans les stades : elle doit irriguer l’État, l’économie, la culture et la conscience. Le 8 novembre aura été le point d’équilibre entre l’espérance et la responsabilité. PASTEF a montré qu’il sait rassembler ; il lui revient maintenant de continuer à gouverner avec la même foi.

Le peuple sénégalais a parlé, non par les urnes cette fois, mais par sa présence. Et sa présence dit tout : la révolution est en marche.

8 novembre : le Sénégal à la croisée des ruptures

À la veille du rassemblement de PASTEF où Ousmane Sonko doit s’adresser au pays, le Sénégal entre dans un moment de vérité. Entre les attentes du peuple, les hésitations du pouvoir et la profondeur des défis à venir, se joue plus qu’un tournant politique : la fidélité ou le reniement d’une révolution.

À la veille du TERA meeting de PASTEF prévu ce 8 novembre, où Ousmane Sonko doit faire une déclaration que d’aucuns annoncent décisive, le Sénégal retient son souffle. Depuis l’élection du 24 mars 2024, le pays vit dans une étrange tension entre espoir et attente. Le peuple, victorieux des urnes, observe désormais un pouvoir hésitant à se définir.

Les atermoiements du Président Bassirou Diomaye Faye, jusque-là perçus comme une prudence tactique, prennent aujourd’hui la forme d’un malaise politique plus profond : celui d’un État en transition qui peine à choisir sa ligne de front. Et dans ce silence, les impatiences montent. Ce 8 novembre pourrait bien être le moment de vérité — celui où se mesurera la cohérence entre les promesses de la rupture et les lenteurs du pouvoir.

Le contexte ne saurait être minimisé. Comme je le soulignais dans un récent billet, le débat sur la « haine » et la « vengeance » orchestré par les ralliés de la vingt-cinquième heure n’est qu’une diversion : le vrai problème n’est pas moral, il est politique. Il tient à la direction que doit désormais prendre le pays, et à la capacité du pouvoir de rester fidèle à son mandat populaire — celui de reconstruire le Sénégal sur des bases souveraines, sociales et panafricaines.

Un État prisonnier de ses formes

Le premier défi du Sénégal est d’ordre structurel. L’État sénégalais demeure colonial dans son architecture : centralisé, bureaucratique, régi par un droit et une langue qui le rattachent encore à la matrice française.

La continuité du franc CFA, les accords de défense et les réflexes technocratiques de la haute administration illustrent cette dépendance. L’audit des finances publiques et la révélation de la dette cachée de 4 300 milliards FCFA ont mis à nu un système politique où l’État servait d’abord les créanciers avant de servir les citoyens.

La rupture institutionnelle annoncée par le Président Bassirou Diomaye Faye suppose donc plus qu’une bonne gouvernance : elle exige une refondation historique. Ce n’est pas seulement la manière de gérer qu’il faut changer, mais la manière de concevoir le pouvoir. Tant que les institutions resteront extraverties, la souveraineté demeurera un mot d’ordre et non une réalité.

Économie : produire pour vivre ou importer pour survivre

Sur le terrain économique, le choix est tout aussi tranché. Depuis plus d’un demi-siècle, le Sénégal vit selon le schéma de l’économie extravertie décrit par Samir Amin : exportation de matières brutes, dépendance aux importations alimentaires, endettement chronique, domination des bailleurs.

Le Plan Sénégal émergent (PSE) de Macky Sall, censé moderniser le pays, a surtout accru la dépendance financière et élargi le fossé social.

Le nouveau pouvoir a amorcé une inflexion : souveraineté alimentaire, industrialisation nationale, contrôle du contenu local dans les hydrocarbures. Mais cette orientation se heurte à la rigidité du cadre monétaire, à la pression des institutions de Bretton Woods et à la résistance des élites administratives.

Le choix est existentiel : produire pour vivre ou importer pour survivre. Et cette décision ne se prendra pas dans les bureaux, mais dans les champs, les ateliers, les écoles et les ports — là où se fabrique la richesse réelle.

Diplomatie et géopolitique : entre prudence et audace

Sur la scène régionale, le Sénégal joue une partition délicate. Au moment où la CEDEAO se fissure, où l’AES s’affirme comme un pôle alternatif, Dakar tente de concilier médiation et fermeté.

La diplomatie sénégalaise revendique une neutralité active : dialoguer avec tous, mais ne se soumettre à personne. La France, l’Allemagne, la Chine, la Turquie, la Russie, l’Arabie Saoudite, etc. ; — tous veulent leur part du « nouveau Sénégal ». Le pays cherche, dans cette mêlée, à bâtir une politique étrangère fondée sur la réciprocité et la dignité.

Mais l’équilibre est précaire. Une erreur d’orientation, et le pays pourrait retomber dans la vassalisation ou l’isolement. Le 8 novembre devra donc aussi être un moment de clarification géopolitique : dire clairement avec qui et pourquoi nous voulons coopérer.

Les forces sociales de la souveraineté

Le sort du projet dépend désormais de la société sénégalaise elle-même. Trois forces peuvent ou non faire basculer l’histoire.

La première est la jeunesse, immense et impatiente, qui a fait tomber le régime de Macky Sall. Elle a soif de participation, non de clientélisme ; de dignité, non d’assistanat. Le risque est qu’elle se sente trahie si le pouvoir ne lui ouvre ni l’économie ni la parole.

La deuxième est la classe laborieuse — ouvriers, paysans, fonctionnaires modestes, pêcheurs, transporteurs — qui porte silencieusement le pays. Sans leur mobilisation, la politique de production et de redistribution restera un vœu pieux.

La troisième enfin, c’est l’intelligentsia critique, celle qui relie la pensée à l’action : universitaires, artistes, journalistes, militants. Leur rôle est de redéfinir le récit national, de donner un sens à la rupture et de défendre la cohérence du projet face aux tentations bureaucratiques ou opportunistes.

Le dilemme du pouvoir

Le Sénégal doit choisir entre deux voies. Celle du réformisme prudent, qui rassure les partenaires extérieurs, mais déçoit le peuple ; ou celle du réalisme révolutionnaire, qui assume les tensions pour reconstruire sur le long terme.

Le président de la République, jusqu’ici, oscille entre les deux : il mesure ses mots, ménage les uns, temporise avec les autres. Mais à force d’équilibre, on risque l’immobilisme. Comme l’écrivait Chroniques sénégalaises : « Rompre le silence, c’est retrouver le sens. » Le pays attend un cap.

Le 8 novembre ne sera pas un simple rassemblement partisan. Il peut devenir un moment de bascule : soit le pouvoir assume la profondeur de la rupture, soit il se laisse engloutir par la routine d’État. Les choix à venir — économiques, diplomatiques, institutionnels — détermineront si le Sénégal reste prisonnier de la dépendance ou s’engage dans la souveraineté réelle. Mais l’histoire, elle, n’attend jamais : elle passe ou elle se venge.

Nous faisons confiance à Ousmane Sonko, président de PASTEF, pour trouver les mots justes et prendre la pleine mesure des enjeux. Il connaît le souffle du peuple, parce qu’il en est le fruit et la voix. Il est le souffle même de cette révolution, celle qui ne se mesure pas à la durée d’un mandat, mais à la profondeur d’une espérance collective : celle d’un Sénégal debout, lucide et souverain.