
Depuis plusieurs jours, certains commentateurs tentent d’imputer au Premier ministre Ousmane Sonko la responsabilité d’une prétendue « catastrophe » économique. Selon eux, la révélation des dettes cachées du Sénégal et le refus de « restructurer » selon les conditions du FMI auraient provoqué la défiance des marchés. L’argument est commode : il exonère ceux qui ont dissimulé l’ampleur du désastre budgétaire et transforme la transparence en crime politique.
Or la réalité est simple : le Premier ministre n’a pas créé la crise, il l’a révélée. Les audits de la Cour des comptes, du ministère des Finances, de Mazars et du FMI lui-même ont confirmé l’existence de plus de 4 300 milliards FCFA de dettes non déclarées entre 2019 et 2023. En d’autres termes, le pays vivait dans le mensonge statistique. Fallait-il taire cela ? Continuer à gouverner sur des chiffres falsifiés pour ménager la susceptibilité des marchés ? Un État souverain ne se fonde pas sur la dissimulation, mais sur la vérité.
Dialogue ou tutelle ? La question du FMI
Les tenants de la doxa ultralibérale présentent le FMI comme un arbitre neutre, voire comme un partenaire généreux offrant « les taux les plus bas du monde ». Cette image d’Épinal ne résiste pas à l’histoire. Partout où ses plans d’ajustement ont été appliqués, ils ont provoqué l’appauvrissement des populations, la contraction des services publics et la perte de souveraineté budgétaire.
Au Sri Lanka, la dette, la crise et la restructuration ont laissé des traces profondes : après une contraction sévère, l’économie rebondit, mais reste amputée, et près d’un quart de la population vit en pauvreté multidimensionnelle[1]. Au Ghana[2] comme en Zambie[3], la restructuration de la dette s’est faite sous fortes contraintes extérieures ; les deux pays ont dû accepter l’agenda global des créanciers, ce qui a réduit leur marge de manœuvre souveraine.
La restructuration selon le FMI n’est pas un allègement, c’est une prolongation de la dépendance. Elle consiste à repousser les échéances, à réduire quelques intérêts pour mieux imposer les contreparties : privatisations, gel des salaires, restrictions des dépenses sociales. L’État, étranglé hier, se retrouve demain sous tutelle.
Le temps long de la souveraineté
La panique boursière du lendemain d’un meeting ne saurait être le critère de la politique économique d’une nation. Les variations observées ne traduisent rien d’autre que des mouvements spéculatifs : une réaction nerveuse de courtiers et d’algorithmes, sans rapport avec les fondamentaux de l’économie réelle.
Les marchés ne raisonnent qu’à court terme ; les peuples, eux, vivent au long cours. En rétablissant la vérité sur la dette, le gouvernement sénégalais affirme la volonté de reconstruire la confiance nationale sur la base de la transparence et du courage. Car la crédibilité d’un État ne se mesure pas à son indice de risque, mais à la cohérence de son projet national.
Cette orientation s’inscrit dans un nouveau paradigme : le Plan de redressement économique et social (PRES). Il ne s’agit plus de subir la norme financière mondiale, mais de la repenser depuis nos réalités. Le budget national doit redevenir un instrument de production et non de rente. La coopération internationale doit se déployer dans une logique de complémentarité et non de dépendance. Et la planification du développement doit à nouveau s’enraciner dans les besoins concrets du peuples, plutôt que dans les indicateurs des institutions financières. Ce mouvement n’est pas un caprice idéologique : c’est la condition d’une renaissance économique durable.
Le Plan de redressement économique et social contre la soumission
Refuser une restructuration imposée, ce n’est pas défier le monde : c’est choisir sa dignité — et sa rationalité économique.
Car aucune économie ne se redresse en cédant à la panique. La discipline budgétaire ne consiste pas à obéir aux injonctions des créanciers, mais à assainir ses finances par une fiscalité plus juste, une réduction des gaspillages et une mobilisation des ressources internes.
Face aux prophètes de la résignation, le gouvernement a choisi la voie la plus difficile : celle de la vérité, du courage et de la cohérence économique. Car, au-delà des humeurs des marchés, la rationalité commande de consolider la base productive nationale, de soutenir l’agriculture, l’énergie et l’industrie locale, afin de restaurer la soutenabilité réelle de la dette par la création de valeur. Ce choix n’est pas populiste ; il est économique. Et il est juste.
[1] Kristina Rehbein (Jubilee Germany) et Ahilan Kadirgamar (Université de Jaffna), Sri Lanka’s Debt Restructuring and Lessons towards the Overhaul of a Broken International Financial Architecture, Position Paper, Jubilee Deutschland & Law and Society Trust, Colombo, 2024.
[2] David A. Grigorian et Lili Vessereau, Ghana: A Case Study of Sovereign Debt Restructuring under the G20 Common Framework, Center for Global Development Working Paper n°710, Washington DC, 2024.
[3] David A. Grigorian et Aditya Bhayana, Zambia: A Case Study of Sovereign Debt Restructuring under the G20 Common Framework, Center for Global Development, Working Paper n° 707, Washington DC, 2024.
