Il est des hommes politiques qui, une fois sortis du pouvoir, s’emploient à façonner leur mémoire comme d’autres polissent un marbre. L’ancien président Macky Sall en fait partie. Dans un podcast largement médiatisé et dans son ouvrage L’Afrique au cœur[1], il déroule un récit qui tient autant de l’autobiographie édifiante que de l’épopée nationale. L’enfant modeste du Sine devenu ingénieur, puis chef d’État, se raconte comme l’incarnation de la dignité et du courage. Mais derrière cette fresque héroïsant, les Sénégalais n’ont pas oublié la réalité de son règne.
Derrière l’épopée, l’ombre du bilan
Car la vérité est moins lyrique que le roman présidentiel. Macky Sall évoque avec émotion l’enfant émerveillé de Kédougou découvrant l’électricité grâce au PUDC. Mais combien de familles sont restées plongées dans l’obscurité ? Combien de jeunes ont pris la mer, au péril de leur vie, faute d’horizon dans un pays écrasé par le chômage ? L’ancien président se veut bâtisseur de routes et de ponts, mais l’héritage principal qu’il laisse est une dette publique abyssale dont une partie fut dissimulée, gonflant artificiellement la soutenabilité budgétaire. Le masque de l’ingénieur soucieux de rigueur cache mal le politicien qui a pratiqué l’opacité et le favoritisme.
L’ancien chef de l’État s’enorgueillit d’avoir mis en place un cadre transparent pour la gestion du pétrole et du gaz. Pourtant, les Sénégalais se souviennent des contrats opaques, des concessions léonines et des soupçons persistants de corruption. Il dit avoir interdit d’hypothéquer nos ressources naturelles, mais a multiplié les eurobonds, recherchant à tout prix la bénédiction des agences de notation qu’il dénonce aujourd’hui. Sa critique des « injonctions civilisationnelles » occidentales sonne d’autant plus creux que son régime est resté étroitement arrimé au franc CFA et aux diktats du FMI. Macky Sall a parlé de souveraineté, mais gouverné sous tutelle.
Une sortie en trompe-l’œil
Sur le plan politique, il revendique d’avoir su absorber les trahisons et de ne pas avoir cédé à la tentation du troisième mandat. Mais l’histoire retiendra que son silence prolongé et ses manœuvres ont plongé le Sénégal dans une crise profonde entre 2021 et 2024, alimentant violences et répression. Ce n’est pas par grandeur qu’il s’est retirée, mais sous la pression d’une jeunesse mobilisée et d’un peuple décidé à sauver sa démocratie. Quant à ses ambitions internationales, elles disent moins une volonté de servir l’Afrique qu’un désir de se recycler au sommet de l’ONU, au prix d’un blanchiment mémoriel.
Macky Sall rêve désormais d’une carrière onusienne. Les Sénégalais, eux, continuent de rêver de justice et de vérité. Car l’histoire ne s’écrit pas seulement dans les livres d’anciens présidents, elle s’inscrit surtout dans la mémoire des peuples. Et celle-ci retiendra que, derrière les confessions enjolivées, son magistère aura été celui d’un président qui, loin de libérer le pays, l’a enchaîné davantage à la dette, à la dépendance et à la répression. Le Sénégal a tourné la page. À lui d’assumer les marges sombres du chapitre qu’il a écrit.
[1] Sall, M. (2025). L’Afrique au cœur. Paris : Odile Jacob
26 septembre 2002 – 26 septembre 2025 En mémoire des disparus du Joola
En ce jour où l’on commémore les 23 ans du naufrage du Joola, tragédie nationale qui a coûté la vie à plus de 1 800 personnes, la Casamance et le Sénégal tout entier se recueillent. La mémoire des disparus demeure une exigence de vérité, de justice et de dignité. C’est aussi un rappel que toute réflexion sur la paix et l’avenir du pays ne peut se faire sans ce devoir de mémoire.
Cet article est une adaptation d’un extrait du manuscrit : « Marcel Bassène, pionnier de la paix en Casamance ». Je remercie M. Ibrahima Ama Dièmé pour les informations précieuses qu’il a partagées et qui ont contribué à la rédaction de ce texte.
Un soir de pleine lune, en 1967 ou 1968[1], des habitants de Ziguinchor se rassemblent près de l’emplacement qui deviendra quelques années plus tard le rond-point Belal Ly, à quelques centaines de mètres de la place de Gao. Dans l’astre lumineux, ils affirment distinguer la silhouette d’un homme : Cheikh Ousmane Sountou Badji. Ce récit populaire dit quelque chose de l’aura mystique qui entoure le marabout de Sindian. Personnage paradoxal, rigoriste dans son islam, mais ouvert au dialogue interreligieux, il a marqué la Casamance par une trajectoire singulière, entre réforme spirituelle, engagement politique et médiation dans la crise. En contrepoint de l’abbé Augustin Diamacoune, il incarne l’autre visage de la Casamance postcoloniale : celui de la paix et du compromis.
Un itinéraire atypique : d’une jeunesse tourmentée à la sagesse du Coran
Cheikh Ousmane Sountou Badji naît dans le village de Sindian, au cœur du Fogny[2], en Basse Casamance. La date précise de sa naissance reste incertaine, certains témoignages évoquant 1938. Son père s’appelait Abdoulaye. Il n’a pas connu une jeunesse studieuse. Turbulent, il vit un début d’âge adulte marqué par un séjour carcéral à Thiès. Selon plusieurs récits oraux, c’est peut-être là que s’opère un tournant décisif : il y aurait découvert le Coran et les sciences religieuses, appris le français et façonné ce qui deviendra ses véritables humanités. Cette hypothèse reste difficile à vérifier, mais elle est largement reprise par la mémoire collective. Contrairement aux marabouts formés dans des daaras dès l’enfance, il entre tardivement dans l’apprentissage religieux.
Son itinéraire prend un détour surprenant par le théâtre. Acteur dans la troupe de Keita Fodéba, il se forge un sens aigu de la parole et du geste, qui deviendra un atout majeur dans ses prêches. Après son séjour en Guinée, sa vocation religieuse se précise. Sa personnalité charismatique attire vite les foules. Ce mélange d’érudition coranique acquise sur le tard, de culture théâtrale et d’ouverture intellectuelle — il cite Descartes, Heidegger ou Nietzsche dans ses sermons — fait de lui un prédicateur hors norme.
Aïnou Salam : bâtir une cité de paix
Dans une Casamance encore marquée par les survivances animistes, le jeune marabout engage une réforme religieuse. Il combat les signes de la religion traditionnelle, détruit les fétiches et encourage les conversions, dans une démarche présentée comme un effort de purification, sans recours à la contrainte physique. Mais si, dans certaines parties du Fogny et du Blouf[3], son influence grandit rapidement, dans le Bandial[4] il est accueilli avec courtoisie sans que son entreprise y rencontre le même succès. Là, les traditions ancestrales restent fortement enracinées et la réforme religieuse portée par le Cheikh s’y heurte à une résistance silencieuse, signe des limites de son projet d’islamisation intégrale.
Avec ses disciples, il fonde la cité religieuse d’Aïnou Salam, « la Cité de la Paix », à Sindian. Aïnou Salam devient rapidement un symbole, donnant corps à une religiosité ouverte et enracinée. Chaque année, une grande ziarra rassemble des foules venues de toute la région. Aujourd’hui encore, ses fils jumeaux, surnommés les « khalifes jumeaux », perpétuent cette tradition et sont présentés comme des ambassadeurs de paix. Dans une Casamance où aucune grande confrérie n’encadrait les masses comme au nord du Sénégal, Cheikh Ousmane Sountou Badji sut créer une autorité morale originale, devenue un point d’équilibre pour la région.
Rome 1969 : la rencontre avec le pape Paul VI
En juillet 1969, Sountou Badji est reçu par le pape Paul VI, à Rome. Il lui remet un exemplaire du Coran et plaide pour une prière commune entre musulmans et chrétiens. Ce geste frappe ses contemporains : pour la première fois, un marabout casamançais se place sur la scène internationale comme promoteur d’un islam de dialogue.
Sa relation avec l’abbé Augustin Diamacoune, futur chef du MFDC, est fraternelle. Les deux hommes partagent la conviction que la paix ne peut venir que de la rencontre entre les religions. Mais leurs chemins divergent : le prêtre choisit la lutte politique et, parfois, la justification de l’action armée ; le marabout, lui, rappelle inlassablement que : « La libération par le sang n’est pas celle que Dieu attend de nous. La vraie libération est celle des cœurs et des esprits. »
Dans un mémorandum adressé à son ami prêtre en 1990, il insiste : « Je considère que, face à la tentation de la théologie de la libération, notre tâche est de rappeler aux fils de la Casamance que l’espérance véritable se fonde sur la foi et non sur la violence. »
1982 : une troisième voie face aux armes
Quand le conflit éclate en 1982, Cheikh Ousmane Sountou Badji, Sénégalais attaché à l’unité nationale, refuse cependant d’enfermer la Casamance dans un affrontement armé. Il propose une médiation fondée sur la foi et le dialogue. Il tente d’ouvrir une troisième voie. Son sanctuaire devient un lieu de médiation : des manifestants s’y rassemblent, des émissaires du gouvernement comme du MFDC viennent chercher son conseil. Un cadre indépendantiste résumera plus tard : « Aller voir le Cheikh avant des négociations était une évidence. On savait qu’il nous rappellerait de mettre la conscience avant les armes. » Lui-même se définissait ainsi : « Mon mémorandum ouvert est une quête d’Espoir et d’Espérance. » Par cette formule, Cheikh Ousmane Sountou Badji désignait un texte public qu’il avait rédigé et diffusé en 1990. Il y appelait à la responsabilité partagée de l’État, du MFDC et des autorités religieuses pour sortir la Casamance de l’impasse. Le terme de « mémorandum » renvoyait chez lui à une démarche écrite de médiation, adressée à la fois aux acteurs politiques et aux communautés croyantes, comme une parole ouverte destinée à désarmer les cœurs avant les armes.
Dans ce texte, il rappelait avec force : « La Casamance n’a pas besoin de discours enflammés, mais d’actes de justice. Sans justice, il n’y aura pas de paix durable. » Et pour lui, cette justice devait s’enraciner dans la spiritualité et non dans la violence. Il avertissait : « Défendons nos droits par la foi, et non par les armes : car ce que l’on n’a pas défendu par la foi, il sera difficile de le protéger avec l’argent ou les fusils. » Ces propos, à la fois fermes et empreints de sagesse, résument l’alternative qu’il proposait aux Casamançais : transformer le combat en une quête de justice guidée par la foi, plutôt qu’en un cycle de répression et de violence armée.
Des liens avec Luís Cabral et la lutte de libération bissau-guinéenne
Cheikh Ousmane Sountou Badji ne limitait pas son action à la seule Casamance. Son prestige s’étendait aussi à la Guinée-Bissau voisine, en pleine lutte pour l’indépendance contre le Portugal. À partir de 1969, il apporte son soutien moral et financier aux réfugiés et collabore discrètement avec les réseaux proches du PAIGC[5]. Cette implication lui vaut l’estime de Luís Cabral, premier président de la Guinée-Bissau indépendante. Dans une lettre datée du 5 février 1975, il lui rend hommage : « C’est dans le cadre de justice, de clairvoyance et de fraternité que nous plaçons l’action que tu mènes au sein de nos populations réfugiées au Sénégal. (…) Tes immenses responsabilités humaines et spirituelles garantissent la paix, le bonheur et la prospérité. »
Ce témoignage montre combien Cheikh Ousmane Sountou Badji, au-delà de son rôle religieux, fut perçu comme un homme de confiance dans les processus de libération nationale. Il inscrivait ainsi son action dans un horizon plus large que la seule réforme islamique : celui d’une solidarité africaine tournée vers l’émancipation et la dignité.
Des relations étroites avec Léopold Sédar Senghor
Cheikh Ousmane Sountou Badji entretient également des liens privilégiés avec Léopold Sédar Senghor. Le président-poète reconnaît son rôle dans la pacification des esprits et voit en lui un diplomate spirituel capable de rapprocher les peuples. En 1980, il rédige une lettre d’introduction auprès du roi Hassan II du Maroc pour soutenir son action.
Mais ce soutien ne relève pas seulement de l’amitié personnelle : en Casamance, où il n’existe pas de grandes confréries religieuses, encourager la montée en influence d’un leader spirituel était aussi un calcul politique. Senghor lui-même écrivait au roi Hassan II : « Par son prestige et sa culture, le Cheikh Ousmane Sountou Badji n’a cessé d’enregistrer des résultats satisfaisants dans ses efforts en faveur de la consolidation des liens de fraternité et de compréhension mutuelle. » Cheikh Ousmane Sountou Badji devient ainsi, aux yeux du pouvoir central, un partenaire stratégique du « contrat social sénégalais » qui lie l’État et la société par l’intermédiation des autorités religieuses.
L’aura du marabout atteint sans doute son apogée sous Senghor. Sa capacité à intervenir directement dans les affaires publiques est illustrée par son rôle dans le dénouement de la grève des élèves du lycée Djignabo en 1980, un événement précurseur de la crise casamançaise. Mais cette influence commence à décliner dès l’arrivée d’Abdou Diouf au pouvoir, puis se réduit encore sous les libéraux, Abdoulaye Wade et Macky Sall, qui nouent d’autres formes de partenariats avec les autorités religieuses.
Cette trajectoire invite à poser la question plus générale des rapports entre les chefs religieux et le pouvoir central au Sénégal. Cheikh Ousmane Sountou Badji en incarne la spécificité casamançaise : l’État avait besoin de son prestige pour asseoir son autorité dans une région en marge des confréries dominantes, tandis que le marabout trouvait dans le soutien présidentiel un levier pour étendre son influence. Ce besoin mutuel a structuré, le temps d’une génération, un contrat implicite entre spiritualité et pouvoir politique.
Héritage et postérité
Cheikh Ousmane Sountou Badji s’éteint le 7 juin 2016 à Dakar et repose à Aïnou Salam. Ses fils jumeaux, Ousseynou et Assane Badji, perpétuent chaque année la ziarra, rassemblant toujours des foules importantes.
Sa mémoire s’incarne dans des héritages à la fois spirituels, culturels et politiques. Aïnou Salam demeure un centre spirituel. L’expérience continue d’inspirer les initiatives de dialogue et de médiation dans la crise casamançaise, qui reste d’actualité.
Cheikh Ousmane Sountou Badji fut un réformateur religieux, un bâtisseur de paix et un médiateur politique qui a profondément marqué la Casamance et le Sénégal postcolonial. Son itinéraire atypique incarne la force d’une parole enracinée et universelle.
Pendant que l’abbé Augustin Diamacoune portait la contestation indépendantiste, lui choisissait la médiation. Tous deux incarnent, chacun à leur manière, la Casamance des années de crise : une région déchirée, mais porteuse de voix fortes capables de transformer la colère en projet collectif.
[1] L’épisode de la pleine lune, au rond-point Belal Ly à Ziguinchor, est confirmé par plusieurs sources orales et écrites qui soulignent l’aura mystique du Cheikh. Toutefois, je n’ai pas pu en déterminer la date exacte faute d’accès à certaines archives. Les témoignages situent l’événement vers 1967 ou 1968, peu avant son voyage à Rome et sa rencontre avec le pape Paul VI.
[2]Le Fogny (ou Fooñi) est une entité socio-historique de la Casamance, située entre le fleuve Casamance et la Gambie, au nord de Ziguinchor. Ce territoire, marqué par une forte identité diola, comprend des localités telles que Sindian, Bignona, Baïla ou Diouloulou.
[3] Le Boulouf (ou Blouf/Bluf) est une entité socio-historique de la Basse-Casamance, située au sud-ouest du Fogny, entre le fleuve Casamance et la zone de Bignona. Le village principal, Thionck-Essyl, en constitue de facto la « capitale »
[4] Le Bandial désigne une entité socio-historique de la Basse-Casamance, situé à l’ouest de Ziguinchor. Enampore et Séléki en sont les principaux villages.
[5] Le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) est un mouvement politique et armé fondé en 1956 par Amílcar Cabral. Dirigeant la lutte de libération contre le colonialisme portugais, le PAIGC a mené une guerre de guérilla qui a conduit à l’indépendance de la Guinée-Bissau en 1973 (reconnue en 1974) et du Cap-Vert en 1975. Ce mouvement a marqué l’histoire de l’Afrique de l’Ouest comme l’un des plus emblématiques combats pour la décolonisation
À l’occasion de la fête nationale du 14 juillet 2025, la France a rendu publique l’actualisation de sa Revue nationale stratégique. Présenté comme une feuille de route en matière de sécurité et de défense, ce texte confirme une évidence : dans l’imaginaire stratégique français, l’Afrique demeure un continent perçu avant tout comme une menace, un espace à “stabiliser”, un champ de rivalités où Paris cherche désespérément à sauver son rang. En parcourant les pages consacrées au continent, le constat est implacable : malgré les échecs répétés des interventions militaires et la contestation populaire et politique croissante de sa présence, la France continue de regarder l’Afrique uniquement à travers le prisme du terrorisme, des migrations et de la criminalité organisée.
L’Afrique, toujours assignée au rôle de zone à risques
Dans cette revue, l’Afrique est présentée comme un nœud de crises : Sahel en proie à la poussée djihadiste, Soudan déchiré par la guerre, République démocratique du Congo et Corne de l’Afrique fragilisées par des conflits persistants. À cela s’ajoutent les trafics transnationaux, la criminalité organisée et les flux migratoires. On retrouve là les catégories habituelles d’une pensée sécuritocentrée, qui fait du continent un danger potentiel pour l’Europe. Dans cette vision, les millions d’Africains qui subissent ces violences disparaissent derrière une grille de lecture obsédée par la menace que représenterait l’Afrique pour les sociétés occidentales.
Une influence française en déclin, concurrencée mais pas questionnée
Le document reconnaît que l’offre sécuritaire française est remise en cause par plusieurs pays africains. Les opérations Barkhane et Sabre ont laissé une trace amère : sentiment d’ingérence, échec à endiguer le terrorisme, perception d’une tutelle militaire extérieure. Mais plutôt que de s’interroger sur la légitimité de sa présence, Paris choisit de reformuler son approche. La Revue annonce une « nouvelle offre partenariale » : formation, équipement, appui capacitaire, mais aussi diplomatie culturelle et mémorielle. En réalité, il s’agit moins d’un changement de paradigme que d’une tentative d’adaptation à un rapport de force défavorable. La Russie, la Chine, la Turquie et d’autres puissances sont accusées d’exploiter le vide laissé par la France. Ainsi, l’Afrique est pensée avant tout comme un terrain de compétition stratégique, non comme un espace de souveraineté et de choix autonomes.
Entre rupture proclamée et continuité coloniale
La revue évoque le Sommet Afrique-France prévu à Nairobi en 2026 comme un moment clé pour redéfinir la relation. Mais cette redéfinition reste enfermée dans une logique de préservation de l’influence française et européenne. On ne parle pas de partenariats égalitaires, mais d’un repositionnement qui doit servir les intérêts de Paris dans un contexte de rivalité mondiale. Or, la leçon que les peuples africains ont donnée depuis Bamako jusqu’à Niamey est claire : ils refusent d’être réduits à des zones tampon ou des arrière-cours de l’Europe. La souveraineté africaine ne se négocie plus dans les marges de documents stratégiques européens, elle se conquiert sur le terrain, par des choix assumés de coopération Sud-Sud, par le panafricanisme et par la construction d’États capables de définir leurs propres priorités.
La Revue stratégique française 2025 prétend s’adapter à un monde en crise. Mais en ce qui concerne l’Afrique, elle reste prisonnière d’un imaginaire postcolonial. Elle parle de sécurité sans parler de justice, de partenariats sans parler d’égalité, d’avenir sans parler de souveraineté. Les Africains, eux, n’attendent plus les corrections de Paris pour écrire leur propre stratégie. Le rendez-vous de l’histoire se joue dans les rues de Dakar, de Douala, de Kinshasa, où se construit pas à pas une autre géopolitique : celle des peuples décidés à redevenir maîtres de leur destin.
Ce que nous mangeons chaque jour n’est pas anodin : c’est le premier médicament ou le premier poison. Derrière les rayons colorés et les slogans de modernité, une vague d’aliments industriels gagne du terrain en Afrique. Faciles, bon marché en apparence, mais riches en additifs et pauvres en nutriments, ils menacent nos corps autant que notre souveraineté. L’exemple américain montre où mène cette dépendance : explosion de l’obésité, du diabète et des maladies cardiovasculaires. Allons-nous ouvrir grand nos marchés à cette bombe sanitaire, ou choisir de valoriser nos produits locaux, plus sains et plus durables ?
Scènes du quotidien
Dans les rues de Dakar, d’Abidjan, Lagos, Nairobi, ou de Johannesburg, la scène est devenue familière : des enfants partent à l’école un paquet de biscuits sucrés à la main, des travailleurs cassent la croûte avec des nouilles instantanées avalées en vitesse, et des familles entières s’installent le soir devant des boissons gazeuses bon marché. Ces produits emballés, aux couleurs vives et aux prix attractifs, s’imposent peu à peu dans nos habitudes alimentaires. Mais derrière leur côté pratique se cache une réalité inquiétante : ils appartiennent à la catégorie des aliments ultra-transformés.
Qu’appelle-t-on aliments ultra-transformés?
Les chercheurs utilisent la classification NOVA pour mettre les aliments dans quatre catégories, de l’aliment brut à l’ultra transformé. Les aliments ultra-transformés (AUT) vont bien au-delà d’une simple transformation (cuisson, congélation, fermentation) : ils contiennent des ingrédients « sans usage culinaire domestique » comme les arômes artificiels, émulsifiants, colorants, édulcorants ou amidons modifiés. Leur texture et leur goût sont conçus pour séduire et prolonger la conservation, mais au prix d’une rupture avec la nature même de l’aliment. Sodas, plats prêts à réchauffer, snacks industriels, viandes reconstituées, céréales sucrées : ce sont les nouveaux envahisseurs de nos assiettes.
Le problème ne réside pas seulement dans la teneur en sucre, sel ou graisses saturées. La transformation industrielle elle-même — qui détruit la structure naturelle des aliments — provoque une digestion trop rapide, des pics de glucose et d’insuline, une sensation de faim accrue. Certains additifs modifient le microbiote[2] intestinal et favorisent l’inflammation chronique. À long terme, c’est tout l’équilibre métabolique qui est compromis.
Les enjeux pour l’Afrique : nutrition et souveraineté
Pourquoi ce constat venu des États-Unis doit-il alerter l’Afrique ? Parce que nos marchés sont devenus la cible privilégiée des multinationales agroalimentaires. Elles vendent l’ultra-transformé comme modernité, accessibilité et convivialité, alors qu’il prépare en réalité une crise sanitaire majeure. Si nous laissons s’installer sans régulation l’invasion de ces produits, nous aurons demain les mêmes maladies que le Nord, avec des systèmes de santé beaucoup moins capables d’y faire face.
La résistance passe par la souveraineté alimentaire. Préserver nos traditions culinaires, valoriser le mil, le fonio, le manioc, les légumes à feuilles, les fruits tropicaux, ce n’est pas de la nostalgie : c’est de la stratégie[3]. Produire et consommer local, soutenir nos paysans et nos industries agroalimentaires régionales, c’est investir dans une alimentation saine et durable. C’est aussi affirmer que nos assiettes ne doivent pas être dictées par les intérêts financiers des autres.
L’exemple américain est un avertissement : la dépendance aux aliments ultra-transformés fabrique des sociétés malades. L’Afrique a le choix. Ouvrir ses marchés à cette vague industrielle, ou protéger sa santé et son avenir en misant sur une alimentation enracinée dans ses terroirs. Car au fond, c’est une évidence trop souvent oubliée : notre santé est dans notre assiette.
[1] Debras, C., Srour, B., Chazelas, E., Julia, C., Kesse-Guyot, E., Allès, B., … & Touvier, M. (2022). Aliments ultra-transformés, maladies chroniques, et mortalité : résultats de la cohorte prospective NutriNet-Santé. Cahiers de Nutrition et de Diététique, 57 (3), 222-234.
[2] Un microbiote est l’ensemble des micro-organismes – bactéries, virus, parasites et champignons non pathogènes, dits commensaux – qui vivent dans un environnement spécifique
[3] Crenn, C., Gobatto, I., Ndiaye, A., Tibère, L., Seye, M., & Ka, A. (2023). Alimentation, environnement et santé : l’Afrique au cœur des changements globaux contemporains. Introduction. Anthropology of food, (17).
La diaspora, de bailleur informel à acteur souverain
Depuis des décennies, les transferts des Sénégalais de l’extérieur constituent la véritable planche de salut de l’économie nationale. Selon le rapport 2023 de la BCEAO, les transferts des Sénégalais de l’extérieur se sont élevés à 1 818 milliards FCFA, en progression par rapport à 2022. L’essentiel provient de l’Europe (75,2 %), loin devant les États-Unis (7 %), la CEMAC (7 %) et l’UEMOA (2,5 %). Or, cette relative faiblesse des fonds venus d’Amérique interroge, compte tenu du poids démographique et économique de la communauté sénégalaise installée outre-Atlantique. De plus, près de 78 % de ces envois restent orientés vers la consommation courante, ce qui souligne l’enjeu : comment transformer cette manne en levier d’investissement productif et souverain ? En proposant les Diaspora Bonds, le Premier ministre tente un saut qualitatif : il ne s’agit plus seulement de capter des fonds, mais d’impliquer les expatriés dans des projets stratégiques, avec des parts sociales et un rôle décisionnel. Ce passage du « soutien » à « l’investissement » est une révolution silencieuse qui redéfinit le lien entre la diaspora et l’État.
Ce geste dépasse la simple ingénierie financière. Il est un acte de souveraineté, car il vise à substituer aux financements conditionnés du FMI ou de la Banque mondiale une ressource endogène, plus stable et plus libre. Dans un monde où la dette reste l’instrument privilégié de la domination néocoloniale, mobiliser l’épargne de la diaspora revient à transformer la dépendance en puissance.
De la dette imposée à l’épargne souveraine : la voie de la diaspora
L’expérience comparée du Sénégal, de l’Éthiopie et du Rwanda met en lumière un enjeu central : l’Afrique ne pourra pas éternellement financer ses ambitions par la dette extérieure ni par les aumônes conditionnées des bailleurs internationaux. Tant que nos budgets dépendront des décaissements du FMI, des « appuis budgétaires » de l’Union européenne ou des prêts de la Banque mondiale, nos indépendances resteront prisonnières d’une camisole financière.
C’est pourquoi l’appel de Milan résonne au-delà du seul Sénégal : il interpelle l’ensemble du continent. L’Éthiopie a démontré qu’un peuple pouvait se dresser pour financer un projet de souveraineté — son Grand barrage sur le Nil — sans attendre l’aval de Washington ou de Bruxelles. Le Rwanda, malgré son autoritarisme, a prouvé qu’un État pouvait mobiliser efficacement sa diaspora[1]. Le Sénégal, lui, a la possibilité d’inventer une voie singulière : associer la diaspora non comme un supplétif, mais comme un partenaire stratégique dans un projet démocratique et transparent.
Justice et finances publiques : la rhétorique du redressement
Le deuxième axe du discours milanais est la justice. Non pas la justice comme slogan, mais comme levier de crédibilité. Ousmane Sonko sait que l’édifice de son plan de redressement économique repose sur une confiance nouvelle entre l’État et ses citoyens — diaspora incluse. En martelant qu’aucun crime financier ne sera classé sans suite, il oppose à la culture de l’impunité un principe de reddition des comptes. Cette approche est éminemment politique : la justice financière devient la preuve tangible que l’argent public ne sera plus capté par une élite, mais réorienté vers l’intérêt général.
Cette vision rejoint la dimension budgétaire : réduire le train de vie de l’État, centraliser les marchés publics, ramener le déficit à 3 % d’ici 2027. Ici encore, l’analyse impose la nuance : Sonko ne fait pas que dénoncer la mauvaise gestion passée, il tente d’installer une discipline budgétaire comme condition préalable de la souveraineté. La diaspora est ainsi appelée à investir dans un État qui promet d’être enfin responsable, transparent et équitable.
Un contrat social en recomposition
L’appel de Milan ne se réduit ni aux chiffres ni aux slogans. Il s’inscrit dans une recomposition plus large du contrat social sénégalais. En affirmant que les postes de responsabilité doivent désormais se distribuer selon la compétence et non le militantisme, le Premier ministre pose une rupture culturelle avec les logiques clientélistes qui ont marqué la vie publique. Le discours va plus loin : il demande à la diaspora de participer non seulement par son argent, mais aussi par son expertise, sa rigueur et sa capacité à maintenir le débat public sur les questions de fond — économie, agriculture, santé — plutôt que sur les faits divers médiatisés.
C’est là que l’analyse politique prend tout son sens : le projet du Premier ministre Ousmane Sonko n’est pas seulement un plan de redressement économique, il est un projet civilisationnel. Le développement est présenté comme un travail sur les mentalités, une élévation culturelle, une réhabilitation de la solidarité nationale. Milan devient le théâtre d’un appel à la « refondation par le haut », où la diaspora, souvent considérée comme périphérique, est replacée au centre de la dynamique nationale.
[1] Rustomjee, C. (2018). Issues and challenges in mobilizing African diaspora investment.
Le 1er août 2025, à Dakar, le gouvernement du Sénégal a lancé le Plan de redressement économique et social (PRES), connu sous le nom de Jubbanti Koom – littéralement, « remettre debout l’économie ». Ce projet, présenté par le Premier ministre Ousmane Sonko dans le sillage de la « Vision 2050 » du président Bassirou Diomaye Faye, n’a pas été conçu comme un simple ajustement comptable. Il répond à un double impératif : affronter l’héritage désastreux laissé par le régime précédent, marqué par une dette dépassant les 118 % du PIB, et inventer un modèle de développement véritablement souverain. La presse nationale et internationale, de la BBC au Monde, a souligné son caractère inédit : il s’agit d’un plan qui entend financer 90 % de ses besoins par des ressources internes, sans recourir à de nouveaux endettements. Autrement dit, le gouvernement a choisi d’assumer l’audace d’un chemin difficile : celui de la souveraineté fiscale.
Héritages coloniaux : un impôt sans contrat social
Pour comprendre la portée de ce choix, il faut rappeler que l’impôt a longtemps été perçu en Afrique comme un instrument d’oppression plutôt que comme un outil de justice. Pendant la colonisation, il n’était pas au service d’un idéal démocratique : il visait à remplir les caisses de la métropole, à financer l’administration coloniale, l’appareil coercitif et à contraindre les paysans à l’économie monétaire. Payer l’impôt, c’était nourrir un État prédateur qui ne redistribuait rien, sinon la répression. C’est pourquoi la mémoire de l’impôt reste associée à la spoliation et à l’humiliation. Or, c’est précisément ce rapport qu’il faut transformer aujourd’hui.
Un État qui taxe le pain du pauvre mais exonère le champagne du riche n’est pas neutre : il est complice. La fiscalité coloniale a légué un système régressif où la charge pèse sur les consommateurs et les petites entreprises, tandis que les grandes fortunes et les multinationales bénéficient d’exonérations ou d’arrangements. Ainsi, loin de corriger les inégalités, l’impôt en a longtemps été le vecteur. Revenir à une conception juste de l’impôt, c’est donc rompre avec cette histoire de prédation pour réhabiliter l’impôt comme contrat social.
L’impôt comme fondement de souveraineté
Le PRES repose sur une intuition simple mais révolutionnaire : il n’y a pas de souveraineté sans souveraineté fiscale. Un État qui ne peut lever l’impôt sur son territoire est un État vassalisé. Sans ressources domestiques, il dépend de bailleurs de fonds qui imposent leurs priorités : baisse des dépenses sociales, dérégulation, privatisations. En clair, l’austérité permanente devient la seule politique possible. C’est pourquoi la dette étrangère est souvent la conséquence directe de notre incapacité à lever l’impôt chez nous.
Le gouvernement sénégalais a pris le contre-pied de cette logique. Le PRES affirme la volonté de mobiliser l’épargne nationale et celle de la diaspora, de renégocier les contrats miniers, de récupérer les dividendes des entités publiques et d’élargir l’assiette fiscale. Loin d’être une fuite en avant, cette orientation place l’État au centre de la transformation économique. Car un plan sans réforme fiscale n’est qu’une coquille vide.
Fiscalité et transformation structurelle
Ce plan ne réduit pas l’impôt à une mécanique de collecte. Il en fait un instrument de transformation. Taxer les rentes minières et foncières, c’est financer l’école publique et la santé ; élargir l’assiette aux plateformes numériques et aux services financiers, c’est capter la richesse là où elle circule réellement. Une fiscalité écologique peut sanctionner les activités polluantes et financer la transition énergétique. Mais l’essentiel est ailleurs : plus on a, plus on contribue. C’est ce principe de progressivité qui fait de l’impôt non pas une punition, mais une contribution équitable.
Aujourd’hui, le petit commerçant du quartier paie proportionnellement plus d’impôts que la multinationale qui l’écrase. Voilà l’injustice fiscale à laquelle il faut mettre fin. Quand les riches échappent à l’impôt, ce sont les pauvres qui financent l’État. Et une fiscalité régressive, ne craignons pas les mots, est un vol organisé contre les classes populaires.
Briser le piège du “réalisme économique”
On nous dit souvent que ces ambitions sont irréalistes. Mais qui sont les vrais utopistes, sinon ceux qui croient qu’un pays peut se développer en sacrifiant sa jeunesse au chômage, ses paysans à la misère et ses travailleurs à la précarité ? Le vrai réalisme, c’est de reconnaître que sans un État stratège et un système fiscal équitable, aucune transformation structurelle n’est possible. La souveraineté commence par la fiscalité : qui décide qui paie, combien et pour financer quoi ?
Ainsi conçu, l’impôt devient une arme politique. Il traduit dans les chiffres une orientation idéologique : faire contribuer ceux qui profitent de l’économie nationale, au lieu d’écraser ceux qui en subissent déjà les déséquilibres. Taxer la rente, ce n’est pas punir la réussite, c’est récompenser la justice.
Un enjeu panafricain
Mais la bataille fiscale ne peut se mener uniquement au niveau national. Tant que chaque pays africain joue en solo, les multinationales gagnent. Elles exploitent le dumping fiscal et déplacent artificiellement leurs bénéfices vers les juridictions les plus complaisantes. L’unité fiscale africaine, c’est plus efficace qu’un millier de discours souverainistes. Harmoniser la fiscalité entre États voisins, c’est briser le chantage permanent des firmes qui menacent de se délocaliser. C’est aussi créer les conditions d’un financement autonome du développement continental.
Pas de justice sociale sans justice fiscale, et pas de justice fiscale sans solidarité africaine. L’unité fiscale panafricaine est la condition pour que l’Afrique sorte enfin de son rôle assigné de réservoir de matières premières. Le lancement du PRES a marqué une rupture. En réhabilitant l’impôt comme levier de souveraineté et instrument de justice, le Sénégal s’inscrit dans une trajectoire qui dépasse la simple gestion de la dette. Ce choix est politique autant qu’économique. Il fait de l’impôt non pas une camisole coloniale, mais une clé pour transformer l’économie, renforcer l’État social et refonder le contrat citoyen.
En définitive, un État qui fait payer les pauvres et exonère les riches n’est pas neutre : il prend parti pour les dominants. En inversant cette logique, le Sénégal peut montrer qu’il existe une autre voie : celle où l’impôt n’est plus une spoliation, mais la pierre angulaire d’une société solidaire, égalitaire et souveraine.
Les troubles du sommeil sont devenus une véritable épidémie moderne. Stress, surmenage, usage excessif des écrans, rythmes de travail décalés, bruit et pollution lumineuse perturbent nos nuits. À ces facteurs environnementaux s’ajoutent des pathologies spécifiques comme l’insomnie chronique, l’apnée du sommeil, ou encore le syndrome des jambes sans repos[1]. Selon des travaux épidémiologiques récents, environ 10 % des adultes souffrent d’un véritable trouble de l’insomnie, tandis qu’un adulte sur cinq présente régulièrement des symptômes d’insomnie occasionnelle[2]. Ces difficultés de sommeil ont un impact direct sur la concentration, l’humeur, la productivité et, à long terme, la santé cardiovasculaire et métabolique.
La clé réside dans l’hygiène du sommeil, que les spécialistes appellent aussi « hygiène circadienne ». Il s’agit de retrouver une régularité : se coucher et se lever à heures fixes, même le week-end ; bannir les écrans au moins une heure avant de se coucher ; privilégier des activités calmes en soirée ; créer un environnement propice (silence, obscurité, température autour de 18 °C). Mais il faut aussi rappeler que, dans nos sociétés, ces conditions idéales sont étroitement corrélées aux conditions matérielles de vie : l’espace du logement, la qualité de l’habitat, le niveau de bruit ou encore la sécurité du quartier influencent directement la possibilité de bien dormir. L’alimentation joue aussi un rôle : éviter l’excès de caféine, d’alcool et de repas lourds avant le coucher. L’activité physique régulière, pratiquée dans la journée, améliore la qualité du sommeil, mais une séance intense tard le soir peut avoir l’effet inverse.
Un enjeu de société
Le sommeil ne relève pas seulement de la responsabilité individuelle. Dans un monde où le travail de nuit, la connectivité permanente et la pression de la performance dictent les rythmes de vie, mal dormir est devenu presque normalisé. Pourtant, c’est une question de santé publique. Les politiques de prévention devraient intégrer le sommeil au même titre que la nutrition ou l’activité physique. Mieux dormir, c’est vivre plus longtemps, mais aussi mieux vivre chaque jour.
Il est temps de considérer le sommeil comme un droit fondamental de santé, et non comme un luxe. Dormir n’est pas perdre du temps : c’est investir dans la clarté de l’esprit, la vitalité du corps et la sérénité de l’existence.
[1] Le syndrome des jambes sans repos (impatiences) se traduit par des picotements et un besoin de mouvement des jambes, survenant plutôt le soir et la nuit.
[2] Morin, C. M., & Jarrin, D. C. (2022). Epidemiology of insomnia: prevalence, course, risk factors, and public health burden. Sleep medicine clinics, 17(2), 173-191.
Inspiré d’une note de recherche que j’ai réalisée pour le Groupe de travail Afrique du PGE, cet article revient sur l’Éthiopie et son destin politique et économique.
Le 9 septembre 2025, l’Éthiopie a inauguré le Grand barrage de la Renaissance (GERD) sur le Nil Bleu, au terme de quatorze années de travaux. Ce n’est pas seulement l’inauguration d’un ouvrage hydroélectrique de 5 150 mégawatts (MW), le plus puissant d’Afrique. C’est la célébration éclatante d’un choix politique : celui d’un volontarisme souverainiste, qui a refusé l’injonction du statu quo et la dépendance aux financements extérieurs pour affirmer la maîtrise nationale sur une ressource vitale. À cette occasion, le Premier ministre Abiy Ahmed a salué une victoire historique de l’unité et de la dignité éthiopiennes, rappelant que ce barrage est l’œuvre du peuple, bâti grâce à son effort et à sa ténacité.
Un projet de souveraineté face aux résistances
Lorsque l’ancien Premier ministre Meles Zenawi (1955-2012) lança le projet en 2011, rares étaient ceux qui croyaient l’Éthiopie capable de mobiliser seule les fonds nécessaires. La Banque mondiale et de nombreux bailleurs se sont dérobés, au nom d’un prétendu « risque régional ». Qu’à cela ne tienne : l’État éthiopien organisa une collecte nationale, mobilisa sa diaspora, imposa des contributions aux fonctionnaires. En somme, il fit de ce barrage une entreprise collective, financée par l’effort du peuple. Ce fut un acte de souveraineté, un pied de nez à ceux qui pensaient que l’Afrique devait rester sous perfusion financière internationale.
Ce projet n’est pas une exception isolée : il s’inscrit dans une trajectoire politique plus large. Depuis le Growth and Transformation Plan lancé au début des années 2010, l’Éthiopie a multiplié les grands chantiers : routes, voies ferrées, parcs industriels, universités, infrastructures électriques. Ces choix relèvent d’un véritable « étatisme développementaliste », inspiré de la Chine, qui mise sur la planification et la mobilisation interne plutôt que sur le marché livré à lui-même.
Ce volontarisme s’est nourri d’une contrainte : celle d’un géant démographique de plus de 120 millions d’habitants, dont la jeunesse appelle des réponses rapides en matière d’énergie, d’emplois, d’urbanisation. Le GERD est donc la pièce maîtresse d’un pari : transformer une croissance démographique en dividende économique, grâce à l’électricité bon marché et à l’intégration régionale par l’exportation d’énergie.
Un colosse énergétique aux promesses multiples
Le Grand barrage de la Renaissance impressionne par ses dimensions titanesques. Haut de 145 mètres et long de près de 1,8 km, il retient un réservoir d’une capacité de 74 milliards de mètres cubes, soit presque l’équivalent du volume du lac Léman multiplié par cent. Avec ses 6 450 mégawatts installés, il devient la plus grande centrale hydroélectrique d’Afrique et l’une des vingt premières au monde.
Les avantages attendus sont considérables : d’abord, offrir l’électricité à des millions d’Éthiopiens qui en étaient privés jusque-là, réduisant ainsi la dépendance aux énergies fossiles et au bois de feu. Ensuite, exporter l’énergie excédentaire vers le Soudan, Djibouti ou le Kenya, ce qui renforcera l’intégration économique régionale et générera des devises précieuses. Enfin, stabiliser l’approvisionnement énergétique des villes et des industries, condition indispensable à l’industrialisation et à la création d’emplois. Pour un pays dont la majorité de la population reste rurale et jeune, cet accès à l’électricité constitue une promesse de transformation radicale.
Le symbole d’une renaissance africaine
Aujourd’hui, alors que les turbines du barrage s’apprêtent à alimenter non seulement l’Éthiopie, mais aussi les pays voisins, le GERD incarne quelque chose de plus grand qu’un équipement énergétique. Il est le symbole d’une nation qui se projette au-delà de ses divisions internes, dans un contexte pourtant marqué par des guerres civiles et des tensions régionales. C’est l’un des rares projets qui suscitent un consensus national, réconciliant temporairement un pays fracturé.
L’inauguration du barrage de la Renaissance n’est donc pas seulement un moment éthiopien : c’est une leçon adressée à tout le continent. Elle rappelle que la souveraineté se conquiert, qu’elle s’exerce par des actes concrets, et que l’Afrique ne peut se contenter d’être un « musée pour touristes », selon la formule ironique de Meles Zenawi.
À l’heure où les défis énergétiques, démographiques et climatiques frappent de plein fouet nos pays, l’exemple éthiopien montre que le volontarisme politique, lorsqu’il s’appuie sur le peuple et assume les conflits qu’il suscite, peut transformer le destin d’une nation. Le GERD est plus qu’un barrage : il est la preuve que la Renaissance africaine peut être une réalité, à condition d’oser la souveraineté.
La santé est au cœur de l’idéal de justice sociale. Elle n’est pas seulement un état biologique ou l’absence de maladie : elle renvoie à la possibilité pour chaque individu de mener une vie digne, libre et productive. Dans une société sénégalaise, marquée par une croissance démographique rapide, une jeunesse nombreuse et un double fardeau épidémiologique — maladies infectieuses persistantes et montée des pathologies chroniques —, penser la justice dans le champ de la santé est une nécessité politique autant qu’éthique. Elle exige de répondre à une question fondamentale : comment allouer équitablement des ressources rares face à des besoins immenses et différenciés ?
Les réflexions philosophiques sur la justice distributive, qu’il s’agisse de John Rawls,[1] Amartya Sen[2] ou des débats contemporains sur la santé comme bien fondamental, trouvent ici une résonance particulière. Car au-delà des concepts abstraits, ce sont des vies qui sont en jeu : des femmes qui meurent encore en couches, des enfants dont la survie dépend d’un vaccin ou d’une moustiquaire, des malades du cancer condamnés faute de traitement abordable. C’est à l’épreuve de ces réalités que se mesure la capacité d’un pays à faire de la santé un droit et non un privilège.
La santé comme besoin fondamental et enjeu de justice
La justice sanitaire ne peut se réduire à l’égalité formelle d’accès aux soins : elle implique une répartition équitable des ressources, des chances et des déterminants sociaux de la santé. Au Sénégal, où la population a été multipliée par six depuis l’indépendance et dépasse 18 millions d’habitants, ce défi prend une dimension démographique et politique cruciale. Les besoins sont immenses, portés par une société jeune (43 % de moins de 15 ans), confrontée à la fois aux maladies infectieuses persistantes et à la montée des maladies chroniques.
Dans ce contexte, la justice sanitaire ne saurait consister à « donner à chacun la même chose », mais bien à allouer les ressources selon les besoins différenciés, en tenant compte des vulnérabilités sociales, territoriales et épidémiologiques. C’est la traduction pratique du principe « à chacun selon ses besoins », mais enrichi d’une approche pluraliste et contextuelle.
Les paradoxes sénégalais : progrès globaux, inégalités persistantes
Le Sénégal a connu de réelles avancées : baisse de la mortalité infantile (de 129 ‰ en 2000 à 40 ‰ en 2022), réduction de la mortalité maternelle, extension de la vaccination. Mais ces succès masquent des fractures profondes : disparités régionales (sud-est plus touché par le paludisme, déficit d’infrastructures dans le centre et l’est), poids écrasant des paiements directs des ménages (45 à 50 % des dépenses totales de santé), et couverture sociale encore limitée malgré la CMU.
La justice en santé est ici compromise par deux logiques contradictoires : d’un côté, l’affirmation politique d’une universalité des droits ; de l’autre, une réalité de marché et de survie où la pauvreté détermine encore l’accès aux soins. L’« Initiative de Bamako » et le recouvrement des coûts ont longtemps aggravé ces inégalités, tandis que les programmes de gratuité ciblée (césariennes, enfants de moins de 5 ans) restent fragiles et mal financés.
Les cancers illustrent ce paradoxe : 8 000 à 10 000 nouveaux cas par an, plus de 6 000 décès, souvent faute de diagnostic précoce et de moyens thérapeutiques. Le cancer devient un révélateur d’injustice, frappant plus durement les pauvres et les femmes, tandis que les riches se tournent vers le privé ou l’étranger.
Vers une justice sanitaire souveraine et inclusive
Construire la justice en santé au Sénégal suppose d’abord un rééquilibrage du financement. La part budgétaire publique consacrée à la santé oscille entre 6 et 8 % du budget national, bien en deçà de l’engagement d’Abuja qui fixe un objectif de 15 %. Tant que cette faiblesse perdurera, les ménages continueront de supporter une charge écrasante, avec plus de 40 % des dépenses de santé payées directement de leur poche. Renforcer le financement public et réduire la dépendance aux paiements directs est donc une condition de justice, car la pauvreté ne devrait pas décider de l’accès aux soins.
Cette refondation passe aussi par une territorialisation plus équitable de l’offre de soins. Le modèle des districts sanitaires, souvent présenté comme une réussite sénégalaise, doit être renforcé en moyens humains, en équipements et en infrastructures. L’injustice territoriale se mesure dans l’inégale répartition des médecins, dans l’absence de plateaux techniques en dehors de Dakar, ou encore dans la difficulté pour les zones rurales d’accéder aux soins obstétricaux ou aux traitements spécialisés comme la chimiothérapie. Penser la justice en santé, c’est donc aussi rapprocher les soins des populations, en garantissant la qualité jusque dans les périphéries les plus éloignées.
Enfin, la justice sanitaire ne saurait être conçue sans un choix politique clair : faire de la santé un droit fondamental, et non une marchandise ou une assistance ponctuelle. La Couverture Maladie Universelle (CMU), lancée en 2013, doit être repensée pour dépasser son caractère fragmenté et ses financements précaires. Elle ne peut se limiter à quelques gratuités ciblées, mais doit s’inscrire dans une logique de protection universelle, soutenue par un financement pérenne et une gouvernance démocratique. C’est à ce prix que la santé deviendra non seulement un droit garanti, mais aussi un instrument de souveraineté nationale et de dignité collective.
[1] Rawls, J. (2001). Justice as Fairness: A Restatement. Cambridge, MA : Harvard University Press
[2] Sen, A. (1999). Development as Freedom. New York: Knopf
La première lecture est limpide : deux ministres régaliens, protégés jusque-là par le Président, mais peu enclins à suivre la ligne gouvernementale, ont été écartés. Déthié Fall, maître Bamba Cissé et madame Rose Faye proches du Premier ministre Ousmane Sonko, s’installent dans des postes stratégiques. C’est une clarification politique : le Premier ministre s’affirme comme un acteur central, en mesure d’orienter la composition de l’équipe gouvernementale et de donner toute leur place aux alliés qui portent la vision du PASTEF. Madame Yacine Fall, pour sa part, quitte le ministère de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères pour celui de la Justice. Sa méconnaissance du secteur judiciaire peut la pousser à agir sur un terrain éminemment politique, celui où il s’agit de dépasser les logiques corporatistes pour répondre à une exigence sociale brûlante. Elle sera jugée par une opinion qui attend avant tout que justice soit rendue aux victimes de la répression des années Macky Sall, ces inconsolés, dont les blessures, demeurent ouvertes, et que l’institution judiciaire retrouve enfin fermeté et crédibilité. Reste à savoir si elle trouvera la stature nécessaire pour incarner cette mission redoutable.
L’urgence d’accélérer
Dans son discours, le PM Ousmane Sonko a décliné les chantiers : réforme de la justice, rationalisation de l’administration, mise en œuvre du plan de redressement économique, recentrage des infrastructures, valorisation de la culture et du tourisme. L’ambition est là, la vision aussi. Mais un problème persiste : la lenteur du processus décisionnel, illustrée par le temps interminable mis à effectuer ce remaniement. Il aurait dû intervenir dans la foulée de la présentation du Plan de redressement économique, pour donner immédiatement de la cohérence et de la force à la nouvelle orientation. Peut-on se contenter de « se hâter lentement » quand la jeunesse réclame du travail, quand les citoyens demandent justice, quand l’économie tangue et que la place du Sénégal dans le concert des nations reste à définir ? Non. Il faut accélérer, trancher, décider vite et fort.
La nomination de Cheikh Niang, diplomate de carrière, au ministère de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères illustre une volonté de professionnaliser l’action extérieure du Sénégal, mais elle ne saurait suffire à elle seule. Avoir un homme d’expérience, rompu aux usages des chancelleries et aux arcanes des négociations internationales, est un atout certain ; encore faut-il qu’il serve une orientation claire, une ligne souveraine assumée et une doctrine lisible. La politique étrangère ne peut se réduire à l’expertise technique, elle exige une vision politique. Et cette vision, parce qu’elle touche au cœur des prérogatives régaliennes, doit être déclinée par le Président de la République lui-même. Il doit nous dire quelle place il entend donner au Sénégal dans la sous-région, en Afrique et dans le monde. Pour ma part, je ne suis pas convaincu par cette nomination : ce que nous attendons, ce n’est pas la simple reconduction de la diplomatie des couloirs, mais une vision stratégique qui réponde aux volontés de changements radicaux qui ont porté PASTEF au pouvoir. Ce pays n’a pas besoin d’une résurrection de la diplomatie senghorienne, mais d’une parole souveraine, ancrée dans le projet panafricain et dans les aspirations profondes de son peuple.
PASTEF : sortir du silence et structurer l’offensive
Au-delà du gouvernement, le PASTEF lui-même doit sortir de sa torpeur. Le remaniement aurait pu être plus profond si le parti s’était imposé comme une force organisée et offensive. Or, en politique, rien ne s’offre : il faut des rapports de force, une organisation stratégique, une capacité à peser. Les pétitions de principe ne suffisent plus. PASTEF doit être à l’avant-garde, en dialogue constant avec la société, un laboratoire d’idées et une véritable école de formation de cadres. Car on ne peut pas compter sur la haute fonction publique pour révolutionner le Sénégal : elle n’est pas formatée pour cela, elle a été façonnée par des décennies de continuité bureaucratique et de compromis avec l’ordre établi. Si nous voulons incarner le changement radical attendu par le peuple, c’est au parti de produire la pensée, les ressources humaines et la force d’entraînement nécessaires pour transformer l’État et non l’inverse.
Une communication qui brouille le signal de l’État
Quant à la communication présidentielle, elle pose un vrai problème. Annoncer en grande pompe un remaniement « imminent », puis laisser passer une heure sans donner la moindre information, avant de le dévoiler tard dans la soirée renvoie à une image de tâtonnements. Les programmes de la RTS ont même été interrompus pour maintenir ce suspense artificiel… Résultat : un sentiment d’improvisation. Cela rappelle fâcheusement certaines pratiques de l’ère Wade. Entre nous, on ne peut pas dire que quelque chose est imminent et laisser le pays dans le flou une heure plus tard, un samedi de surcroît. Un moment creux de l’agenda médiatique, sans émissions politiques phares, sans journaux du dimanche pour relayer ou analyser. Si l’objectif était aussi de lancer un signal à l’opinion, le choix du timing est des plus maladroits. La communication présidentielle doit éviter de transformer un remaniement ministériel en psychodrame national. La RTS n’est pas une chaîne privée en quête d’audience ni une chaîne YouTube obsédée par les clics : elle doit incarner la solennité de l’État, pas la parodie.
Le 6 septembre a marqué un tournant pour le Premier ministre Ousmane Sonko, qui sort renforcé de ce premier remaniement. Mais l’essentiel reste à venir : il s’agit désormais de transformer ce réajustement politique en efficacité gouvernementale. Les Sénégalais n’attendent pas des symboles, mais des résultats concrets. L’heure n’est plus à différer ou temporiser : il faut démontrer, par l’action et par la constance, que ce gouvernement est véritablement celui du travail et de la réforme.