Face à Woodside Energy, le Sénégal ne doit pas fléchir

L’actuel contentieux opposant l’État du Sénégal à la multinationale australienne Woodside Energy, autour d’un redressement fiscal de 41 milliards de F CFA (62,5 millions d’euros), est plus qu’un différend technique : il révèle la ligne de fracture entre un gouvernement qui veut défendre l’intérêt général et un capitalisme extractif qui refuse toute redevabilité. Cette affaire dépasse le seul cadre des hydrocarbures. Elle engage une bataille de principe : celle du droit pour une nation souveraine de prélever l’impôt sur les revenus générés sur son sol, contre les tentatives de contournement systémique orchestrées par les multinationales habituées à dicter leurs conditions aux États.

Ne cédons pas aux premières bourrasques. Derrière les mises en garde de certains analystes, les appels à la prudence du secteur privé, et les soupirs de soulagement des investisseurs se cache une exigence à peine voilée : reculer, s’agenouiller, renoncer à la justice fiscale au nom de la « confiance des marchés ». Mais quelle confiance construire sur le déni d’impôt ? Que vaut une attractivité économique si elle repose sur l’évasion fiscale, sur l’affaiblissement volontaire de nos capacités budgétaires ? À l’heure où nos écoles manquent de bancs, nos hôpitaux d’oxygène, nos campagnes de dispensaires, il serait immoral de céder à ceux qui refusent de contribuer à l’effort national.

Tribunaux arbitraux : la loi des plus forts contre les droits des peuples

Le Sénégal a raison de réclamer des comptes. En aucun moment, la firme Woodside n’a démontré que le montant réclamé ne reflétait pas la réalité de ses obligations. Elle préfère l’intimidation juridique à la transparence comptable. Elle recourt à l’arbitrage international, non pour clarifier un droit, mais pour échapper à une légitimité nationale. Il est temps de dire les choses : les tribunaux comme le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), placé sous l’égide de la Banque mondiale, fonctionnent trop souvent comme des juridictions d’exception, taillées sur mesure pour les multinationales. Ils permettent à ces dernières de contester les choix souverains des États devant une justice privée. L’architecture même de ces procédures, longues, coûteuses, asymétriques, favorise les multinationales au détriment des peuples. Ce sont, au fond, des instruments de spoliation déguisés, façonnés par les intérêts du grand capital et le droit d’exception qu’il s’est octroyé.

L’impôt n’est pas une option : c’est le socle d’un avenir commun

Ce conflit doit servir d’avertissement, non pas au gouvernement, mais à ceux qui croient encore que le développement viendra d’un alignement aveugle sur les intérêts des multinationales. La souveraineté économique se construit par la capacité à imposer, à redistribuer, à planifier — et non à quémander. Le redressement fiscal de Woodside n’est pas une erreur, mais un signal : celui d’un pays qui décide enfin de ne plus être une simple zone de transit pour les profits, mais une terre où ces profits doivent servir à construire un avenir partagé.

Alors oui, il y a des risques. Oui, certains investisseurs vont maugréer. Mais céder aujourd’hui, c’est condamner demain. La véritable attractivité du Sénégal résidera dans sa stabilité démocratique, la qualité de ses institutions, la clarté de son droit, et non dans sa complaisance envers les fraudeurs en col blanc. Gardons le cap. Ne reculons pas. Le combat pour une fiscalité juste n’est pas un luxe idéologique. Il est une urgence vitale. Et ce combat, nous le devons à nos enfants, pas aux actionnaires de Perth.

Avatar de Inconnu

Auteur : Félix Atchadé

Je suis médecin, spécialiste de Santé Publique et d’Éthique Médicale. Je travaille sur les questions d’équité et de justice sociale dans les systèmes de santé. Militant politique, je participe à l'oeuvre de refondation de la gauche sénégalaise.

Une réflexion sur « Face à Woodside Energy, le Sénégal ne doit pas fléchir »

  1. Rien que cette assertion, « la justice fiscale n’est pas négociable » va en l’encontre de la transaction (administration fiscale a le pouvoir discrétionnaire d’accepter ou non) bien connue par les praticiens de la fiscalité que les contribuables font souvent en toute légalité avec l’administration fiscale.

    Avec ce genre d’article, c’est l’image du Sénégal et son attractivité en tant que destination pour les investisseurs étrangers qui en pâtissent.

    Oui à la souveraineté sur nos ressources pétrolières, mais n’oublions pas que le Sénégal n’évolue pas en vase clos. Il fait partie d’un écosystème juridico-financier international régi par des principes et des règles. Agissons dans le respect de ces règles, sans compromettre l’attractivité de notre pays pour les investissements directs étrangers

    J’aime

Laisser un commentaire