De la Banque africaine de développement à une banque pour les Africains ?

L’élection de Sidi Ould Tah à la tête de la BAD a suscité, chez certains, le récit d’un échec diplomatique sénégalais. Une lecture paresseuse, voire opportuniste, si l’on considère le contexte de la candidature d’Amadou Hott, les programmes en présence, et surtout la nécessité de réinterroger le rôle stratégique de la Banque pour le développement du continent.

L’élection d’un nouveau président à la tête de la Banque africaine de développement (BAD) a ravivé les lectures géopolitiques, souvent plus promptes à pointer des « défaites » nationales qu’à interroger le fond. La candidature d’Amadou Hott, présentée par le Sénégal, a été perçue par certains comme un revers diplomatique. C’est oublier qu’elle avait été engagée bien avant l’alternance de mars 2024, sous l’ancien régime, et qu’elle ne traduisait pas la ligne du nouveau pouvoir. Il serait donc réducteur d’en faire un échec sénégalais, d’autant que monsieur Hott visait peut-être davantage une reconnaissance stratégique qu’un poste à tout prix. Dans une élection marquée par des équilibres régionaux et le poids des bailleurs non africains, sa position était d’autant plus délicate que le président sortant, le Nigérian Akinwumi Adesina, est lui aussi originaire d’Afrique de l’Ouest.

Élu le 29 mai 2025, l’économiste mauritanien Sidi Ould Tah, ancien ministre et ex-dirigeant de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA), devient le neuvième président de la BAD. Il prendra ses fonctions le 1er septembre, fort d’une réputation de réformateur pragmatique. Son élection traduit moins une rupture qu’un rééquilibrage en faveur du bloc nord-africain et sahélien.

Continuité technocratique ou rupture stratégique ?

Les programmes des candidats — y compris celui de monsieur Hott — s’articulaient globalement autour des « High 5 » stratégiques de la BAD (électrifier l’Afrique, nourrir l’Afrique, industrialiser l’Afrique, intégrer l’Afrique, améliorer la qualité de vie des Africains). Derrière cette unanimité apparente, pas de divergences de fond : tous ont repris les mantras de la croissance inclusive, des partenariats public-privé, de la compétitivité africaine sur les marchés globaux. Aucun ne s’est positionné en rupture franche avec l’orientation actuelle de la Banque. En ce sens, le scrutin a davantage tranché entre des profils qu’entre des visions.

Chez l’ensemble des candidats en lice, une même orientation s’est imposée : mobilisation des financements privés, sophistication des outils financiers, sécurisation des grands projets d’investissement. Un discours calibré pour rassurer les marchés et les partenaires au développement, mais qui ne remet nullement en cause le paradigme dominant — celui d’un développement guidé par la rentabilité, la solvabilité et les critères des bailleurs. Même le vainqueur du scrutin n’a esquissé aucune remise en question profonde du modèle. On reste dans la gestion, pas dans la transformation.

À quoi sert (vraiment) la BAD, et que pourrait-elle devenir ?

C’est là que le débat devient essentiel. Car la question n’est pas tant de savoir qui dirige la BAD, mais à quoi elle sert, et au service de qui elle se place. Née en 1964 d’un élan panafricain postcolonial, la Banque africaine de développement devait être un levier de souveraineté économique, un outil d’industrialisation endogène et de financement autonome. Elle a, au fil des décennies, intégré des bailleurs non africains, adopté les standards des agences de notation, et converti son langage au lexique technocratique du développement néolibéral. Résultat : les projets doivent être « bancables », les États solvables, les indicateurs alignés sur les normes globales.

Mais quel type d’Afrique cela construit-il ? Une Afrique intégrée aux chaînes de valeur mondiale, mais toujours exportatrice brute de matières premières ? Une Afrique de corridors logistiques, mais sans industries souveraines ni redistribution sociale ? Une Afrique des mégaprojets énergétiques, mais sans pouvoir populaire dans la définition des priorités ? Autant de questions que la BAD n’affronte plus frontalement, et qui appellent à une refondation politique de l’institution.

Une BAD réinventée serait une véritable banque publique continentale, tournée vers la souveraineté alimentaire et énergétique, soutenant l’économie paysanne et informelle plutôt que les mégaprojets vitrines. Elle financerait des politiques sociales ambitieuses et des structures solidaires, en assumant une logique de service public. Sa gouvernance s’ouvrirait aux forces sociales africaines, pour devenir un outil démocratique au service des peuples, et non une simple technocratie financière. Une banque politique, au service d’un projet africain, et non d’un agenda financier importé.

L’élection à la présidence de la BAD est un fait. Elle ne saurait, à elle seule, résumer l’état de la diplomatie sénégalaise ni la dynamique des projets continentaux. L’essentiel est ailleurs : quelles orientations pour la BAD ? Quel développement voulons-nous ? La réponse à ces questions ne viendra pas d’un seul homme, ni d’un scrutin, mais d’une volonté collective de refonder les outils de notre souveraineté.

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Auteur : Félix Atchadé

Je suis médecin, spécialiste de Santé Publique et d’Éthique Médicale. Je travaille sur les questions d’équité et de justice sociale dans les systèmes de santé. Militant politique, je participe à l'oeuvre de refondation de la gauche sénégalaise.

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