
La publication récente d’un communiqué par certaines organisations de la société civile sénégalaise, protestant contre les interdictions de sortie du territoire national imposées à des personnalités de l’ancien régime, témoigne davantage de leur besoin de s’affirmer que de leur véritable engagement pour les droits humains. Sous couvert de défense des libertés, ces organisations semblent surtout préoccupées par la préservation d’une image de contre-pouvoir, un rôle qu’elles peinent de plus en plus à assumer.
Dans leur communiqué du 10 septembre 2024, elles dénoncent le fait que les personnalités concernées par ces restrictions n’auraient pas été préalablement informées des mesures les concernant, ni dotées des moyens de recours nécessaires pour se défendre. Pourtant, il apparaît évident que ces anciens dignitaires, impliqués dans des enquêtes sur leur gestion passée, sont bien au courant des accusations portées contre eux et des procédures en cours. Les mesures conservatoires, telles que l’interdiction de voyager hors du territoire, ne sont donc pas le fruit du hasard, mais bel et bien des réponses légitimes à des enquêtes judiciaires visant à établir la vérité. Dans le cadre d’une enquête préliminaire, un officier de police judiciaire peut décider d’une opposition de sortie de territoire à l’encontre d’une personne contre laquelle pèsent des indices graves et concordants de crime ou de délit et dont l’absence risquerait de compromettre la manifestation de la vérité. La seule condition pour que cette mesure soit valable est qu’elle revête le visa du Parquet.
Droits de la défense et présomption d’innocence
Il est aussi crucial de rappeler que les personnes frappées par ces mesures conservatoires bénéficient de tous les droits inhérents à leur défense. Elles pourront se pourvoir en justice et utiliser tous les recours légaux nécessaires pour faire valoir leurs arguments. De plus, elles sont présumées innocentes tant qu’aucune culpabilité n’a été établie. Cette précision semble pourtant largement absente des réactions outrancières de certains, comme si l’interdiction de quitter le territoire équivalait déjà à une condamnation définitive.
Le plus ironique dans cette affaire, c’est que la reddition des comptes est précisément ce que le peuple sénégalais a réclamé en votant massivement pour un changement de régime le 24 mars 2024. Faut-il rappeler que la lutte contre la corruption et la gestion opaque des affaires publiques était un des principaux points de la campagne électorale ? Il est donc légitime que ceux qui sont aujourd’hui sous le coup d’investigations ne puissent échapper à la justice en prenant un avion pour éviter de rendre des comptes.
Un respect pour les signataires mais un contexte nouveau
Cela étant dit, il convient de souligner que j’ai un profond respect pour les signataires de ce communiqué, notamment pour M. Alioune Tine, président d’Afrikajom Center, dont le combat pour les droits humains et les libertés publiques n’est plus à démontrer. Cependant, il est essentiel de reconnaître que du point de vue des libertés publiques et de la démocratie, nous avons quitté l’ère sombre du régime de Macky Sall. Cette période se caractérisait par une répression tous azimuts, un arbitraire politique, un banditisme administratif flagrant et un mépris des libertés individuelles et collectives. Aujourd’hui, tout ce qui se fait depuis l’installation du nouveau pouvoir du Président Bassirou Diomaye le 2 avril 2024 s’inscrit dans le cadre strict des règles démocratiques. La justice opère selon des principes clairs, respectant les droits de tous, même ceux des anciens gouvernants. Nous avons à la tête de la chancellerie un magistrat qui a été démontré tout au long de sa carrière son attachement au respect des libertés, à la défense des lois et procédures.
La conférence de presse d’Abdoulaye Seydou Sow : un verbe haut et une mémoire sélective
Ce qui frappe particulièrement, c’est la réaction théâtrale de M. Abdoulaye Seydou Sow, ancien ministre de l’Urbanisme sous Macky Sall. Lors d’une conférence de presse, qu’il a organisée avec le verbe haut qui le caractérise, M. Sow a déclaré être prêt à « donner sa vie » pour s’opposer à cette interdiction de sortie du territoire. En faisant de cette mesure une cause noble, il se drape d’un manteau de martyr. Pourtant, il ne s’agit que d’une simple mesure conservatoire liée à une enquête en cours. À l’entendre, on pourrait croire qu’il mène une croisade pour la liberté du Sénégal, alors qu’en réalité, sa colère est alimentée par l’impossibilité de voyager pour assister à un match de football.
Ce n’est pas la première fois que M. Sow s’illustre par des actions aussi inconséquentes. Durant la campagne présidentielle, il avait déjà tenté de s’opposer au rassemblement d’Ousmane Sonko à Kaffrine, en organisant des nervis pour semer le trouble. Cette tentative, tout comme ses déclarations récentes, n’aura finalement abouti qu’à un échec cuisant, incapable de freiner la volonté populaire.
Un enjeu de transparence et de justice
Ce discours de la société civile et de certains anciens dignitaires n’est qu’une diversion face à l’exigence fondamentale de transparence et de justice. Le peuple sénégalais n’a pas voté pour que les anciens gouvernants puissent continuer à se dérober à la justice. Il a voté pour que la lumière soit faite sur les abus et les malversations passées, et cela passe par des enquêtes rigoureuses.
Finalement, cette société civile, au lieu de se concentrer sur la prévention des véritables violations des droits humains, semble surtout s’empresser de défendre ceux qui ont longtemps profité de leurs positions privilégiées, sans pour autant se soucier des droits des citoyens ordinaires. Il est temps de recentrer les priorités : la justice, la transparence et la reddition des comptes ne sont pas des menaces, mais des garanties pour un Sénégal plus juste.
Editorial publié dans le quotidien Yoor Yoor Bi du 12 septembre 2024
