L’élection du président Bassirou Diomaye Faye suscite de grands espoirs chez les Sénégalais. Malgré des mesures applaudies et un début prometteur, la gestion prudente et le déficit d’audace risquent de freiner l’élan de la révolution citoyenne. Le Président et son Premier ministre Ousmane Sonko, forts de leur courage et de leur corpus idéologique, doivent insuffler un nouvel élan de volonté et d’audace pour transformer le Sénégal.

Élu au premier tour de la présidentielle du 24 mars 2024, le président Bassirou Diomaye Faye suscite de grands espoirs parmi les millions de citoyens sénégalais désireux de voir des changements qualitatifs significatifs dans la gestion de l’État et le devenir socio-économique du pays. Cependant, après bientôt trois mois de mandat, un sentiment d’inquiétude commence à se faire sentir. Celui-ci ne porte pas sur la sincérité et la volonté inébranlable du Président de la République et son Premier ministre Ousmane Sonko de tenir leurs promesses. Mais, il existe une crainte de voir la révolution qui a permis la victoire électorale dévoyer en raison de la lenteur mise à contrôler l’appareil d’État. Mettons les choses au clair : beaucoup de mesures prises méritent d’être saluées, mais il nous apparait que la gestion est marquée par une prudence excessive et un déficit d’audace dans la volonté de changement.
Des mesures applaudies, un début prometteur
Il est indéniable que les initiatives du président Faye et de son gouvernement ont été bien accueillies. Le projet de réforme de l’éducation nationale, visant à améliorer les infrastructures scolaires et à moderniser les programmes, ainsi que les efforts pour renforcer la transparence dans la gestion publique, a reçu des éloges. De même, l’apurement de la dette interne due aux acteurs économiques du monde rural est d’excellentes mesures. Elles permettront de créer les conditions optimales d’une bonne campagne agricole. L’agriculture joue un rôle crucial dans l’économie nationale, il est un des moteurs de la croissance et celui qui emploie la plus grande partie de la population active.
Cependant, ces mesures, bien que positives, ne suffisent pas à répondre aux attentes des Sénégalais qui aspirent à des réformes plus profondes et plus rapides. La modernisation de l’administration publique et la lutte contre la corruption, par exemple, avancent à un rythme bien trop lent pour provoquer un véritable changement. Si les Assises de la Justice ont été bien accueillies, il reste qu’il est à craindre qu’à trop insister sur la magistrature et les aspects correctifs et punitifs on en oublie la diversité des sphères qui la caractérise. C’est pourquoi le rapport qui sera remis au président de la République sera scruté avec attention.
Une vraie rupture, mais timide dans ses expressions
La gestion de l’exécutif sénégalais issu de l’élection présidentielle du 24 mars 2024 se caractérise par sa prudence. Qui, compréhensible qu’elle soit, dans le contexte économique difficile que nous a légué la gestion peu scrupuleuse, incompétente et corrompue léguée par l’ancien président Macky Sall, n’en est pas moins problématique. Surtout lorsqu’il s’agit d’engager les réformes nécessaires. Dans le contexte qui est le nôtre, il est étonnant que le programme législatif n’ait pas encore commencé. Cette inaction retarde l’adoption de lois cruciales pour le développement économique et social du pays. De même, on peut s’étonner du retard pris dans la déclaration de politique générale du Premier ministre Ousmane Sonko. Cette déclaration est pourtant essentielle pour définir les priorités du gouvernement et orienter l’action publique. Certes, les députés PASTEF en particulier et le groupe parlementaire Yewwi Askan Wi (YAW) en général sont minoritaires à l’Assemblée nationale, mais l’autorité et le talent politique du Premier ministre Ousmane Sonko peuvent suffire à la création d’une majorité ad hoc en attendant la dissolution de la chambre et la convocation de nouvelles élections.
L’attentisme ne peut être uniquement reproché à l’exécutif. Les députés, les cadres et militants de PASTEF, ceux de la coalition de la « Diomaye Président » ne sont pas exempts de reproches. Il a fallu plus de deux mois au groupe parlementaire YAW pour désigner son président. Ce retard a paralysé le travail législatif et montré un manque de coordination et de leadership. De même, on ne sent pas monter au sein du parti présidentiel une mobilisation de nature à indiquer que le temps presse. Les nouvelles autorités se déplacent peu en région. Porter la volonté de changement nécessite de susciter l’enthousiasme dans tout le pays. Il est nécessaire d’avoir une présence active sur le terrain.
Il est temps de changer certains hommes qui se sont notoirement impliqués dans la répression des Sénégalais sous l’ancien président Macky Sall. Chaque jour supplémentaire passé par ces individus dans leurs fonctions est un affront aux victimes de la répression des années de plomb de Macky Sall. Les tortionnaires de feu François Mancabou continuent de plastronner, et le sniper en tenue de police qui a tiré mortellement sur le jeune Cheikh Wade à Dakar le 8 mars 2021 n’est pas retrouvé.
Le besoin d’audace et de volonté de changement
Pour que le Sénégal puisse réellement progresser, il est impératif que le président Faye adopte une approche plus audacieuse. Il en a le courage, la capacité et le corpus idéologique. Les réformes économiques doivent être plus ambitieuses, visant à diversifier l’économie et à réduire la dépendance aux exportations de matières premières et oukases des institutions financières internationales (Banque mondiale, Fonds monétaire international). Des mesures plus drastiques doivent être prises pour lutter contre la corruption et renforcer l’État de droit. De plus, la réforme de l’administration publique doit être accélérée pour rendre les services plus efficaces et accessibles à tous les citoyens. L’égalité des chances, la justice sociale et la protection des droits de la personne doivent être au cœur du programme politique du président et de son gouvernement.
Sur le plan diplomatique, le Sénégal doit inscrire son souverainisme dans un panafricanisme qui ne se limite pas à l’Afrique de l’Ouest. Il est regrettable que le Sénégal n’ait pas été représenté au plus haut niveau à la prestation de serment du président Cyril Ramaphosa, récemment réélu en Afrique du Sud. Un tel déplacement aurait été l’occasion de se repositionner à la pointe du combat pour les droits du peuple palestinien en s’associant aux initiatives de l’Afrique du Sud en la matière. Une politique étrangère proactive et engagée est essentielle pour renforcer le rôle du Sénégal sur la scène internationale.
L’élection de Bassirou Diomaye Faye suscite de grands espoirs de changement et de progrès pour le Sénégal. L’expérience sénégalaise est observée dans la sous-région, en Afrique et dans le monde entier. Cependant, l’attentisme et la prudence excessive dans la gestion des réformes de l’État risquent de compromettre ces attentes. Pour répondre aux aspirations des Sénégalais et réaliser les engagements de sa campagne, le président Bassirou Diomaye Faye, son Premier ministre Ousmane Sonko et l’ensemble du gouvernement doivent faire preuve de plus d’audace et de détermination dans la mise en œuvre des réformes nécessaires du « Projet ». Sans cela, le Sénégal risque de stagner et de voir s’éloigner les occasions pour améliorer les conditions de vie des Sénégalaises et des Sénégalais et de progrès. Les idées, le volontarisme et l’audace sont les étincelles qui allument puis vivifient les révolutions.
Dr Félix Atchadé
