Liberté de la presse : quand la solidarité de caste brouille la vérité

Deux journalistes ont été brièvement arrêtés après avoir donné la parole à Madiambal Diagne, fugitif au cœur d’un scandale financier. Derrière les indignations de circonstance sur la liberté de la presse se dessine une réalité plus trouble : celle d’une solidarité de caste et d’un État encore prisonnier de ses vieux réflexes autoritaires.

Les interpellations, puis la libération de Maïmouna Ndour Faye (7 TV) et Babacar Fall (RFM) ont déclenché une tempête de réactions indignées, du PDS à la CAP, en passant par Reporters sans frontières et Article 19. Partout, le même refrain : « atteinte à la liberté de la presse ». Mais derrière ce chœur vertueux, la réalité est bien plus complexe. Car ces deux journalistes n’ont pas été inquiétés pour un reportage d’investigation ou un éditorial subversif — mais pour avoir offert, à distance, une tribune à Madiambal Diagne, fugitif recherché dans une affaire de détournements présumés de deniers publics et de blanchiment de capitaux.

Un fugitif au cœur d’un scandale d’État

Rappelons les faits : Madiambal Diagne, ancien président de l’Union internationale de la presse francophone et patron du groupe Avenir Communication (éditeur du Quotidien), est sous le coup d’un mandat d’arrêt international. Selon Jeune Afrique, la justice sénégalaise le soupçonne d’avoir été un maillon clé d’un vaste réseau de surfacturation autour du Programme de modernisation des infrastructures judiciaires (PROMIJ), un marché public de 250 milliards FCFA attribué à la société française Ellipse Projects sans appel d’offres.

Selon les enquêteurs, la SCI Pharaon, société immobilière contrôlée par monsieur Diagne et sa famille, aurait servi de relais pour la sous-traitance et la réception de paiements douteux. Les montants évoqués sont colossaux : plus de 1,17 milliard FCFA auraient transité sur les comptes de son épouse. Depuis sa fuite vers la France, le 24 octobre, il dénonce une « persécution politique », tout en refusant de comparaître devant la justice de son pays.

Ce profil rend d’autant plus troublant le comportement de certains médias. Donner la parole à un homme poursuivi pour association de malfaiteurs et blanchiment de capitaux peut relever du journalisme — si l’intention est d’informer, de confronter les faits, de chercher la vérité. Mais offrir, sans contradiction, une tribune à un fugitif qui s’autovictimise, cela relève davantage de la connivence que de la liberté d’informer.

La presse entre réflexe corporatiste et responsabilité citoyenne

Les descentes de gendarmerie à 7TV et RFM, coupures de signal à la clé, relèvent d’un archaïsme répressif dont il faut se départir. Personne n’en sort grandi : ni l’État, qui se laisse enfermer dans le rôle du censeur, ni les journalistes, qui se parent d’un courage qu’ils n’ont pas démontré. Car ce n’est pas le journalisme d’investigation qui est sanctionné ici, mais une communication intéressée autour d’un homme en fuite.

Derrière les envolées sur la « liberté de la presse », se cache un esprit de caste, cette tendance du milieu médiatique à protéger ses figures, fussent-elles compromises. Les mêmes voix qui dénoncent un « pouvoir liberticide » sont souvent celles qui rechignent à payer impôts et cotisations sociales, ou qui vivent sous perfusion de conventions publiques signées avec les régimes successifs. Autrement dit : on veut les avantages de la presse d’État sans en assumer les devoirs.

L’indépendance n’est pas qu’une vertu ; c’est aussi une conquête économique. Elle suppose un lectorat prêt à payer le prix de la vérité, non celui du vacarme. Ce n’est pas facile, j’en conviens, mais c’est nécessaire — car sans ce socle, la liberté n’est qu’un mot vide, offert à toutes les récupérations.

Sortir des pièges : lucidité et professionnalisme

La tentation est grande, pour le pouvoir, de répondre à ces provocations par la répression. Ce serait une erreur politique et symbolique. Les mauvais réflexes d’un État postcolonial — la descente policière, la coupure de signal, l’arrestation musclée — ne font que nourrir la narration d’une « dérive autoritaire ». C’est précisément ce que recherchent certains acteurs : transformer une faute professionnelle en posture de martyr politique.

L’enjeu, aujourd’hui, est d’élever le débat. Plutôt que de s’épuiser à traquer les chroniqueurs des réseaux sociaux, équivalents modernes des piliers de comptoir et des animateurs de grand-place, il faut renforcer la culture politique, l’éducation civique et la conscience professionnelle.

Car la vraie bataille de la démocratie ne se joue pas entre un État qui bâillonne et une presse qui se compromet, mais dans la lucidité collective : celle qui distingue l’information de la manipulation, la liberté de l’impunité, le journalisme du clientélisme.