PASTEF : rompre le silence pour retrouver le sens

Le parti de la révolution entre dans la maison du pouvoir, mais la maison résiste. Entre héritage colonial et exigence populaire, la souveraineté s’éprouve au quotidien.

En début de soirée ce 25 octobre 2025, dans une courte vidéo publiée sur les réseaux sociaux, le président de PASTEF, Ousmane Sonko, a rompu le silence. Il y annonce la tenue d’un grand rassemblement — le « Tera meeting », prévu le 8 novembre à Dakar. L’événement, présenté comme une « rencontre avec la base », se veut à la fois un moment de remobilisation et de clarification : pourquoi cette léthargie du parti depuis l’arrivée au pouvoir ? Quelle place doit occuper désormais le mouvement qui, en moins d’une décennie, a bouleversé la scène politique sénégalaise ?

Cette allocution s’inscrit dans la continuité du discours du 10 juillet dernier, où le président Ousmane Sonko appelait déjà à raviver le « Projet » et la flamme du 24 mars 2024 — date de la victoire électorale qui mit fin à douze ans de règne du régime Macky Sall. Le ton était alors combatif ; celui du 25 octobre est introspectif. Car la question qui se profile, derrière le calme apparent du pouvoir, est celle du rôle de PASTEF dans la transformation du pays.

S’il a été le moteur de la conquête, que doit-il être maintenant que le pouvoir politique est conquis ?

Le dilemme de la victoire : du parti-instrument au parti-outil

Né dans la dissidence, forgé dans la répression, PASTEF fut avant tout un instrument de libération politique. En avril 2024, il porta Bassirou Diomaye Faye à la tête de l’État, puis en novembre 2024 lui offrit une large majorité parlementaire.

Sa victoire fut celle d’un peuple qui refusa la confiscation du suffrage universel et imposa une alternance véritable, rompant avec l’« alternance contrôlée » qui, depuis 2000, reconduisait sous d’autres noms les mêmes logiques d’allégeance et de rente.

PASTEF est aujourd’hui confronté à son propre succès. Il ne peut plus se contenter d’être le parti des mobilisations, des colères et des symboles. Il lui faut devenir l’outil de la refondation. Or, transformer un instrument de conquête en instrument de construction est, historiquement, le défi majeur de tous les partis révolutionnaires.

Dès lors, la question posée par Ousmane Sonko résonne comme une épreuve : « S’il a été un puissant instrument qui a permis la conquête du pouvoir, quel doit être maintenant son rôle que le pouvoir est conquis ? »

Le danger est double : devenir un parti-gadget absorbé par l’appareil d’État, ou se figer dans la posture de la contestation sans prise sur le réel.

De l’épopée au quotidien, il y a un gouffre ; de la critique du système à sa transformation, un long apprentissage.

Un parti dans l’étau institutionnel : la théorie face à la pratique du pouvoir

Dans un système de compétition électorale encadré par la Constitution et le principe de séparation des pouvoirs, à quoi sert un parti politique une fois la victoire acquise ?

La démocratie libérale, héritée du modèle français, enferme les partis au pouvoir dans un jeu institutionnel rigide : le gouvernement agit, le Parlement contrôle, la justice veille. Or, dans un pays où la justice n’est pas élue et où l’administration conserve les réflexes de la dépendance, la volonté de rupture se heurte vite aux murs du juridisme et du formalisme.

Cette tension n’est pas nouvelle : elle hante tous les mouvements qui ont défié l’ordre établi, et qui, une fois au pouvoir, doivent choisir entre le confort de la normalisation et le risque de la transformation. Entre la fidélité à la promesse révolutionnaire et le respect des procédures de l’État de droit, le risque est de se dissoudre dans la normalité qu’on prétendait combattre.

L’un des obstacles majeurs identifiés est l’administration sénégalaise, héritière directe du modèle colonial.

Pétrie d’idéologie et de routines, elle demeure un vecteur de dépendance structurelle. Dans un article précédent, nous écrivions : « Protéger la révolution, c’est discipliner l’administration ».

Le diagnostic est sans détour : l’État postcolonial a conservé les instruments de contrôle du colon, au lieu de les transformer en outils de souveraineté.

Le proverbe ivoirien résume ce paradoxe : « On ne reste pas dans les magnans pour se débarrasser des magnans. »

Autrement dit, on ne combat pas le système en s’y installant confortablement. Si l’administration demeure inchangée, la révolution s’y enlise.

Du militantisme à la refondation : la fidélité à la cause

PASTEF s’est toujours défini comme panafricaniste, souverainiste de gauche et antisystème néocolonial. Ces termes ne sont pas des slogans : ils dessinent un horizon.

Être panafricaniste, c’est penser la souveraineté au-delà des frontières héritées, construire des solidarités économiques et politiques africaines.

Être souverainiste de gauche, c’est refuser les tutelles financières — celles du FMI, de la Banque mondiale ou du franc CFA — tout en plaçant la justice sociale au cœur du projet national.

Être antisystème néocolonialiste, c’est refuser la continuité invisible de la domination coloniale : celle qui s’exerce à travers la dette, la monnaie, l’expertise et les marchés. C’est dénoncer un ordre où l’indépendance s’arrête aux frontières politiques, tandis que les décisions économiques et symboliques se prennent ailleurs.

Être antisystème, pour PASTEF, c’est vouloir décoloniser l’État et la pensée, arracher la souveraineté aux routines administratives héritées, et replacer le peuple au cœur de la décision publique.

La « cause » de PASTEF n’est donc pas simplement de participer à la gestion du pays ; elle est de transformer en profondeur les structures de l’économie et de l’État. Cette ambition justifie que le parti conserve sa vitalité militante, même depuis les allées du pouvoir.

Pour ce faire, PASTEF doit assumer son hétérogénéité : un parti large, mouvant, traversé par des sensibilités diverses, mais uni par une exigence de souveraineté.

Le parti doit désormais assumer son rôle de « groupe de pression, de subversion et catalyseur de la transformation » : un moteur de vigilance citoyenne, un rappel constant des idéaux patiemment mûris de mars 2021 à mars 2024, trois années d’éveil populaire qui ont fait basculer plus de six décennies de système.

La question n’est pas de s’opposer au gouvernement, mais d’empêcher la révolution de s’endormir.

Les partis de transformation partout dans le monde ont connu cette tension : comment gouverner sans trahir ? Comment durer sans se corrompre ?

Le PASTEF n’y échappera pas. Mais il dispose d’un avantage : sa jeunesse militante, sa base populaire et son ancrage idéologique clair.