
Sous prétexte de rigueur électorale, le Bénin a légalisé l’exclusion. Le parrainage, nouveau filtre du pouvoir, réduit la démocratie à un simulacre.
Le Bénin fut longtemps cité comme le modèle démocratique de l’Afrique de l’Ouest, l’exemple d’un pluralisme apaisé depuis la Conférence nationale de 1990. Mais ce modèle s’effrite. Après la présidentielle verrouillée de 2021, celle de 2026 s’annonce déjà comme une élection sans véritable compétition — la mise en scène d’un pouvoir qui se choisit lui-même. Le cœur du dispositif ? Le parrainage, ce verrou institutionnel érigé en instrument d’exclusion.
Eugénisme électoral : comment le verrou des parrainages étrangle la démocratie
La loi n° 2024-13 du 15 mars 2024, modifiant le Code électoral, a relevé de 10 % à 15 % le seuil de parrainage requis pour une candidature présidentielle. Officiellement, il s’agissait d’une harmonisation ; en réalité, cette réforme est intervenue après les législatives de 2023, quand le parti Les Démocrates, présidé par Thomas Boni Yayi, avait obtenu 28 députés — juste assez pour présenter un candidat.
Or le Bénin compte 186 élus (109 députés et 77 maires) : quinze pour cent de ce total représentent 27,9 signatures. Autrement dit, le chiffre ne tombe pas rond. Mais comme la démocratie béninoise ne tolère pas les décimales, la CENA a arrondi à 28, transformant une approximation mathématique en verrou politique.
Pour l’élection présidentielle d’avril 2026, il a suffi qu’un seul député, Michel Sodjinou, retire son parrainage pour que la candidature de Me Renaud Agbodjo soit invalidée. Le juge a validé le retrait, la CENA a entériné l’exclusion et la Cour constitutionnelle s’est déclarée incompétente. Le droit a été tordu pour servir le pouvoir, et la démocratie réduite à un décor.
Le précédent de 2021 l’avait déjà montré : Reckya Madougou et Joël Aïvo, aujourd’hui emprisonnés, avaient été empêchés de concourir. Sous prétexte de moraliser la vie publique, le parrainage est devenu un filtre eugéniste : il sélectionne les candidats « purs » du système et écarte ceux que la majorité juge « inadaptés ».
À ce filtrage politique s’ajoute un cautionnement dissuasif de 250 millions FCFA — environ 400 000 dollars PPA, soit près de cent fois le RNB par habitant (4 390 $ PPA en 2024). Dans un pays où 36 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et où neuf travailleurs sur dix exercent dans le secteur informel, cette exigence agit comme une barrière sociale.
Ce double verrou — politique par le parrainage, financier par la caution — consacre un véritable eugénisme électoral, triant les prétendants non pas selon leur projet, mais selon leur position sociale.
La démocratie sans le peuple
À l’horizon de 2026, le scrutin présidentiel prend déjà des allures de « match amical » : d’un côté Romuald Wadagni, désigné par Patrice Talon comme dauphin de la majorité ; de l’autre Paul Hounkpè, issu d’un parti désormais allié au pouvoir. Comme en 2021, où Patrice Talon avait été réélu avec 86 % des voix face à deux adversaires de façade, la compétition n’existe plus. Le pluralisme est mort de sa belle légalité.
Derrière les chiffres officiels de participation se cache une réalité plus brutale : le peuple a déserté les urnes. Le boycott massif, la peur et la lassitude traduisent un divorce entre les citoyens et leurs institutions. L’abstention est devenue un acte politique, une manière de dire : « ce scrutin n’est pas pour nous ».
Ainsi s’installe au Bénin une démocratie sans le peuple, où les institutions valident l’exclusion et où la légalité supplante la légitimité. Le pays qui avait ouvert la voie de l’alternance pacifique en 1990 s’enferme désormais dans une parodie électorale.
