« Soundtrack to a Coup d’État » : quand le jazz raconte l’assassinat de Lumumba

On ne peut pas « spoiler » le documentaire : tout le monde sait que Patrice Lumumba, premier Premier ministre du Congo indépendant, a été assassiné. Mais Soundtrack to a Coup d’État, le documentaire magistral de Johan Grimonprez, bouleverse par la façon dont il fait entendre, voir et ressentir cette tragédie — un film sur la liberté trahie, le cynisme du pouvoir et la musique érigée en révolte.

Un film d’histoire et de vertige

Il faut connaître un peu l’histoire du Congo pour ne pas décrocher, mais l’émotion est universelle. Grimonprez recompose l’année 1960 : l’indépendance, le discours de Lumumba face au roi Baudouin, les intrigues belges et américaines, et l’élimination programmée d’un dirigeant jugé trop fier, trop lucide, trop libre. Lumumba y apparaît dans toute sa force — charismatique, visionnaire, d’une intelligence politique fulgurante. On comprend pourquoi il faisait peur : il incarnait une souveraineté africaine refusant la tutelle impérialiste.

Mais ce qui glace, c’est le contraste entre sa dignité et le cynisme de ceux qui ont planifié sa mort. On voit d’anciens agents américains et belges raconter sa liquidation, le sourire aux lèvres, comme une anecdote de la guerre froide. Cette désinvolture révèle la part la plus inhumaine du pouvoir impérial : celle qui tue sans haine, mais sans remords. Parmi les images inoubliables, celle d’Ambroise Boimbo arrachant l’épée du roi Baudouin le 29 juin 1960 résume tout : un Congolais s’emparant du sabre du colonisateur, comme on brise un mythe. Soundtrack to a Coup d’État illustre avec éclat la thèse de Lénine : l’impérialisme, stade suprême du capitalisme ; les multinationales minières, les gouvernements occidentaux et la manipulation culturelle s’y répondent comme les instruments d’une même domination.

La bande originale du film est un trésor

Le jazz y tient le premier rôle — Louis Armstrong, Thelonious Monk, Nina Simone, John Coltrane, Dizzy Gillespie, etc. — mais il dialogue avec la musique congolaise de l’époque : Joseph Kabasele, dit Grand Kallé, Franco Luambo, Docteur Nico. Cette coexistence n’est pas anodine : elle traduit la rencontre entre deux humanités blessées.

Mais le film rappelle aussi que Washington utilisa le jazz comme instrument diplomatique — un soft Power culturel destiné à séduire les Africains et à contenir l’influence soviétique — pendant qu’en coulisses, la CIA soutenait les manœuvres contre Lumumba.

À voir absolument, pour la beauté du montage, la puissance du propos, le jazz de Louis Armstrong, Dizzy Gillespie et Nina Simone — car ce film rappelle que la musique peut être une arme, que la culture n’est jamais neutre et que la liberté africaine, hier comme aujourd’hui, dérange toujours les puissants.

Fiche technique

Titre : Bande-son pour un coup d’État

Titre original : Soundtrack to a Coup d’Etat

Réalisation : Johan Grimonprez

Genre : Documentaire Durée : 150 minutes

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Auteur : Félix Atchadé

Je suis médecin, spécialiste de Santé Publique et d’Éthique Médicale. Je travaille sur les questions d’équité et de justice sociale dans les systèmes de santé. Militant politique, je participe à l'oeuvre de refondation de la gauche sénégalaise.

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