
La décision de la « justice » bissau-guinéenne d’écarter la candidature de Domingos Simões Pereira et de sa coalition aux élections générales de novembre 2025 n’a rien d’un acte de droit : c’est une pantalonnade qui illustre la soumission des juges au pouvoir. Les six magistrats de la Cour suprême invoquent un dépôt « irrégulier », alors même que le dossier du PAIGC avait été déposé cinq jours avant la date limite légale. Leur justification — prétendre ne pas disposer du temps nécessaire pour analyser la candidature — confine au grotesque, puisqu’ils sanctionnent un parti pour avoir respecté les délais. Cette contradiction transforme la procédure en mascarade et révèle la finalité réelle de la décision : empêcher l’opposant le plus sérieux d’affronter le président Umaro Sissoco Embaló dans les urnes. Face à ce déni de démocratie, Domingos Simões Pereira et le PAIGC ont immédiatement déposé un recours, geste symbolique autant que politique, qui souligne l’absurdité de la manœuvre judiciaire et met en lumière la volonté de l’opposition de ne pas se laisser effacer du jeu politique par une décision arbitraire.
Un passif lourd et une dérive persistante
Depuis son élection contestée en 2019, Embaló s’est illustré non pas comme un bâtisseur d’État, mais comme le chef d’un réseau affairiste qui confond pouvoir politique et mainmise personnelle. Sa proclamation de victoire avant même la validation de la Cour suprême, sa dissolution expéditive du Parlement en 2023, l’expulsion d’une mission de la CEDEAO pourtant chargée de favoriser le dialogue, ou encore sa volte-face en annonçant un second mandat malgré sa promesse initiale de se retirer, relèvent moins de la conduite d’un président que des méthodes d’un parrain jaloux de son territoire. Chaque geste trahit une logique de domination clanique, où l’intrigue et la force comptent davantage que le respect des institutions. L’opposition y voit une dérive dictatoriale, mais c’est bien plus qu’une dictature classique : c’est un système de verrouillage où les adversaires sont éliminés comme on élimine des concurrents encombrants, à coups de décisions judiciaires absurdes et de coups de menton sécuritaires. La mise à l’écart de Domingos Simões Pereira, figure centrale de la scène politique bissau-guinéenne, n’est pas une simple injustice démocratique. C’est l’équivalent d’un règlement de comptes, une provocation calculée qui risque de plonger le pays dans un nouveau cycle de troubles, dans un contexte où les institutions restent fragiles et l’armée toujours prompte à se poser en arbitre armé.
Le Sénégal directement concerné
Il serait naïf de croire que ces convulsions resteront confinées à Bissau. Chaque crise en Guinée-Bissau a eu un impact direct sur notre pays : afflux de réfugiés, circulation incontrôlée d’armes, expansion de trafics transfrontaliers et fragilisation de la Casamance. Les réseaux criminels trouvent dans l’instabilité bissau-guinéenne un terrain fertile, menaçant la sécurité nationale du Sénégal.
Ce constat est d’autant plus préoccupant que les forces armées sénégalaises se trouvent déjà déployées en Guinée-Bissau dans le cadre de la mission de stabilisation décidée par la CEDEAO à la suite de la « tentative de coup d’État » de février 2022. Cette présence, censée protéger les institutions et accompagner un retour à la stabilité, risque désormais d’être instrumentalisée par Embaló comme un bouclier pour consolider son pouvoir. En participant à cette mission, le Sénégal court le danger de se retrouver associé, malgré lui, à la consolidation d’un régime qui bafoue ouvertement les règles du jeu démocratique.
Pour une position sans équivoque du Sénégal
Le Sénégal ne peut donc pas continuer à assurer la sécurité d’un président pyromane qui joue avec les braises de son pays. Fût-il le protégé du président français Emmanuel Macron, ou l’agent docile de puissances extra-africaines soucieuses de maintenir leur influence, le président Embaló ne peut être absous de ses dérives. Contribuer à sa protection, c’est en réalité prolonger un système autoritaire dont les conséquences se paieront tôt ou tard chez nous. Nos intérêts stratégiques — stabilité frontalière, commerce, sécurité en Casamance — sont directement menacés par cette fuite en avant. Le Sénégal doit donc être ferme et rappeler que sa sécurité nationale, son intégrité territoriale et sa responsabilité régionale priment sur les calculs d’alliances diplomatiques ou les pressions de l’extérieur.
Il appartient désormais au Président de la République du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, de dire clairement que notre pays n’acceptera pas cette dérive. Le Sénégal doit peser de tout son poids diplomatique au sein de la CEDEAO et de l’Union africaine pour que les règles démocratiques soient respectées en Guinée-Bissau. Il doit également veiller à ce que nos forces armées, déployées au titre des missions régionales, ne servent pas de caution à un pouvoir illégitime.
La paix en Casamance, chèrement acquise, ne peut être sacrifiée sur l’autel de la complaisance envers un voisin qui instrumentalise l’insécurité.
