
Il est des hommes politiques qui, une fois sortis du pouvoir, s’emploient à façonner leur mémoire comme d’autres polissent un marbre. L’ancien président Macky Sall en fait partie. Dans un podcast largement médiatisé et dans son ouvrage L’Afrique au cœur[1], il déroule un récit qui tient autant de l’autobiographie édifiante que de l’épopée nationale. L’enfant modeste du Sine devenu ingénieur, puis chef d’État, se raconte comme l’incarnation de la dignité et du courage. Mais derrière cette fresque héroïsant, les Sénégalais n’ont pas oublié la réalité de son règne.
Derrière l’épopée, l’ombre du bilan
Car la vérité est moins lyrique que le roman présidentiel. Macky Sall évoque avec émotion l’enfant émerveillé de Kédougou découvrant l’électricité grâce au PUDC. Mais combien de familles sont restées plongées dans l’obscurité ? Combien de jeunes ont pris la mer, au péril de leur vie, faute d’horizon dans un pays écrasé par le chômage ? L’ancien président se veut bâtisseur de routes et de ponts, mais l’héritage principal qu’il laisse est une dette publique abyssale dont une partie fut dissimulée, gonflant artificiellement la soutenabilité budgétaire. Le masque de l’ingénieur soucieux de rigueur cache mal le politicien qui a pratiqué l’opacité et le favoritisme.
L’ancien chef de l’État s’enorgueillit d’avoir mis en place un cadre transparent pour la gestion du pétrole et du gaz. Pourtant, les Sénégalais se souviennent des contrats opaques, des concessions léonines et des soupçons persistants de corruption. Il dit avoir interdit d’hypothéquer nos ressources naturelles, mais a multiplié les eurobonds, recherchant à tout prix la bénédiction des agences de notation qu’il dénonce aujourd’hui. Sa critique des « injonctions civilisationnelles » occidentales sonne d’autant plus creux que son régime est resté étroitement arrimé au franc CFA et aux diktats du FMI. Macky Sall a parlé de souveraineté, mais gouverné sous tutelle.
Une sortie en trompe-l’œil
Sur le plan politique, il revendique d’avoir su absorber les trahisons et de ne pas avoir cédé à la tentation du troisième mandat. Mais l’histoire retiendra que son silence prolongé et ses manœuvres ont plongé le Sénégal dans une crise profonde entre 2021 et 2024, alimentant violences et répression. Ce n’est pas par grandeur qu’il s’est retirée, mais sous la pression d’une jeunesse mobilisée et d’un peuple décidé à sauver sa démocratie. Quant à ses ambitions internationales, elles disent moins une volonté de servir l’Afrique qu’un désir de se recycler au sommet de l’ONU, au prix d’un blanchiment mémoriel.
Macky Sall rêve désormais d’une carrière onusienne. Les Sénégalais, eux, continuent de rêver de justice et de vérité. Car l’histoire ne s’écrit pas seulement dans les livres d’anciens présidents, elle s’inscrit surtout dans la mémoire des peuples. Et celle-ci retiendra que, derrière les confessions enjolivées, son magistère aura été celui d’un président qui, loin de libérer le pays, l’a enchaîné davantage à la dette, à la dépendance et à la répression. Le Sénégal a tourné la page. À lui d’assumer les marges sombres du chapitre qu’il a écrit.
[1] Sall, M. (2025). L’Afrique au cœur. Paris : Odile Jacob
