
À l’occasion de la fête nationale du 14 juillet 2025, la France a rendu publique l’actualisation de sa Revue nationale stratégique. Présenté comme une feuille de route en matière de sécurité et de défense, ce texte confirme une évidence : dans l’imaginaire stratégique français, l’Afrique demeure un continent perçu avant tout comme une menace, un espace à “stabiliser”, un champ de rivalités où Paris cherche désespérément à sauver son rang. En parcourant les pages consacrées au continent, le constat est implacable : malgré les échecs répétés des interventions militaires et la contestation populaire et politique croissante de sa présence, la France continue de regarder l’Afrique uniquement à travers le prisme du terrorisme, des migrations et de la criminalité organisée.
L’Afrique, toujours assignée au rôle de zone à risques
Dans cette revue, l’Afrique est présentée comme un nœud de crises : Sahel en proie à la poussée djihadiste, Soudan déchiré par la guerre, République démocratique du Congo et Corne de l’Afrique fragilisées par des conflits persistants. À cela s’ajoutent les trafics transnationaux, la criminalité organisée et les flux migratoires. On retrouve là les catégories habituelles d’une pensée sécuritocentrée, qui fait du continent un danger potentiel pour l’Europe. Dans cette vision, les millions d’Africains qui subissent ces violences disparaissent derrière une grille de lecture obsédée par la menace que représenterait l’Afrique pour les sociétés occidentales.
Une influence française en déclin, concurrencée mais pas questionnée
Le document reconnaît que l’offre sécuritaire française est remise en cause par plusieurs pays africains. Les opérations Barkhane et Sabre ont laissé une trace amère : sentiment d’ingérence, échec à endiguer le terrorisme, perception d’une tutelle militaire extérieure. Mais plutôt que de s’interroger sur la légitimité de sa présence, Paris choisit de reformuler son approche. La Revue annonce une « nouvelle offre partenariale » : formation, équipement, appui capacitaire, mais aussi diplomatie culturelle et mémorielle. En réalité, il s’agit moins d’un changement de paradigme que d’une tentative d’adaptation à un rapport de force défavorable. La Russie, la Chine, la Turquie et d’autres puissances sont accusées d’exploiter le vide laissé par la France. Ainsi, l’Afrique est pensée avant tout comme un terrain de compétition stratégique, non comme un espace de souveraineté et de choix autonomes.
Entre rupture proclamée et continuité coloniale
La revue évoque le Sommet Afrique-France prévu à Nairobi en 2026 comme un moment clé pour redéfinir la relation. Mais cette redéfinition reste enfermée dans une logique de préservation de l’influence française et européenne. On ne parle pas de partenariats égalitaires, mais d’un repositionnement qui doit servir les intérêts de Paris dans un contexte de rivalité mondiale. Or, la leçon que les peuples africains ont donnée depuis Bamako jusqu’à Niamey est claire : ils refusent d’être réduits à des zones tampon ou des arrière-cours de l’Europe. La souveraineté africaine ne se négocie plus dans les marges de documents stratégiques européens, elle se conquiert sur le terrain, par des choix assumés de coopération Sud-Sud, par le panafricanisme et par la construction d’États capables de définir leurs propres priorités.
La Revue stratégique française 2025 prétend s’adapter à un monde en crise. Mais en ce qui concerne l’Afrique, elle reste prisonnière d’un imaginaire postcolonial. Elle parle de sécurité sans parler de justice, de partenariats sans parler d’égalité, d’avenir sans parler de souveraineté. Les Africains, eux, n’attendent plus les corrections de Paris pour écrire leur propre stratégie. Le rendez-vous de l’histoire se joue dans les rues de Dakar, de Douala, de Kinshasa, où se construit pas à pas une autre géopolitique : celle des peuples décidés à redevenir maîtres de leur destin.
