
Le 1er août 2025, à Dakar, le gouvernement du Sénégal a lancé le Plan de redressement économique et social (PRES), connu sous le nom de Jubbanti Koom – littéralement, « remettre debout l’économie ». Ce projet, présenté par le Premier ministre Ousmane Sonko dans le sillage de la « Vision 2050 » du président Bassirou Diomaye Faye, n’a pas été conçu comme un simple ajustement comptable. Il répond à un double impératif : affronter l’héritage désastreux laissé par le régime précédent, marqué par une dette dépassant les 118 % du PIB, et inventer un modèle de développement véritablement souverain. La presse nationale et internationale, de la BBC au Monde, a souligné son caractère inédit : il s’agit d’un plan qui entend financer 90 % de ses besoins par des ressources internes, sans recourir à de nouveaux endettements. Autrement dit, le gouvernement a choisi d’assumer l’audace d’un chemin difficile : celui de la souveraineté fiscale.
Héritages coloniaux : un impôt sans contrat social
Pour comprendre la portée de ce choix, il faut rappeler que l’impôt a longtemps été perçu en Afrique comme un instrument d’oppression plutôt que comme un outil de justice. Pendant la colonisation, il n’était pas au service d’un idéal démocratique : il visait à remplir les caisses de la métropole, à financer l’administration coloniale, l’appareil coercitif et à contraindre les paysans à l’économie monétaire. Payer l’impôt, c’était nourrir un État prédateur qui ne redistribuait rien, sinon la répression. C’est pourquoi la mémoire de l’impôt reste associée à la spoliation et à l’humiliation. Or, c’est précisément ce rapport qu’il faut transformer aujourd’hui.
Un État qui taxe le pain du pauvre mais exonère le champagne du riche n’est pas neutre : il est complice. La fiscalité coloniale a légué un système régressif où la charge pèse sur les consommateurs et les petites entreprises, tandis que les grandes fortunes et les multinationales bénéficient d’exonérations ou d’arrangements. Ainsi, loin de corriger les inégalités, l’impôt en a longtemps été le vecteur. Revenir à une conception juste de l’impôt, c’est donc rompre avec cette histoire de prédation pour réhabiliter l’impôt comme contrat social.
L’impôt comme fondement de souveraineté
Le PRES repose sur une intuition simple mais révolutionnaire : il n’y a pas de souveraineté sans souveraineté fiscale. Un État qui ne peut lever l’impôt sur son territoire est un État vassalisé. Sans ressources domestiques, il dépend de bailleurs de fonds qui imposent leurs priorités : baisse des dépenses sociales, dérégulation, privatisations. En clair, l’austérité permanente devient la seule politique possible. C’est pourquoi la dette étrangère est souvent la conséquence directe de notre incapacité à lever l’impôt chez nous.
Le gouvernement sénégalais a pris le contre-pied de cette logique. Le PRES affirme la volonté de mobiliser l’épargne nationale et celle de la diaspora, de renégocier les contrats miniers, de récupérer les dividendes des entités publiques et d’élargir l’assiette fiscale. Loin d’être une fuite en avant, cette orientation place l’État au centre de la transformation économique. Car un plan sans réforme fiscale n’est qu’une coquille vide.
Fiscalité et transformation structurelle
Ce plan ne réduit pas l’impôt à une mécanique de collecte. Il en fait un instrument de transformation. Taxer les rentes minières et foncières, c’est financer l’école publique et la santé ; élargir l’assiette aux plateformes numériques et aux services financiers, c’est capter la richesse là où elle circule réellement. Une fiscalité écologique peut sanctionner les activités polluantes et financer la transition énergétique. Mais l’essentiel est ailleurs : plus on a, plus on contribue. C’est ce principe de progressivité qui fait de l’impôt non pas une punition, mais une contribution équitable.
Aujourd’hui, le petit commerçant du quartier paie proportionnellement plus d’impôts que la multinationale qui l’écrase. Voilà l’injustice fiscale à laquelle il faut mettre fin. Quand les riches échappent à l’impôt, ce sont les pauvres qui financent l’État. Et une fiscalité régressive, ne craignons pas les mots, est un vol organisé contre les classes populaires.
Briser le piège du “réalisme économique”
On nous dit souvent que ces ambitions sont irréalistes. Mais qui sont les vrais utopistes, sinon ceux qui croient qu’un pays peut se développer en sacrifiant sa jeunesse au chômage, ses paysans à la misère et ses travailleurs à la précarité ? Le vrai réalisme, c’est de reconnaître que sans un État stratège et un système fiscal équitable, aucune transformation structurelle n’est possible. La souveraineté commence par la fiscalité : qui décide qui paie, combien et pour financer quoi ?
Ainsi conçu, l’impôt devient une arme politique. Il traduit dans les chiffres une orientation idéologique : faire contribuer ceux qui profitent de l’économie nationale, au lieu d’écraser ceux qui en subissent déjà les déséquilibres. Taxer la rente, ce n’est pas punir la réussite, c’est récompenser la justice.
Un enjeu panafricain
Mais la bataille fiscale ne peut se mener uniquement au niveau national. Tant que chaque pays africain joue en solo, les multinationales gagnent. Elles exploitent le dumping fiscal et déplacent artificiellement leurs bénéfices vers les juridictions les plus complaisantes. L’unité fiscale africaine, c’est plus efficace qu’un millier de discours souverainistes. Harmoniser la fiscalité entre États voisins, c’est briser le chantage permanent des firmes qui menacent de se délocaliser. C’est aussi créer les conditions d’un financement autonome du développement continental.
Pas de justice sociale sans justice fiscale, et pas de justice fiscale sans solidarité africaine. L’unité fiscale panafricaine est la condition pour que l’Afrique sorte enfin de son rôle assigné de réservoir de matières premières. Le lancement du PRES a marqué une rupture. En réhabilitant l’impôt comme levier de souveraineté et instrument de justice, le Sénégal s’inscrit dans une trajectoire qui dépasse la simple gestion de la dette. Ce choix est politique autant qu’économique. Il fait de l’impôt non pas une camisole coloniale, mais une clé pour transformer l’économie, renforcer l’État social et refonder le contrat citoyen.
En définitive, un État qui fait payer les pauvres et exonère les riches n’est pas neutre : il prend parti pour les dominants. En inversant cette logique, le Sénégal peut montrer qu’il existe une autre voie : celle où l’impôt n’est plus une spoliation, mais la pierre angulaire d’une société solidaire, égalitaire et souveraine.

le texte n’est pas terminé. Sans doute un problème technique?
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Merci. Effectivement un bout de phrase et la chute de l’article ont sauté. C’est corrigé
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