Bassirou Diomaye Faye à Paris : rupture assumée ou renoncement ?

La visite du président Bassirou Diomaye Faye à Paris, et son discours devant les entrepreneurs français ont suscité beaucoup de commentaires. Certains y voient une contradiction, voire une renonciation à la rupture annoncée par PASTEF. Les commentaires qui ont suivi débat que nous avons eu dans l’émission Décrypter l’Afrique en ont donné l’illustration : d’un côté, des voix prônant la souveraineté, de l’autre des sarcasmes sur le « pragmatisme » du gouvernement.

La première clarification est simple : la rupture n’est pas un isolement. Elle n’est pas un refus du dialogue, mais un refus de la tutelle. Que le président du Sénégal se rende à Paris n’efface pas la fermeture des bases militaires françaises ni la reconnaissance du massacre de Thiaroye. Ces actes fondateurs témoignent qu’une page est tournée. La rupture consiste à dire que la France n’est plus le centre exclusif de gravité, mais un partenaire parmi d’autres, soumis aux mêmes règles que tous.

Décoloniser la relation économique

Ceux qui ironisent oublient les faits. TotalEnergies, Orange, Eiffage et Auchan dominent encore nos secteurs stratégiques. Les chiffres officiels des Douanes françaises sont sans appel : en 2023, la France a exporté vers le Sénégal pour 1,013 milliard d’euros (soit environ 664 milliards de FCFA), tandis qu’elle n’a importé que 76 millions d’euros (environ 50 milliards de FCFA). Autrement dit, le Sénégal achète près de treize fois plus à la France que celle-ci ne lui achète en retour. Le solde bilatéral est donc massivement favorable à Paris : 937 millions d’euros, soit plus de 614 milliards de FCFA.

Le graphique ci-dessous illustre cette réalité de 2019 à 2023 : une relation commerciale structurellement déséquilibrée, où la France conserve chaque année un excédent proche du milliard d’euros.

Données Douanes françaises (DGDDI), reprises par le MEAE — avril 2024 ; conversion en francs CFA au taux fixe 1 € = 655 957 FCFA.

Voilà la véritable asymétrie. La rupture, ce n’est pas de couper les ponts : c’est d’exiger que le marché français s’ouvre enfin à nos produits agricoles, halieutiques et manufacturés. C’est d’imposer aux multinationales implantées à Dakar de s’approvisionner localement et de réexporter nos biens. C’est de transformer ici nos ressources avant de les vendre ailleurs. Une relation ne peut être durable que si elle cesse d’être verticale et devient horizontale. Il ne s’agit plus de corriger à la marge les déséquilibres, mais de briser une logique coloniale qui nous cantonne au rôle d’importateurs dépendants et d’exportateurs de matières brutes.

Pragmatique, mais ferme sur les principes

Il est facile de tourner en dérision un président qui invite les investisseurs à « créer de l’emploi ». Mais c’est oublier que le discours visait aussi à fixer des règles claires : fin du capitalisme de connivence, transparence fiscale, sécurité des investissements. La rupture n’est pas de fermer toutes les portes : elle est de poser les conditions de notre souveraineté et de dire aux investisseurs : « venez, mais selon nos règles ».

L’incompréhension française : un problème qui n’est pas le nôtre

Soyons lucides : il est probable qu’à Paris, beaucoup ne saisissent pas encore notre état d’esprit. La Revue stratégique française 2025 en donne une preuve éclatante : l’Afrique y est décrite comme un « risque », un « foyer de menaces », un terrain de compétition entre grandes puissances.

. Nulle part n’apparaît l’idée que les peuples africains veulent d’abord être souverains et maîtres de leur destin. Mais c’est là le problème de la France, pas le nôtre. « Ne te mêle pas d’aider l’éléphant à porter ses défenses », dit le proverbe chinois. Nous n’allons pas attendre que Paris comprenne. Notre marche est inéluctable : celle d’une souveraineté assumée, d’une intégration panafricaine, d’une économie tournée vers la production et non vers la dépendance.

La rupture proclamée par PASTEF n’est pas une pirouette rhétorique. Elle est déjà en cours : mémoire réhabilitée, bases fermées, déficit commercial dénoncé, règles nouvelles en préparation. Ce qui reste à accomplir — industrialisation locale, diversification des partenariats, souveraineté monétaire — viendra par la volonté populaire et par des choix clairs. Aux sceptiques, je réponds simplement : la rupture n’est pas un slogan, c’est une trajectoire. Et rien n’arrêtera la marche d’un peuple qui a décidé de regarder la France et le monde droit dans les yeux, en partenaire égal.

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Auteur : Félix Atchadé

Je suis médecin, spécialiste de Santé Publique et d’Éthique Médicale. Je travaille sur les questions d’équité et de justice sociale dans les systèmes de santé. Militant politique, je participe à l'oeuvre de refondation de la gauche sénégalaise.

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