Bassirou Diomaye Faye à Paris : rupture assumée ou renoncement ?

La visite du président Bassirou Diomaye Faye à Paris, et son discours devant les entrepreneurs français ont suscité beaucoup de commentaires. Certains y voient une contradiction, voire une renonciation à la rupture annoncée par PASTEF. Les commentaires qui ont suivi débat que nous avons eu dans l’émission Décrypter l’Afrique en ont donné l’illustration : d’un côté, des voix prônant la souveraineté, de l’autre des sarcasmes sur le « pragmatisme » du gouvernement.

La première clarification est simple : la rupture n’est pas un isolement. Elle n’est pas un refus du dialogue, mais un refus de la tutelle. Que le président du Sénégal se rende à Paris n’efface pas la fermeture des bases militaires françaises ni la reconnaissance du massacre de Thiaroye. Ces actes fondateurs témoignent qu’une page est tournée. La rupture consiste à dire que la France n’est plus le centre exclusif de gravité, mais un partenaire parmi d’autres, soumis aux mêmes règles que tous.

Décoloniser la relation économique

Ceux qui ironisent oublient les faits. TotalEnergies, Orange, Eiffage et Auchan dominent encore nos secteurs stratégiques. Les chiffres officiels des Douanes françaises sont sans appel : en 2023, la France a exporté vers le Sénégal pour 1,013 milliard d’euros (soit environ 664 milliards de FCFA), tandis qu’elle n’a importé que 76 millions d’euros (environ 50 milliards de FCFA). Autrement dit, le Sénégal achète près de treize fois plus à la France que celle-ci ne lui achète en retour. Le solde bilatéral est donc massivement favorable à Paris : 937 millions d’euros, soit plus de 614 milliards de FCFA.

Le graphique ci-dessous illustre cette réalité de 2019 à 2023 : une relation commerciale structurellement déséquilibrée, où la France conserve chaque année un excédent proche du milliard d’euros.

Données Douanes françaises (DGDDI), reprises par le MEAE — avril 2024 ; conversion en francs CFA au taux fixe 1 € = 655 957 FCFA.

Voilà la véritable asymétrie. La rupture, ce n’est pas de couper les ponts : c’est d’exiger que le marché français s’ouvre enfin à nos produits agricoles, halieutiques et manufacturés. C’est d’imposer aux multinationales implantées à Dakar de s’approvisionner localement et de réexporter nos biens. C’est de transformer ici nos ressources avant de les vendre ailleurs. Une relation ne peut être durable que si elle cesse d’être verticale et devient horizontale. Il ne s’agit plus de corriger à la marge les déséquilibres, mais de briser une logique coloniale qui nous cantonne au rôle d’importateurs dépendants et d’exportateurs de matières brutes.

Pragmatique, mais ferme sur les principes

Il est facile de tourner en dérision un président qui invite les investisseurs à « créer de l’emploi ». Mais c’est oublier que le discours visait aussi à fixer des règles claires : fin du capitalisme de connivence, transparence fiscale, sécurité des investissements. La rupture n’est pas de fermer toutes les portes : elle est de poser les conditions de notre souveraineté et de dire aux investisseurs : « venez, mais selon nos règles ».

L’incompréhension française : un problème qui n’est pas le nôtre

Soyons lucides : il est probable qu’à Paris, beaucoup ne saisissent pas encore notre état d’esprit. La Revue stratégique française 2025 en donne une preuve éclatante : l’Afrique y est décrite comme un « risque », un « foyer de menaces », un terrain de compétition entre grandes puissances.

. Nulle part n’apparaît l’idée que les peuples africains veulent d’abord être souverains et maîtres de leur destin. Mais c’est là le problème de la France, pas le nôtre. « Ne te mêle pas d’aider l’éléphant à porter ses défenses », dit le proverbe chinois. Nous n’allons pas attendre que Paris comprenne. Notre marche est inéluctable : celle d’une souveraineté assumée, d’une intégration panafricaine, d’une économie tournée vers la production et non vers la dépendance.

La rupture proclamée par PASTEF n’est pas une pirouette rhétorique. Elle est déjà en cours : mémoire réhabilitée, bases fermées, déficit commercial dénoncé, règles nouvelles en préparation. Ce qui reste à accomplir — industrialisation locale, diversification des partenariats, souveraineté monétaire — viendra par la volonté populaire et par des choix clairs. Aux sceptiques, je réponds simplement : la rupture n’est pas un slogan, c’est une trajectoire. Et rien n’arrêtera la marche d’un peuple qui a décidé de regarder la France et le monde droit dans les yeux, en partenaire égal.

Réinventer l’Afrique : du peuple confisqué au peuple souverain

J’ai lu dans Le Monde — ce journal auquel je suis abonné, même si je ne partage rien ou presque de sa ligne éditoriale (c’est ma manière à moi de pratiquer l’ascèse : lire l’adversaire pour mieux le comprendre) — deux entretiens récents. Le premier avec le philosophe Jacques Rancière, qui dénonce la fabrication oligarchique d’un « peuple du ressentiment ». Le second avec l’historien et philosophe Marcel Gauchet, qui accuse le progressisme d’avoir tourné le dos à l’esprit démocratique.

. Deux diagnostics venus d’Europe, marqués par un occidentalocentrisme dont je suis pleinement conscient : ni l’Afrique ni les pays africains n’entrent véritablement dans leurs catégories d’analyse. Et pourtant, c’est précisément parce que je connais cette limite que je me permets de convoquer leurs réflexions : non pour les sacraliser, mais pour en extraire des outils critiques, à condition de les déplacer et de les traduire dans nos réalités africaines.

Afrique : entre peuples confisqués et progressismes dévoyés

Ces deux lectures, malgré leur occidentalocentrisme, trouvent un écho particulier en Afrique : nous aussi, nous voyons d’un côté des oligarchies locales et globales fabriquer des peuples de ressentiment, et de l’autre, d’anciens partis progressistes se perdre dans la technocratie et abandonner le conflit démocratique.

Depuis les années 1980, les plans d’ajustement structurel ont brisé les solidarités populaires et ouvert un espace à de nouveaux entrepreneurs de ressentiment : certains dictateurs, des prédicateurs religieux radicaux, des coalitions militaro-affairistes. Ils n’ont pas créé la colère des peuples — elle existait déjà face aux inégalités et aux humiliations —, mais ils l’ont réorientée et instrumentalisée pour préserver leurs positions. Voilà le « peuple fabriqué » de Rancière, version africaine : une énergie populaire confisquée et remodelée par des oligarchies locales arrimées au capital global.

Sénégal : PIT, LD, AJ et PS comme exemples de la trahison progressiste

Mais, dans le même temps, les forces progressistes issues des luttes de libération et de l’héritage de l’indépendance se sont enlisées dans la technocratie néolibérale. Le Sénégal fournit un exemple paradigmatique : le PIT, jadis fer de lance du marxisme sénégalais, s’est glissé dans les habits d’une « gauche gestionnaire », cautionnant des politiques de casse sociale au nom d’une prétendue stratégie de « large rassemblement ». La LD/MPT, devenue LD, a emprunté le même chemin, troquant le rêve d’émancipation pour un discours moralisateur réduit à l’invocation incantatoire de la « bonne gouvernance ». Quant à AJ/MRDN, transformée en 1991 en AJ/PADS à la faveur d’un congrès de désarmement idéologique et de ralliements opportunistes, il s’est à son tour engloutie dans le suivisme gouvernemental. Et que dire enfin du PS ? Héritier d’un socialisme africain qui se voulait enraciné dans les masses, il a d’abord cédé le pouvoir au césaro-libéralo-néo-patrimonialisme d’Abdoulaye Wade, avant de finir par offrir une caution historique au régime de démission nationale de Macky Sall.

Ce schéma est général : les partis progressistes africains se sont repliés dans les bras d’une bourgeoisie métropolitaine, au sens où l’entendait Amílcar Cabral, c’est-à-dire une couche sociale qui se définit moins par sa capacité à porter un projet autonome de transformation que par son rôle d’intermédiaire entre le capital international et les peuples locaux. Cabral avertissait déjà que cette bourgeoisie « est incapable de remplir une fonction révolutionnaire », car elle vit de la dépendance et du mimétisme, reproduisant les normes et les intérêts des anciennes métropoles coloniales. C’est exactement ce que nous voyons : une élite politique et économique qui a renoncé à penser un horizon continental, laissant le champ libre aux courants réactionnaires religieux, ethnique ou militariste. Voilà le « progressisme trahi » de Gauchet — une catégorie forgée pour l’Europe, mais que nos réalités africaines prolongent tragiquement.

Une démocratie piégée entre résignation et colère

Il faut donc entendre la leçon croisée de Rancière et Gauchet : en Afrique, la crise démocratique ne s’explique ni seulement par les manipulations extérieures, ni seulement par les fautes internes, mais par la combinaison des deux. Une oligarchie mondiale fabrique des ressentiments instrumentalisés ; des élites progressistes locales se réfugient dans la gestion et abandonnent l’arène démocratique. Résultat : les peuples africains oscillent entre la résignation et la colère, entre l’abstention et la rue.

Pour sortir de cette impasse, deux chemins complémentaires s’imposent. Le premier consiste à relier les utopies locales — qu’il s’agisse des coopératives paysannes, des dahiras, des associations de jeunes, des collectivités paroissiales ou encore des mouvements écologistes et féministes — qui expérimentent déjà, au quotidien, la possibilité de « vivre en égaux », comme le suggère Rancière. Le second appelle à réinventer un horizon panafricaniste global, capable de redonner au conflit démocratique toute sa place, en réarticulant l’État, la nation et le continent autour d’un projet de souveraineté collective — perspective que l’on peut rapprocher de la mise en garde de Gauchet.

PASTEF et le nouveau cycle idéologique panafricain

C’est ici que l’expérience sénégalaise récente prend tout son sens. Avec l’arrivée de Bassirou Diomaye Faye et d’Ousmane Sonko, le PASTEF a ouvert une brèche qui dépasse le seul cadre national. Il ne s’agit pas seulement de gouverner autrement : il s’agit de changer le cycle idéologique, de rompre avec le fatalisme néolibéral et de réintroduire la souveraineté populaire au centre de la politique.

Le projet de « patriotisme économique » ou de « souverainisme structurel » formulé par le PASTEF n’est pas une simple gestion alternative : il constitue le début d’une révolution démocratique souverainiste, qui s’ancre dans l’histoire africaine longue.

Ce cycle renoue avec les intuitions de Patrice Lumumba, qui voyait dans l’indépendance non pas une fin, mais un point de départ pour l’émancipation économique et culturelle ; avec Amílcar Cabral, qui affirmait que la libération nationale est vaine sans transformation sociale et sans réappropriation des ressources ; avec Thomas Sankara, qui défendait l’idée d’une dignité africaine incarnée dans des politiques publiques concrètes, de l’agriculture à l’éducation.

Là où les anciens partis sénégalais ont basculé dans la résignation gestionnaire, PASTEF se pose comme le porteur d’un nouvel horizon : un projet de société qui réhabilite le conflit démocratique, assume l’ancrage populaire, et inscrit le Sénégal dans la perspective d’une renaissance panafricaine.

Mais cet élan comporte un risque : celui de voir le parti se transformer en simple machine électorale, absorbée par la conservation du pouvoir au détriment de la transformation sociale. La fidélité à son projet exige au contraire que le PASTEF reste un parti organisé, en dialogue permanent avec la société et au service du peuple, afin d’incarner une véritable force de changement et non une nouvelle bureaucratie. C’est à ce prix qu’il pourra prolonger l’héritage de Lumumba, Cabral et Sankara et faire vivre une démocratie panafricaine souveraine.

29 juillet 1980 : Abdou Diouf face aux élus casamançais, la réunion de la dernière chance ?

Cet article est une adaptation d’un extrait du manuscrit de « Marcel Bassène, pionnier de la recherche de la paix en Casamance »

Le 29 juillet 1980, dans une salle de réunion de la Primature à Dakar, Abdou Diouf, alors Premier ministre, recevait une délégation casamançaise composée de responsables régionaux du Parti socialiste, d’élus, de cadres et des dirigeants du Comité pour la rénovation de Ziguinchor (COREZI). Le contexte ne laissait guère de place à la légèreté : la Casamance vivait un malaise profond, né d’un sentiment ancien de marginalisation, ravivé par les « événements scolaires de Ziguinchor » et alimenté par la pauvreté persistante d’une région pourtant riche de potentialités. Préparée dans l’urgence, mais portée par une mobilisation exceptionnelle, cette rencontre devait être le moment où l’État sénégalais, par la voix de son chef de gouvernement, reconnaissait la gravité de la situation. Beaucoup y virent « la réunion de la dernière chance ». On remarquera toutefois que les députés du PDS, Laye Diop Diatta et Famara Manè, figures de l’opposition en Casamance, n’avaient pas été conviés à cette rencontre, ce qui en limitait la portée inclusive. Telles sont les informations consignées dans le rapport de l’Union régionale de Casamance du Parti socialiste, rédigé par feu Joseph Mathiam.

Un climat de tensions accumulées

Depuis des années, la Casamance se percevait comme une périphérie oubliée. L’absence d’infrastructures éducatives — pas de lycée à Bignona, Sédhiou, Vélingara ou Kolda —, le retard chronique des projets industriels pourtant annoncés, l’état délabré des routes reliant Sédhiou et d’autres localités enclavées, tout concourait à alimenter le sentiment d’abandon. La fermeture de l’ambassade du Sénégal en Guinée-Bissau, voisine immédiate et partenaire naturel, résonnait comme un symbole d’isolement.

À cela s’ajoutaient des tensions sociales plus récentes : pression accrue sur les terres et les ressources locales, chômage endémique des jeunes, exode rural qui vidait les villages de leur vitalité. L’identité casamançaise, forte et fière, se sentait menacée. C’est dans ce climat électrique que les responsables politiques de la région prirent la route de Dakar.

Une mobilisation sans précédent

La délégation était prestigieuse : Assane Seck, Joseph Mathiam, Louis Dacosta, Ousmane Seydi, Mamadou Angrand Badiane, Mamadou Cissé, Louis Carvalho, Kéloutang Maria Badiane, Insa Ndiaye, Bassirou Cissé, Lémou Touré mais aussi d’autres cadres politiques et administratifs venus témoigner des aspirations d’une population lassée. Tous dressèrent un tableau sévère devant Abdou Diouf : désenclavement négligé, stagnation économique, marginalisation des cadres casamançais dans l’administration, abandon des ports, inexistence d’investissements structurants. La jeunesse était décrite comme une « génération sacrifiée », privée d’avenir.

Les Casamançais réclamaient une représentation digne dans les sphères nationales, non comme une faveur, mais comme un droit. Leurs revendications traduisaient une volonté de justice et d’équité, et une exigence de reconnaissance de leur appartenance pleine et entière à la République.

La réponse d’Abdou Diouf

Face à ce tableau accablant, le Premier ministre adopta un ton conciliant. Il reconnut la légitimité des doléances et promit des mesures concrètes : relance des projets industriels et portuaires, amélioration des infrastructures éducatives, meilleure inclusion des cadres casamançais dans la haute administration. Il salua l’attachement des Casamançais à la République et annonça un suivi attentif des dossiers. Pour beaucoup, cette réunion fut perçue comme une ouverture historique, un moment où l’État semblait enfin disposé à écouter et à agir.

Quand le football devint politique

Quelques jours plus tard, une autre scène cristallisa les frustrations : la finale de la Coupe du Sénégal 1980 entre le Casa Sports et la Jeanne d’Arc. Le Casa, vainqueur l’année précédente, portait la fierté casamançaise. Mais des décisions arbitrales contestées déclenchèrent la colère, et Jules François Bocandé, idole de Ziguinchor, s’en prit à l’arbitre. Sa suspension à vie fut vécue comme une injustice supplémentaire, une attaque contre la dignité de toute une région.

Ce double épisode — réunion politique et finale sportive — révéla la profondeur des blessures. La volonté de dialogue institutionnel existait, mais la perception d’une marginalisation systémique demeurait, trouvant désormais des échos jusque sur les terrains de football.

La volonté politique face à l’ajustement structurel

Rétrospectivement, on mesure mieux la fragilité de ce moment. Car si Abdou Diouf avait promis, il devait bientôt composer avec des contraintes autrement plus puissantes : celles des institutions financières internationales. Le Sénégal entra dès le début des années 1980 dans l’ère des programmes d’ajustement structurel.

Ces réformes, imposées par le FMI et la Banque mondiale, obligeaient l’État à réduire ses dépenses, privatiser, limiter ses recrutements, couper dans les subventions. Autant de mesures qui restreignaient drastiquement ses marges de manœuvre. Comment financer le désenclavement, construire des lycées, soutenir l’économie locale, si l’agenda national était dicté depuis Washington ?

L’ajustement structurel a-t-il eu raison de la volonté politique exprimée le 29 juillet 1980 ? La question mérite d’être posée. Car sans ressources pour transformer les promesses en réalisations, la réunion de la « dernière chance » s’est vite muée en rendez-vous manqué. Les frustrations sont restées intactes, nourrissant les aspirations autonomistes qui allaient bientôt trouver leur expression politique et militaire.

Une leçon pour l’histoire

L’épisode de 1980 nous rappelle une vérité constante : la paix ne se construit pas sur les seules intentions, fussent-elles sincères. Elle exige des actes tangibles, des investissements, une équité réelle dans le partage des ressources et du pouvoir. Or, l’État sénégalais, pris dans l’étau de la dette et des réformes néolibérales, n’a pas pu — ou pas voulu — répondre aux attentes exprimées avec tant de clarté par la délégation des élus casamançais.

La réunion de la dernière chance fut donc à la fois un moment d’espérance et un révélateur d’impuissance. Elle reste inscrite dans la mémoire collective comme l’instant où un choix était possible, mais où les contraintes internationales ont réduit la volonté politique à une parole sans lendemain.

Bataille du narratif au Sénégal : souveraineté contre statu quo

La révolution démocratique sénégalaise du 24 mars 2024 n’a pas seulement bouleversé le pouvoir politique. Elle a déclenché une bataille du narratif, où les mots, les images et les récits sont devenus des armes. Dans un espace médiatique dominé depuis des décennies par une caste d’éditocrates liés à l’ancien régime, des voix continuent de se poser en arbitres du débat public. Mais en réalité, ces commentateurs jouent le rôle de vigiles du statu quo : ils vocifèrent contre le changement et protègent les intérêts menacés. Leur objectif est clair : délégitimer le discours souverainiste en le réduisant à du populisme ou à une menace pour la démocratie.

Un espace médiatique verrouillé

Depuis 2021, chaque avancée du camp souverainiste a été suivie d’une offensive médiatique anti-PASTEF. On parle de « vacarme », de « fascisme rampant », de « dérive autoritaire ». Ces vigiles du statu quo se présentent comme défenseurs de la République et de l’État de droit, mais leur indignation est sélective : elle s’élève aujourd’hui contre un pouvoir issu du peuple, mais elle restait silencieuse lorsque la justice servait d’instrument pour écarter les opposants, lorsque les libertés étaient muselées ou lorsque des manifestants tombaient sous les balles en mars 2021, juin 2022, juin 2023 et février 2024.

Ce renversement sémantique est révélateur. L’aspiration à la souveraineté sénégalaise, portée par PASTEF et ses alliés, n’est pas décrite comme un projet de libération, mais comme une menace. Ce n’est pas la République qu’ils défendent, c’est la continuité d’un système de dépendance.

Démasquer les ressorts idéologiques

Leur discours se nourrit d’abord d’une peur des masses : lorsqu’ils parlent de « misérabilisme », ce n’est pas la misère qu’ils nient, mais la dignité de ceux qui refusent l’exil forcé et l’humiliation de la pauvreté. Dans leurs lignes, les cris de la jeunesse ne sont pas une revendication légitime, mais un vacarme menaçant.

À cette peur des masses s’ajoute une sacralisation des institutions figées : ils invoquent l’État de droit comme une incantation, mais c’est bien l’injustice qu’ils défendent lorsqu’ils pleurent sur une justice qui, hier, servait d’arme pour exclure et réprimer.

Enfin, leur arme favorite reste la diabolisation de la rupture. Ils agitent l’épouvantail du fascisme pour faire croire que l’émancipation souverainiste serait une tyrannie en gestation. Mais l’histoire nous a déjà livré ce refrain : Thomas Sankara fut traité de démagogue, Patrice Lumumba de communiste dangereux, Amílcar Cabral d’agité. Or Sankara nous a appris à ne pas céder à ces anathèmes :

« Nous devons oser inventer l’avenir. » — Thomas Sankara

Ceux qui osent inventer sont toujours caricaturés en fauteurs de troubles par ceux qui craignent de perdre leurs privilèges. En vérité, les vigiles du statu quo ne défendent pas un idéal républicain universel. Ils défendent leur monde, leur confort, leur statut, et s’indignent de voir le peuple entrer enfin dans l’histoire par ses propres forces.

Stratégies de contre-discours

Face à ces offensives médiatiques, le camp de la souveraineté populaire doit imposer un récit nouveau, capable de déconstruire les caricatures et de donner confiance au peuple. Cela passe d’abord par une pédagogie populaire, qui explique sans détour pourquoi il faut assainir les finances publiques, réorienter la dépense nationale, ou encore renforcer la coopération avec nos voisins africains. Comme l’a affirmé le Premier ministre Ousmane Sonko le 1er août 2025 :

« La souveraineté n’est pas un slogan, c’est une exigence vitale pour notre peuple. » — Ousmane Sonko

La révolution n’existe pas si elle ne sait pas se dire. C’est pourquoi il faut occuper le terrain de la parole : investir les réseaux sociaux, créer de nouveaux médias panafricanistes, multiplier les espaces où le peuple forge son propre langage.

Mais ce travail exige aussi de renouer avec la mémoire des luttes. Convoquer Lat Dior, Djignabo Bassène, Aline Sitoé Diatta, Omar Blondin Diop, Idrissa Sagna, Cheikh Wade, François Mancabou, Baba Kana et tant d’autres rappelle que l’histoire du Sénégal est faite de résistances populaires autant que de compromis élitaires.

Enfin, ce récit doit s’internationaliser et s’inscrire dans le combat panafricain. Frantz Fanon nous a laissé cet avertissement :

« Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir. » — Frantz Fanon

Notre génération a découvert la sienne : affranchir nos peuples de la dépendance économique et politique. À nous de la remplir, contre toutes les campagnes de peur.

Un langage souverainiste pour l’avenir

La bataille du narratif est décisive. Tant que les vigiles du statu quo tiendront le haut du pavé médiatique, ils tenteront d’enfermer le peuple dans une culpabilité permanente : coupable d’être jeune, coupable d’être pauvre, coupable de vouloir changer les choses. Mais la révolution sénégalaise 2024 a ouvert une brèche. Elle a montré que les mots du peuple pouvaient vaincre les anathèmes de l’élite.

Aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de gouverner, mais d’inventer un discours souverainiste qui donne confiance au peuple et qui résiste aux caricatures. C’est à ce prix que la révolution s’enracinera. Et cette fois-ci, malgré les cris des vigiles, la caravane du peuple ne s’arrêtera pas.

Le souverainisme structurel

Le Premier ministre Ousmane Sonko a dévoilé aujourd’hui un ambitieux plan de redressement économique et social qui s’inscrit dans la « Vision 2050 » du Président Bassirou Diomaye Faye. Cette démarche, loin de tomber du ciel selon ses propres termes, est une réponse à l’héritage économique calamiteux légué par le régime de Macky Sall, marqué par un déficit public réel de 14 % et une dette atteignant 119 % du PIB, largement sous-estimés par l’ancien gouvernement.

Redresser l’économie par une approche souveraine

La phase, dite de « Redressement », couvre une période initiale de trois ans. Elle vise à établir une vision commune, mobiliser l’ensemble des citoyens et poser les bases solides nécessaires à une transformation profonde du pays. Ce premier cycle comprend des réformes fondamentales portant sur les institutions, la justice, la décentralisation, ainsi qu’une profonde réorganisation économique et sociale. Le Premier ministre insiste particulièrement sur la nécessité d’une gestion transparente, soulignant que les Sénégalais doivent connaître l’ampleur réelle des défis pour y faire face efficacement.

Les mécanismes de financement proposés privilégient les ressources endogènes afin de garantir la souveraineté économique nationale. Le gouvernement table notamment sur la mobilisation de ressources domestiques, telles que la collecte rigoureuse des dividendes des entités publiques, la renégociation de contrats stratégiques dans les secteurs miniers, et une meilleure exploitation de l’épargne nationale et de la diaspora. Ce plan exclut toute aggravation de la dette publique, misant plutôt sur des financements complémentaires internes sans recours excessif à l’endettement extérieur.

Un engagement social fort

Sur le plan social, l’ambition du gouvernement est clairement affirmée : améliorer significativement la qualité des services sociaux de base, notamment en matière de santé, d’éducation, de logement, d’accès à l’eau et à l’électricité. Le soutien aux ménages les plus vulnérables est renforcé par des mesures telles que les bourses de sécurité familiale et la baisse ciblée des prix des denrées alimentaires. La création massive d’emplois, notamment pour les jeunes et les femmes, figure également parmi les priorités explicites du plan.

PASTEF doit jouer un rôle central dans la mise en œuvre réussie de ce plan en assurant une mobilisation constante des citoyens, une vigilance accrue face à toute tentative de dérive et un soutien sans faille aux initiatives gouvernementales alignées sur ses idéaux de souveraineté économique et sociale. Son groupe parlementaire doit particulièrement pousser pour garantir que le gouvernement aille au bout de la logique du plan, en exigeant transparence, rigueur et efficacité dans l’exécution des réformes annoncées, tout en veillant à ce que les promesses sociales et économiques se traduisent concrètement dans la vie quotidienne des Sénégalais.

Le souverainisme structurel en actions

Le plan de redressement présenté par le PM Ousmane Sonko peut être perçu comme un ajustement structurel débarrassé du consensus de Washington (licenciements massifs, démantèlement de l’État, désarmement douanier, baisses d’impôts iniques, privatisations excessives). Au contraire, ce plan réaffirme le rôle stratégique de l’État, renforce considérablement l’État social, consolide la souveraineté nationale et mise résolument sur un développement endogène, en rupture avec les modèles traditionnels imposés par les institutions internationales. Ce modèle pourrait être qualifié de « souverainisme structurel », une démarche qui place au centre la souveraineté économique et sociale comme leviers essentiels d’un développement durable et autonome.

Ce plan constitue ainsi une réponse concrète à l’appel pour une souveraineté économique réelle, rompant avec les dépendances externes pour orienter le Sénégal vers un modèle de développement autonome et durable.