
Je suis souvent interpelé sur le concept de « révolution » que j’utilise régulièrement dans mes articles. Certains me reprochent de l’employer avec légèreté. Il est temps de clarifier tout cela : l’élection du 24 mars 2024 au Sénégal constitue-t-elle une simple alternance démocratique ou bien une véritable révolution ? À y regarder de près, tant les circonstances politiques que les dynamiques socio-économiques suggèrent bien davantage : une authentique révolution démocratique par les urnes, fruit d’une volonté populaire manifeste, d’une mobilisation massive et d’une rupture radicale avec les pratiques politiques et économiques antérieures.
La souveraineté populaire comme moteur
D’abord, l’élection de Bassirou Diomaye Faye, issu du parti d’opposition radicale PASTEF, dès le premier tour de la présidentielle, malgré son incarcération peu avant le scrutin, est un événement d’une ampleur historique. Ce succès électoral improbable témoigne d’une mobilisation profonde et d’une volonté générale puissante, comme le conceptualisait Rousseau. Les citoyens sénégalais, en particulier une jeunesse désabusée, mais déterminée, ont exprimé leur rejet massif d’un système perçu comme corrompu, injuste et incapable de répondre aux attentes populaires. Cette mobilisation populaire s’est construite progressivement, depuis les violentes manifestations de 2021 contre l’arrestation d’Ousmane Sonko, jusqu’à la campagne électorale du scrutin de 2024, démontrant clairement que la souveraineté populaire ne saurait être étouffée par la répression et les manœuvres politiques.
Une rupture politique et économique radicale
Ensuite, ce que Tocqueville nomme le « changement radical » est bel et bien à l’œuvre. Même si le processus est électoral, la rupture est réelle. La transition du pouvoir des mains d’un régime autoritaire à celles d’une opposition radicale qui fut marginalisée et réprimée pendant des années marque une transformation structurelle majeure. Le discours porté par le Président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko n’est pas un simple changement de visages, mais vise clairement à réorienter radicalement les politiques économiques vers une souveraineté nationale affirmée, la transparence, la justice sociale, et la fin des arrangements économiques néocoloniaux.
Cette révolution démocratique s’ancre profondément dans les dynamiques socio-économiques identifiées par Karl Marx et Eric Hobsbawm : les frustrations économiques, le chômage massif des jeunes, le coût élevé de la vie, et la corruption systémique. Ces réalités ont alimenté une colère sociale qui s’est cristallisée dans un vote massif en faveur de PASTEF, dont les propositions visent précisément à inverser ces logiques d’exploitation et de marginalisation économique. La redéfinition des contrats pétroliers et gaziers, ainsi que l’engagement clair à rééquilibrer la redistribution des richesses nationales, participent de cette volonté révolutionnaire.
Un nouveau commencement démocratique
Le Sénégal est dans ce que Reinhart Koselleck appelle la « Sattelzeit », une période charnière où les concepts mêmes de gouvernance, de souveraineté économique et de justice sociale sont en pleine mutation. La notion de « rupture » se positionne désormais comme un pivot central dans le discours politique, signifiant non seulement un changement d’approche, mais une véritable refondation des principes éthiques et politiques de l’État sénégalais.
Enfin, selon la pensée d’Hannah Arendt, ce mouvement représente un véritable « nouveau commencement ». En dissolvant l’Assemblée nationale et en convoquant des élections législatives anticipées, tenues en novembre 2024, le Président, Faye a posé un acte fort de refondation. Il s’agissait de doter le projet révolutionnaire d’une légitimité démocratique renouvelée, garante de sa cohérence et de sa pérennité. Ce nouveau pouvoir ne se contente pas d’alternance démocratique classique ; il aspire clairement à créer un « nouveau Sénégal » basé sur une gouvernance éthique et souveraine, indépendante des influences néocoloniales traditionnelles.
