
Le 18 juin 2025, à l’occasion du Conseil des ministres que présidait le Président Bassirou Diomaye Faye, le Premier ministre Ousmane Sonko a exposé les grandes lignes de sa vision pour une transformation radicale de l’administration sénégalaise. Il ne s’est pas contenté de proposer une simple modernisation — digitalisation des procédures, évaluation des agents ou rationalisations des services — mais a posé les bases d’un projet plus vaste : celui d’une refondation. Cette ambition vise à rompre de manière décisive avec un héritage administratif encore imprégné de ses origines coloniales, lorsque l’appareil étatique servait d’outil de coercition au profit de la domination impériale, puis, après les indépendances, de levier de reproduction des privilèges d’une bourgeoisie politico-bureaucratique retranchée derrière les murs de l’État.
Depuis les indépendances, l’administration sénégalaise — comme dans nombre d’États africains — n’a que trop rarement été mise au service des citoyens. Formée sur les plans du commandement colonial, elle a perpétué un rapport vertical, distant, souvent répressif à la population. Ce n’est pas parce que Senghor a rebaptisé le gouvernorat en gouvernance que la réalité du pouvoir a changé. Les mots ont été soignés, mais la matrice est restée intacte. L’École nationale d’administration demeure calquée sur le modèle français des années 1950, comme si la rupture politique avec la métropole n’avait jamais eu lieu dans l’appareil d’État. Cette inertie n’est pas qu’un résidu sémantique : elle cristallise une vision autoritaire du pouvoir, où le fonctionnaire est un exécutant zélé, souvent plus loyal à la hiérarchie qu’à la nation. Et dans cette mise en scène postcoloniale, les magistrats jouent trop souvent les premiers rôles : par leur posture, leur langage et leur rapport au justiciable, ils incarnent ce qu’il y a de plus caricatural dans la perpétuation du mythe colonial de l’autorité administrative inflexible et détachée du peuple.
Or, comme l’a rappelé le Premier ministre, l’heure n’est plus à la gestion d’un héritage, mais à l’invention d’une nouvelle éthique publique. Il ne s’agit pas de repeindre la façade, mais de reconstruire le bâtiment.
Vers une administration citoyenne et souveraine
Dans ses prises de position, le PM Ousmane Sonko déconstruit un double héritage qui pèse sur l’État sénégalais : la domination néocoloniale d’un côté, et l’entre-soi oligarchique postcolonial de l’autre. Contre cette logique d’enfermement, il défend une souveraineté démocratique conçue comme fondement éthique de l’action publique, où l’administration cesse de servir des intérêts particuliers pour devenir l’expression des droits collectifs, dans une logique de responsabilité et de transparence.
C’est dans cette perspective que s’inscrit l’idée d’un véritable basculement culturel. Il ne plaide pas pour une réforme superficielle, mais pour une mutation profonde des représentations et des pratiques : une administration qui reconnaît à chaque citoyen un droit opposable à l’information ; qui conçoit le fonctionnaire non plus comme un agent du pouvoir, mais comme un mandataire du peuple, ancré dans une éthique de responsabilité et de reddition de comptes ; qui inscrit l’évaluation des performances dans la durée, comme gage de redevabilité ; qui réinvente la formation des agents publics, en articulant compétence technique, civisme républicain, exigence de transparence et enracinement panafricain.
Dans cette stratégie, la création d’une Cellule de coordination des réformes de l’État, directement rattachée à la Primature, revêt une portée politique déterminante. Elle exprime la volonté de piloter la transformation de l’administration depuis le cœur du pouvoir exécutif, en rompant avec la logique technocratique et dépolitisée des anciens régimes.
L’administration comme levier de souveraineté populaire
À travers la redéfinition du statut des agents, la digitalisation, la gouvernance ouverte, la formation continue, et le pilotage du secteur parapublic, ce que propose le Premier ministre est un acte politique majeur. Ce n’est pas un « programme d’ajustement administratif » : c’est un processus révolutionnaire d’émancipation de l’État par sa propre administration.
Ce big bang administratif est la condition sine qua non de tout autre projet politique : sans agents intègres, compétents et engagés, il n’y aura ni justice fiscale, ni planification souveraine, ni industrialisation. Ce qu’il propose, c’est de faire du service public le cœur battant de la souveraineté, là où les précédents régimes l’ont transformé en machine de distribution clientéliste ou en simple guichet d’exécution des injonctions internationales.
