
La guerre dite « juste » n’est que rarement ce qu’elle prétend être. Elle se veut encadrée par des principes moraux, mais sert trop souvent à conférer une apparence de vertu à des entreprises de domination. Derrière chaque « frappe préventive », chaque intervention soi-disant humanitaire affleure une logique de puissance déguisée. Or, ce décalage entre le discours moral et les actes brutaux révèle une crise plus profonde : celle du sens.
Dans Le Savant et le Politique, Max Weber distingue deux éthiques : celle de la conviction, fidèle à ses principes sans compromis ; et celle de la responsabilité, attentive aux conséquences concrètes de l’action. Ce dilemme innerve autant les stratégies militaires internationales que les tensions internes des gouvernances africaines. C’est en le prenant au sérieux que l’on peut lire les développements récents, de Fordow à Dakar.
De Fordow à Washington : le retour du mythe de la guerre morale
Le 21 mai 2026, Donald Trump proclame le succès de frappes américaines contre des installations nucléaires iraniennes. En saluant la coopération exemplaire avec l’armée israélienne et en promettant de nouvelles attaques si la « paix ne vient pas », il rejoue une partition bien connue : celle de la civilisation armée contre la barbarie supposée.
Mais les faits résistent à la propagande. L’Iran dément toute destruction significative sur le site de Fordow. L’AIEA confirme l’absence de fuite radioactive. Les populations locales parlent de « bluff ». La guerre, une fois de plus, devient langage avant d’être réalité.
Cette pièce se joue sur une scène ancienne. Le programme nucléaire iranien naît dans les années 1970, avec le soutien occidental, alors que le Shah (monarque absolu) était encore l’homme lige de Washington. Suspendu après la révolution islamique de 1979, il est relancé pendant la guerre Iran-Irak. L’accord de Vienne de 2015 avait permis une désescalade historique. Mais en 2018, Trump s’en retire unilatéralement, provoquant une montée en flèche des tensions. Aujourd’hui, l’Iran enrichit l’uranium à 60 %, sans preuve concrète d’un programme militaire, mais dans un climat de suspicion entretenue.
La guerre dite juste se dévoile ici comme une guerre de communication. Elle n’est plus une réponse, mais un outil d’agenda. La violence n’est pas l’ultime recours, mais le premier choix. Dans ce théâtre, la morale n’est plus une régulation : elle devient décor. Et l’éthique, un masque pour l’impunité.
Sénégal : quand l’éthique entre au gouvernement
Pendant que l’impérialisme s’exhibe, la révolution citoyenne sénégalaise s’interroge. Le 24 mars 2024, l’élection de Bassirou Diomaye Faye au Sénégal, suivie de la nomination d’Ousmane Sonko comme Premier ministre et de la victoire aux législatives de novembre (130 députés sur 165), nourrit un immense espoir de rupture éthique.
Mais les contradictions de l’exercice du pouvoir surgissent. Affectations discutables, tensions autour de l’usage des moyens de l’État, alertes publiques sur certaines pratiques. L’exigence éthique rencontre les résistances du réel. Faut-il dénoncer sans concession ou agir avec tactique pour ne pas déstabiliser une dynamique fragile ?
Weber est là encore une boussole utile. L’éthique de conviction pousse à dire la vérité, quoi qu’il en coûte. L’éthique de responsabilité impose d’agir sans détruire l’espace commun. Mais l’une sans l’autre est inopérante : le courage solitaire peut affaiblir l’élan collectif, la discipline silencieuse peut couvrir des abus. Il faut articuler les deux.
D’autant que le paradoxe est structurel. Si la politique n’est pas un métier, elle devient le privilège des riches. Mais si elle se professionnalise sans garde-fous, elle se transforme en carriérisme. Le défi est clair : permettre de vivre de la politique sans jamais cesser de vivre pour elle.
Une même exigence s’impose : refonder la politique sur l’éthique, non sur le spectaculaire. Refuser la guerre comme communication, le pouvoir comme rente. Faire de la politique une ascèse, pas un guichet. Car les peuples, eux, ne demandent ni des héros ni des martyrs : ils attendent des actes justes, constants, discrets.
