Remember François Mancabou : le silence n’est plus une option

Il y a trois ans, le 13 juillet 2022, François Mancabou décédait à l’Hôpital principal de Dakar, des suites de graves blessures contractées lors de sa garde à vue à la Sûreté urbaine. Arrêté le 17 juin à Dakar, en marge d’une manifestation de la coalition d’opposition Yewwi Askan Wi, l’ancien militaire de 51 ans avait été accusé d’appartenir à une prétendue « Force spéciale » et placé en détention dans le cadre d’une enquête pour terrorisme. Ce qu’il advint de lui entre son interpellation et son admission à l’hôpital demeure, encore aujourd’hui, couvert d’un épais voile de mystère et de déni d’État.

Le 15 juillet 2022, lors d’un point de presse tenu au Palais de justice de Dakar, le procureur de la République d’alors, Amady Diouf, donne une version officielle aussi laconique que dérangeante : selon lui, François Mancabou aurait été victime d’automutilation. Il se serait, dit-il, violemment cogné la tête « contre les murs et les grilles de la cellule de rétention », sans qu’on sache réellement ses motivations. Pour appuyer cette thèse invraisemblable, le procureur affirme que son parquet détient une vidéo de 13 minutes montrant les faits et qu’elle sera versée à la procédure judiciaire. Trois ans plus tard, cette vidéo n’a jamais été rendue publique ni présentée à la famille, ni soumise à une expertise indépendante, ni citée dans une quelconque procédure judiciaire connue. Une omission coupable, révélatrice d’un verrouillage systématique.

Quand le Kenya montre la voie de la justice

L’affaire aurait pu suivre le même cours que tant d’autres : une brutalité policière, un silence administratif, une impunité installée. Mais voilà que le Kenya, en juin 2025, vient nous rappeler ce que peut et doit être une réaction républicaine. À Nairobi, le blogueur Albert Ojwang, 31 ans, est arrêté chez lui le samedi 7 juin pour un post critique contre un haut responsable de la police. Le lendemain, il est retrouvé mort dans sa cellule. Comme à Dakar, la police parle d’un suicide, affirmant qu’il se serait cogné la tête contre le mur. Mais cette fois, la réaction populaire est fulgurante : manifestation immédiate, mobilisation des ONG, pression médiatique. Et surtout, une autopsie indépendante est ordonnée sans délai. Le verdict tombe : Albert Ojwang a été étranglé et battu à mort. Son visage portait des ecchymoses, son corps des lésions multiples — exactement comme François Mancabou, selon les témoignages de sa famille et les premières constatations médicales à Dakar.

À Nairobi, la chaîne de commandement est secouée. Les policiers de faction sont suspendus. Le président William Ruto, le 11 juin 2025, condamne officiellement ce qu’il qualifie d’événement déchirant et inacceptable, engageant la police à restaurer la confiance. À Dakar ? Rien. Aucune suspension, aucune suite judiciaire. Aucune condamnation officielle. Le président Macky Sall, sous le mandat duquel les faits ont eu lieu, ne s’est jamais exprimé sur cette affaire. Quant aux services de l’État impliqués — la Sûreté urbaine, la Section de Recherches, la Division des Investigations criminelles — ils n’ont jamais été inquiétés ni publiquement mis en cause.

La rupture politique à l’épreuve de la justice

Ce contraste est accablant. Au Sénégal, le pouvoir de l’époque a choisi l’étouffement, l’intimidation et le mensonge. Le parquet a été instrumentalisé pour couvrir les responsabilités, et non pour les établir. Pendant ce temps, la veuve de François Mancabou, Clémentine Coly, témoignait devant les caméras de l’état de son époux lors de sa première visite à l’hôpital : en fauteuil roulant, incapable de parler, le visage ensanglanté. Il lui aurait dit : « Tu as vu ce qu’ils m’ont fait. On m’a torturé. » Et cela n’a suscité aucune enquête indépendante, aucune contre-autopsie, aucune réaction du Conseil supérieur de la magistrature.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Elle interpelle aujourd’hui les nouvelles autorités sénégalaises, celles qui ont promis rupture et transparence. Le Président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko se sont engagés à restaurer l’État de droit, à combattre l’impunité, à faire de la justice une boussole. L’affaire François Mancabou est un test de vérité. Elle pose une question simple et décisive : la rupture commence-t-elle aussi par le courage de revenir sur les crimes d’hier ?

Les gestes attendus sont clairs : rouvrir l’enquête, publier les images promises, faire appel à une contre-expertise médico-légale indépendante, auditionner les responsables policiers et judiciaires de l’époque. Non pour venger, mais pour réparer. Non pour diviser, mais pour guérir. Comme l’a dit si bien Alioune Tine, fondateur d’Africajom Center, « On doit entrer debout dans un lieu de détention, et en sortir debout. » Si ce principe est bafoué, c’est l’État tout entier qui chancelle.

Remember François Mancabou, ce n’est pas un slogan. C’est un impératif moral. C’est une exigence démocratique. C’est l’ultime appel à l’honneur d’un pays qui, trop souvent, a oublié que la justice commence par la vérité.

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Auteur : Félix Atchadé

Je suis médecin, spécialiste de Santé Publique et d’Éthique Médicale. Je travaille sur les questions d’équité et de justice sociale dans les systèmes de santé. Militant politique, je participe à l'oeuvre de refondation de la gauche sénégalaise.

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