Une injure, un polémiste en roue libre… et une justice trop prompte

Il faut croire que certains personnages publics au Sénégal possèdent le rare talent d’associer l’inculture à l’arrogance. Moustapha Diakhaté, ancien député et ex-chef de cabinet du président Macky Sall, s’est récemment distingué dans un registre peu reluisant. En prétendant donner des leçons de protocole d’État tout en qualifiant le Président de la République, le Premier ministre et le Président de l’Assemblée nationale de « gougnafiers », il a surtout confirmé une chose : il ne connaît visiblement ni l’histoire ni les règles du protocole républicain, et encore moins les manières élémentaires du débat démocratique.

Quand l’ignorance se prend pour un manuel de protocole d’État

Le terme « gougnafier », qu’il a brandi avec l’assurance du lettré de comptoir qui s’imagine académicien dès qu’il ouvre un dictionnaire, n’est pas un concept juridique ni une catégorie du protocole d’État. C’est une injure, une insulte qui trahit une forme de ressentiment social et politique. Cela dit, si Moustapha Diakhaté a bel et bien perdu la mesure dans sa critique — et s’il a sans doute fait preuve d’une outrecuidance peu élégante en commentant un moment informel entre les trois têtes de l’exécutif —, cela suffit-il à justifier sa garde à vue ? L’usage de moyens coercitifs aussi lourds pour un simple commentaire, même outrancier, interroge sur les priorités et les sensibilités du pouvoir judiciaire.

Car enfin, dans un pays où la détention provisoire est trop souvent banalisée, l’affaire Moustapha Diakhaté est symptomatique d’un mal plus profond : une justice à deux vitesses. D’un côté, les magistrats rechignent toujours à sanctionner l’un des leurs, estimant — à juste titre — que la prison est une expérience traumatisante. Mais alors, comment expliquer qu’on l’utilise avec tant de facilité pour de simples propos, fussent-ils maladroits ou insultants ? Dans un État de droit, la réponse à l’outrage verbal ne peut être une démonstration de force policière, sauf à glisser lentement mais sûrement vers une forme de tyrannie procédurale.

Garde à vue pour outrage : quand la justice oublie la mesure

La révolution démocratique du 24 mars 2024 a soulevé un immense espoir : celui de voir émerger une justice sereine, respectueuse des libertés, équitable et ferme à la fois. Cette justice que réclamaient les prisonniers politiques, les victimes d’arrestations arbitraires, les manifestants, les journalistes harcelés. Elle ne peut se construire sur des automatismes répressifs ou sur des gardes à vue punitives transformées en instruments d’intimidation.

Punir un ancien ministre qui éructe des sottises n’est pas une priorité nationale. Et surtout, cela ne sert en rien la dignité de nos institutions. Il existe mille autres moyens de sanctionner l’outrage, le mensonge ou l’irrespect : la réplique politique, la condamnation morale, voire l’amende symbolique. Mais la prison ? Non. La prison est un aveu d’échec, surtout quand elle se substitue au débat, à l’argument, à l’intelligence.

Le ridicule, dit-on, ne tue pas. Mais parfois, il emprisonne. Et dans ce cas précis, il faut bien le reconnaître : ce n’est pas Moustapha Diakhaté qui a le plus perdu dans cette histoire.