Ousmane Sonko à Ouagadougou : le souffle d’un panafricanisme de gouvernement

Le déplacement du Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko à Ouagadougou à l’occasion de l’inauguration du mausolée Thomas Sankara n’a pas manqué de faire réagir certains observateurs, étonnés par ce geste fort dans un contexte régional tendu. Mais c’est justement dans ce climat de suspicion diplomatique et de reconfigurations géopolitiques que ce voyage prend tout son sens. En choisissant la Radiotélévision burkinabè (RTB) pour sa première interview à une télévision étrangère depuis trois ans, il ne signe pas un alignement, mais une affirmation. Il réinscrit son action dans une continuité historique de luttes pour la souveraineté, la dignité et l’intégration africaine. Dans un entretien dense, sans concession et sans langue de bois, il esquisse les contours d’un panafricanisme lucide, d’une souveraineté active, et d’une diplomatie de réparation. Bref, une pensée politique de gouvernement.

Le langage de la filiation : Sankara, Mamadou Dia et l’actualisation de la pensée politique

L’ouverture de l’entretien est une déclaration de principes. En rendant hommage à Thomas Sankara, le Premier ministre Sonko ne cède ni à la rhétorique commémorative ni à la récupération symbolique. Il assume une filiation méthodologique : Sankara n’est pas seulement une figure tutélaire, il est une boussole. À ses côtés, il cite également Lumumba, Nkrumah, mais surtout Mamadou Dia, dont la réhabilitation par le Président Bassirou Diomaye Faye signe une volonté de renouer avec les racines politiques autochtones. Là où beaucoup se contentent de slogans, le Premier ministre sénégalais se distingue par une pensée qu’on pourrait qualifier de « néo-révolutionnaire contextualisée » : s’inspirer sans répéter, actualiser sans travestir.

Cette posture reflète un changement : l’afro-optimisme ne suffit plus. Ce qui est requis, c’est un ancrage intellectuel solide, une capacité à historiciser les luttes, à articuler le passé et le futur dans une vision de gouvernement. À ce titre, l’entretien est aussi un manifeste méthodologique : le refus du mimétisme, l’insistance sur la pensée située, la valorisation d’un héritage africain encore trop souvent enfoui.

La souveraineté comme pratique : au-delà des postures

Le deuxième pilier du discours est économique et stratégique. Il s’agit pour le PM Sonko de redonner chair à la souveraineté. Non comme posture martiale ou rhétorique guerrière, mais comme pratique quotidienne du pouvoir. La décision de démanteler les bases militaires étrangères du territoire sénégalais en est l’illustration la plus forte. Décrite comme un « acte ordinaire dans un pays indépendant », elle inscrit la souveraineté dans le réel, non dans la gesticulation.

Sur la question du franc CFA, il poursuit une ligne constante : ni rupture précipitée ni conservatisme dogmatique. Il adopte une approche rationnelle, intégrant les enjeux de stabilité macroéconomique, de compétitivité et d’intégration régionale. Le combat n’est pas contre une monnaie en soi, mais pour une politique monétaire au service du développement industriel africain. Cette distinction entre le symbolique (héritage colonial du CFA) et le fonctionnel (arrimage, stabilité) illustre une vision stratégique.

Quant à la France, le refus des postures binaires est net. Il ne s’agit ni de diaboliser ni d’idéaliser, mais de replacer ce partenaire dans une grille relationnelle plus large. Ce que propose le PM Ousmane Sonko, c’est de sortir du tête-à-tête infernal pour replacer l’Afrique au centre de son propre agenda diplomatique. Ni soumission, ni hostilité, mais contractualisation rationnelle des relations internationales.

Réparer l’Afrique : diplomatie, jeunesse et géopolitique régionale

Enfin, le troisième temps fort de l’entretien relève du politique au sens le plus noble : la réconciliation des fractures africaines. Face au retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la CEDEAO, Sonko évite l’invective pour préférer la complexité. Il reconnaît la légitimité de leurs choix tout en pointant les manquements de l’organisation. Il rappelle que l’histoire, la géographie, les solidarités familiales et les flux économiques commandent la coopération. D’où son appel à une diplomatie de réparation : restaurer les liens brisés, réconcilier les peuples au-delà des régimes.

Le discours final à la jeunesse africaine n’est pas un simple appel moral, mais un véritable projet politique. Pour que le XXIe siècle soit africain, il faut que la jeunesse retrouve confiance en la politique et que les États dépassent leurs rivalités. L’enjeu n’est plus d’unir des gouvernements, mais des peuples, non de préserver des frontières, mais d’organiser les interdépendances. C’est là l’originalité géopolitique de Sonko : promouvoir une intégration non plus seulement institutionnelle, mais civilisationnelle, fondée sur la sécurité et le développement.

Ce que donne à voir cette interview n’est pas un simple changement de ton, mais un changement d’époque. Le Premier ministre Ousmane Sonko ne parle plus en opposant radical, mais en gouvernant lucide. Il n’a pas renié ses idéaux : il les a traduits en actes.

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Auteur : Félix Atchadé

Je suis médecin, spécialiste de Santé Publique et d’Éthique Médicale. Je travaille sur les questions d’équité et de justice sociale dans les systèmes de santé. Militant politique, je participe à l'oeuvre de refondation de la gauche sénégalaise.

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