Pape Léon XIV : la géopolitique de la colombe

En élisant le cardinal américain Robert Francis Prevost au trône de Pierre, les 115 cardinaux électeurs ont fait plus que choisir un pasteur : ils ont déclenché une onde diplomatique, culturelle et spirituelle à l’échelle planétaire. Ce nouveau pontificat, sous le nom de Léon XIV, est un fait géopolitique majeur. La papauté, même sans division militaire — comme s’en moquait Staline —, dispose d’un soft Power inégalé, forgé dans les siècles, et réactualisé sous les pontificats récents.

Une élection rapide, un symbole fort

La rapidité de cette élection — deux jours de conclave — s’inscrit dans une tradition désormais bien ancrée. Depuis le XIXe siècle, les conclaves s’abrègent ; le temps n’est plus à l’indécision. Le monde attend, les équilibres sont fragiles, les messages doivent être délivrés vite et fort. En ce sens, la première parole de Léon XIV — « Paix à vous » — est un jalon posé vers une diplomatie pontificale active, en rupture feutrée, mais réelle avec les crispations nationalistes et sécuritaires de notre époque. Et le choix de son nom est hautement symbolique : Léon Ier, dit le Grand, n’est-il pas celui qui, au Ve siècle, a négocié avec Attila et désamorcé la fureur vandale ? Derrière le nom, un programme : la paix.

Dans son premier discours, le nouveau souverain pontife n’a cité aucun pays, mais le ton était clair : « Paix à vous », a-t-il lancé, les yeux levés vers la foule, mais l’esprit tourné vers les peuples blessés. Par cette formule simple, mais lourde de sens, Léon XIV a inscrit son pontificat dans la continuité d’une diplomatie vaticane qui, sous Jean-Paul II puis François, s’est engagée pour la résolution pacifique des conflits. À travers cet appel universel, comment ne pas percevoir une adresse implicite aux drames contemporains : au génocide en cours à Gaza, aux guerres fratricides qui ensanglantent le Soudan et le Soudan du Sud, au supplice silencieux des populations de l’Est de la RDC, ou encore aux dirigeants de Moscou et de Kyiv, enfermés dans une guerre sans horizon ?

Un pape de justice sociale et d’envergure mondiale

Robert Francis Prevost est un homme aux racines multiples, à l’image d’un catholicisme mondial qui transcende les frontières. Son père, ancien combattant de la marine américaine pendant la Seconde Guerre mondiale, devenu administrateur scolaire, était d’ascendance française et italienne ; sa mère, d’origine espagnole. C’est dans les quartiers populaires du sud de Chicago, à l’église Sainte-Marie-de-l’Assomption, qu’il a grandi en servant la messe comme enfant de chœur — un enracinement pastoral modeste, mais formateur.

Il devient ainsi le premier pape issu de l’ordre des augustiniens, une famille religieuse fondée sur la spiritualité de Saint Augustin, évêque d’Hippone au IVe siècle. Augustin était un Africain, né à Thagaste en Numidie romaine (aujourd’hui Souk Ahras, en Algérie), et mort à Hippone (Annaba actuelle). Figure majeure de la patristique, philosophe, théologien, exégète, il demeure l’un des penseurs les plus influents du christianisme, à l’origine de notions durables comme le temps intérieur, la cité de Dieu, la grâce ou le péché originel.

À peine élu, Léon XIV a suscité une vague de réactions officielles et de prises de parole significatives à travers le monde. Le président Gustavo Petro de Colombie lui a adressé ses félicitations tout en l’appelant, dans un même souffle, à prendre la défense des migrants latino-américains confrontés à l’humiliation et au rejet sur le sol des États-Unis.

Un pape salué dans le monde, attendu sur les marges

Aux États-Unis, Donald Trump s’est empressé de saluer l’élection d’un pape issu de son pays, dans un ton typiquement emphatique : « Félicitations au cardinal Robert Francis Prevost, qui vient d’être nommé pape. C’est un tel honneur de constater qu’il est le premier pape américain. Quelle excitation, et quel immense honneur pour notre pays. J’ai hâte de rencontrer le pape Léon XIV. Ce sera un moment très fort ! » Derrière cette exaltation patriotique, on pressent cependant une dissonance à venir. Lorsque Léon XIV défendra — comme il l’a déjà esquissé — les sans-papiers, les exclus, les travailleurs précaires et les réfugiés, il est fort probable que Trump, fidèle à son habitude, transforme l’enthousiasme en hostilité. Le président français Emmanuel Macron a salué un « moment historique pour l’Église catholique et ses millions de fidèles ». Le président sud-africain Cyril Ramaphosa a salué un « moment profond pour l’Église catholique et la communauté mondiale », espérant que « la fumée blanche du conclave l’emporte sur les fumées noires des bombardements ». Il a vu dans l’appel à la paix de Léon XIV un hommage au pape François et a souhaité « un pontificat porteur d’unité et de solidarité sociale ».

Plus sobre et plus profond, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a adressé un message empreint de spiritualité et de lucidité politique. « J’adresse mes chaleureuses félicitations au Cardinal Robert Prevost, élu Pape sous le nom de Léon XIV », a-t-il déclaré sur son compte X officiel, avant de souhaiter à « Sa Sainteté Léon XIV et à toute la communauté catholique » un pontificat « sous le signe du dialogue interreligieux, de la paix et de la fraternité humaine ». Dans une région du monde où l’équilibre entre communautés religieuses est précieux, cette déclaration est plus qu’un geste protocolaire : c’est un appel à une diplomatie pontificale attentive aux dynamiques africaines et au vivre-ensemble au sud du Sahara.

Léon XIV n’est pas un pape américain au sens d’un représentant de la puissance étasunienne. Né à Chicago, citoyen des États-Unis, il est certes le premier pontife venu d’Amérique du Nord, mais son parcours pastoral le situe résolument ailleurs : c’est en Amérique latine, dans les diocèses pauvres du Pérou, qu’il a longtemps exercé sa mission. Il y a appris l’écoute patiente, l’accompagnement des marginalisés, la proximité avec les peuples autochtones. À l’instar de François, venu d’Argentine, il connaît la réalité des périphéries. Par sa biographie, il unit le Nord et le Sud, l’Église des centres et celle des marges. En ce sens, ce n’est pas tant l’Amérique impériale qui entre à Rome que l’Amérique populaire, métissée, vulnérable, résistante.

En somme, Léon XIV ne régnera pas seulement sur les âmes des catholiques. Il sera une figure incontournable de la géopolitique mondiale, une conscience pour un monde en perte de repères. Et à l’heure où les murs se construisent plus vite que les ponts, il est bon qu’un Pape, encore une fois, choisisse de marcher dans les pas d’Augustin et de Léon le Grand, en bâtisseur de paix.

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Auteur : Félix Atchadé

Je suis médecin, spécialiste de Santé Publique et d’Éthique Médicale. Je travaille sur les questions d’équité et de justice sociale dans les systèmes de santé. Militant politique, je participe à l'oeuvre de refondation de la gauche sénégalaise.

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