Ce 10 avril 2025, le Premier ministre Ousmane Sonko sera dans l’hémicycle pour une séance de questions-réponses avec les députés. Un moment fort, républicain, attendu, institutionnel… et manifestement insoutenable pour une partie de l’opposition, qui a préféré prendre la tangente. Un « sauve qui peut » digne d’un vaudeville politique : dès que le chef du gouvernement pointe à l’Assemblée nationale, certains élus s’évaporent comme des figurants mal réveillés.
Leur prétexte ? Une « mascarade institutionnelle ». L’argument est si creux qu’il en devient presque poétique. Ceux qui, hier encore, juraient fidélité aux valeurs de la République refusent aujourd’hui de participer à l’un des espaces où elle se déploie pleinement. Ils crient à l’imposture, mais fuient le débat. L’art de retourner sa veste sans même la boutonner.
Soyons justes : peut-être n’est-ce pas de la peur. Peut-être est-ce un raffinement supérieur de la stratégie politique — la politique du dos tourné. Ne pas affronter les idées, ne pas répondre aux arguments, ne pas écouter ce que l’on pourrait contredire. Une posture muette, déguisée en résistance. À Soweto, le peuple applaudira, les bancs vibreront, les regards seront là. Et eux ? Eux auront choisi l’ombre. C’est plus discret pour se faire oublier. Yolleku!!
La mondialisation néolibérale, façonnée par les États-Unis depuis les années 1980, se délite sous l’impulsion de ceux-là mêmes qui l’ont érigée en dogme. L’administration Trump ne se contente pas d’un repli protectionniste : elle engage une rupture systémique du capitalisme globalisé.
Le 2 avril 2025, désigné par Trump comme un « jour de libération », acte cette bascule. Des tarifs douaniers massifs sont imposés à presque tous les partenaires commerciaux de Washington. Cette décision n’est pas improvisée : elle s’inscrit dans une stratégie mûrie, portée par une coalition de populistes de droite, techno-oligarques et d’intellectuels réactionnaires, bien décidés à détruire l’ordre qu’ils ont eux-mêmes contribué à façonner.
Le détricotage de la mondialisation néolibérale
L’analyse du choc douanier initié par Trump révèle une volonté de remodeler le système capitaliste mondial au profit d’une Amérique « autarcique et souveraine ». Le libre-échange qui avait permis la domination occidentale est désormais perçu comme un handicap pour les États-Unis, englués dans des déficits commerciaux abyssaux, une désindustrialisation, et une dépendance stratégique envers l’Asie. En réponse, Washington opte pour un retour assumé au protectionnisme, non plus défensif, mais offensif.
Mais cette politique ne s’arrête pas aux frontières du commerce : elle est pensée comme une reconfiguration civilisationnelle. Elle s’appuie sur un récit réactionnaire assumé, porté par des figures comme J. D. Vance et Curtis Yarvin, et promu activement par des milliardaires, tels Elon Musk ou Peter Thiel. Ces derniers veulent substituer à la démocratie libérale une gouvernance technocratique, autoritaire et centralisée — une sorte de monarchie 4.0.
La stratégie du roseau : résister par la souplesse
Nous n’avons aucun levier sur les décisions de Trump ou sur les trajectoires des géants de la Tech. Mais ce que nous pouvons — et devons — faire, c’est anticiper. Plutôt que de nous cabrer comme le baobab face à la tempête, inspirons-nous du roseau de La Fontaine : plions sans rompre. Adaptons-nous avec intelligence, sans jamais renoncer à notre souveraineté.
Cela commence par une rupture intellectuelle avec l’idéologie de la technocratie financière internationale, qui nous a enfermés dans une logique de dépendance. Il est temps d’assumer une politique de protection économique ciblée, qui défend nos filières productives, notamment manufacturières, celles qui peuvent absorber massivement une jeunesse en quête de travail décent.
Dans le même mouvement, nous devons remettre en question notre arrimage monétaire à l’euro. L’horizon économique du Sénégal ne peut plus dépendre des choix de Paris et de Francfort. La reconquête d’une marge d souveraineté monétaire est une condition de la planification économique et sociale à long terme.
Cette redirection ne sera pas viable sans un socle industriel robuste. Il faut investir dans la transformation locale de nos ressources, développer l’agro-industrie, miser sur des technologies adaptées à nos besoins réels, et non dictées par les normes extérieures. Une économie de production, et non de transit.
Enfin, dans ce monde fragmenté, nous ne pouvons rester seuls. Le destin du Sénégal est lié à celui de la région. L’intégration sous-régionale, notamment à travers la CEDEAO, doit être pensée non comme un slogan diplomatique, mais comme un levier stratégique.
L’Afrique peut-elle se réinventer par la périphérie?
Thomas Sankara l’a dit : sortir de la dépendance passe par une rupture assumée avec les logiques imposées. L’Éthiopie a montré qu’une politique industrielle cohérente pouvait desserrer l’étau de la soumission économique. Des marges de manœuvre existent. Mais elles ne deviennent marges d’action qu’avec une volonté politique claire et un ancrage populaire solide.
Le monde qui s’ouvre ne sera ni plus juste, ni plus solidaire. Mais il sera peut-être plus instable — donc plus propice aux bifurcations. L’Afrique ne doit plus se contenter de brandir un moralisme stérile dans un univers où les puissances dominantes foulent aux pieds les règles qu’elles imposent. Elles glorifient le libre-échange, mais ferment leurs marchés, se disent démocrates tout en courtisant les autocraties. Leur hypocrisie n’est pas une dérive : c’est le cœur même du système.
Dans ce théâtre de dissonances, le Sénégal doit faire le choix du roseau : enraciné et souple. Non pas pour se soumettre, mais pour survivre sans se briser. Une stratégie de flexibilité souveraine.
Une bombe à retardement de 7 milliards de dollars, soit près de 20 % du PIB annuel moyen du Sénégal, a été dissimulée au cœur de notre architecture budgétaire. Cette somme vertigineuse, révélée tardivement grâce à un audit de la Cour des comptes, ne figure pas dans les comptes officiels de l’État entre 2019 et 2023. Le scandale dépasse les chiffres : il éclaire crûment les zones d’ombre de la gouvernance de Macky Sall, le naufrage de notre administration, et l’extrême vulnérabilité de notre démocratie.
Le procès du FMI : un détour qui nous égare
Certains aimeraient braquer les projecteurs sur les institutions de Bretton Woods, et en particulier le FMI, comme unique responsable de ce désastre. Mais ce serait une erreur stratégique et analytique. Le FMI, quoi qu’on en pense, est fidèle à sa mission historique : garantir la stabilité financière globale dans l’intérêt des puissants, pas des peuples. Ses prescriptions sont connues, ses conditionnalités documentées : austérité budgétaire, privatisations, libéralisation, discipline monétaire. Que ces mesures soient socialement destructrices, nul ne l’ignore. Mais accuser le FMI revient à tirer sur une cible hors de portée, pendant que le véritable saboteur s’infiltre dans nos rouages institutionnels.
Ce qu’il nous faut, c’est une critique de proximité. Un examen sans complaisance de notre propre système. Car ce qui s’est passé est grave, très grave. Une dette contractée en dehors des circuits légaux, sans débat parlementaire, sans information publique, et sans trace dans les lois de finances votées par les représentants du peuple. C’est là que réside le cœur du scandale : dans la violation du principe fondamental du consentement à l’impôt et à la dette, qui fonde toute démocratie. Ce n’est pas seulement une dérive technocratique. C’est un coup porté à la souveraineté nationale, orchestré depuis les officines opaques d’une administration qui semble pouvoir fonctionner hors contrôle.
L’omerta administrative : quand l’État sans contrôle devient une République sans boussole
Le drame, c’est aussi qu’aucune alarme n’a sonné. Pas un fonctionnaire n’a osé faire éclater la vérité. L’omerta bureaucratique a couvert le mensonge d’État. Cela souligne une autre faiblesse structurelle : l’absence de protections légales et institutionnelles pour les lanceurs d’alerte. Dans un État républicain digne de ce nom, la loyauté à la Constitution doit l’emporter sur l’obéissance hiérarchique, et la vérité publique doit être plus sacrée que la discipline de corps. C’est pourquoi la loi de protection des lanceurs d’alerte est aujourd’hui une urgence républicaine, si l’on veut prévenir demain d’autres naufrages silencieux.
Certes, le FMI a validé les comptes falsifiés de l’ancien régime. Certes, il s’est fait complice de cette tricherie budgétaire. Le FMI, dans son rapport de 2023, saluait encore la trajectoire sénégalaise et son taux d’endettement « soutenable ». Il vient aujourd’hui jouer la vierge effarouchée. Mais le problème, c’est que Macky Sall et ses comparses lui ont menti. Et il a fait semblant de croire.
Dans cette affaire, ce qui est attaqué, c’est notre capacité à exercer un contrôle démocratique sur la décision économique. Cela exige une refondation. Il nous faut un Parlement plus fort, une administration plus responsable, et une société civile mieux outillée pour surveiller la fabrique budgétaire. Mais cela suppose aussi de sortir de l’envoûtement technocratique des experts internationaux, de ces économistes du FMI qui s’expriment en langage oraculaire et imposent des paradigmes qui ne sont pas les nôtres.
Pour une souveraineté budgétaire et panafricaine
Réaffirmer notre souveraineté, ce n’est pas rejeter toute coopération internationale, mais c’est décider, chez nous et pour nous, des priorités budgétaires, des trajectoires de développement, des investissements essentiels. Cela suppose aussi de réinventer des institutions financières panafricaines, qui ne sont pas les simples clones du FMI ou de la Banque mondiale, mais des instruments de transformation endogène.
Enfin, il faudra rompre avec cette vision postcoloniale de la dette comme outil de respectabilité. Car la dette n’est pas neutre, elle structure nos dépendances, elle conditionne nos choix politiques. Celui qui contrôle la dette contrôle l’État. Et celui qui la cache trahit la nation.
Le scandale de la dette cachée n’est donc pas un simple dysfonctionnement comptable. C’est un moment de vérité pour notre démocratie. La question n’est pas seulement « comment a-t-on pu mentir ? », mais « comment allons-nous, désormais, bâtir un État qui ne ment plus ? »
En ce 5 avril 2025, Donald Trump relance sa croisade protectionniste : des taxes douanières, arbitraires et discriminatoires, frappent désormais les importations selon leur origine. La nouvelle grille tarifaire impose une taxe de 10 % sur les exportations sénégalaises vers les États-Unis — une décision unilatérale qui pénalise les économies africaines sans le moindre dialogue. Annoncée le 2 avril sous le nom de « Déclaration d’indépendance économique », cette mesure prétend protéger l’industrie américaine et réduire un déficit commercial record de 1 200 milliards de dollars. En réalité, elle reflète une vision mercantiliste et déséquilibrée des échanges. Pour le Sénégal, l’Afrique et les pays du Sud, cette mesure pose une question cruciale : comment réagir face à une politique qui rompt avec le multilatéralisme affiché par les États-Unis ?
Une relation asymétrique et une dépendance révélée
Le Sénégal entretient depuis 1960 des relations étroites avec les États-Unis. Coopération militaire, « aide » au développement via l’USAID, échanges universitaires, commerce préférentiel dans le cadre de l’AGOA[1] : la relation bilatérale semble à première vue bénéfique. Mais cette apparente solidarité cache une réalité structurellement déséquilibrée. En 2024, les exportations américaines vers le Sénégal ont atteint 350,9 millions de dollars, contre 235,1 millions pour les exportations sénégalaises vers les États-Unis. Résultat : un déficit commercial de 115,7 millions de dollars en défaveur du Sénégal.
Pire, cette relation déséquilibrée repose sur une dépendance croissante à « l’aide » américaine. En janvier 2025, la suspension temporaire de l’assistance de l’USAID par décret présidentiel a mis à nu cette vulnérabilité : projets d’électrification, programmes agricoles, actions éducatives — tout a été gelé. Le programme Senegal Power Compact, financé à hauteur de 600 millions de dollars, a été brutalement interrompu.
Le trumpisme : une idéologie impériale
Cette politique douanière de Trump reflète le trumpisme, une idéologie fondée sur le nationalisme économique, le mépris du droit international et le culte du rapport de force. Elle représente la revanche de l’Amérique blanche et industrielle contre le « globalisme », c’est-à-dire tout ce qui remet en cause à la marge la rente impériale des États-Unis : traités, ONG, institutions internationales, coalitions du Sud.
Trump ne veut pas réformer l’ordre international, il veut le capturer. Il veut avoir le beurre et l’argent du beurre. Il exige que les autres respectent les règles du commerce international, mais s’en exonère lui-même. Il veut des marchés ouverts pour vendre ses produits, tout en fermant ses frontières à ceux des autres.
Une riposte sénégalaise, africaine et décoloniale est indispensable
Il ne peut y avoir de souveraineté sans capacité de riposte. Face aux assauts douaniers de Trump, le Sénégal doit construire une triple stratégie.
Le Sénégal doit rompre avec la posture du quémandeur. Comme l’a affirmé le PM Ousmane Sonko, il est temps d’assumer notre autonomie : relancer la production, sécuriser nos filières stratégiques, et réévaluer nos accords, à commencer par le Traité bilatéral d’investissement (BIT) signé avec les États-Unis en 1983, qui verrouille notre marge de manœuvre face aux firmes américaines.
Dans un contexte de fragmentation du multilatéralisme, l’Afrique doit s’organiser en contre-pouvoir économique. La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) offre une opportunité historique pour renforcer les chaînes de valeur intra-africaines, et desserrer l’étau des dépendances avec les puissants. La mise en œuvre d’une politique douanière africaine commune devrait être une urgence stratégique.
Immanuel Wallerstein l’a montré : le capitalisme mondial enrichit les centres en asphyxiant les périphéries. Brevets, multinationales, aides sous conditions — tout concourt à cette prédation. La seule issue pour le Sud : s’unir, créer ses propres instruments financiers, et bâtir une économie solidaire affranchie du capitalisme.
Trump passera, mais le système demeurera si nous n’en changeons pas les règles. Le Sénégal ne peut rester fidèle à un multilatéralisme dont il subit les abus. Il faut faire entendre à Washington que notre coopération ne sera ni unilatérale ni asymétrique.
Riposter n’est pas rompre. C’est exister.
[1] L’AGOA, loi américaine adoptée en 2000, permet aux pays éligibles d’Afrique subsaharienne d’exporter certains produits sans droits de douane vers les États-Unis. Prévue initialement jusqu’en 2015, elle a été prolongée par Barack Obama jusqu’au 30 septembre 2025.
Un an jour pour jour après la prestation de serment du président Bassirou Diomaye Faye, l’Assemblée nationale a adopté, à une large majorité, la loi interprétative de l’amnistie votée en mars 2024. Ce vote n’est pas qu’un geste juridique : il marque une volonté politique claire. Celle de distinguer enfin la dissidence pacifique des crimes d’État.
L’amnistie de 2024 a libéré des prisonniers, mais laissé dans l’ombre les crimes d’État. La loi interprétative trace une limite claire : on ne confond pas victimes et bourreaux.
Mais aussitôt votée, les critiques ont repris. On dénonce une justice sélective, une rupture instrumentalisée. Pourtant, les opposants à la loi n’ont avancé ni argument juridique solide, ni alternative cohérente. Il faut leur répondre — et rappeler ce que cette loi vient réparer.
Maitre Aïssata Tall Sall : la parole en majesté, les idées aux abonnés absents
Car, à bien lire les critiques, un fait saute aux yeux : aucun argument juridique ou moral solide n’a été opposé à la loi interprétative. Ses détracteurs n’offrent ni alternative crédible, ni critique fondée, préférant les insinuations creuses. Et si l’on interroge : « Qui, de bonne foi, peut soutenir cette loi ? », on peut tout aussi bien répondre : « Qui, de bonne foi, peut tolérer que l’on traite à égalité manifestants pacifiques et criminels d’État ? »
La pauvreté des objections formulées lors du débat parlementaire en est d’ailleurs une preuve éclatante. La présidente du groupe parlementaire Takku Wallu, Madame Aïssata Tall Sall, s’est exprimée avec emphase contre la loi, multipliant les envolées lyriques et les références religieuses, mais sans jamais articuler une critique juridiquement solide. Son principal reproche ? La loi ne serait pas une interprétation, mais une modification déguisée. Pourtant, elle n’en donne ni définition juridique précise, ni démonstration rigoureuse. Son discours glisse de l’indignation morale à la rhétorique patriotique, sans affronter le cœur du texte. Elle invoque Mandela, le Coran, la Bible la mort pour la patrie, mais élude l’essentiel : pourquoi l’amnistie de 2024 devrait-elle continuer de couvrir les crimes d’État ? Cette éloquence, toute vibrante qu’elle soit, révèle une faiblesse structurelle : beaucoup de passion, mais aucune proposition alternative. Ni mécanisme de justice transitionnelle, ni plan de réparation pour les victimes, ni cadre clair de responsabilité. Elle s’insurge, mais ne construit pas.
La loi interprétative ne crée pas l’impunité : elle l’abolit. Elle ne protège pas un camp, mais un principe. Elle affirme que seuls les actes politiques non violents peuvent être amnistiés. Les crimes de sang, les tortures, les disparitions ne sauraient être effacés. Cette distinction n’est pas une entorse à la justice : elle en est le fondement.
Le camp de l’amnésie et l’oubli organisé
Et que ceux qui crient à la « rupture sélective » aient l’honnêteté de regarder en face l’histoire récente. Où étaient-ils lorsque des dizaines de jeunes mouraient dans la rue, sous les balles ? Où étaient leurs appels à la mesure, leurs tribunes sur la justice équitable, lorsque des opposants étaient jetés en prison pour des délits d’opinion ? Le Sénégal ne peut se permettre de traiter à égalité les victimes et les bourreaux. C’est cela, la véritable rupture : non pas un effacement des responsabilités, mais une restauration de la vérité.
Ceux qui, aujourd’hui, brandissent la peur d’un précédent dangereux font preuve d’un cynisme saisissant. Le précédent dangereux, c’était la période 2021-2024. C’était l’État de droit piétiné, les libertés confisquées, le silence organisé autour des morts. Le vote de la loi interprétative n’efface pas cette page sombre — il y met un terme. Il trace une ligne claire entre la justice et l’oubli, entre la mémoire et l’amnésie, entre la paix construite sur la vérité et celle bâtie sur le déni.
Un devoir de justice, un pari pour l’avenir
Le peuple sénégalais, en portant Bassirou Diomaye Faye à la présidence, a exprimé un mandat limpide : justice, réparation, souveraineté populaire. Les députés de la majorité ne font que traduire, dans le langage législatif, cette volonté collective. Et tous ceux qui, au-delà des appartenances politiques, ont le sens de l’histoire, devraient s’en réjouir.
Car, en définitive, il ne s’agit pas d’une loi de circonstance, mais d’un jalon fondamental dans la refondation démocratique du Sénégal. Et si certains persistent à la dénigrer sans proposer autre chose qu’un retour au flou, c’est peut-être qu’ils redoutent la seule chose qu’ils n’ont jamais su affronter : une justice égale pour tous, y compris pour ceux qui pensaient ne jamais devoir rendre de comptes.
Le 1ᵉʳ avril 2025, une vingtaine d’organisations de la société civile ont publié une déclaration commune appelant à suspendre l’examen de la proposition de loi interprétative relative à l’amnistie de mars 2024. Elles plaident pour un « dialogue inclusif » afin de restaurer la confiance, lutter contre l’impunité et indemniser les victimes. Louable dans l’intention, cette prise de position soulève pourtant des interrogations majeures sur sa portée réelle et sur la posture qu’elle adopte vis-à-vis du processus démocratique en cours.
En appelant l’Assemblée nationale à surseoir à une proposition de loi inscrite à l’ordre du jour parlementaire, ces organisations se placent, de fait, en position de contre-pouvoir législatif. Elles dépassent leur rôle de vigie pour s’immiscer dans la temporalité et les prérogatives du Parlement, seule institution détentrice de la légitimité populaire pour délibérer et légiférer. On peut légitimement s’inquiéter d’une telle intrusion dans un moment politique aussi sensible.
Surtout, à défaut de soutenir cette loi interprétative, on aurait pu attendre de ces organisations qu’elles proposent un mécanisme alternatif, crédible, de vérité et de réparation. Mais rien n’est dit sur ce point. L’indignation contre l’oubli sélectif n’est pas suivie d’un appel à l’action. Le silence sur les tortionnaires devient alors un silence complice.
Les auteurs du communiqué appellent à un dialogue plus large avant toute initiative parlementaire. Mais cette démarche, en suspendant une clarification nécessaire, entretient un flou qui risque de favoriser l’impunité. Faut-il rappeler que la loi d’amnistie de mars 2024 a été votée dans un contexte d’urgence politique, sans le temps nécessaire à un examen moral sérieux ? Elle a certes permis des libérations politiques, mais aussi ouvert la porte à l’oubli de crimes d’État.
La proposition portée aujourd’hui par des députés issus du suffrage universel vise à rétablir une ligne de partage entre la dissidence et la violence répressive. En démocratie, c’est au Parlement que revient le soin de dire cette distinction, en toute transparence. Entraver ce processus, c’est bloquer l’élan de justice porté par le peuple sénégalais en mars 2024.
La société civile joue un rôle essentiel. Mais elle ne saurait dicter au législateur son rythme ni ses priorités, encore moins en période de refondation démocratique. Le moment est grave : il s’agit de solder les comptes de trois années de répression. Ce n’est pas en différant le débat que l’on préserve la paix civile. C’est en l’affrontant, lucidement et courageusement.