Ousmane Sonko à l’Assemblée nationale : la justice, racine de la République

Pour la troisième fois depuis le début de la législature, le lundi 14 avril 2025, le Premier ministre Ousmane Sonko s’est présenté devant les députés. Trois présences en trois mois : ce n’est plus une habitude, c’est une méthode. Celle d’un chef de gouvernement qui prend au sérieux le contrôle parlementaire, refuse l’arrogance technocratique, et veut inscrire son action dans le sillon d’une République responsable. Cette fois, le cœur du débat a battu autour d’un mot : justice. Une justice sénégalaise à bout de souffle, qu’il faut sauver d’elle-même.

Une justice à reconstruire : entre idéal républicain et faillite pratique

Face aux députés, le Premier ministre Ousmane Sonko n’a pas maquillé le réel : la justice est malade. Trop souvent perçue comme un bras armé de l’exécutif, elle est lente pour les pauvres, expéditive pour les opposants. Les litiges fonciers ou économiques s’enlisent pendant des années, nourrissant un profond sentiment d’injustice. D’où son appel à raccourcir les délais, car, dit-il, il est « inacceptable qu’un citoyen attend dix ans pour connaître son sort judiciaire ».

Le Premier ministre appelle à une refondation complète, pas un replâtrage administratif : faire de la justice un véritable pouvoir indépendant, doté de moyens, de garanties et d’une colonne vertébrale morale. Il réaffirme la séparation des pouvoirs, mais assume la volonté de l’exécutif de définir une politique pénale de « tolérance zéro », notamment contre les abus et la corruption.

Ce diagnostic est partagé. Le président de l’Union des magistrats du Sénégal (UMS), Ousmane Chimère Diouf, a reconnu les failles du système : procédures interminables, sous-effectifs, confusion et défiance des citoyens. Avec seulement 27 magistrats au Pôle judiciaire financier, il est illusoire de juger sérieusement des affaires aussi complexes que le blanchiment ou la corruption systémique.

Une justice à deux vitesses : lenteur impitoyable pour les anonymes, rapidité foudroyante pour les opposants

Mais au-delà des constats, il y a les drames humains. Et parfois, des tragédies judiciaires qui prennent des allures de scandales. Prenons l’exemple glaçant du meurtre de Marie Claude Emonet, cogérante du célèbre Just4You, retrouvée morte dans une voiture en novembre 2008, après avoir été empoisonnée au peroxyde d’hydrogène. Des suspects sont rapidement identifiés. L’une d’elles se suicide en détention, laissant un mot déchirant : « Pardon mon mari, pardon mes enfants ». Et pourtant… il faudra seize longues années pour que l’affaire soit jugée. Seize ans pour qu’un accusé soit enfin fixé sur son sort. Seize ans pour que la vérité judiciaire, même partielle, émerge et que justice soit rendue, dans le silence d’un procès trop tardif.

Mais à l’autre extrême du spectre, la justice sénégalaise peut aussi se montrer d’une étonnante rapidité. Il a suffi de quelques mois pour que des adversaires politiques soient traduits, jugés, condamnés en première instance, en appel et en cassation. Khalifa Ababacar Sall en 2018, Ousmane Sonko en 2023 : deux cas emblématiques d’une justice-mitraillette, qui ne trébuche jamais sur les délais quand il s’agit d’écarter des candidats gênants du jeu électoral.

Ce contraste — lenteur pour les anonymes, rapidité pour les opposants — révèle une justice à deux vitesses qui creuse une fracture démocratique. Il alimente l’idée d’un droit parfois outil d’exclusion plutôt que levier de réparation. Le Premier ministre l’a bien compris : sans une justice indépendante, accessible, impartiale et crédible, le Sénégal ne pourra se réconcilier avec lui-même.

Refonder plutôt que réparer : un projet de justice populaire et souveraine

Le Premier ministre ne s’est pas contenté de dénoncer. Il a dessiné les contours d’une refondation profonde du système judiciaire, sans pour autant entrer dans les détails institutionnels. Il n’a pas évoqué formellement une réforme du Conseil supérieur de la magistrature, mais son discours a clairement porté l’ambition de faire émerger une justice autonome, dégagée de la tutelle politique et administrative.

Il veut doter la justice des moyens de son indépendance, non seulement en actes, mais aussi en symboles. Ce n’est pas une réforme cosmétique qui est recherchée, mais un changement de paradigme : passer d’un État de droit de façade à un État de justice réelle, enraciné dans l’éthique républicaine et l’équité populaire.

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Auteur : Félix Atchadé

Je suis médecin, spécialiste de Santé Publique et d’Éthique Médicale. Je travaille sur les questions d’équité et de justice sociale dans les systèmes de santé. Militant politique, je participe à l'oeuvre de refondation de la gauche sénégalaise.

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