Face au néoprotectionnisme de Trump : organiser la souveraineté africaine

En ce 5 avril 2025, Donald Trump relance sa croisade protectionniste : des taxes douanières, arbitraires et discriminatoires, frappent désormais les importations selon leur origine. La nouvelle grille tarifaire impose une taxe de 10 % sur les exportations sénégalaises vers les États-Unis — une décision unilatérale qui pénalise les économies africaines sans le moindre dialogue. Annoncée le 2 avril sous le nom de « Déclaration d’indépendance économique », cette mesure prétend protéger l’industrie américaine et réduire un déficit commercial record de 1 200 milliards de dollars. En réalité, elle reflète une vision mercantiliste et déséquilibrée des échanges. Pour le Sénégal, l’Afrique et les pays du Sud, cette mesure pose une question cruciale : comment réagir face à une politique qui rompt avec le multilatéralisme affiché par les États-Unis ?

Une relation asymétrique et une dépendance révélée

Le Sénégal entretient depuis 1960 des relations étroites avec les États-Unis. Coopération militaire, « aide » au développement via l’USAID, échanges universitaires, commerce préférentiel dans le cadre de l’AGOA[1] : la relation bilatérale semble à première vue bénéfique. Mais cette apparente solidarité cache une réalité structurellement déséquilibrée. En 2024, les exportations américaines vers le Sénégal ont atteint 350,9 millions de dollars, contre 235,1 millions pour les exportations sénégalaises vers les États-Unis. Résultat : un déficit commercial de 115,7 millions de dollars en défaveur du Sénégal​.

Pire, cette relation déséquilibrée repose sur une dépendance croissante à « l’aide » américaine. En janvier 2025, la suspension temporaire de l’assistance de l’USAID par décret présidentiel a mis à nu cette vulnérabilité : projets d’électrification, programmes agricoles, actions éducatives — tout a été gelé. Le programme Senegal Power Compact, financé à hauteur de 600 millions de dollars, a été brutalement interrompu​.

Le trumpisme : une idéologie impériale

​Cette politique douanière de Trump reflète le trumpisme, une idéologie fondée sur le nationalisme économique, le mépris du droit international et le culte du rapport de force. Elle représente la revanche de l’Amérique blanche et industrielle contre le « globalisme », c’est-à-dire tout ce qui remet en cause à la marge la rente impériale des États-Unis : traités, ONG, institutions internationales, coalitions du Sud.

Trump ne veut pas réformer l’ordre international, il veut le capturer. Il veut avoir le beurre et l’argent du beurre. Il exige que les autres respectent les règles du commerce international, mais s’en exonère lui-même. Il veut des marchés ouverts pour vendre ses produits, tout en fermant ses frontières à ceux des autres.

Une riposte sénégalaise, africaine et décoloniale est indispensable

Il ne peut y avoir de souveraineté sans capacité de riposte. Face aux assauts douaniers de Trump, le Sénégal doit construire une triple stratégie.

​ Le Sénégal doit rompre avec la posture du quémandeur. Comme l’a affirmé le PM Ousmane Sonko, il est temps d’assumer notre autonomie : relancer la production, sécuriser nos filières stratégiques, et réévaluer nos accords, à commencer par le Traité bilatéral d’investissement (BIT) signé avec les États-Unis en 1983, qui verrouille notre marge de manœuvre face aux firmes américaines.

Dans un contexte de fragmentation du multilatéralisme, l’Afrique doit s’organiser en contre-pouvoir économique. La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) offre une opportunité historique pour renforcer les chaînes de valeur intra-africaines, et desserrer l’étau des dépendances avec les puissants. La mise en œuvre d’une politique douanière africaine commune devrait être une urgence stratégique.

​ Immanuel Wallerstein l’a montré : le capitalisme mondial enrichit les centres en asphyxiant les périphéries. Brevets, multinationales, aides sous conditions — tout concourt à cette prédation. La seule issue pour le Sud : s’unir, créer ses propres instruments financiers, et bâtir une économie solidaire affranchie du capitalisme.

Trump passera, mais le système demeurera si nous n’en changeons pas les règles. Le Sénégal ne peut rester fidèle à un multilatéralisme dont il subit les abus. Il faut faire entendre à Washington que notre coopération ne sera ni unilatérale ni asymétrique.

Riposter n’est pas rompre. C’est exister.


[1] L’AGOA, loi américaine adoptée en 2000, permet aux pays éligibles d’Afrique subsaharienne d’exporter certains produits sans droits de douane vers les États-Unis. Prévue initialement jusqu’en 2015, elle a été prolongée par Barack Obama jusqu’au 30 septembre 2025.

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Auteur : Félix Atchadé

Je suis médecin, spécialiste de Santé Publique et d’Éthique Médicale. Je travaille sur les questions d’équité et de justice sociale dans les systèmes de santé. Militant politique, je participe à l'oeuvre de refondation de la gauche sénégalaise.

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