
Le 1ᵉʳ avril 2025, une vingtaine d’organisations de la société civile ont publié une déclaration commune appelant à suspendre l’examen de la proposition de loi interprétative relative à l’amnistie de mars 2024. Elles plaident pour un « dialogue inclusif » afin de restaurer la confiance, lutter contre l’impunité et indemniser les victimes. Louable dans l’intention, cette prise de position soulève pourtant des interrogations majeures sur sa portée réelle et sur la posture qu’elle adopte vis-à-vis du processus démocratique en cours.
En appelant l’Assemblée nationale à surseoir à une proposition de loi inscrite à l’ordre du jour parlementaire, ces organisations se placent, de fait, en position de contre-pouvoir législatif. Elles dépassent leur rôle de vigie pour s’immiscer dans la temporalité et les prérogatives du Parlement, seule institution détentrice de la légitimité populaire pour délibérer et légiférer. On peut légitimement s’inquiéter d’une telle intrusion dans un moment politique aussi sensible.
Surtout, à défaut de soutenir cette loi interprétative, on aurait pu attendre de ces organisations qu’elles proposent un mécanisme alternatif, crédible, de vérité et de réparation. Mais rien n’est dit sur ce point. L’indignation contre l’oubli sélectif n’est pas suivie d’un appel à l’action. Le silence sur les tortionnaires devient alors un silence complice.
Les auteurs du communiqué appellent à un dialogue plus large avant toute initiative parlementaire. Mais cette démarche, en suspendant une clarification nécessaire, entretient un flou qui risque de favoriser l’impunité. Faut-il rappeler que la loi d’amnistie de mars 2024 a été votée dans un contexte d’urgence politique, sans le temps nécessaire à un examen moral sérieux ? Elle a certes permis des libérations politiques, mais aussi ouvert la porte à l’oubli de crimes d’État.
La proposition portée aujourd’hui par des députés issus du suffrage universel vise à rétablir une ligne de partage entre la dissidence et la violence répressive. En démocratie, c’est au Parlement que revient le soin de dire cette distinction, en toute transparence. Entraver ce processus, c’est bloquer l’élan de justice porté par le peuple sénégalais en mars 2024.
La société civile joue un rôle essentiel. Mais elle ne saurait dicter au législateur son rythme ni ses priorités, encore moins en période de refondation démocratique. Le moment est grave : il s’agit de solder les comptes de trois années de répression. Ce n’est pas en différant le débat que l’on préserve la paix civile. C’est en l’affrontant, lucidement et courageusement.
