Le Syndrome Adandozan : Mémoire effacée, mémoire résistante

Dans la cour silencieuse du musée historique du palais royal d’Abomey, un guide me souffla presque à voix basse : « Adandozan n’est pas vraiment célébré ici. C’était un révolutionnaire. » Cette remarque posait une question simple : pourquoi un roi légitime, réformateur, est-il effacé de l’histoire officielle ? On peut ainsi désigner sous le nom de syndrome Adandozan l’effacement systématique de ceux qui, en Afrique, ont tenté de soustraire leur peuple à la dépendance et à l’exploitation imposées par l’ordre impérialiste marchand.

Adandozan, pionnier de la souveraineté économique

Roi du Dahomey (ou Danxomè) de 1797 à 1818, Adandozan hérita d’un royaume construit sur une fragilité insidieuse : la dépendance au commerce d’esclaves avec les puissances européennes. Plutôt que de céder au flux mortifère du marché atlantique, il chercha à diversifier l’économie, à promouvoir l’artisanat local, à soutenir la production agricole et à limiter la prédation commerciale étrangère. Il pressentait que la prospérité fondée sur la traite était empoisonnée, éphémère, corruptrice. Comme l’écrit Ana Lucia Araujo, « la correspondance d’Adandozan avec les autorités portugaises témoigne d’un souverain préoccupé par la pérennité économique de son royaume, non par l’expansion de la traite négrière » ¹.

Ce projet de souveraineté économique fut sa grandeur, mais aussi sa perte. Isolé, contesté par les élites marchandes et militaires, marginalisé par les intérêts européens, il fut renversé en 1818. I.A. Akinjogbin note que « le Dahomey de la fin du XVIIIᵌ siècle se trouvait à la croisée des routes politiques, et Adandozan a tenté, sans appui durable, d’en redéfinir la direction » ². Son successeur, Guézo, relança la machine de la traite, au prix d’un asservissement croissant aux logiques du marché mondial. Pour mieux justifier cette trahison silencieuse, l’histoire officielle s’employa à effacer son souvenir : il devint ce roi sans mémoire, ce nom effacé des chants, ce fantôme dans la galerie des héros royaux.

La damnatio memoriae (effacement organisé) des révolutionnaires africains : Sankara et Cabral

Adandozan partage son sort avec d’autres figures africaines. Thomas Sankara au Burkina Faso et Amílcar Cabral en Guinée-Bissau et au Cap-Vert furent eux aussi effacés après leur assassinat. Sankara, qui voulait « décoloniser les esprits et l’économie », fut éliminé en 1987, ses portraits retirés, ses slogans interdits, son nom réduit à une gêne officielle. Cabral, tué en 1973 avant l’indépendance, vit son projet d’autogestion enterré sous une indépendance inféodée au capitalisme mondial.

À chaque fois, l’histoire fut réécrite : glorifier Guézo contre lui, Compaoré contre Sankara, abandonner Cabral. Le syndrome Adandozan incarne cette logique : combattre et effacer ceux qui tentent de libérer l’Afrique pour mieux étouffer leur héritage.

Résister à l’effacement historique

Le destin d’Adandozan illustre une constante : ceux qui défient l’ordre impérialiste sont diabolisés, effacés, puis récupérés ou déformés. L’histoire tente de les faire disparaître, mais la mémoire populaire résiste.

Aujourd’hui, dans les chants de la jeunesse africaine, les noms de Sankara et de Cabral ressurgissent comme des phares pour l’avenir. Le murmure du guide du musée d’Abomey rappelait que réveiller l’histoire ensevelie tient parfois à une seule voix.

Notes

  1. Ana Lucia Araujo, « Dahomey, Portugal and Bahia: King Adandozan and the Atlantic Slave Trade », Slavery & Abolition, Vol. 32, No. 3, 2011.
  2. I.A. Akinjogbin, Dahomey and Its Neighbors: 1708–1818, Cambridge University Press, 1967.
  3. La vie, le règne et l’œuvre de Dàdà Adàndozàn : Vingt-et-un ans effectifs de règne (1797–1818), deux cents ans d’ostracisme (1818–2018), Actes du colloque de l’Université d’Abomey-Calavi, Cotonou, 2018.

Forger le droit au feu de l’Histoire

Ce n’est pas une comparaison, c’est un principe : si l’on a pu juger à Nuremberg sans précédent ni code, alors au Sénégal, nous pouvons — et devons — juger nos propres drames. Qui peut le plus peut le moins.

On entend dire, çà et là, que les accusations portées contre l’ancien président Macky Sall seraient irréalistes, insaisissables, presque fantomatiques. L’argument revient en boucle : l’absence de jurisprudence, l’imprécision du droit, le manque de cadre formel pour juger un ancien chef d’État. Le sous-entendu est clair : faute de précédent, il n’y aurait rien à faire. Rien, sinon tourner la page, oublier, et aller de l’avant.

Mais cette posture, en apparence juridique, est fondamentalement politique. Elle renvoie à ce que la philosophe Hannah Arendt appelait la banalité du mal : non pas le mal absolu, mais celui que l’on tolère, que l’on justifie, que l’on rend inoffensif par le silence. À ceux qui nous disent que l’on ne peut rien faire, il faut rappeler ce que l’Histoire a su faire lorsqu’elle a osé affronter l’indicible.

Nuremberg : non pas une comparaison, mais une démonstration

En 1946, le monde découvrait l’ampleur des crimes commis dans les camps nazis. Parmi eux, des crimes médicaux : expérimentations sur des êtres humains, vivisections, injections létales, stérilisations forcées. Aucun texte international n’était alors prévu pour juger cela. Aucun précédent, aucune base juridique solide.

Et pourtant, le procès des médecins de Nuremberg s’est tenu. Vingt-trois professionnels de santé y ont été jugés pour leurs actes, non parce que le droit les avait déjà condamnés, mais parce que la conscience humaine l’exigeait. De ce procès est né le Code de Nuremberg, acte fondateur de l’éthique biomédicale mondiale. Ce texte, forgé dans l’urgence morale, est aujourd’hui la base du consentement éclairé, de l’encadrement des expérimentations, de la bioéthique.

Il ne s’agit donc pas ici de comparer l’ampleur des crimes, mais de rappeler un principe fondamental : quand le droit est muet, la justice peut encore parler.

Le Sénégal peut — et doit — créer son propre précédent

Personne ne dit que Macky Sall est un criminel de guerre. Mais nul ne peut ignorer les morts, les blessures, les incarcérations arbitraires, la violence institutionnelle des années 2021 à 2024. Ce ne sont pas des « fantômes ». Ce sont des faits, lourds de conséquences humaines, sociales et politiques. Et si la loi ne prévoit pas encore comment y répondre, c’est à nous de l’inventer.

Le procès de Nuremberg a montré que la justice peut précéder le droit. Que les peuples peuvent, face à l’indicible ou à l’inaudible, décider de poser un acte fort : celui de dire non, publiquement, juridiquement, symboliquement. Le Sénégal, lui aussi, peut choisir de rompre avec la culture de l’impunité. Il peut choisir de construire un précédent — non par vengeance, mais par fidélité à la vérité.

Ce n’est pas une comparaison. C’est un repère. Si le monde a pu juger l’inédit à Nuremberg, le Sénégal peut affronter ses propres zones d’ombre.

Qui peut juger l’indicible peut juger l’arbitraire. Qui peut le plus doit le moins.

Fuir ses comptes, chercher ses maîtres

Il est des spectacles navrants que même les dramaturges n’auraient osé imaginer. Macky Sall, ancien président du Sénégal, offre aujourd’hui celui d’un homme qui, acculé par les révélations accablantes de la Cour des comptes, préfère chercher la protection de la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, plutôt que d’assumer ses responsabilités devant son peuple.

Selon le journalLe Quotidien du samedi 26 avril 2025, l’ancien président n’a pas hésité à envoyer une délégation de fidèles à Washington, lors des Réunions de Printemps du FMI et de la Banque mondiale, pour tenter de défendre son bilan budgétaire devant les bailleurs internationaux. Une manœuvre d’autant plus pathétique qu’elle vise à contourner les accusations formelles émises par les propres institutions de contrôle du Sénégal.

Que l’on soit clair : ce n’est pas un quelconque politicien qui l’accuse. C’est la Cour des comptes du Sénégal, instance républicaine et indépendante, qui documente, preuves à l’appui, les falsifications budgétaires, les maquillages comptables et la dette abyssale léguée au peuple. Le déficit réel ? 12,3 % en 2023, et non les 4,9 % fièrement proclamés. La dette publique ? 99,67 % du PIB, soit une quasi-faillite organisée sous ses ordres.

Le réflexe colonial d’un ancien président

Plutôt que de répondre à ces accusations graves devant ses compatriotes, il a préféré dépêcher une équipe de fidèles à Washington, lors des réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale, pour présenter un contre-rapport à la directrice du Fonds. Une démarche aussi désespérée que pitoyable : comme si l’on pouvait effacer les turpitudes budgétaires par quelques sourires diplomatiques et un jeu d’influences dans les chancelleries étrangères.

Il court au FMI, espérant un tampon d’innocence étrangère. Mais, comme le chantait Fela Kuti dans Colonial Mentality, They think foreign is better than home. They think black man is inferior. They no know themselves. They dem colonize in their head ». Macky Sall n’aime visiblement ni les audits sénégalais ni la vérité sénégalaise.

La question se pose désormais : après avoir tenté de se faire absoudre par le FMI, la prochaine étape sera-t-elle de se réfugier dans les bras d’Emmanuel Macron ? Après tout, pour certains, Paris reste l’ultime recours, l’asile mental de la défaite politique.

Mais que Macky Sall le comprenne bien : le Sénégal de 2025 n’est plus une colonie. C’est un peuple mûr, fier, décidé à exiger des comptes sur son propre sol. La Cour des comptes a parlé. Qu’il se cache sous les jupes du FMI ou derrière les rideaux de l’Élysée, il n’échappera pas à la sentence la plus implacable : celle d’un peuple qui a vu, su et jugé.

Tragédie à Guédiawaye : une vie perdue, un système en cause

Le décès tragique de Khalifa Idrissa Diène, un jeune homme de 30 ans, à l’hôpital roi Baudouin de Guédiawaye, a provoqué une onde de choc dans la localité. Selon les témoignages, Khalifa Idrissa Diène a fait un malaise sur un terrain de football et a été évacué par les sapeurs-pompiers à l’hôpital roi Baudouin. Faute de place en réanimation, il aurait reçu un simple traitement symptomatique avant que sa famille ne soit priée de chercher un autre établissement. Cet enchaînement de défaillances pourrait avoir contribué à son décès, suscitant une vive émotion et une profonde indignation.

La mort de Khalifa Idrissa Diène a déclenché des émeutes autour de l’hôpital roi Baudouin, où des jeunes, révoltés par une possible « négligence médicale », ont causé d’importants dégâts. La police est intervenue pour rétablir l’ordre. Plusieurs manifestants ont été arrêtés et seront jugés ce lundi 28 avril pour « association de malfaiteurs, manifestation non déclarée, troubles à l’ordre public et actes de vandalisme ».

Le principe fondamental de la continuité des soins

Cette tragédie doit nous amener à rappeler des principes simples, mais fondamentaux. Le premier est celui de la continuité des soins. Lorsqu’un patient entre dans le système de santé — que ce soit par la porte des urgences, d’un poste de santé ou d’un hôpital —, sa prise en charge devient l’affaire collective des soignants et de l’institution. Il n’est pas admissible que l’accompagnement d’un patient s’arrête à la grille d’un hôpital sous prétexte d’une capacité insuffisante. Il ne s’agit pas seulement d’un impératif humanitaire, mais d’un devoir professionnel et éthique.

Si une structure n’a pas les moyens techniques ou humains de gérer une situation clinique, elle doit administrer les soins de stabilisation nécessaires. Pendant ce temps, un personnel désigné — un médecin ou un infirmier — doit se charger, par téléphone, de contacter les établissements de santé environnants pour trouver une place disponible, avec l’aide des services de régulation médicale. Une fois la structure d’accueil identifiée, c’est à l’hôpital d’origine d’organiser un transfert médicalisé, dans des conditions sûres et dignes, jusqu’au lieu où la prise en charge pourra être poursuivie. En aucun cas, cette mission ne doit être transférée aux familles, souvent démunies, stressées, parfois illettrées, et surtout incapables de comprendre les critères cliniques qui justifient une orientation vers tel ou tel hôpital.

Un système de régulation à construire d’urgence

Il serait souhaitable que l’État sénégalais, par l’intermédiaire du ministère de la Santé, envisage la mise en place d’un dispositif clair et structuré de régulation des lits et des urgences, avec des cellules actives 24h/24 dans chaque région médicale. Un tel système, idéalement informatisé, permettrait aux établissements de connaître en temps réel les places disponibles selon les pathologies et les niveaux de soins requis. Ce n’est pas un rêve technocratique : de nombreux pays aux ressources comparables y parviennent déjà.

Par ailleurs, il faut former les soignants, particulièrement les jeunes médecins, à la culture du devoir de continuité. La responsabilité d’un patient ne s’arrête pas à l’acte prescrit ou à l’examen réalisé. Elle va jusqu’à s’assurer qu’il soit entre de bonnes mains, jusqu’à ce que la situation soit résolue ou stabilisée. Ne pas le faire, c’est trahir le serment d’Hippocrate.

Ce drame de l’hôpital roi Baudouin est une blessure ouverte, mais il peut marquer un tournant si des leçons structurelles en sont tirées. La santé ne peut plus être pensée comme une addition d’établissements ou d’équipements, mais comme un parcours coordonné, un filet de sécurité fondé sur la cohérence, la solidarité et la responsabilité partagée.

Il ne suffit pas d’enquêter. Il faut corriger, prévenir, réformer. Pour qu’aucune autre famille n’ait à porter, en plus de la douleur, le fardeau de l’abandon.

L’opposition jubile, mais de quoi rit-elle ?

On ne sait trop ce qui réjouit l’opposition depuis l’annonce de la censure partielle de la loi interprétative par le Conseil constitutionnel. L’article premier de cette loi, destiné à lever toute ambiguïté juridique sur les effets de l’amnistie votée par l’ancienne Assemblée nationale, a été retoqué. Et voilà qu’une certaine classe politique, en perte d’imaginaire, se met à crier victoire, à se congratuler dans les salons climatisés de la bourgeoisie compradore, comme si le peuple avait retrouvé sa dignité grâce à une subtilité juridique. Ridicule. Tragi-comique.

Mais les faits sont têtus. Et le peuple, moins dupe qu’on ne le pense. Dans un message Facebook, limpide, implacable, le président du PASTEF, Ousmane Sonko, rappelle que cette loi, bien que censurée partiellement, n’en demeure pas moins effective dans ses autres dispositions. L’essentiel demeure : la loi d’interprétation a produit ses effets. L’État souverain du Sénégal a tourné la page de l’arbitraire judiciaire imposé par Macky Sall. Et c’est bien là que se noue le vrai clivage, celui qui oppose deux visions du pays : d’un côté, le camp du progrès, de la reconstruction nationale, de la souveraineté recouvrée. De l’autre, les défenseurs fébriles de l’ordre ancien, ces éternels supplétifs d’intérêts étrangers, dont l’unique horizon est le maintien de leurs privilèges sous la tutelle molle de l’ancienne puissance coloniale.

Cynisme, quand tu les tiens!

Jubiler aujourd’hui, c’est donc faire le choix de la nostalgie postcoloniale contre l’audace de la refondation. C’est préférer l’ombre portée d’un Conseil constitutionnel dépolitisé (et c’est heureux !) à la lumière d’un débat politique franc. C’est voir dans une faille procédurale une victoire morale. Mais quelle morale ? Celle qui transforme la vie des jeunes martyrs en anecdote judiciaire ? Celle qui nie le droit à la réparation, à la réhabilitation, à la reconnaissance ? Quelle bassesse ! Quel mépris pour la vie !

Car au fond, c’est bien cela qu’ils célèbrent : la lettre morte du droit contre l’esprit vivant des lois, la manœuvre procédurale contre la volonté populaire, les biens matériels — surtout lorsqu’ils portent le sceau de l’ancienne puissance coloniale — contre la souveraineté réelle. Cette opposition ne s’oppose pas, elle préserve. Elle ne parle pas au peuple, elle murmure aux oreilles du vieux monde, elle négocie avec les figures fatiguées de l’ancien ordre.

Qu’elle se rassure : le peuple regarde, observe, juge. Et il n’a pas la mémoire courte. Il sait qui a porté sa voix, au plus fort de l’oppression. Il sait qui a osé nommer les choses, déchirer les rideaux de fumée, parler de néo-colonialisme quand d’autres psalmodiaient les bienfaits du franc CFA. Le combat continue.

Changer avec courage, construire avec méthode

Le peuple sénégalais a tranché. À deux reprises, il s’est exprimé avec une clarté sans appel : le 24 mars 2024, il a élu Bassirou Diomaye Faye à la magistrature suprême, scellant le rejet d’un régime autoritaire et de démission nationale ; le 17 novembre, il a offert une majorité parlementaire confortable à PASTEF et son président, le Premier ministre Ousmane Sonko, confirmant son désir profond de changement. La révolution citoyenne ne relève donc plus du projet, elle est réalité. Elle ne se prépare plus, elle s’exerce.

Et pourtant, le danger guette. Celui de l’immobilisme. Celui d’une révolution qui, à force de vouloir se montrer raisonnable, risque de devenir invisible. De se dissoudre dans les formes et les précautions. Une révolution trop formaliste, trop respectueuse des cadres qu’elle est censée dépasser, peut être bridée, voire déraillée, par ceux-là mêmes dont elle dénonçait la logique. Récemment encore, un frémissement venu des hauteurs institutionnelles a laissé entrevoir les résistances que peut rencontrer l’élan transformateur.

Mais la révolution sénégalaise ne s’est pas nourrie de demi-mesures. Elle s’est forgée dans la rue, dans les prisons, dans les deuils. Elle a vu tomber des jeunes pour la justice, des militants pour la vérité, des voix pour la dignité. Elle s’est construite contre les lenteurs, contre les compromissions, contre les postures. Elle n’est ni un vernis ni une parenthèse. Elle est un basculement, une bifurcation historique. Et cette histoire ne peut pas s’écrire à l’encre effacée des normes anciennes.

Faire des aspirations populaires la force du droit

L’heure est venue de passer de la révolte incarnée à l’État refondé. La majorité parlementaire acquise le 17 novembre 2024 ne peut être un simple outil de gouvernance. Elle doit être l’arme d’une refondation. Le socle d’un activisme législatif à la hauteur des espoirs populaires. Il faut, sans attendre, engager des réformes majeures : une loi de réforme de la justice, pour en finir avec les connivences et l’impunité ; une loi d’orientation économique souveraine, rompant avec la dépendance financière et les logiques de prédation ; un nouveau cadre de gestion des ressources naturelles, transparent, équitable, panafricain.

Légiférer, ici, ce n’est pas administrer. C’est réparer. C’est redistribuer la parole et le pouvoir. C’est démontrer que le changement n’est pas une promesse, mais une politique. L’Assemblée nationale doit être un laboratoire d’initiatives, un théâtre de propositions, un levier de rupture. Sans cela, la révolution se videra de son contenu et la confiance populaire se muera en amertume.

Ce peuple ne craint pas la radicalité. Il en a fait sa voie. Il sait qu’un pouvoir qui explore, qui cherche des voies nouvelles, peut parfois trébucher, mais que celui qui trahit ne se relève pas. Il est prêt à accompagner, à critiquer, à corriger – mais à condition que le cap soit clair, et les gestes courageux. Il ne demande pas l’impossible. Il exige la cohérence, et surtout : le mouvement. La stagnation, elle, est le vrai risque.

Assumer le tourbillon, éviter l’échouement

Changer, vraiment changer, c’est oser le tourbillon. Non pas pour le chaos, mais pour la clarté. Ce moment révolutionnaire est l’occasion d’ouvrir les fenêtres, de dépoussiérer les dogmes, de renverser les tabous. Osons gouverner autrement, penser autrement, décider autrement. Il faut inventer une autre manière de faire justice, une autre manière de concevoir l’économie, une autre manière de parler au monde.

La révolution sénégalaise ne suit aucun script importé. Elle a une seule boussole : le peuple. Ce peuple qui a parlé deux fois, avec clarté, ne demande ni validation extérieure ni prudence calculée. Il exige que ceux qu’il a portés au pouvoir gouvernent en son nom, à partir de ses réalités, pour ses intérêts.

Et nous n’avons aucun doute : le Président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko sont résolument engagés sur cette voie.

Le dividende démographique du Sénégal : promesse à condition

Le 14 avril, à l’Assemblée nationale, le Premier ministre Ousmane Sonko affirmait la volonté de l’État de mettre fin aux départs illégaux de migrants vers l’Europe. Cette déclaration résonne dans un contexte où l’émigration clandestine a brisé des familles et mis à nu notre incapacité à offrir un avenir à la jeunesse. Et pourtant, le Sénégal dispose, comme bien des pays africains, d’une jeunesse nombreuse, dynamique, avide d’apprendre et d’agir. Faut-il y voir une menace ou une chance ? C’est tout l’enjeu du dividende démographique : une promesse de développement, à condition d’investir dans l’éducation, la formation, l’emploi — et d’affirmer une souveraineté migratoire.

Une jeunesse en expansion : bénédiction ou bombe à retardement ?

La jeunesse constitue l’un des traits les plus marquants de la démographie sénégalaise : 62 % de la population a moins de 25 ans, et l’âge médian est de 19 ans. Avec une croissance annuelle de 2,7 %, le pays pourrait dépasser les 30 millions d’habitants d’ici 2050. Cette dynamique, encore inachevée, offre un potentiel immense si elle s’accompagne d’un accès réel à l’éducation, à la formation et à l’emploi. C’est le principe même du dividende démographique : une période où la majorité active peut, si elle est employée, stimuler la richesse nationale.

Mais cette promesse peut aussi virer au cauchemar. L’Afrique, malgré une croissance soutenue, reste piégée dans un modèle qui produit de la richesse sans développement partagé. Le résultat est connu : des millions de jeunes sans avenir, pris entre chômage, exil périlleux ou radicalisation. La démographie, dès lors, ne relève plus du seul registre statistique ; elle devient un enjeu politique majeur, au croisement de la justice sociale, de la souveraineté et des choix de civilisation.

L’immigration clandestine : symptôme d’un mal développement

Les départs massifs vers l’Europe, souvent au péril de la mer, ne relèvent pas d’un simple attrait pour l’Occident. Ils révèlent un désespoir profond : l’échec à transformer la croissance démographique en développement endogène. Chaque pirogue qui s’éloigne des côtes sénégalaises témoigne d’une faillite collective, mais aussi d’une politique migratoire européenne cynique, fondée sur la captation d’une main-d’œuvre bon marché, sans volonté de construire un partenariat équitable.

L’engagement du Premier ministre à tarir ces flux est salutaire, mais la réponse ne peut être uniquement sécuritaire. Il faut en traiter les causes : manque de perspectives économiques, inégalités, déscolarisation, gouvernance défaillante. Il faut aussi contraindre l’Europe à reconnaître sa part de responsabilité et à revoir la logique de ses politiques. L’Afrique ne peut plus être la béquille démographique d’un continent vieillissant. À chaque flux de travailleurs doit répondre un flux de savoirs, de technologies et d’investissements.

Investir dans le capital humain : la clé pour déclencher le dividende

Le dividende démographique ne se réalise que lorsqu’il est soutenu par une vision politique claire et des investissements conséquents dans le capital humain. Cela suppose de garantir une éducation de qualité, un accès équitable à la santé, et des opportunités de formation continue, adaptées aux mutations économiques. Or, au Sénégal, ces conditions sont loin d’être réunies. Les inégalités d’accès aux services essentiels, particulièrement en milieu rural, demeurent criantes. L’économie peine à absorber une jeunesse nombreuse, qui se heurte à un marché du travail fragile, dominé par l’informel et incapable d’offrir des perspectives dignes.

Pour transformer cette jeunesse en levier de développement, il ne suffit pas d’améliorer l’offre éducative. Il faut aussi élargir les dispositifs de formation professionnelle à tous les âges de la vie, intégrer les migrants de retour dans des parcours qualifiants, et bâtir une stratégie industrielle capable de fixer les compétences sur le territoire. Cette dynamique ne pourra s’épanouir sans une planification urbaine plus cohérente, qui anticipe l’essor démographique en articulant emploi, habitat, infrastructures et services publics. C’est à cette condition que le Sénégal pourra convertir sa transition démographique en opportunité historique.

Il ne suffit plus de dénoncer les filières cyniques de l’immigration clandestine ; encore faut-il rappeler que ces circuits mortifères sont, en grande partie, le produit des politiques migratoires européennes, qui ferment les voies légales tout en laissant prospérer l’irrégularité. Il faut désormais les démanteler, en redonnant à la jeunesse des raisons de croire en l’avenir ici. Le dividende démographique ne se décrète pas : il se construit, dans les choix politiques et budgétaires, au service du développement, mais aussi de la souveraineté. L’Afrique n’attend pas de l’Europe la pitié, mais le respect — celui qui passe par des partenariats équitables, où la richesse humaine n’est plus pillée, mais reconnue.

Fanon, le feu sous la peau — une œuvre lumineuse et radicale

Il est rare qu’un film vous poursuive bien après la projection, vous interroge, vous bouscule, vous oblige à rouvrir des livres, à relire des pages annotées, à confronter votre propre engagement à celui d’un homme habité. Fanon est de ceux-là. J’ai été saisi par cette œuvre. Non pas parce qu’elle sacralise un héros, mais parce qu’elle restitue avec finesse et force la trajectoire d’un homme qui a choisi de soigner en prenant parti. Oui, le film de Jean-Claude Barny, coécrit avec Philippe Bernard, est un geste politique autant qu’un acte de cinéma. Un film nécessaire.

Visuellement, Fanon est une réussite. La photographie est précise, sensible, poétique sans esthétisme creux. Alexandre Bouyer, dans le rôle principal, ne joue pas Fanon : il le traverse. Il lui donne corps, voix, fièvre. À ses côtés, Déborah François, Stanislas Merhar, Mehdi Senoussi, Arthur Dupont, Sfaya M’barki composent des figures secondaires toutes en nuances — jamais accessoires, toujours incarnées. La bande originale, magistrale, ne se contente pas d’accompagner : elle prolonge la pensée de Fanon, entre rage contenue et lucidité fiévreuse. Signée par Thibault Agyeman et Ludovic Louis, elle tisse un pont entre oud arabe, jazz caribéen et fragments poétiques de Jacques Coursil. Par instants, le souffle y évoque les éclats feutrés de Miles Davis.

Une pensée incarnée, un récit concentré sur l’Algérie

Le film fait le choix intelligent de se concentrer sur l’épisode algérien de la vie de Fanon, celui de l’engagement total, celui où le psychiatre devient combattant, où le praticien devient théoricien de la décolonisation violente. Quelques retours en arrière sur la Martinique ponctuent le récit, comme pour rappeler les origines d’une colère, les racines d’un regard lucide, les fondements d’un arrachement identitaire.

Le film ne cède jamais au didactisme. Il ne nous explique pas Fanon : il le donne à sentir. Ses silences, ses tensions, ses gestes révèlent une pensée incarnée — où la psychiatrie devient arme, et la violence, nécessité. On y perçoit la brûlure de Peau noire, masques blancs, l’urgence des Damnés de la terre. Mais Fanon y reste un homme, en mouvement, traversé de doutes.

Un film courageux, une réception frileuse

Comment ne pas s’indigner qu’un film salué par la critique, soutenu par une production solide, peine à trouver sa place dans les salles françaises ? Le boycott silencieux évoqué par Libération dit beaucoup : Fanon dérange. Il nomme, il dénonce, il ne cherche pas le consensus, mais la rupture.

Recommander Fanon, c’est refuser l’oubli et appeler à l’insurrection de la conscience. Fanon nous rappelle que la décolonisation n’est pas derrière nous, mais encore à venir, dans les têtes, dans les structures, dans les corps. Il faut voir Fanon, le faire circuler, en parler, débattre. Non pour glorifier une icône, mais faire vibrer une urgence muette.

Fiche technique :

  • Titre : Fanon
  • Réalisation : Jean-Claude Barny
  • Scénario : Philippe Bernard, Jean-Claude Barny
  • Acteurs : Alexandre Bouyer (Frantz Fanon), Déborah François, Stanislas Merhar, Mehdi Senoussi, Sfaya M’barki
  • Production : Sébastien Onomo
  • Pays : France, Luxembourg, Canada
  • Durée : 133 minutes
  • Sortie : 2025

Ousmane Sonko à l’Assemblée nationale : la justice, racine de la République

Pour la troisième fois depuis le début de la législature, le lundi 14 avril 2025, le Premier ministre Ousmane Sonko s’est présenté devant les députés. Trois présences en trois mois : ce n’est plus une habitude, c’est une méthode. Celle d’un chef de gouvernement qui prend au sérieux le contrôle parlementaire, refuse l’arrogance technocratique, et veut inscrire son action dans le sillon d’une République responsable. Cette fois, le cœur du débat a battu autour d’un mot : justice. Une justice sénégalaise à bout de souffle, qu’il faut sauver d’elle-même.

Une justice à reconstruire : entre idéal républicain et faillite pratique

Face aux députés, le Premier ministre Ousmane Sonko n’a pas maquillé le réel : la justice est malade. Trop souvent perçue comme un bras armé de l’exécutif, elle est lente pour les pauvres, expéditive pour les opposants. Les litiges fonciers ou économiques s’enlisent pendant des années, nourrissant un profond sentiment d’injustice. D’où son appel à raccourcir les délais, car, dit-il, il est « inacceptable qu’un citoyen attend dix ans pour connaître son sort judiciaire ».

Le Premier ministre appelle à une refondation complète, pas un replâtrage administratif : faire de la justice un véritable pouvoir indépendant, doté de moyens, de garanties et d’une colonne vertébrale morale. Il réaffirme la séparation des pouvoirs, mais assume la volonté de l’exécutif de définir une politique pénale de « tolérance zéro », notamment contre les abus et la corruption.

Ce diagnostic est partagé. Le président de l’Union des magistrats du Sénégal (UMS), Ousmane Chimère Diouf, a reconnu les failles du système : procédures interminables, sous-effectifs, confusion et défiance des citoyens. Avec seulement 27 magistrats au Pôle judiciaire financier, il est illusoire de juger sérieusement des affaires aussi complexes que le blanchiment ou la corruption systémique.

Une justice à deux vitesses : lenteur impitoyable pour les anonymes, rapidité foudroyante pour les opposants

Mais au-delà des constats, il y a les drames humains. Et parfois, des tragédies judiciaires qui prennent des allures de scandales. Prenons l’exemple glaçant du meurtre de Marie Claude Emonet, cogérante du célèbre Just4You, retrouvée morte dans une voiture en novembre 2008, après avoir été empoisonnée au peroxyde d’hydrogène. Des suspects sont rapidement identifiés. L’une d’elles se suicide en détention, laissant un mot déchirant : « Pardon mon mari, pardon mes enfants ». Et pourtant… il faudra seize longues années pour que l’affaire soit jugée. Seize ans pour qu’un accusé soit enfin fixé sur son sort. Seize ans pour que la vérité judiciaire, même partielle, émerge et que justice soit rendue, dans le silence d’un procès trop tardif.

Mais à l’autre extrême du spectre, la justice sénégalaise peut aussi se montrer d’une étonnante rapidité. Il a suffi de quelques mois pour que des adversaires politiques soient traduits, jugés, condamnés en première instance, en appel et en cassation. Khalifa Ababacar Sall en 2018, Ousmane Sonko en 2023 : deux cas emblématiques d’une justice-mitraillette, qui ne trébuche jamais sur les délais quand il s’agit d’écarter des candidats gênants du jeu électoral.

Ce contraste — lenteur pour les anonymes, rapidité pour les opposants — révèle une justice à deux vitesses qui creuse une fracture démocratique. Il alimente l’idée d’un droit parfois outil d’exclusion plutôt que levier de réparation. Le Premier ministre l’a bien compris : sans une justice indépendante, accessible, impartiale et crédible, le Sénégal ne pourra se réconcilier avec lui-même.

Refonder plutôt que réparer : un projet de justice populaire et souveraine

Le Premier ministre ne s’est pas contenté de dénoncer. Il a dessiné les contours d’une refondation profonde du système judiciaire, sans pour autant entrer dans les détails institutionnels. Il n’a pas évoqué formellement une réforme du Conseil supérieur de la magistrature, mais son discours a clairement porté l’ambition de faire émerger une justice autonome, dégagée de la tutelle politique et administrative.

Il veut doter la justice des moyens de son indépendance, non seulement en actes, mais aussi en symboles. Ce n’est pas une réforme cosmétique qui est recherchée, mais un changement de paradigme : passer d’un État de droit de façade à un État de justice réelle, enraciné dans l’éthique républicaine et l’équité populaire.

Côte d’Ivoire : l’État capturé, le peuple muselé

Avril 2011. Le Temps de Genève publie une caricature saisissante de Patrick Chappatte : Alassane Ouattara, costume sombre, écharpe présidentielle au torse, entre dans le palais. À ses pieds, un tapis rouge recouvre des cadavres ensanglantés. À droite, un militaire salue. À gauche, un autre garde, kalachnikov en main. Ce dessin, loin d’être une simple satire, est devenu un symbole durable : celui d’un pouvoir né dans le sang, consolidé par la force, et maintenu par la peur.

Le Président Ouattara n’est pas arrivé au pouvoir par les urnes, mais par la violence militaro-diplomatique. Tenu dans une Côte d’Ivoire coupée en deux, le scrutin de 2010 n’a pas tranché un choix démocratique : il a révélé l’ampleur de la désunion nationale. Ce n’est pas l’élection qui a départagé les candidats, mais les bombes françaises et les blindés onusiens. Tandis qu’Abidjan était bombardé par l’aviation française, les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), ex-rebelles recyclés, entraient dans la capitale.

Le Président Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé sont alors transférés illégalement à la Cour pénale internationale, en violation de toutes les procédures judiciaires nationales. Dix ans plus tard, ils sont acquittés. Aucun responsable du camp de l’actuel pouvoir ne sera jamais inquiété pour cette déportation ni pour les crimes commis pendant l’offensive.

Dans l’ombre, un autre drame se joue : le massacre de Duékoué. En mars 2011, près de 800 civils, du groupe ethnique guéré, sont tués par les FRCI et les milices dozos. Amnesty International, la FIDH et l’ONU évoquent un crime de masse à caractère ethnique. Silence absolu. Aucune poursuite. Aucune enquête sérieuse. La règle est édictée dès le départ : l’impunité pour les proches, la répression pour les autres.

La justice comme machine à broyer : vingt ans, c’est la norme

Dès lors, la justice devient un instrument de terreur politique. Le chiffre clé du régime ? Vingt ans. Vingt ans pour Guillaume Soro. Vingt ans pour Simone Ehivet Gbagbo. Vingt ans pour les cadres du PPA-CI. Et quand ce n’est pas la prison, c’est l’exil ou la radiation. Affi N’Guessan est traqué comme un criminel. Le président Laurent Gbagbo est empêché de se présenter. Candidat l, Tidjane Thiam pourrait être écarté du scrutin d’octobre 2025 au nom d’une polémique opportunément ravivée sur sa nationalité. Il ne s’agit pas de juger, mais d’éliminer.

Cette logique répressive a inspiré une chanson culte : « Gouvernement 20 ans », de Tiken Jah Fakoly. Avec ironie et amertume, l’artiste y dénonce une dérive où l’opposition est condamnée par principe. Depuis cette chanson, Fakoly a été écarté des scènes officielles.

Koua Justin du PPA-CI en est l’incarnation tragique. Arrêté, emprisonné, isolé durant plus de deux ans. Rongé par la violence, mais debout, en témoin. Il déclare avoir été victime d’actes inqualifiables durant sa détention. Pas des rumeurs. Pas des « on-dit ». Un témoignage direct. Accablant. Silencieux, le parquet se contente de « clarifications » techniques sur son dossier. Aucune instruction ouverte. Aucune poursuite.

Fausse croissance, vraie misère et simulacre démocratique

En 2016, Le Président Ouattara franchit un cap. Il réécrit la Constitution pour briguer un troisième mandat en 2020. Résultat : 94 % des suffrages. Les opposants boycottent ? On les traque. Les manifestants protestent ? On les matraque. Les ONG observent ? Elles concluent à un scrutin non inclusif et non transparent. Et pendant ce temps, les « microbes », milices de rue aux ordres du régime, assurent la répression avec machettes et gourdins.

On vante à l’étranger la croissance ivoirienne. Elle existe, oui. Mais pour qui ? Certainement pas pour les 46 % d’Ivoiriens vivant en pauvreté multidimensionnelle, ni pour les jeunes massivement sans emploi, ni pour les enseignants, les paysans ou les travailleurs informels. Cette richesse, produite à coups d’exportations et d’endettement, est confisquée par une oligarchie économique liée aux cercles du pouvoir et interconnectée aux réseaux de la Françafrique.

Les indicateurs humains parlent d’eux-mêmes : une espérance de vie à la naissance de 59 ans en 2022, soit deux ans de moins que la moyenne d’Afrique subsaharienne ; un classement 166e sur 193 pays à l’Indice de développement humain (IDH) du PNUD ; une incidence de pauvreté monétaire estimée à 37,5 %. Derrière les grands projets, les chantiers tapageurs, les indicateurs macroéconomiques flatteurs, le quotidien de millions d’Ivoiriens reste marqué par l’exclusion, la précarité, et l’invisibilité.

Pour masquer cette injustice, le pouvoir brandit la carte identitaire. Il se pose en défenseur des nordistes et des musulmans, face à un prétendu « péril du Sud ». Une vieille recette : diviser pour régner. Mais la misère, elle, ne connaît ni ethnie ni région. Le communautarisme n’est qu’un écran de fumée pour dissimuler un néolibéralisme violent et un autoritarisme marchand, greffés aux rouages voraces de la Françafrique.

À l’approche de la présidentielle, tout laisse penser que le Président Ouattara prépare un quatrième mandat. La Commission électorale indépendante (CEI), déjà verrouillée, écarte des électeurs, trafique les listes et viole ses propres règles. Face à cette dérive, l’ancien président Laurent Gbagbo a rompu le silence.

Dans un communiqué daté du 11 avril 2025, il annonce que son parti, le PPA-CI suspend sa participation à la CEI, qu’il qualifie « soumise à un pouvoir qui refuse l’alternance ». Et de lancer un avertissement solennel : « Nous ne voulons plus d’un autre 11 avril 2011 », et appeler à un véritable dialogue national pour éviter la répétition du chaos.

Son alerte confirme un constat implacable : le régime ivoirien ne tolère ni opposition ni débat. Il transforme les lois, muselle la presse, réprime la rue. Mais aucune République ne survit durablement à un tel niveau de déni démocratique.