2021–2024 : solder les comptes, honorer les mémoires

Le temps du compromis mou est révolu. Le Sénégal est à l’heure du choix. Ce 2 avril 2025, à 10 heures, les députés examineront en séance plénière la proposition de loi n° 05/2025 portant interprétation de la loi d’amnistie de mars 2024. Ce n’est pas une simple révision législative, mais un affrontement décisif entre deux camps : celui de la révolution citoyenne et démocratique, qui exige justice et mémoire, et celui de la réaction, qui esquive, dilue et protège. À la volonté de réparer les préjudices s’oppose la stratégie de l’effacement. Mais le sang versé ne s’efface pas. Et la vérité, tôt ou tard, surgira.

Le piège sans fin de la loi d’amnistie de 2024

Le débat sur la loi d’amnistie votée en mars 2024 continue de secouer l’espace médiatique sénégalais, un an après son adoption dans un climat de crise politique et de répression féroce. Certains, au nom d’une neutralité prétendument républicaine, voudraient nous faire croire qu’il ne s’agirait que d’un conflit d’interprétation juridique. Mais ce serait réduire dangereusement la portée politique et morale de ce moment. Il ne s’agit pas d’un débat technique : il s’agit de justice, de mémoire, et surtout de vérité.

Votée dans l’urgence, sur fond d’élections présidentielles et de pressions multiples, la loi d’amnistie de 2024 a certes permis la libération de prisonniers politiques. Mais elle a aussi balayé d’un revers de main des dizaines de cas de violences d’État. Elle a fermé les yeux sur les tortures, les disparitions, les assassinats perpétrés en toute impunité. Ce n’est pas l’amnistie en soi qui est en cause : c’est qu’elle a couvert les crimes de sang — les exécutions sommaires, les tirs à balle réelle sur des manifestants pacifiques. Voilà le cœur du scandale.

La loi interprétative : une ligne de partage entre l’oubli et la justice

Or, c’est précisément ce que la proposition de loi interprétative portée par le député Amadou Ba et le groupe parlementaire PASTEF vise à corriger. Elle affirme un principe simple et juste : seuls les faits motivés exclusivement par une expression politique pacifique ou une revendication militante peuvent relever de l’amnistie. Ni plus ni moins. Les tortures, les meurtres, les violences gratuites doivent être exclus de cette logique. Il faut dire qui a donné l’ordre de tirer. Il faut identifier les responsables de la terreur qui a régné sur le pays entre 2021 et 2024. Il faut retrouver les disparus.

Mais plus grave encore : ceux qui réclament aujourd’hui l’abrogation pure et simple de la loi d’amnistie sans proposer de solution sérieuse ni de mécanisme crédible pour établir la vérité se rendent complices d’une stratégie de blocage. Derrière les postures de façade, ils évitent le seul débat qui vaille : celui de la responsabilité politique et pénale dans la répression.

En refusant la loi interprétative sans alternative cohérente, ils défendent, sciemment ou non, l’impunité. Leur prudence affichée n’est qu’un paravent : celui de la peur d’une justice lucide, exigeante, implacable envers les crimes d’État. Mais l’échéance approche. Et le droit finira par éclairer ce que l’histoire ne peut plus taire.

Un vote pour l’avenir : justice, mémoire et responsabilité

On oublie trop souvent de parler de l’esprit de la loi interprétative. Cette loi n’est pas une ruse de juriste : c’est un acte politique fort, un geste de reconnaissance envers celles et ceux qui ont souffert pour la démocratie. Elle ne vise pas à créer une justice à deux vitesses. Elle s’efforce de rétablir une hiérarchie des faits, une échelle morale, une distinction essentielle entre ce qui relève du crime d’État et ce qui ressort de la dissidence citoyenne.

Il est temps de solder les comptes de cette séquence tragique. Cela passe par la vérité, la justice, et un geste fort de clarification. Le Sénégal ne peut pas bâtir son avenir sur le brouillard de l’amnésie. Voter la loi interprétative, c’est reconnaître que l’amnistie ne peut pas couvrir des actes inqualifiables. C’est dire que la République ne protège pas les tortionnaires. C’est enfin affirmer, avec force et dignité, que les morts ont droit à la justice et les vivants à la vérité.

Les députés de la majorité PASTEF, portés par un mandat populaire clair et massif, ont la responsabilité historique de faire ce choix. Il est également attendu que tous les députés de bonne volonté, au-delà des clivages partisans, se joignent à cet effort de vérité et de réparation. Car il s’agit ici de l’intérêt supérieur de la nation et de la dignité des institutions.

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Auteur : Félix Atchadé

Je suis médecin, spécialiste de Santé Publique et d’Éthique Médicale. Je travaille sur les questions d’équité et de justice sociale dans les systèmes de santé. Militant politique, je participe à l'oeuvre de refondation de la gauche sénégalaise.

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