
Le rideau vient de tomber sur une longue mascarade. Le Fonds monétaire international (FMI) vient de confirmer, chiffres à l’appui, ce que les nouvelles autorités sénégalaises avaient courageusement révélé à l’issue d’un audit de la Cour des comptes : entre 2019 et 2024, l’État sénégalais a dissimulé environ 7 milliards de dollars de dette. Cette annonce ne relève pas de la simple arithmétique budgétaire. Elle marque une rupture. Une rupture dans le rapport au réel, dans la parole publique, mais aussi dans la manière dont notre économie s’inscrit dans l’ordre monétaire régional.
Cette dette n’est pas apparue par enchantement. Elle est le fruit d’un régime qui gérait l’économie comme un patrimoine personnel, entre clientélisme électoral et storytelling pour bailleurs. Pendant que Macky Sall jouait au gestionnaire modèle dans les salons de Davos, le pays croulait sous des engagements cachés.
Le Sénégal hors des clous : la fin d’un théâtre d’ombres
Avec cet aveu venu de Washington, le Sénégal ne respecte plus aucun des critères de convergence de l’UEMOA. Ces critères – déficit public en deçà de 3 %, dette plafonnée à 70 % du PIB, inflation maîtrisée – sont l’héritage direct du fameux Pacte de stabilité et de croissance de l’Union européenne, ce corset budgétaire imaginé à Francfort. Ils ont servi à corseter les politiques économiques africaines, à verrouiller nos ambitions, à transformer le développement en exercice comptable. Pendant ce temps, nos écoles manquaient de craies, nos hôpitaux de lits, nos jeunes de perspectives, pendant que les autorités multipliaient les inaugurations d’infrastructures inachevées ou surfacturées, vitrine d’un développement de façade.
Ce n’est pas seulement un écart technique : c’est une trahison de la souveraineté populaire. Le gouvernement précédent a engagé le pays sur des trajectoires budgétaires intenables, en maquillant les déficits, en accumulant des dettes hors bilan, et en imposant aux générations futures le poids d’une gouvernance irresponsable.
L’orthodoxie budgétaire ou le théâtre de la respectabilité
Ce que le FMI vient d’acter, c’est l’effondrement d’une fiction collective. Celle d’un Sénégal « bon élève », récompensé sur les marchés internationaux pour sa rigueur. Mais cette rigueur était une illusion : une discipline budgétaire de façade, bâtie sur des chiffres opaques, des engagements non déclarés, des arriérés maquillés. Pendant qu’on célébrait à Dakar la stabilité macroéconomique, Macky Sall empilait la dette dans l’ombre, dans une opacité assumée, tout en réprimant ceux qui demandaient des comptes.
Le plus inquiétant, c’est que cette fuite en avant s’inscrivait dans un prolongement post-ajustement. On ne parlait plus d’austérité, mais de « résilience », de « gouvernance », de « filets sociaux ciblés ». Mais les recettes restaient les mêmes : baisse des dépenses publiques, dépendance à l’extérieur, obsession du déficit. Le vernis du discours développementaliste ne faisait que dissimuler le recyclage des recettes du FMI des années 1980, sous des appellations plus « participatives ».
La fin d’une séquence, le début d’une refondation
La situation actuelle marque la fin de cette séquence ouverte dans les années 1980, celle d’un développement sous tutelle, balisé par les agences de notation, validée par les bailleurs. La pandémie de COVID-19, la guerre en Ukraine, l’inflation mondiale ont précipité cette fin. Mais le poison était déjà dans le fruit : le régime Sall a fait le choix de la fuite en avant, de la dépense sans contrôle, du prestige sur le peuple.
L’origine du problème est donc avant tout politique : notre incapacité, ou plutôt notre refus, de penser par nous-mêmes l’économie, de bâtir nos règles du jeu, d’affronter nos réalités avec des outils forgés chez nous. Tant que la décision économique restera entre les mains d’une technocratie docile vis-à-vis des institutions de Bretton Woods, le développement restera un mirage.
Une leçon d’économie politique
La crise actuelle est une leçon d’économie politique en temps réel. Elle révèle que les critères de convergence, respectés en apparence, n’ont pas empêché les dérives, que la croissance proclamée peut masquer l’injustice, et que les marchés ne remplaceront jamais la souveraineté populaire.
Il ne s’agit plus de corriger à la marge, mais de rompre. Sortir du post-ajustement, non pour un « réajustement » maquillé, mais pour un pacte démocratique et panafricain, ancré dans la participation citoyenne et les priorités nationales.
Le moment est venu : reconstruire l’économie sénégalaise sur les droits des citoyens, non sur les injonctions des bailleurs. Tourner la page des gouvernements soucieux de leur image à l’étranger, indifférents aux souffrances locales. Car la dette cachée incarne une trahison politique, pas un simple écart comptable.
En cela, le Président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko ont posé un acte fondateur : dire la vérité, choisir la transparence, et ouvrir la voie à une souveraineté économique assumée. Une rupture salutaire. Et une espérance lucide pour le Sénégal et l’Afrique.
