2021–2024 : solder les comptes, honorer les mémoires

Le temps du compromis mou est révolu. Le Sénégal est à l’heure du choix. Ce 2 avril 2025, à 10 heures, les députés examineront en séance plénière la proposition de loi n° 05/2025 portant interprétation de la loi d’amnistie de mars 2024. Ce n’est pas une simple révision législative, mais un affrontement décisif entre deux camps : celui de la révolution citoyenne et démocratique, qui exige justice et mémoire, et celui de la réaction, qui esquive, dilue et protège. À la volonté de réparer les préjudices s’oppose la stratégie de l’effacement. Mais le sang versé ne s’efface pas. Et la vérité, tôt ou tard, surgira.

Le piège sans fin de la loi d’amnistie de 2024

Le débat sur la loi d’amnistie votée en mars 2024 continue de secouer l’espace médiatique sénégalais, un an après son adoption dans un climat de crise politique et de répression féroce. Certains, au nom d’une neutralité prétendument républicaine, voudraient nous faire croire qu’il ne s’agirait que d’un conflit d’interprétation juridique. Mais ce serait réduire dangereusement la portée politique et morale de ce moment. Il ne s’agit pas d’un débat technique : il s’agit de justice, de mémoire, et surtout de vérité.

Votée dans l’urgence, sur fond d’élections présidentielles et de pressions multiples, la loi d’amnistie de 2024 a certes permis la libération de prisonniers politiques. Mais elle a aussi balayé d’un revers de main des dizaines de cas de violences d’État. Elle a fermé les yeux sur les tortures, les disparitions, les assassinats perpétrés en toute impunité. Ce n’est pas l’amnistie en soi qui est en cause : c’est qu’elle a couvert les crimes de sang — les exécutions sommaires, les tirs à balle réelle sur des manifestants pacifiques. Voilà le cœur du scandale.

La loi interprétative : une ligne de partage entre l’oubli et la justice

Or, c’est précisément ce que la proposition de loi interprétative portée par le député Amadou Ba et le groupe parlementaire PASTEF vise à corriger. Elle affirme un principe simple et juste : seuls les faits motivés exclusivement par une expression politique pacifique ou une revendication militante peuvent relever de l’amnistie. Ni plus ni moins. Les tortures, les meurtres, les violences gratuites doivent être exclus de cette logique. Il faut dire qui a donné l’ordre de tirer. Il faut identifier les responsables de la terreur qui a régné sur le pays entre 2021 et 2024. Il faut retrouver les disparus.

Mais plus grave encore : ceux qui réclament aujourd’hui l’abrogation pure et simple de la loi d’amnistie sans proposer de solution sérieuse ni de mécanisme crédible pour établir la vérité se rendent complices d’une stratégie de blocage. Derrière les postures de façade, ils évitent le seul débat qui vaille : celui de la responsabilité politique et pénale dans la répression.

En refusant la loi interprétative sans alternative cohérente, ils défendent, sciemment ou non, l’impunité. Leur prudence affichée n’est qu’un paravent : celui de la peur d’une justice lucide, exigeante, implacable envers les crimes d’État. Mais l’échéance approche. Et le droit finira par éclairer ce que l’histoire ne peut plus taire.

Un vote pour l’avenir : justice, mémoire et responsabilité

On oublie trop souvent de parler de l’esprit de la loi interprétative. Cette loi n’est pas une ruse de juriste : c’est un acte politique fort, un geste de reconnaissance envers celles et ceux qui ont souffert pour la démocratie. Elle ne vise pas à créer une justice à deux vitesses. Elle s’efforce de rétablir une hiérarchie des faits, une échelle morale, une distinction essentielle entre ce qui relève du crime d’État et ce qui ressort de la dissidence citoyenne.

Il est temps de solder les comptes de cette séquence tragique. Cela passe par la vérité, la justice, et un geste fort de clarification. Le Sénégal ne peut pas bâtir son avenir sur le brouillard de l’amnésie. Voter la loi interprétative, c’est reconnaître que l’amnistie ne peut pas couvrir des actes inqualifiables. C’est dire que la République ne protège pas les tortionnaires. C’est enfin affirmer, avec force et dignité, que les morts ont droit à la justice et les vivants à la vérité.

Les députés de la majorité PASTEF, portés par un mandat populaire clair et massif, ont la responsabilité historique de faire ce choix. Il est également attendu que tous les députés de bonne volonté, au-delà des clivages partisans, se joignent à cet effort de vérité et de réparation. Car il s’agit ici de l’intérêt supérieur de la nation et de la dignité des institutions.

La dette cachée, le FMI, et la fin d’un cycle : une leçon d’économie politique pour le Sénégal

Le rideau vient de tomber sur une longue mascarade. Le Fonds monétaire international (FMI) vient de confirmer, chiffres à l’appui, ce que les nouvelles autorités sénégalaises avaient courageusement révélé à l’issue d’un audit de la Cour des comptes : entre 2019 et 2024, l’État sénégalais a dissimulé environ 7 milliards de dollars de dette. Cette annonce ne relève pas de la simple arithmétique budgétaire. Elle marque une rupture. Une rupture dans le rapport au réel, dans la parole publique, mais aussi dans la manière dont notre économie s’inscrit dans l’ordre monétaire régional.

Cette dette n’est pas apparue par enchantement. Elle est le fruit d’un régime qui gérait l’économie comme un patrimoine personnel, entre clientélisme électoral et storytelling pour bailleurs. Pendant que Macky Sall jouait au gestionnaire modèle dans les salons de Davos, le pays croulait sous des engagements cachés.  

Le Sénégal hors des clous : la fin d’un théâtre d’ombres

Avec cet aveu venu de Washington, le Sénégal ne respecte plus aucun des critères de convergence de l’UEMOA. Ces critères – déficit public en deçà de 3 %, dette plafonnée à 70 % du PIB, inflation maîtrisée – sont l’héritage direct du fameux Pacte de stabilité et de croissance de l’Union européenne, ce corset budgétaire imaginé à Francfort. Ils ont servi à corseter les politiques économiques africaines, à verrouiller nos ambitions, à transformer le développement en exercice comptable. Pendant ce temps, nos écoles manquaient de craies, nos hôpitaux de lits, nos jeunes de perspectives, pendant que les autorités multipliaient les inaugurations d’infrastructures inachevées ou surfacturées, vitrine d’un développement de façade.

Ce n’est pas seulement un écart technique : c’est une trahison de la souveraineté populaire. Le gouvernement précédent a engagé le pays sur des trajectoires budgétaires intenables, en maquillant les déficits, en accumulant des dettes hors bilan, et en imposant aux générations futures le poids d’une gouvernance irresponsable.

L’orthodoxie budgétaire ou le théâtre de la respectabilité

Ce que le FMI vient d’acter, c’est l’effondrement d’une fiction collective. Celle d’un Sénégal « bon élève », récompensé sur les marchés internationaux pour sa rigueur. Mais cette rigueur était une illusion : une discipline budgétaire de façade, bâtie sur des chiffres opaques, des engagements non déclarés, des arriérés maquillés. Pendant qu’on célébrait à Dakar la stabilité macroéconomique, Macky Sall empilait la dette dans l’ombre, dans une opacité assumée, tout en réprimant ceux qui demandaient des comptes.

Le plus inquiétant, c’est que cette fuite en avant s’inscrivait dans un prolongement post-ajustement. On ne parlait plus d’austérité, mais de « résilience », de « gouvernance », de « filets sociaux ciblés ». Mais les recettes restaient les mêmes : baisse des dépenses publiques, dépendance à l’extérieur, obsession du déficit. Le vernis du discours développementaliste ne faisait que dissimuler le recyclage des recettes du FMI des années 1980, sous des appellations plus « participatives ».

La fin d’une séquence, le début d’une refondation

La situation actuelle marque la fin de cette séquence ouverte dans les années 1980, celle d’un développement sous tutelle, balisé par les agences de notation, validée par les bailleurs. La pandémie de COVID-19, la guerre en Ukraine, l’inflation mondiale ont précipité cette fin. Mais le poison était déjà dans le fruit : le régime Sall a fait le choix de la fuite en avant, de la dépense sans contrôle, du prestige sur le peuple.

L’origine du problème est donc avant tout politique : notre incapacité, ou plutôt notre refus, de penser par nous-mêmes l’économie, de bâtir nos règles du jeu, d’affronter nos réalités avec des outils forgés chez nous. Tant que la décision économique restera entre les mains d’une technocratie docile vis-à-vis des institutions de Bretton Woods, le développement restera un mirage.

Une leçon d’économie politique

La crise actuelle est une leçon d’économie politique en temps réel. Elle révèle que les critères de convergence, respectés en apparence, n’ont pas empêché les dérives, que la croissance proclamée peut masquer l’injustice, et que les marchés ne remplaceront jamais la souveraineté populaire.

Il ne s’agit plus de corriger à la marge, mais de rompre. Sortir du post-ajustement, non pour un « réajustement » maquillé, mais pour un pacte démocratique et panafricain, ancré dans la participation citoyenne et les priorités nationales.

Le moment est venu : reconstruire l’économie sénégalaise sur les droits des citoyens, non sur les injonctions des bailleurs. Tourner la page des gouvernements soucieux de leur image à l’étranger, indifférents aux souffrances locales. Car la dette cachée incarne une trahison politique, pas un simple écart comptable.

En cela, le Président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko ont posé un acte fondateur : dire la vérité, choisir la transparence, et ouvrir la voie à une souveraineté économique assumée. Une rupture salutaire. Et une espérance lucide pour le Sénégal et l’Afrique.

Bassirou Diomaye Faye : un an de présidence et un Sénégal en mutation

Il y a un an, le Sénégal tournait une page sombre de son histoire en portant au pouvoir Bassirou Diomaye Faye, incarnation d’un espoir populaire longtemps étouffé. Un an plus tard, entre ruptures affirmées et résistances persistantes, le pays est engagé dans une mutation profonde, mais fragile.

Il y a un an jour pour jour, le Sénégal entrait dans une nouvelle ère avec la victoire éclatante de Bassirou Diomaye Faye à l’élection présidentielle du 24 mars 2024. Ce triomphe, bien plus qu’une simple alternance, marquait une rupture historique, refermant d’un coup sec douze années du régime Macky Sall marqué par l’autoritarisme et la prédation économique. Les dernières années de ce pouvoir avaient pris un tour particulièrement brutal : répression féroce des opposants, musèlement de la presse, instrumentalisation de la justice, arrestations arbitraires, exils forcés, et une jeunesse systématiquement ciblée comme une menace. La démocratie sénégalaise, naguère fière de ses acquis, avait été poussée au bord du gouffre. Mais le 24 mars 2024, le peuple a tranché avec détermination, mettant fin à cette dérive dictatoriale et ouvrant une nouvelle trajectoire fondée sur la liberté, la justice et la souveraineté.

Un an après, des changements notables sont à l’œuvre. La gouvernance, autrefois opaque et marquée par l’impunité, s’est engagée dans un processus de refondation. La priorité donnée à la transparence, la reddition des comptes et la lutte contre la corruption illustrent cette rupture nécessaire. Le départ acté des forces françaises, qui incarnaient aux yeux de beaucoup la dépossession de notre souveraineté, s’inscrit dans cette volonté assumée de réappropriation nationale. De même, la ratification d’accords en suspens depuis des années ouvre de nouveaux horizons pour le pays, en diversifiant ses instruments de coopération. Le Sénégal, sous l’impulsion de la Vision Sénégal 2050, se projette désormais dans l’avenir avec une ambition renouvelée, articulée autour de la souveraineté économique, de la justice sociale et du panafricanisme.

Mais toute révolution suscite des résistances. Les forces du passé, celles qui prospéraient sous l’ancien régime, celles qui ont bénéficié de la rente du pouvoir, n’ont pas disparu. Elles s’organisent dans l’ombre, fomentent la discorde et instrumentalisent les institutions pour freiner l’élan du changement. L’histoire regorge d’exemples où des révolutions victorieuses ont été dévoyées faute d’un ancrage institutionnel solide. Le Sénégal ne doit pas être une nouvelle illustration de cette tragédie cyclique.

Les réformes urgentes : un programme législatif de refondation

Face à ces enjeux, il est impératif d’inscrire la révolution citoyenne dans une dynamique institutionnelle pérenne. La consolidation du changement passe par un programme législatif ambitieux qui doit d’abord s’attaquer à l’institution judiciaire. Il est essentiel de rompre avec une magistrature inféodée à l’exécutif et de garantir l’inamovibilité des juges pour mettre fin aux ingérences politiques. Mais cette réforme ne saurait être complète sans une décolonisation de l’appareil judiciaire, encore marqué par des héritages qui perpétuent les inégalités. L’objectif doit être de garantir une justice impartiale, où tous les citoyens sont égaux devant la loi, sans distinction de statut social ou d’appartenance politique.

Mais la refondation institutionnelle ne saurait être complète sans une refonte des bases économiques du pays. Une loi sur le patriotisme économique s’impose pour protéger le pays des logiques de rente et de la prédation néocoloniale qui freinent son développement. Il est temps de bâtir un modèle économique national fondé sur la production, en soutenant les entrepreneurs locaux et en développant des filières stratégiques adaptées à nos réalités. Face à la puissance des multinationales, l’enjeu n’est pas de les concurrencer frontalement, mais de fixer des règles claires qui encouragent l’initiative locale et veillent à ce que les richesses produites au Sénégal profitent d’abord à ses citoyens. Cela suppose aussi de penser notre insertion dans les chaînes de valeur de l’économie mondiale, en identifiant des segments où notre savoir-faire, nos ressources et notre main-d’œuvre peuvent faire la différence.

Toutefois, cette ambition ne pourra se concrétiser si elle aboutit simplement à la naissance d’une nouvelle caste d’opportunistes, prêts à reproduire les mêmes logiques de prédation sous un vernis de changement. L’un des risques majeurs de tout changement est de voir émerger une élite parasitaire qui ne ferait que remplacer l’ancienne sans modifier les structures de domination. La révolution citoyenne ne doit pas être une simple succession de visages, mais une transformation en profondeur des pratiques et des mentalités. Plutôt que de perpétuer un modèle économique basé sur la rente et le clientélisme, il est impératif de privilégier une véritable élite entrepreneuriale fondée sur l’innovation, la production et la création de valeur ajoutée. C’est à ce prix seulement que le Sénégal pourra durablement s’émanciper et inscrire son développement dans une dynamique souveraine et inclusive.

Un cap à maintenir malgré les embûches

Le bilan d’une année est encourageant, mais l’histoire nous enseigne que les révolutions les plus prometteuses sont souvent celles qui suscitent les plus fortes résistances. Les forces rétrogrades ne désarment pas, et il appartient aux citoyens de rester vigilants pour défendre les acquis durement arrachés. La révolution du 24 mars 2024 n’est pas un aboutissement, mais un commencement.

Le Président Bassirou Diomaye Faye, le Premier ministre Ousmane Sonko, le gouvernement, la majorité parlementaire PASTEF ont amorcé une dynamique positive. Il leur revient désormais de la consolider en inscrivant leur action dans le long terme, en structurant les réformes et en engageant les ruptures nécessaires. L’enjeu n’est pas seulement de gouverner, mais de transformer le Sénégal pour les générations futures.

L’histoire ne tolère pas les rendez-vous manqués.

Des cris dans une nuit d’harmattan

Un cri strident perça la nuit de mars. L’air était sec, chargé de poussière, et la pleine lune jetait une lueur blafarde sur le quartier endormi. « Aidez-moi, il va me tuer ! » Puis, plus désespéré encore : « Il est en train de me tuer ! »

La voix venait de la maison des P., cet immeuble que le Francenabé[1] avait loué à un groupe de travailleuses du sexe. Abitan, qui vivait à une cinquantaine de mètres, avait entendu. Il aurait pu accourir. Mais il n’en fit rien. Chaque jour, dans ses prières, il maudissait ce propriétaire qui avait osé souiller le voisinage avec ces âmes perdues. Il le soupçonnait même d’avoir sciemment choisi ces locataires pour l’irriter. À son dernier séjour à Dakar, il lui avait pourtant proposé un autre preneur, prêt à payer neuf mois de loyer d’avance. Mais cet excrément de Chirac, comme il l’appelait avec mépris, avait refusé, arguant qu’un bail ne se rompait pas sans préavis. Comme si la vie de ces femmes comptait !

Il avait entendu le cri, cette clameur d’agonie, ce mélange d’horreur et d’ultime résistance. Il savait qu’elles étaient vouées à périr en enfer, tôt ou tard. Alors, à quoi bon ? Que cette femme rejoigne le purgatoire dès maintenant ne changerait rien à sa destinée. Il haussa les épaules, rouvrit son livre saint et replongea dans sa lecture.

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Comme chaque lundi matin, peu avant huit heures, le docteur MBS recevait dans son bureau son collègue et ami, le docteur MOGSY. D’ordinaire, leurs discussions portaient sur le fonctionnement du service et, ces derniers temps, sur les démarches administratives imposées par le CAMES pour l’agrégation. Mais ce jour-là, la conversation prit une autre tournure.

Docteur MOGSY se plaignait de sa première épouse, devenue rétive depuis qu’il avait pris une seconde femme, bien plus jeune. Elle ne participait plus aux dépenses de la maison, refusant même d’acheter du sel en son absence. La dernière fois, une ampoule avait grillé. Au lieu de la remplacer, elle avait préféré attendre son retour, jugeant l’obscurité dangereuse pour le cuisinier.

MBS, amusé, s’apprêtait à pouffer de rire en avalant une gorgée de café. Mais son regard s’arrêta net sur la manchette du journal posé devant lui. Un fait divers sordide. Un frisson le parcourut. Il ne dit rien.

Une fois seul, il se plongea dans l’article. Chaque ligne lui confirmait son pressentiment. Il connaissait cette histoire. Il connaissait le meurtrier présumé. Un patient, hospitalisé quelques semaines plus tôt, qui lui avait paru instable. Une dépression masquée, dissimulant une névrose obsessionnelle. Un homme rongé par l’angoisse d’être jugé indigne devant DIEU. Il avait aussi soupçonné un trouble F65.5 du DSM-IV, mais il n’avait pas eu le temps de le prendre en charge. Faute de créneau. Faute de personnel qualifié. Son interne formée à la psychothérapie analytique avait quitté le pays, comme tant d’autres, fuyant un système de santé exsangue. Et pendant ce temps, en France, des politiciens vomissaient leurs discours sur les méfaits de l’immigration, oubliant que leur propre système profitait de cette fuite des cerveaux.

Cette nuit-là, MBS relut l’article encore et encore. Chaque détail le ramenait à son patient. Il ne dormit que quelques heures, mais au matin, il prit une décision : il irait voir la police.

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Cela faisait plusieurs jours que Phalal avait fui Dakar. Il était parti précipitamment, sans comprendre lui-même ce qui s’était passé. D’ordinaire, après avoir vu Toufa, il sombrait dans une prostration silencieuse. Mais cette fois, quelque chose avait changé. Quelque chose avait basculé en lui.

Toufa savait le faire parler, le faire exister autrement. Elle était devenue une habitude, un refuge. Il lui versait des sommes généreuses pour ces moments de libération. Chaque dernier vendredi du mois, il allait la retrouver, comme un pénitent cherchant l’absolution. Avant de la rejoindre, il suivait un rituel précis : un cocktail de médicaments, des bouffées d’« herbe des songes », quelques verres au bar Le Téméraire.

Mais cette nuit-là, après l’extase, la culpabilité habituelle n’était pas venue. À la place, une rage froide, insensée. Dans son regard Toufa avait vu une colère qu’elle ne connaissait pas et comprit que ses minutes étaient comptées. Les yeux de Phalan étaient injectés de sang, sa respiration était devenue haletante. Et il avait frappé. Encore et encore.

Le rapport de l’inspecteur de police était sans appel : « En trente-cinq ans de carrière, je n’ai jamais vu une scène de crime pareille. »

Phalal s’était réfugié dans une communauté religieuse, loin dans le pays profond. Le guide qui l’avait accueilli percevait en lui un trouble, une menace latente.

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Le docteur MBS fut reçu par le commissaire chargé de l’enquête. Il exposa ses soupçons. Il n’avait aucune preuve tangible, mais il savait. Le commissaire le prit au sérieux. Ils retrouvèrent sans peine le domicile de Phalal. Son père, inquiet, leur fit une simple déclaration : « Il fuit quelque chose. S’il est encore au Sénégal, vous le retrouverez dans la communauté de ceux qui marchent pieds nus. »

Les policiers suivirent la piste. Lorsqu’ils arrivèrent, Phalal ne chercha pas à fuir. Il s’avança vers eux et, d’une voix éteinte, déclara :

— Je suis à vous. C’est moi que vous cherchez. Je suis le meurtrier de Toufa. »


[1] « Francenabé » est une expression désuète désignant les Sénégalais émigrés en France.

Le lion rouge a rugi : l’envol du Sénégal souverain

Le Sénégal s’engage dans une nouvelle ère d’engagement international. Entre ancrage régional et ouverture aux puissances émergentes, le pays affirme sa place sur la scène mondiale avec une approche réfléchie et agile.

Le 24 mars 2024 restera gravé dans l’histoire du Sénégal comme le jour où le pays a amorcé un tournant décisif. En élisant Bassirou Diomaye Faye dès le premier tour, les Sénégalais ont enclenché une dynamique de rupture avec l’ordre ancien, affirmant leur volonté d’indépendance et de refondation nationales. Ce scrutin a traduit une aspiration profonde à la souveraineté, à la justice et à l’émancipation économique. Depuis, le Sénégal avance avec détermination sur la voie de la souveraineté et de l’affirmation internationale, porté par un projet politique audacieux.

Sous la direction du Premier ministre Ousmane Sonko, le gouvernement s’attèle à redessiner les contours économiques, sociaux et diplomatiques du pays. Dans un monde marqué par de profondes mutations géopolitiques et économiques, le Sénégal assume son rôle d’acteur majeur en Afrique. Loin d’un repli, cette trajectoire traduit une volonté de renforcer la résilience nationale tout en consolidant son leadership sur la scène continentale et internationale.

Un positionnement réfléchi pour l’avenir

Le pays s’engage résolument dans la réduction de sa dépendance aux puissances étrangères, notamment dans les domaines économiques, alimentaires, politiques et militaires. Dans un contexte où les équilibres mondiaux évoluent, il accélère son industrialisation, exploite pleinement ses ressources naturelles et diversifie ses alliances diplomatiques. L’objectif est clair : bâtir une autonomie durable et renforcer son rôle de leader africain.

L’économie nationale se transforme en profondeur. L’exploitation stratégique des ressources naturelles permet de financer des projets de développement tout en évitant le piège d’une dépendance aux exportations brutes. Le Sénégal renforce sa capacité industrielle et privilégie la transformation locale de ses matières premières, réduisant ainsi sa dépendance aux importations. Dans cette dynamique, il noue des partenariats équilibrés avec des puissances émergentes telles que la Chine, la Turquie et l’Inde, rompant avec les schémas asymétriques du passé.

Sur le plan politique et social, la stabilité constitue un levier essentiel. Le renforcement des institutions démocratiques et l’affermissement de l’État de droit renforcent la confiance des citoyens et des investisseurs. Le règlement du conflit en Casamance participe à cette volonté de pacification et de réconciliation nationale, tout comme les politiques d’inclusion sociale et de lutte contre les inégalités qui visent à bâtir une société plus équitable et résiliente.

La nouvelle stratégie diplomatique mise en place par le gouvernement sénégalais redéfinit l’engagement du pays sur la scène internationale. Inspirée de la diplomatie du lion agile, elle combine assurance, souplesse et précision, permettant au Sénégal d’amorcer sa souveraineté stratégique. Avec une approche proactive et équilibrée, renforçant son rôle d’acteur clé au sein de la CEDEAO et de l’Union africaine, le pays diversifie ses alliances. Tout en maintenant des relations constructives avec l’Union européenne, les États-Unis et les autres pays de l’OCDE, le Sénégal consolide activement ses liens avec les puissances émergentes du Sud global.

Dans le domaine de la sécurité et de la défense, le Sénégal modernise son armée et adapte sa stratégie aux défis contemporains. Le contrôle des frontières et la sécurisation des ressources stratégiques sont au cœur des priorités gouvernementales. Le pays investit dans une industrie de défense locale, réduisant ainsi sa dépendance aux importations militaires et renforçant sa capacité à assurer lui-même sa sécurité.

Un Sénégal souverain face aux défis de son rôle pivot

Le pays progresse vers une souveraineté affirmée et durable. La maîtrise des ressources, la transformation des structures économiques et le renforcement du leadership africain consolident cette dynamique. Toutefois, des défis subsistent. Le rééquilibrage des alliances doit être géré avec prudence pour éviter un isolement diplomatique. La réduction de la dépendance économique requiert des investissements massifs, rendant nécessaire une stratégie fine d’attraction des capitaux étrangers tout en préservant l’intérêt national. Enfin, la stabilité intérieure demeure un enjeu crucial pour pérenniser les acquis de cette transition.

Le Sénégal a entamé un mouvement irréversible vers la souveraineté et l’indépendance réelle. Il ne subit plus les événements, mais les anticipe et les maîtrise, affirmant sa position de leader africain. Grâce à une gestion rigoureuse et à une vision audacieuse, il s’impose comme un modèle de résilience et d’émancipation. La révolution du 24 mars 2024 n’est pas un simple épisode politique, mais le fondement d’une transformation profonde qui s’inscrit dans la durée et redéfinit la place du Sénégal dans le concert des nations.

Loi d’amnistie : réponse aux approximations de Thierno Alassane Sall sur la proposition de loi interprétative

Monsieur le député Thierno Alassane Sall, dans votre tribune publiée sur SenePlus, vous vous livrez à un exercice de sophistique où la rhétorique alarmiste prend le pas sur l’analyse rigoureuse du texte de loi que vous prétendez critiquer. Votre argumentation repose sur des approximations, des extrapolations fantaisistes, visant à faire croire que la proposition de loi interprétative du député Amadou Ba de PASTEF consacrerait l’impunité des militants politiques tout en instaurant une justice à deux vitesses. Une lecture sérieuse du texte dément pourtant ces accusations.

Non, la proposition de loi ne maintient pas une amnistie générale

Vous prétendez que la proposition de loi interprétative vise à maintenir la loi d’amnistie 2024-09 du 13 mars 2024 dans toute son ampleur, rendant ainsi impunis des actes criminels graves sous prétexte de motivation politique. Pourtant, le texte précise explicitement que l’amnistie ne s’applique qu’aux infractions ayant une motivation exclusivement politique, excluant de fait les crimes de droit commun​. Loin d’être un blanc-seing pour les violences, cette précision vient justement combler un flou juridique qui, sans cela, pourrait permettre des interprétations abusives.

Votre exemple du « Bus de Yarakh » est caricatural et dénué de fondement. Un incendie criminel commis sans motivation politique ne peut être couvert par cette loi. Même lorsqu’un lien politique est invoqué, la justice devra établir si la motivation politique était exclusive — ce qui signifie que tout acte mêlant délinquance de droit commun et revendication politique restera passible de poursuites​. Vous agitez donc un épouvantail qui ne repose sur aucune base juridique sérieuse.

Non, cette loi ne plonge pas le Sénégal dans l’arbitraire

Vous dénoncez un texte qui, selon vous, introduirait un flou en obligeant la justice à sonder les motivations politiques des accusés. Or, cette démarche n’a rien d’inhabituel en droit. La qualification d’une infraction tient toujours compte du contexte, de l’intention et des motivations de l’auteur. Vous feignez de découvrir un principe juridique pourtant universel : le mobile joue un rôle essentiel dans l’interprétation des actes en justice.

Par ailleurs, pour éviter toute dérive, la proposition de loi prévoit un mécanisme de contrôle judiciaire par la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar​. C’est précisément pour éviter des décisions arbitraires et politisées que ce filtre a été mis en place. Vous semblez oublier que l’État de droit repose sur des institutions, et non sur des raccourcis polémiques.

Non, cette loi ne favorise pas l’impunité

Vous insinuez que la proposition de loi est une tentative de protéger exclusivement les militants de PASTEF, en excluant les forces de l’ordre de son champ d’application. C’est une manipulation grossière. Le texte ne fait pas de distinction partisane : toute personne ayant commis une infraction dans un cadre strictement politique peut bénéficier de l’amnistie, qu’il s’agisse d’un manifestant ou d’un agent des forces de sécurité​. En revanche, l’élément des forces de l’ordre qui aurait usé de violence gratuite en dehors de toute considération politique ne pourra pas bénéficier de cette loi. Est-ce là une injustice ? Ou simplement une application rationnelle du principe de responsabilité ?

En réalité, vous tentez d’inverser la charge du discrédit : c’est bien vous qui défendez une vision à deux vitesses, où les manifestants politiques seraient systématiquement assimilés à des criminels, tandis que les abus des forces de l’ordre bénéficieraient d’une indulgence tacite.

Non, cette loi ne divise pas la République

Vous concluez votre tribune en agitant le spectre d’une République morcelée, livrée à la loi des réseaux sociaux et au règne de l’arbitraire. En réalité, la proposition de loi interprétative s’inscrit dans une logique de réconciliation nationale, en encadrant strictement l’amnistie afin d’éviter toute dérive vers l’impunité généralisée​. Elle prend soin de respecter les engagements internationaux du Sénégal, notamment la Convention contre la torture et le Statut de Rome, qui interdisent toute amnistie pour des crimes graves​.

Votre posture n’est donc pas celle d’un gardien de l’intérêt général, mais d’un polémiste cherchant à diaboliser un adversaire politique en détournant le sens d’un texte. Vous parlez de « forfaiture » là où il faudrait parler de responsabilité, de clarification et d’apaisement.

Pour une discussion fondée sur les faits

Monsieur le député, vous avez choisi d’intituler votre tribune « L’interprétation de la farce ». Mais la vraie farce, c’est celle que vous tentez d’imposer à l’opinion publique en travestissant la réalité du texte que vous critiquez. Votre analyse, loin d’être une lecture rigoureuse et honnête du projet de loi, s’apparente à une tentative de manipulation destinée à attiser les tensions politiques.

Le Sénégal mérite un débat fondé sur des faits, et non sur des extrapolations partisanes. En vous livrant à cet exercice de désinformation, vous ne rendez service ni à la vérité ni à la République que vous prétendez défendre.

Guinée-Bissau : Le Sénégal ne peut pas rester spectateur face à la dérive du Président Embaló

Le président Umaro Sissoco Embaló entraîne la Guinée-Bissau dans une crise politique qui menace directement la stabilité régionale. Face à ce danger, Dakar ne peut rester passif : il doit user de son influence pour préserver la démocratie et la paix.

Le Président Umaro Sissoco Embaló entraîne la Guinée-Bissau dans une crise politique qui menace directement la stabilité régionale. Nous, Sénégalais, ne pouvons détourner le regard face à ce qui se passe chez notre voisin du sud, un pays avec lequel nous partageons bien plus qu’une frontière : des liens historiques, culturels et humains profonds. Pourtant, aujourd’hui, la Guinée-Bissau est de nouveau au bord du gouffre. En s’accrochant au pouvoir au mépris des règles démocratiques, le Président Embaló compromet non seulement la stabilité de son pays, mais aussi celle du Sénégal, notamment en Casamance.

L’histoire récente a montré que chaque crise en Guinée-Bissau a eu des répercussions sur le Sénégal, qu’il s’agit de flux de réfugiés, d’une insécurité transfrontalière croissante ou d’un impact sur les échanges commerciaux. Pire encore, l’instabilité bissau-guinéenne a souvent offert un terrain favorable aux trafiquants et aux groupes armés. Il est donc impératif que le Sénégal prenne ses responsabilités et rappelle fermement à Embaló qu’il doit respecter les règles du jeu institutionnel. Si les mots ne suffisent pas, Dakar doit utiliser les leviers à sa disposition pour empêcher une nouvelle descente aux enfers de ce pays voisin.

Le passif démocratique d’Embaló

Depuis son élection contestée en 2020, Umaro Sissoco Embaló a multiplié les atteintes aux principes démocratiques. Il s’est proclamé président avant même la validation des résultats par la Cour suprême, plongeant la Guinée-Bissau dans une crise institutionnelle où deux présidents et deux gouvernements se disputaient le pouvoir. Son mandat a été marqué par des décisions autoritaires, notamment la dissolution unilatérale du Parlement en 2023, officiellement justifiée par une supposée « tentative de coup d’État » alors que l’Assemblée nationale était dominée par l’opposition. Il a renforcé son emprise sur les institutions sécuritaires en nommant des fidèles à des postes clés, en violation des principes constitutionnels. Bien qu’ayant annoncé ne pas briguer un second mandat, il laisse désormais entendre qu’il pourrait revenir sur cette décision. Son mépris des contre-pouvoirs et son recours systématique à la force font peser un risque majeur sur la stabilité de la région.

Une crise qui replonge la Guinée-Bissau dans ses vieux démons

La Guinée-Bissau n’en est pas à sa première crise. Depuis son indépendance en 1974, l’armée a souvent joué un rôle de régulateur politique par la force, avec une succession de coups d’État. Celui d’avril 2012, qui avait interrompu un processus électoral bien engagé, reste un traumatisme majeur. À l’époque, la CEDEAO avait dû intervenir en déployant la force ECOMIB pour rétablir un semblant de normalité.

Aujourd’hui encore, la fragilité institutionnelle du pays le rend vulnérable à la moindre crise politique. La réforme du secteur de la sécurité, plusieurs fois annoncée et soutenue par des partenaires internationaux, n’a jamais été pleinement mise en œuvre. Certaines franges de l’armée restent impliquées dans des activités illicites, et l’absence de garde-fous solides favorise les dérives autoritaires.

Le Sénégal doit réagir : une responsabilité régionale et historique

L’instabilité en Guinée-Bissau constitue une menace directe pour le Sénégal, en particulier en Casamance, où la porosité des frontières a déjà permis par le passé à certaines factions du MFDC de trouver refuge. Une nouvelle crise majeure à Bissau pourrait raviver ces tensions et déstabiliser toute la région.

Dakar doit user de son influence au sein de la CEDEAO et de l’Union africaine pour exiger le respect des engagements démocratiques. L’expulsion d’une mission de la CEDEAO par le Président Embaló constitue un affront à l’intégration régionale et appelle une réponse ferme. Sur le plan économique, le Sénégal, partenaire clé de la Guinée-Bissau, doit encourager un dialogue constructif tout en veillant à une coopération fondée sur la transparence et la bonne gouvernance. Une surveillance accrue des transactions financières, sans affecter la population, inciterait Bissau à renouer avec un fonctionnement institutionnel stable. Enfin, si la crise s’aggrave, une coordination sécuritaire renforcée avec la CEDEAO pourrait prévenir toute dérive prolongée.

Embaló doit entendre raison : respecter la démocratie ou s’isoler

Umaro Sissoco Embaló joue avec le feu. En défiant son peuple et ses partenaires régionaux, en imposant une ligne d’action unilatérale et en ignorant les revendications légitimes de l’opposition, il met son pays en péril. Si le Sénégal et les autres acteurs de la région ne réagissent pas fermement, c’est toute l’Afrique de l’Ouest qui risque de subir les conséquences d’un nouvel effondrement institutionnel en Guinée-Bissau.

Le message au président Embaló doit être clair : la Guinée-Bissau n’est pas sa propriété personnelle. Il doit respecter les règles démocratiques, organiser des élections transparentes et cesser de jouer la carte de l’autoritarisme. À défaut, il s’exposera à une pression accrue du Sénégal et de la communauté ouest-africaine.

La stabilité de l’Afrique de l’Ouest ne peut être laissée entre les mains d’un dirigeant qui méprise la démocratie et ses institutions. Le Sénégal, en tant que pays frère, a une responsabilité particulière : il doit agir avant qu’il ne soit trop tard.

L’enfant du dispensaire —Une histoire poignante d’espoir et de résilience

Nous sommes à la fin des années 1990. Dakar bruisse des espoirs et des craintes du millénaire qui approche. Les conversations oscillent entre la peur du fameux bug de l’an 2000, cette catastrophe informatique annoncée qui pourrait paralyser le monde entier, et les voix des grandes stations de radio internationales qui, sur les ondes FM, projettent les discours d’une mondialisation qui s’accélère.

Dans ce tumulte, un autre sujet capte l’attention : Cheikh Sharifou, cet enfant prodige venu de Tanzanie, vénéré comme un être exceptionnel. On raconte qu’il a prononcé le nom de Dieu dès sa naissance et qu’il a mémorisé le Coran à l’âge de quatre mois. Partout où il passe, les foules se pressent pour l’apercevoir. À Dakar, il a été reçu comme un prince, dans un stade rempli de milliers de fidèles en quête de miracles et de bénédictions.

Mais dans mon dispensaire de quartier, le temps s’écoule différemment, rythmé par la douleur, l’espoir et l’inlassable combat pour soigner les maux avec peu. Ici, les grandes questions du monde paraissent lointaines, remplacées par des préoccupations plus immédiates : comment soulager la souffrance, comment redonner un souffle d’espoir à ceux que l’histoire a oublié ?

La rencontre avec K.

J’avais fait le choix de ce dispensaire, d’abandonner les hôpitaux. Ici, je me sentais utile. La responsable du centre m’observait toujours avec une pointe d’étonnement : un jeune médecin qui écoutait, qui persistait à vouloir comprendre, à vouloir aider au-delà des moyens disponibles.

Ce soir-là, la consultation tirait à sa fin. J’avais enchaîné les patients, traité des fièvres, diagnostiqué des bronchites, tenté d’expliquer l’inexplicable à des parents inquiets. La dernière patiente entra. Grande, belle, teint d’une intensité ébène, dents bien alignées et blanches. Une prestance naturelle. Elle portait un enfant caché sous un pagne. Elle s’installa et, avec une douceur infinie, déposa son fils sur la table d’examen.

K. avait sept ans. Son périmètre crânien était trop grand, son regard fuyant, sa bouche entrouverte comme dans un éternel étonnement. Il ne parlait presque pas. Sa mère espérait qu’une opération à 750 000 francs CFA pourrait changer son destin. Hydrocéphalie. Macrocéphalie. Des termes cliniques qui, dans la réalité, signifiaient un avenir compromis, un combat que la mère menait seule contre l’injustice biologique.

Je l’écoutai. Son amour était une mer sans rivage. Son espoir, inébranlable. Elle voulait que je l’aide. Que je trouve cet argent. Que je réalise un miracle.

Je promis. Sans trop savoir comment.

L’ombre des inégalités

Nous recevions des bénévoles qui étaient occupées à différentes tâches, sans qu’elles soient bien évidemment des professionnelles de la santé. On les impliquait en leur confiant diverses missions : remplir le registre de consultation, prendre la taille ou le poids des enfants, le tout sous le contrôle du personnel paramédical. Ce jour-là, en plus de l’assistante habituelle, j’avais une bénévole particulière : l’épouse du directeur général de la filiale sénégalaise d’une grande banque européenne. Son rôle était simple, mais essentiel : rassurer les enfants pris de peur avant leur consultation.

Après un échange entre deux patients, je lui parlai du cas de K., de sa mère, de l’opération nécessaire. Elle m’écouta attentivement, hocha la tête, puis me dit qu’elle en discuterait avec son mari. L’espoir était mince, mais réel. Quelques jours plus tard, elle appela la responsable du dispensaire : ma demande était en bonne voie.

Je fus alors invité au grand hôtel du Plateau, pour assister à la réunion hebdomadaire du club philanthropique X. C’était un mardi, après 18 heures. La réunion devait commencer à 19 heures. Vingt minutes avant, j’étais déjà dans le hall, vêtu d’un pantalon de toile et d’une chemise bleu ciel soigneusement rentré. « Braillé », comme on dit ici.

On me fit entrer dans la salle de réunion. Un serveur ne tarda pas à venir me voir : — que souhaitez-vous boire, monsieur ? — Un thé à la menthe, répondis-je, presque par réflexe.

Autour de moi, les discussions allaient bon train. On parlait d’initiatives humanitaires, de financement de projets sociaux, mais aussi de marchés, d’investissements, d’opportunités d’affaires. Un mélange étrange où l’altruisme se frayait un chemin entre les intérêts personnels.

Quand vint mon tour, je parlai de K., de sa mère, de l’urgence de son opération. Des regards échangés, des hochements de tête, quelques questions précises. Enfin, une réponse. « Nous allons couvrir les frais. »

Le financement fut bouclé. K. fut opéré.

Une victoire incomplète

Succès relatif. Le miracle attendu n’eut pas lieu. Chirurgicalement, l’intervention était une réussite. Une dérivation péritonéale était posée, permettant un meilleur pronostic vital. Mais K. resta K. Il ne parlait toujours pas. Son retard intellectuel persistait.

Les semaines passèrent. La mère de K. venait de moins en moins. Puis elle disparut.

Un an plus tard, je la revis. Elle entra dans mon bureau, droite, fière, mais avec dans le regard une ombre tenace. Dans son dos, un bébé bien porté, gigotant avec l’insouciance des premiers mois.

Elle me le présenta. « Il va bien, docteur ? »

Je le pesai, examinai ses réflexes, scrutai son carnet de vaccination. Tout était en ordre.

« Oui, madame. Il est en pleine forme. »

Elle sourit. Puis pleura.

Je compris. Ce n’était pas une consultation. C’était une confession muette. Elle vivait avec culpabilité la situation de K. comme si c’était une faute, un châtiment. Comme si le destin, cette fois, avait voulu se racheter.

« Ce n’était pas de votre faute », lui dis-je doucement.

Elle hocha la tête, mais je savais qu’il lui faudrait des années pour se pardonner un « crime » qu’elle n’avait jamais commis.

Je repensai à cette alliance silencieuse que nous avions scellée. Nous n’avions pas gagné, mais nous avions combattu. La médecine, parfois, était un art de la défaite noble. De ces batailles menées contre l’inéluctable, il ne restait souvent que l’empreinte d’une lutte sincère. Cette nuit-là, alors que je rangeais mon bureau, je sentis en moi une fatigue lourde, mais un infime soulagement. J’avais fait ce qui devait être fait.

La justice sociale au Sénégal : entre idéal démocratique et réalités inégalitaires

Le Sénégal est à un tournant décisif. Après des décennies de croissance peu inclusive et de politiques publiques insuffisantes pour corriger les fractures sociales et territoriales, une nouvelle ère s’ouvre avec l’ambition affirmée de bâtir un État souverain, juste et prospère. Il s’en faut de peu pour que la justice sociale ne demeure qu’un idéal lointain ; elle se construit à travers des choix politiques, des réformes structurelles et une redistribution équitable des richesses.

Mais alors, où investir en priorité pour corriger les déséquilibres existants ? Comment articuler la nécessité d’un État social fort avec les contraintes budgétaires révélées récemment ? Quelles inégalités doivent être traitées en urgence pour garantir un développement équilibré ? Et surtout, comment éviter l’inaction législative qui freine l’instauration de réformes cruciales ?

À travers une analyse des enjeux économiques et sociaux, cet article plaide pour une accélération des réformes afin de concrétiser l’idéal de justice sociale et de faire du Sénégal un modèle d’équité et d’inclusion.

Inégalités et justice sociale : l’urgence d’un changement structurel

La justice sociale repose sur l’égalité des chances et une répartition équitable des richesses, mais le Sénégal demeure profondément marqué par des inégalités structurelles qui heurtent son idéal démocratique. L’une des fractures les plus visibles est territoriale : les centres urbains dynamiques, tels que Dakar, Thiès, Mbour et Saint-Louis, concentrent l’essentiel des investissements et des services publics, tandis que les zones rurales souffrent d’un enclavement persistant. L’accès à l’éducation, à la santé et aux infrastructures demeure inégal, limitant considérablement la mobilité sociale et économique des populations vivant en périphérie. Ces disparités territoriales se traduisent également dans les chiffres : l’indice de Gini, qui mesure l’inégalité de la répartition des revenus, a fluctué entre 36,2 et 52,2 ces dernières années, ce qui indique un niveau d’inégalité préoccupant​.

À cette disparité géographique s’ajoute une profonde inégalité sociale. Malgré une croissance économique soutenue ces dernières années, la pauvreté n’a pas reculé significativement et les écarts de revenus persistent. L’accès inégal à l’éducation et à l’emploi maintient certaines catégories de population, notamment les jeunes et les femmes, en marge du développement économique et des cercles de décisions politiques. Or, ces groupes constituent pourtant des moteurs essentiels du progrès national.

Enfin, les inégalités face à l’impôt constituent un frein majeur à la justice sociale. Le système fiscal sénégalais repose essentiellement sur des impôts indirects, une structure qui pèse davantage sur les ménages les plus modestes.

Ainsi, au-delà du constat, la nécessité d’une transformation en profondeur des mécanismes économiques et sociaux s’impose pour que la justice sociale ne demeure pas un simple idéal, mais devienne une réalité tangible pour tous. La mise en place de politiques publiques ambitieuses visant à promouvoir l’inclusion économique, améliorer l’accès à l’éducation et à la formation professionnelle, ainsi que renforcer les programmes de protection sociale est un impératif pour réduire ces inégalités et garantir une société plus équitable.

Quel rôle pour l’État social dans la correction de ces inégalités?

L’État social, garant d’une justice distributive, doit jouer un rôle central dans la réduction des inégalités. Toutefois, son action ne peut être efficace sans une gestion rigoureuse et transparente des ressources publiques. Or, les récentes révélations de la Cour des comptes sur la mauvaise gestion budgétaire entre 2019 et 2024 illustrent l’ampleur du défi à relever. La dette publique a été sous-évaluée, le déficit budgétaire falsifié et des financements opaques ont été mis en lumière, compromettant la capacité de l’État à mener des politiques redistributives ambitieuses.

Pour remédier à ces dérives et instaurer une justice sociale réelle, il est essentiel d’améliorer la transparence budgétaire afin de garantir une répartition équitable des ressources et d’éviter que la gestion des finances publiques ne soit détournée au détriment des populations les plus vulnérables. Une réforme fiscale s’impose également, visant à alléger la pression qui pèse sur les ménages les plus modestes et à renforcer la contribution des hauts revenus, afin de corriger les déséquilibres socio-économiques et de financer efficacement les services publics. Enfin, l’investissement dans les infrastructures sociales doit devenir une priorité absolue pour réduire les inégalités territoriales et permettre un accès équitable à l’éducation, à la santé et aux opportunités économiques sur l’ensemble du territoire. Seule une action déterminée et cohérente permettra d’inscrire la justice sociale au cœur du projet national et de répondre aux attentes des citoyens.

Où investir en priorité pour un Sénégal plus juste?

Le gouvernement issu de la révolution citoyenne du 24 mars 2024 a affirmé sa volonté de rompre avec un modèle de croissance qui, jusqu’ici, a renforcé les inégalités. Toutefois, cette ambition ne peut se concrétiser sans une allocation stratégique des investissements permettant de répondre aux déséquilibres structurels du pays. La question de l’investissement territorial est centrale dans cette dynamique. Le Programme des pôles territoriaux a pour objectif de revitaliser les régions périphériques en y développant des infrastructures et en favorisant l’émergence d’activités économiques locales. Toutefois, cet effort ne sera pleinement efficace que si la décentralisation budgétaire est accélérée, afin de donner aux collectivités locales les moyens d’une autonomie réelle et de leur permettre de répondre aux besoins spécifiques de leurs populations.

Parallèlement, l’éducation et la santé constituent des piliers incontournables pour bâtir une justice sociale durable. Un État social performant ne peut exister sans garantir à tous un accès équitable à l’éducation, qui demeure un levier fondamental de l’ascension sociale et de la réduction des inégalités. Pourtant, les investissements dans ce domaine restent insuffisants et les disparités d’accès aux établissements scolaires de qualité persistent, pénalisant particulièrement les zones rurales et périurbaines. De même, la réforme du système de santé est une urgence, car assurer une couverture sanitaire efficace et accessible à l’ensemble de la population est une condition essentielle pour une croissance inclusive et équilibrée. Enfin, Transformation du système fiscal est nécessaire pour assurer le financement de ces politiques publiques.

Booster les réformes : concrétiser l’intention

Le Sénégal dispose aujourd’hui d’une majorité parlementaire pour impulser des réformes profondes et audacieuses. Pourtant, malgré le volontarisme annonçant une rupture avec les pratiques du passé, l’élan législatif attendu tarde à se concrétiser. Cela freine la mise en œuvre des transformations nécessaires pour instaurer une justice sociale durable et corriger les inégalités qui persistent dans le pays.

Le démarrage progressif actuel risque de réduire l’impact des réformes envisagées et d’affaiblir la dynamique économique et sociale qui devrait en découler. Chaque délai dans l’adoption des mesures correctives compromet les chances d’une transformation effective et durable.

Le Sénégal dispose d’une chance historique pour bâtir un État plus juste et plus équitable. Les inégalités structurelles, mises en lumière par les récents rapports économiques et financiers, nécessitent une réponse immédiate et ambitieuse.

L’État social ne peut pas rester un vœu pieux. Il doit s’incarner dans des politiques publiques audacieuses, une gestion transparente des ressources et une accélération des réformes législatives. Sans cela, la fenêtre d’opportunité se refermera et le pays risquera de retomber dans un cycle d’inégalités et de stagnation sociales.

L’heure est à la mise en œuvre des engagements. Il est temps de donner une impulsion décisive.