
Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche n’est pas à une simple alternance politique. Il marque un tournant brutal dans les relations internationales, avec un renoncement assumé au soft power et un retour à une politique transactionnelle, dominée par le protectionnisme économique et la militarisation des rapports de force. L’Afrique, souvent perçue comme une variable d’ajustement dans les stratégies globales des grandes puissances, se retrouve face à ce nouveau défi. Mais loin d’être démuni, le continent dispose de cartes stratégiques majeures, qu’il doit mobiliser pour imposer une relation moins asymétrique avec Washington.
Les constances de la politique américaine depuis 1960
Depuis la phase de décolonisation, la politique des États-Unis vis-à-vis de l’Afrique repose sur un prisme stratégique immuable : le contrôle des ressources, la lutte contre l’influence de puissances rivales et l’instrumentalisation de l’aide comme moyen de pression diplomatique. Pendant la Guerre froide, Washington soutenait des régimes alliés pour contrer l’expansion soviétique, quitte à ignorer les violations des droits de l’homme et le pillage des ressources. Un exemple frappant est le cas de Mobutu Sese Seko, porté au pouvoir avec l’aide des Américains et maintenu pendant des décennies grâce à leur soutien, malgré un régime marqué par la très grande corruption et la répression.
Avec la fin de la Guerre froide, l’Afrique est devenue un champ de compétition économique et militaire. Les programmes d’aide comme l’AGOA (African Growth and Opportunity Act), le PEPFAR (President’s Emergency Plan for AIDS Relief) et l’USAID (United States Agency for International Development) ont souvent servi d’instruments de contrainte plutôt que de soutien, comme l’ont montré les analyses des stratèges américains. Ces programmes ont été conditionnés à des exigences politiques, obligeant les pays africains à suivre la ligne dictée par Washington sous peine de sanctions.
L’African Command (AFRICOM), créé en 2007, est le commandement militaire américain dédié à l’Afrique. Officiellement, il vise à assurer la stabilité et la sécurité sur le continent en luttant contre le terrorisme et en renforçant les capacités militaires des pays partenaires. En réalité, AFRICOM est un instrument de contrôle stratégique, permettant à Washington d’installer des bases militaires et d’exercer une influence sécuritaire et politique directe.
Les opérations menées par l’AFRICOM servent autant à protéger les intérêts américains qu’à contenir la présence de puissances concurrentes comme la Chine et la Russie. La multiplication des bases militaires en Afrique et l’utilisation intensive des drones pour des frappes ciblées illustrent cette volonté de contrôle accru du continent.
Trump I : une politique de rupture brutale
Pendant son premier mandat (20 janvier 2017-19 janvier 2021), Donald Trump a eu une politique africaine erratique marquée par un désintérêt manifeste et un retrait progressif des engagements multilatéraux. Il a considéré l’Afrique comme un théâtre secondaire, recourant à une approche purement transactionnelle. Les « aides » américaines ont été réduites ou reconfigurées pour bénéficier aux seuls intérêts économiques de Washington. Des alliances ont été renforcées avec certains régimes jugés utiles pour contenir l’influence chinoise.
Pour contrebalancer la dépendance américaine aux importations de lithium, cobalt et terres rares, contrôlées en grande partie par la Chine. L’administration Trump I avait une politique agressive pour garantir aux compagnies américaines l’accès aux minéraux critiques disponibles en Afrique.
Le talon d’Achille américain : les minéraux critiques et la guerre de l’IA
Le développement de l’intelligence artificielle constitue l’un des axes majeurs de la politique économique américaine sous de l’administration Trump II inaugurée le 20 janvier 2025. Le programme « Stargate Project », qui vise à injecter 500 milliards de dollars dans les infrastructures liées à l’IA, reflète cette ambition. Cependant, la montée en puissance de l’IA générative requiert une consommation d’énergie électrique titanesque ainsi qu’un accès accéléré aux minéraux critiques, indispensables à la fabrication des semi-conducteurs, des batteries et des supercalculateurs. Or, les États-Unis souffrent d’une dépendance alarmante en matière de minerais stratégiques, dont une part non négligeable se trouve en Afrique.
La course à l’IA et aux ressources qui l’alimentent devient ainsi un enjeu central des relations internationales, renforçant la nécessité pour l’Afrique de structurer une stratégie de négociation plus offensive.
Une négociation plus offensive : le contre-jeu africain
L’Afrique doit éviter de se retrouver dans une relation unilatérale dictée par Washington et affirmer une diplomatie économique stratégique. Pour y parvenir, elle doit imposer des conditions fermes à l’exploitation de ses ressources. Au lieu d’accorder des concessions exclusives aux compagnies américaines, elle doit favoriser la transformation locale des minerais avant exportation, créant ainsi plus de valeur ajoutée et renforçant son autonomie industrielle.
Le continent ne doit pas se limiter à un seul partenaire. La Chine, la Russie, l’Union européenne, l’Inde, le Japon, la Turquie, le Brésil et les pays du Moyen-Orient cherchent tous à s’assurer un accès préférentiel aux ressources africaines. En diversifiant ses alliances, l’Afrique peut maximiser son influence et éviter une dépendance excessive à un acteur unique.
L’accès aux ressources africaines doit être conditionné à des transferts de technologies concrets. Plutôt que de se contenter d’accords commerciaux déséquilibrés, les pays africains doivent exiger la mise en place de joint-ventures et de centres de recherche sur le continent, afin de renforcer leurs capacités locales en innovation et en développement industriel.
L’IA étant une source majeure de consommation énergétique, les négociations africaines doivent inclure un volet sur les infrastructures. Les États africains peuvent exiger des investissements massifs dans leurs infrastructures énergétiques en échange d’un accès aux matières premières critiques, assurant ainsi un développement à long terme et un renforcement de leurs capacités énergétiques.
De David à Achille, une asymétrie à exploiter
Loin de se résigner au rôle de David face à Goliath, les pays africains doivent adopter une posture de stratèges. L’ogre américain, bien que puissant, révèle des failles structurelles que l’Afrique peut exploiter pour rééquilibrer la relation. Le contrôle des ressources stratégiques, la montée en puissance de l’IA et les rivalités sino-américaines offrent au continent une opportunité de négociation. Plutôt que de subir les politiques fluctuantes de Washington, les dirigeants africains doivent se coordonner et imposer une approche proactive.
L’Afrique peut et doit s’affirmer comme un acteur central dans le nouvel ordre mondial en misant sur ses atouts économiques, sa capacité à diversifier ses alliances et son poids démographique. Ce n’est qu’à cette condition qu’elle pourra transformer les contraintes imposées par les États-Unis en leviers de puissance et d’émancipation.
À la marge, certains pays comme l’Afrique du Sud, l’Angola et l’Éthiopie présentent des caractéristiques leur permettant d’opposer une certaine résistance. Mais cette capacité reste limitée. L’enjeu est donc d’éviter le « dilemme du chasseur », la tentation de privilégier un gain individuel immédiat au détriment d’un bénéfice collectif à long terme. Les pays africains ne doivent pas agir en ordre dispersé, mais tirer ensemble, jouer collectif, car Trump les englobe tous dans son mépris souverain.
