
Un roman à clé se distingue par son art du dévoilement : sous des apparences fictives, il dissimule des réalités que seuls les initiés parviennent à décrypter. L’article auquel nous répondons relève de cette tradition, mais sous une forme critique : un texte où l’allusion se substitue à l’argumentation, où le mépris se cache derrière des phrases lissées, et où la condescendance se pare d’un masque d’objectivité.
Les fleuves du temps et l’impatience des sceptiques
La critique du nouveau régime n’échappe pas aux raccourcis faciles et aux comparaisons réductrices. Ainsi, un article récent tente d’établir un parallèle entre les promesses électorales et les serments d’amour illusoires de la Saint-Valentin. Il met en avant le parallèle entre les déclarations passionnées de la Saint-Valentin et les engagements électoraux qui, une fois le pouvoir acquis, tendent à s’évanouir. Les citoyens, assimilés à des amoureux naïfs, se laissent séduire par des slogans prônant le changement et la rupture, pour finalement constater que ces promesses disparaissent plus vite qu’un verre d’eau en plein désert. L’analyse souligne qu’onze mois après une élection porteuse d’espoir, la désillusion s’installe, les décisions prises en catimini et les faveurs accordées aux proches contribuant à ternir la confiance initiale. L’article, dans un élan de scepticisme quasi cynique, s’appuie sur une citation de Charles Pasqua : « Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. » Une référence savoureuse quand on sait que l’homme fut un maître ès manipulations politiques, condamné à plusieurs reprises pour détournements et abus de biens sociaux. On pourrait presque croire à une forme d’aveu involontaire, tant il incarna une époque où les engagements servaient souvent de paravent aux manœuvres les plus douteuses. Paix à son âme, et puisse-t-il, où qu’il soit, méditer sur la différence entre un projet politique structurant et les acrobaties d’un pouvoir qui se nourrissait de coups tordus.
Cette critique, pourtant, s’enracine dans une posture fataliste : elle présuppose que tout engagement politique est voué à l’échec, et que le temps, au lieu d’être un allié, est un ennemi. Une telle perspective ignore délibérément les enseignements de l’histoire et de la littérature.
Dans Cent ans de solitude, Gabriel Garcia Marquez dépeint Macondo, une cité née d’un rêve utopique, mais étouffée par l’impatience de ses habitants et le cynisme de ceux qui refusent le changement. Les fondateurs, visionnaires moqués, voient leur projet sabordé par des résistances internes et des trahisons. Le roman rappelle une vérité essentielle : les grandes transformations ne s’évaluent pas à l’aune de l’immédiateté, mais dans la durée. À l’image des graines enfouies dans un sol ingrat, les réformes ont besoin de temps pour germer — un principe que certains commentateurs feignent d’oublier, préférant déclarer l’échec avant même la première récolte.
De même, dans L’Amour au temps du choléra, Marquez célèbre la persévérance : Florentino Ariza attend cinquante-trois ans pour conquérir l’amour de Fermina Daza. Ce récit n’est pas seulement une ode à la passion, mais une métaphore de la résilience nécessaire à tout projet de société. Les révolutions politiques, comme les destins amoureux, exigent une patience active, une capacité à surmonter les tempêtes sans renoncer à l’idéal initial.
Le Sénégal face à son héritage : entre audit et renaissance
Le 24 mars 2024 ne marque pas seulement une alternance politique : c’est l’aboutissement d’une révolution citoyenne contre un système miné par la corruption, le clientélisme et la soumission à des intérêts étrangers. Loin des « promesses creuses » dénoncées par les détracteurs, le nouveau régime hérite d’un État exsangue. L’audit des finances publiques (2019 – mars 2024) en témoigne : caisses vidées, dettes occultes, exonérations fiscales arbitraires, et détournements massifs. Ces révélations, loin d’être des prétextes, justifient l’urgence des réformes engagées.
Les réformes engagées par le gouvernement tracent la voie d’une transformation profonde. La renégociation des contrats miniers et pétroliers vise à assurer une meilleure redistribution des richesses nationales, tandis que la suppression des privilèges fiscaux accordés aux multinationales permet de réorienter ces ressources vers les services essentiels. En parallèle, le plan Souveraineté alimentaire et développement agricole amorce une réduction de la dépendance aux importations en soutenant l’agriculture locale et les PME. Ces choix stratégiques traduisent une volonté affirmée de rompre avec les schémas imposés par les institutions financières internationales. Comme l’exprime le Premier ministre Ousmane Sonko : « Il ne s’agit pas de gérer les miettes du passé, mais de rebâtir une maison sénégalaise sur des fondations solides. »
Cette transformation repose sur des actes concrets. Loin d’un simple ajustement de façade, elle marque une rupture avec un modèle économique où les ressources nationales profitaient davantage aux intérêts étrangers qu’à la population. Désormais, l’État affirme sa souveraineté en reprenant le contrôle de ses richesses stratégiques et en investissant dans des filières productives locales, avec l’ambition de bâtir une économie où prospérité et équité avancent de concert.
Dans un contexte mondial marqué par des crises géopolitiques, économiques et climatiques, le Sénégal s’engage à renforcer sa résilience en réduisant sa dépendance aux marchés extérieurs. Aujourd’hui, l’importation massive de denrées stratégiques comme le riz et le blé expose le pays aux fluctuations internationales. Pourtant, son potentiel agro-industriel et minier lui offre une alternative viable : miser sur la transformation locale et la valorisation de ses ressources. Loin de se limiter à une critique du passé, cette démarche s’inscrit dans la construction d’un modèle économique axé sur l’autonomie et l’intégration régionale.
À travers la ZLECAF et la CEDEAO, le Sénégal dispose d’une opportunité déjà existante mais encore sous-exploitée pour diversifier ses débouchés et mutualiser ses ressources. L’enjeu est désormais de mieux tirer parti de ces cadres régionaux pour renforcer son intégration économique. Transformer sur place le zircon ou l’or, plutôt que de les exporter bruts, pourrait générer 20 % de revenus supplémentaires. La modernisation des infrastructures logistiques et la digitalisation des échanges renforcent également son insertion dans les chaînes de valeur régionales, consolidant ainsi une souveraineté économique qui ne repose plus sur des dépendances extérieures, mais sur une vision maîtrisée de son développement.
Toutefois, cette refonte économique ne saurait ignorer la justice sociale. Comme le rappelait Chinua Achebe dans Le Monde s’effondre, les transformations imposées d’en haut échouent sans ancrage local. Le gouvernement en prend la mesure en associant les acteurs de l’informel à l’économie formelle, veillant ainsi à ce que la prospérité soit partagée par tous. Car la résilience ne se décrète pas, elle se construit, et tout indique que le Sénégal avance résolument dans cette voie.
Résistances et privilèges : le syndrome de Macondo
Les critiques les plus virulentes émanent souvent de ceux que dérangent les réformes. Les bénéficiaires de l’ancien régime — élites politico-médiatiques, bureaucrates corrompus, partenaires étrangers — voient leurs privilèges menacés par une gouvernance axée sur la transparence. Leur rhétorique, teintée de nostalgie, rappelle les personnages de Cent ans de solitude qui, incapables d’accepter le changement, reproduisent inlassablement les erreurs du passé.
Pourtant, le Sénégal actuel n’a rien à voir avec Macondo. Dans Le Monde s’effondre de Chinua Achebe, la société igbo est détruite par une modernité imposée de l’extérieur. Ici, au contraire, la « révolution citoyenne » est une démarche endogène, portée par une jeunesse exigeante et des institutions déterminées à incarner la souveraineté populaire.
À ceux qui doutent, rappelons les mots de Cheikh Anta Diop : « Le développement est d’abord une volonté politique. » Gabriel Garcia Marquez, lui, écrivait que « le monde était si récent que beaucoup de choses n’avaient pas encore de nom ». Le Sénégal d’aujourd’hui est ce monde en gestation, où chaque réforme est une graine plantée pour les générations futures.
Les détracteurs, englués dans leur cynisme, rappellent ces habitants de Macondo qui se moquaient des rêveurs, incapables de voir l’avenir se dessiner sous leurs yeux. Mais l’histoire appartient à ceux qui bâtissent, pas à ceux qui doutent.
Références
- Achebe, Chinua. Le Monde s’effondre. Présence Africaine, 1966.
- Diop, Cheikh Anta. Préface de Intégration économique, perspectives africaines, Mahtar Diouf, NEA, 1984.
- Garcia Marquez, Gabriel. Cent ans de solitude. Seuil, 1968.
- Garcia Marquez, Gabriel. L’Amour au temps du choléra. Grasset, 1987.
