Les chiffres de la santé publique : entre réalité et interprétation ?

L’article « Silence, on dépense ! », publié sur SenePlus, prétend dénoncer une explosion des dépenses d’hospitalisation des fonctionnaires sénégalais. Or, cette analyse repose sur des biais méthodologiques flagrants et des approximations. Il est temps de remettre les faits en perspective et d’exposer la réalité des chiffres.

Une fausse affirmation : les fonctionnaires et leurs ayants droit ne représentent pas 1 % de la population

L’une des erreurs les plus grossières de l’article est d’affirmer que les fonctionnaires et leurs ayants droit ne représenteraient que 1 % de la population sénégalaise. Un simple calcul démontre que cette affirmation est fausse.

Avec 171 600 fonctionnaires, et en supposant 5 ayants droit par fonctionnaire (hypothèse basse), on obtient 836 090 bénéficiaires. Or, avec une population sénégalaise d’environ 18 millions d’habitants, cela représente près de 5 % de la population, et non 1 % comme dit dans l’article.

Cette erreur change radicalement la perspective : les dépenses de santé des fonctionnaires ne concernent pas une petite minorité, mais une part significative de la population.

Une comparaison biaisée avec l’année 2020

L’article s’indigne d’une hausse de 95,4 % des dépenses d’hospitalisation des fonctionnaires entre 2020 et 2024, suggérant une dérive budgétaire. Or, comparer ces deux années est une erreur .

L’année 2020 ne peut pas être une année de référence fiable, car :

  • La pandémie de COVID-19 a bouleversé le fonctionnement des hôpitaux : de nombreuses hospitalisations non urgentes ont été reportées.
  • L’activité médicale a été ralentie, ce qui a artificiellement réduit les dépenses hospitalières.

Des études confirment cette baisse d’activité :

  • Centre Hospitalier National d’Enfants Albert Royer (CHNEAR) à Dakar : diminution des consultations externes de 3 % en janvier, 22 % en février et 33 % en mars 2020, soit une moyenne de 19 % au premier trimestre comparé à 2019 (pmc.ncbi.nlm.nih.gov).
  • Centre de Santé de Pondila  au Bénin: baisse moyenne de 33 % des consultations externes au premier trimestre 2020 par rapport à 2019 (docs.bvsalud.org).

En choisissant une année anormale pour en faire une référence, l’article donne une illusion d’explosion des coûts.

Les dépenses hospitalières des fonctionnaires sont proportionnelles aux dépenses nationales de santé

Les chiffres nationaux confirment que le budget hospitalier des fonctionnaires n’a rien d’excessif.

 Dépenses nationales de santé au Sénégal :

  • 2017 : 514,5 milliards de FCFA
    • 2018 : 552,5 milliards de FCFA
    • 2019 : 606,5 milliards de FCFA
    • 2020 : 670,5 milliards de FCFA
    • 2021 : 690,5 milliards de FCFA

En appliquant un taux d’inflation moyen de 3 % par an, les dépenses de santé en 2024 peuvent être estimées à environ 754,5 milliards de FCFA.

Environ 30,5 % des dépenses de santé au Sénégal sont consacrées aux soins hospitaliers, ce qui représente environ 230 milliards de FCFA en 2024. Dans ce contexte, les 30 milliards de FCFA alloués aux hospitalisations des fonctionnaires constituent 3,97 % des dépenses de santé nationale, un chiffre à mettre en regard avec la part des fonctionnaires et de leurs ayants droit dans la population, qui est d’environ 5 %. Ainsi, le budget hospitalier des fonctionnaires est parfaitement proportionnel à leur poids démographique et à la structure des dépenses de santé du pays.

Le vrai scandale, c’était avant !

L’article tente de faire croire que l’État dilapide l’argent public. En réalité, ce budget vient corriger une injustice de longue date. Par le passé, la couverture médicale des fonctionnaires et de leurs familles était largement insuffisante, les contraignant à supporter eux-mêmes une grande partie des frais médicaux. Désormais, l’État assume sa responsabilité en garantissant une prise en charge plus digne et plus équitable.

Le véritable scandale n’est pas l’augmentation des dépenses, mais le fait qu’elles aient été insuffisantes pendant des années. L’État ne dépense pas plus par caprice, mais pour assurer aux agents publics et à leurs familles une couverture hospitalière à la hauteur de leurs besoins.

L’article « Silence, on dépense ! » repose sur des chiffres mal interprétés et des comparaisons trompeuses.

Non, les fonctionnaires et leurs ayants droit ne représentent pas 1 % de la population, mais au moins 5 %. Non, 2020 ne peut pas être une référence pertinente pour comparer les dépenses de santé.  Non, le budget hospitalier des fonctionnaires n’est pas excessif : il est proportionnel aux dépenses nationales de santé et à leur poids démographique.

Le vrai débat n’est pas « Pourquoi l’État dépense-t-il plus ? », mais « Pourquoi a-t-il fallu attendre aussi longtemps pour qu’il finance correctement la santé de ses agents ? »