
En ce début d’année 2025, sous les ors du Palais de l’Élysée, Emmanuel Macron s’est adressé aux ambassadrices et ambassadeurs français, dans une allocution qui a dévoilé, avec éclat, les dilemmes d’une France tiraillée entre la nostalgie d’un passé impérial et l’incertitude de son avenir dans un monde multipolaire en pleine recomposition. Dans la section de son discours consacrée à l’Afrique, Emmanuel Macron, plutôt que de répondre avec respect aux aspirations légitimes des nations africaines à une souveraineté renforcée, a opté pour un ton empreint de paternalisme et de critiques acerbes. Cette posture, révélatrice d’une incompréhension tenace de l’histoire et des dynamiques contemporaines, a davantage renforcé le fossé entre la France et ses anciens partenaires du continent.
Une stratégie française à contre-courant de l’histoire
Depuis la décolonisation, les relations franco-africaines sont demeurées enfermées dans une logique néocoloniale souvent qualifiée, pour reprendre un terme largement relayé par les médias, de « Françafrique » ou d’« État franco-africain ». Si François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy ou même François Hollande ont, chacun à leur manière, proclamé vouloir rompre avec ce système, la réalité est restée inchangée : réseaux d’influence, accords opaques et posture moralisatrice. Le discours de Macron s’inscrit dans cette continuité. En invoquant des interventions militaires passées comme des bienfaits pour l’Afrique, il occulte les responsabilités historiques et les échecs stratégiques qui ont alimenté le rejet actuel de la présence française dans des pays comme le Mali, le Niger ou encore le Burkina Faso.
Or, la montée des mouvements panafricanistes et les revendications de souveraineté exprimées par les peuples africains ne peuvent être balayées d’un revers de main. En dénonçant une prétendue ingratitude africaine, Macron renforce l’image d’une France sourde aux mutations historiques et incapable d’adopter une approche partenariale véritable.
La réponse du Sénégal et l’émergence d’un souverainisme démocratique
En réponse au discours d’Emmanuel Macron, Ousmane Sonko, Premier ministre sénégalais et figure emblématique du souverainisme démocratique, n’a pas tardé à réagir. Il a dénoncé des propos qu’il a qualifiés de « réminiscences néocoloniales indignes du partenariat que nous envisageons pour l’Afrique ». Ce courant souverainiste démocratique, porté par le pouvoir sénégalais et d’autres leaders panafricains, vise à conjuguer émancipation politique et consolidation des institutions démocratiques, tout en rompant avec les modèles de dépendance hérités de la colonisation.
Le souverainisme démocratique sénégalais s’articule autour de plusieurs priorités : la remise en question du franc CFA, la renégociation des contrats pétroliers et gaziers pour garantir une répartition équitable des richesses, et la diversification des partenariats internationaux. En s’inscrivant dans un mouvement dialectique, ce choix d’une stratégie panafricaine, à la fois non alignée et multialignée, montre une dynamique d’équilibre entre indépendance et interdépendance. Ce positionnement a pour ambition de construire des relations bilatérales fondées sur le respect mutuel et l’intérêt réciproque, tout en engageant le Sénégal et l’Afrique dans une quête d’autonomie économique affirmée, accompagnée d’une identité propre au sein des relations internationales.
Une impasse stratégique et des outils inadaptés
Le démantèlement des bases françaises en Afrique n’est pas seulement la conséquence d’une pression politique des peuples africains, mais également le constat d’un échec patent du militarisme franco-africain tel qu’il a été conçu et déployé depuis des décennies. Les opérations comme Barkhane, bien que massives, se sont avérées incapables de répondre aux dynamiques complexes et asymétriques des conflits sahéliens. Les résultats sont sans appel : une escalade de violence avec une augmentation de 44 % des incidents armés en 2020 dans des pays comme le Mali et le Burkina Faso, et des armées locales souvent affaiblies par leur dépendance à des partenaires extérieurs perçus comme des forces d’occupation.
Les limites de l’arsenal militaire français apparaissent d’autant plus évidentes lorsqu’il s’agit d’affronter des groupes comme Boko Haram ou le GSIM. Les doctrines françaises, centrées sur des équipements lourds comme les Mirages ou les Rafales, sont inadaptées à des terrains où la mobilité, la résilience locale et l’adaptation aux particularités géographiques sont importantes. De surcroît, des conflits récents comme la guerre civile au Soudan, qui mobilisent des techniques paramilitaires, de la guerre urbaine et des tactiques irrégulières, mettent en évidence l’incapacité des forces occidentales à s’adapter à ces nouvelles réalités stratégiques. La militarisation française au Sahel, malgré des moyens significatifs, a alimenté une perception d’inefficacité et d’ingérence qui a accéléré son rejet.
Plus largement, l’approche militaire française illustre une vision dépassée des enjeux stratégiques africains. Au Sahel central, de 2013 à 2022, la multiplication des acteurs militaires sur le terrain — entre l’opération Barkhane, la force Takuba, la MINUSMA et les forces spéciales américaines — a créé un véritable « embouteillage sécuritaire », incapable de contrer les racines profondes des crises : faiblesse institutionnelle, pauvreté chronique, et rivalités locales exacerbées par des décennies d’ingérence. Ce militarisme, hérité de logiques néocoloniales, a non seulement échoué à contenir les menaces terroristes, mais il a aussi alimenté une défiance croissante des populations locales, qui réclament des approches centrées sur le développement durable et la souveraineté nationale.
Une souveraineté africaine en marche
Contrairement à ce que semble croire le président français, les aspirations des peuples africains ne se limitent pas à un rejet de la France en tant que puissance néocoloniale. Elles reflètent une volonté de prendre en main leur propre destin, en construisant des partenariats équitables et en participant activement aux forums internationaux. Loin d’être un isolement, ce positionnement correspond à une vision pragmatique des relations internationales. Les États africains veulent tirer parti de la compétition entre puissances pour maximiser leurs intérêts.
Dans ce contexte, l’attitude française ne peut être autre chose qu’un frein au développement de nouvelles relations . Pour que la France puisse réintégrer un dialogue fécond avec l’Afrique, elle devra abandonner son rôle de donneur de leçons et accepter d’être un partenaire parmi d’autres.
