
Le 17 novembre 2024, les Sénégalais ont exprimé leur volonté de changement en accordant une large majorité à PASTEF lors des élections législatives. Ce résultat vient confirmer l’adhésion populaire à l’ambition réformatrice incarnée par le président Bassirou Diomaye Faye, dont les Assises de la justice, tenues en mai, ont marqué le premier jalon.
Ce rendez-vous crucial, dédié à une refonte en profondeur de l’institution judiciaire, avait permis d’ouvrir des débats sur les principes fondamentaux de la justice et les dysfonctionnements hérités des précédents régimes. La nouvelle majorité parlementaire est désormais investie d’une mission essentielle : traduire ces réflexions en actes législatifs concrets pour refonder un système judiciaire qui inspire la confiance et renforce l’État de droit.
Les sphères de justice : réconcilier l’équité et la pluralité
La réflexion sur la justice sénégalaise gagnerait à intégrer les enseignements du philosophe Michael Walzer, qui distingue les sphères de justice. Selon lui, la justice ne se limite pas à une simple répartition uniforme des biens ou des responsabilités, mais repose sur l’idée que chaque bien social doit être distribué selon des principes propres à sa sphère.
Dans le contexte sénégalais, les Assises se sont focalisées sur la justice institutionnelle, principalement celle rendue dans les cours et tribunaux, laissant en suspens des problématiques tout aussi cruciales, comme celles de la justice sociale et économique, qu’il est regrettable de ne pas avoir abordées. Walzer nous invite à éviter la domination d’une sphère sur les autres, en veillant, par exemple, à ce que la justice pénale soit pas utilisée comme un outil politique ou que les inégalités sociales soient pas renforcées par des décisions judiciaires.
Pour que nous avancions vers une authentique démocratie sénégalaise, il est nécessaire de légiférer en respectant ces distinctions. La justice commutative, qui régit les échanges équitables entre les individus, doit être au cœur des réformes. Elle est le fondement d’une justice qui garantit à chacun ce qui lui est dû, sans favoritisme ni arbitraire. C’est dans ce cadre que les abus tels que les « retours de parquet » prolongés, les longues détentions préventives ou les peines disproportionnées doivent être abolis. Des réformes doivent être entreprises pour garantir que les sanctions imposées par le système judiciaire sont justes, proportionnées et dissuasives.
Décoloniser la justice sénégalaise
Le système judiciaire sénégalais reste profondément marqué par ses origines coloniales. Conçu pour maintenir un ordre hiérarchisé et centralisé au service de l’administration coloniale, il perpétue encore aujourd’hui des logiques autoritaires et déconnectées de nos réalités sociales. Décoloniser la justice signifie non seulement en réformer les pratiques, mais aussi transformer les paradigmes de formation des magistrats et des auxiliaires de justice. Cela implique également un nettoyage en profondeur de nos différents codes — civil, pénal, et de procédure — pour en extirper les dispositions qui rappellent l’arbitraire colonial, afin qu’ils reflètent les valeurs de justice, d’équité et de respect de la dignité humaine adaptées à notre contexte. Comme l’a souligné Cheikh Anta Diop, « la renaissance de l’Afrique commence par la récupération de ses institutions et la réappropriation de ses modes de pensée. » Cette refondation ne peut se faire sans une démarche politique audacieuse et résolue, portée par une volonté souverainiste.
Cette décolonisation doit s’accompagner d’une refonte plus large de l’enseignement supérieur, où les sciences juridiques et sociales doivent intégrer des perspectives africaines et des savoirs enracinés dans nos réalités culturelles. Il s’agit de former des juristes capables d’interroger les dogmes importés et de proposer des solutions adaptées aux défis spécifiques de notre société. Mais une telle transformation n’est pas qu’une réforme technique : elle relève d’une démarche politique audacieuse et résolue. Il faut un pouvoir qui assume pleinement la rupture avec les héritages coloniaux et s’engage à créer un cadre institutionnel et éducatif en phase avec la souveraineté nationale.
Un chantier législatif pour une justice réconciliée
L’élection de la nouvelle Assemblée nationale ouvre une fenêtre historique pour reconstruire un système judiciaire en phase avec les aspirations des Sénégalais. Mais cette reconstruction ne peut se limiter à des ajustements techniques. Il s’agit d’un projet politique global qui exige une articulation entre justice institutionnelle, justice sociale et justice économique. C’est dans cette dynamique que les réformes doivent s’inscrire pour réhabiliter les droits des justiciables et garantir un accès équitable à une justice transparente et humaine.
Joseph Ki-Zerbo nous rappelle une vérité intemporelle : « On ne développe pas, on se développe. » Cette maxime s’applique pleinement au chantier de la justice. Ce n’est qu’en prenant en main nos propres réformes, en adaptant nos institutions à nos valeurs et réalités, que nous pourrons bâtir un système capable de réconcilier l’État et ses citoyens, pour un Sénégal plus juste et plus souverain.
