Les AVC : un combat collectif pour sauver des vies au Sénégal

Un tueur silencieux qui progresse dans l’ombre

Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) s’imposent comme une menace grandissante pour la santé publique au Sénégal et dans toute l’Afrique subsaharienne. Bien qu’ils soient souvent perçus comme des maladies des pays riches, les AVC causent de nombreux décès dans les pays en développement, où la population est exposée à des facteurs de risque insuffisamment pris en charge. Au Sénégal, ces accidents représentent près de 60 % des décès de causes neurologiques dans les grands hôpitaux, et leur impact se manifeste par une charge croissante sur les familles et le système de santé.

Avec une prévalence encore mal connue, les AVC touchent de plus en plus les populations jeunes, modifiant profondément la structure de morbidité[1] dans le pays. Des études montrent que l’âge moyen des victimes d’AVC au Sénégal se situe autour de 61 ans, contre 74 ans dans les pays développés​. Cette tendance alarmante souligne l’urgence d’agir pour prévenir une épidémie silencieuse qui frappe souvent sans prévenir.

Comprendre les AVC : Nature et manifestations

Un accident vasculaire cérébral (AVC), parfois appelé « attaque cérébrale », est une interruption brutale de la circulation sanguine dans une partie du cerveau. Il peut survenir de deux façons principales ce qui permet de distinguer deux grandes catégories :

  • Les AVC ischémiques, qui représentent environ 80 % des cas, résultent de l’obstruction d’une artère cérébrale par un caillot sanguin. Ces obstructions, souvent dues à l’hypertension artérielle ou à des maladies cardiaques, privent une partie du cerveau d’oxygène et de nutriments, causant des dommages irréversibles.
  • Les AVC hémorragiques, qui concernent les 20 % restants, surviennent à la suite de la rupture d’une artère cérébrale. Ces cas, souvent associés à une tension artérielle extrêmement élevée, provoquent un saignement dans le cerveau, aggravant les séquelles et augmentant le risque de décès​

Les symptômes incluent une faiblesse musculaire, une paralysie soudaine (souvent d’un seul côté du corps), des troubles de la parole, une perte de vision ou encore des maux de tête violents. Ces signaux nécessitent une intervention immédiate : chaque minute qui passe, environ deux millions de neurones meurent, ce qui illustre bien l’urgence de l’adage médical « Time is brain »​.


Des causes enracinées dans nos habitudes

Les AVC sont liés à une combinaison de facteurs biologiques, comportementaux et environnementaux. Au Sénégal, les principaux facteurs de risque incluent :

  • L’hypertension artérielle (HTA), souvent non diagnostiquée ou mal traitée, présente chez 69 % des patients ayant subi un AVC​.
  • Le diabète, qui contribue à la rigidification des artères et augmente le risque de thrombose​.
  • Les comportements alimentaires néfastes, notamment la consommation excessive de sel, amplifiée par les bouillons culinaires. Ces bouillons, riches en sodium, sont directement liés à l’élévation de la tension artérielle​.
  • Le tabagisme, la sédentarité et l’obésité abdominale, qui aggravent les déséquilibres métaboliques.

Ces facteurs sont souvent sous-estimés, faute de campagnes de sensibilisation adaptées ou d’accès à un dépistage précoce. Il est urgent d’informer les populations sur ces risques et de leur offrir des solutions alternatives, comme la réduction de la consommation de sel dans les repas quotidiens.

Un système de santé mal préparé

Malgré les progrès réalisés dans la prise en charge des AVC, le Sénégal peine encore à offrir une réponse adéquate. Les données montrent que seulement 35 % des patients consultent dans les 72 premières heures suivant les symptômes, retardant ainsi des interventions cruciales comme la thrombolyse ou la thrombectomie​. Les unités neurovasculaires, essentielles pour une prise en charge spécialisée, sont peu nombreuses, voire inexistantes dans certaines régions​.

De plus, l’absence de rééducation systématique après un AVC laisse de nombreux patients avec des handicaps sévères. Seulement 53 % des patients bénéficient de programmes de rééducation fonctionnelle, une statistique préoccupante compte tenu des bénéfices démontrés de ces soins dans la récupération post-AVC​.

Quelles solutions pour inverser la tendance ?

Face à ce tableau préoccupant, il est impératif d’adopter une approche nationale cohérente pour lutter contre les AVC. Voici quelques propositions pour répondre à ce problème de santé publique :

  • Mettre en place des campagnes de prévention primaire :
  • Sensibiliser les populations aux facteurs de risque modifiables, comme l’hypertension et les régimes riches en sel.
  • Promouvoir des habitudes alimentaires saines, avec une réglementation stricte sur la teneur en sodium des produits alimentaires, notamment les bouillons.
  • Renforcer le dépistage précoce des maladies chroniques comme l’hypertension artérielle (HTA) et le diabète dans les centres de santé de base.
  • Renforcer les capacités du système de santé :
    • Développer des unités neurovasculaires dans les principaux hôpitaux régionaux.
    • Former les professionnels de santé à la gestion des AVC, de l’urgence à la réhabilitation.
    • Mettre en place des réseaux de soins pour accélérer le transport et la prise en charge des patients.
  • Adopter une approche participative :
  • Organiser une conférence nationale sur les AVC, impliquant tous les acteurs concernés : décideurs politiques, professionnels de santé, associations de patients, société civile, industriels de l’agroalimentaire, professionnels de la restauration. Cette initiative permettrait de définir un plan d’action global, en tenant compte des spécificités nationales et locales.

L’avenir dépend de nos actions aujourd’hui

Les AVC ne sont pas une fatalité. En agissant sur les causes modifiables et en renforçant les structures de prise en charge, le Sénégal peut réduire considérablement le fardeau de cette maladie. Cette lutte nécessite une volonté politique forte, des investissements dans le système de santé et une mobilisation citoyenne. Le moment est venu de transformer cette urgence silencieuse en une priorité nationale. En sauvant des vies, nous construisons une société plus résiliente, capable de répondre aux défis de santé publique avec détermination et humanité.

[1] La morbidité d’une population se définit comme étant le « nombre de personnes malades ou le nombre de cas de maladies dans une population déterminée, à un moment donné » .

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Auteur : Félix Atchadé

Je suis médecin, spécialiste de Santé Publique et d’Éthique Médicale. Je travaille sur les questions d’équité et de justice sociale dans les systèmes de santé. Militant politique, je participe à l'oeuvre de refondation de la gauche sénégalaise.

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