Le combat de Marcel Bassène pour une Casamance en paix

À la mémoire de l’abbé Raoul Sagna et du député et président du Conseil régional de Ziguinchor Omar Lamine Badji, deux hommes de paix, victimes du conflit en Casamance. Que leur souvenir et celui de toutes les victimes inspirent les générations futures.

Le 8 octobre 2024, le Premier ministre Ousmane Sonko a présidé un Conseil interministériel crucial dédié au retour des déplacés du conflit en Casamance, marquant une nouvelle étape dans le processus de rétablissement de la paix. Grâce à des efforts soutenus, de nombreuses populations retrouvent leurs villages, la reconstruction des infrastructures et la relance des activités économiques prennent corps. Le déminage avance à grands pas, avec l’ambition de sécuriser complètement la région d’ici 2026. Pour coordonner ces initiatives, un comité régional de pilotage a été instauré, soutenu par un financement de plus de 53 milliards de FCFA. Le lancement du Plan Diomaye pour la Casamance symbolise cet engagement à long terme pour la paix et le développement. Toutefois, des défis importants restent à surmonter, notamment la sécurisation de certaines zones, la lutte contre les trafics et la résolution des conflits fonciers.

Ces avancées trouvent leurs racines dans une histoire plus ancienne, remontant aux années 1990, lorsque Marcel Bassène a joué un rôle essentiel en mettant en œuvre le dialogue entre l’État sénégalais et le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC). Dans les années 1980 et au début des années 1990, la Casamance était en proie à une crise politique et sécuritaire majeure. Le MFDC, réclamant l’indépendance de la région, menait une rébellion violente. La marginalisation économique et sociale de la région a suscité de profondes frustrations, qui ont aggravé les tensions. Celles-ci étaient appuyées par une partie de la population locale. Le gouvernement sénégalais, par la répression militaire, tenta de mater les révoltes, mais cette approche ne fit qu’aggraver la situation. Les tentatives de dialogue restaient rares et infructueuses. Ce contexte explosif rendait d’autant plus difficile toute tentative de médiation, ce à quoi Marcel Bassène s’attela avec détermination. Décédé le 22 août 2006, il laisse derrière lui un héritage qui continue d’éclairer le chemin vers la paix en Casamance. Cet article retrace le parcours de cet homme exceptionnel qui, en tant que député du Parti démocratique sénégalais (PDS) donc de l’opposition, a réussi à convaincre le Président Abdou Diouf de s’engager dans des négociations avec les indépendantistes, amorçant un processus qui a ouvert la voie à la paix que nous entrevoyons aujourd’hui.

Un homme cœur du dialogue pour la Casamance

Marcel Bassène était un homme d’une grande indépendance d’esprit, caractérisé par une dignité et une discrétion profonde, souvent interprétées à tort comme de la timidité. Malgré une santé fragile durant sa jeunesse, il eut un parcours académique brillant, devenant un mathématicien éminent et un formateur respecté. En politique, il se distingua par son pragmatisme et sa tolérance, n’hésitant jamais à soutenir des propositions qui faisaient sens, même si elles provenaient d’adversaires. Il s’engagea en politique avec la ferme volonté de changer le cours des choses, choisissant une voie loin d’être facile. Membre fondateur du PDS, il n’a été candidat à aucun poste au sein du parti, mais grâce à son charisme, il devint un leader de premier plan. Pendant de nombreuses années, il fut à la tête de la fédération de Casamance, la seule instance du PDS à fonctionner de manière véritablement démocratique. Il assura également l’intérim à la direction du parti à chaque absence prolongée de Me Wade, lorsqu’il séjournait en France. Enfin, son ouverture d’esprit et sa capacité à supporter des débats contradictoires sans recours à des arguments d’autorité témoignaient de son engagement pour le libre arbitre et la justice.

En tant que député de l’opposition, Marcel Bassène aurait pu rester à l’écart du conflit, se limitant à critiquer les actions du gouvernement de l’époque. Pourtant, il prit la décision de s’engager activement dans la recherche d’une solution. Très tôt, il a compris que la solution militaire n’était pas la voie à suivre et que seule une approche inclusive, impliquant des négociations avec le MFDC, permettrait de restaurer la paix en Casamance.

En 1992, Marcel Bassène a résumé sa pensée sur la question casamançaise dans un courrier adressé au Président Abdou Diouf et au professeur Assane Seck, responsable de l’Union régionale du Parti socialiste. Dans cette lettre introductive au document intitulé « Contribution du Comité de réflexion des cadres casamançais », il exposait la méthode qu’il proposait pour sortir de la crise. Il y prônait un dialogue ouvert et structuré, fondé sur la compréhension des réalités locales et le respect mutuel entre toutes les parties. Ce document est devenu une base importante pour les négociations avec le MFDC.

Sa prouesse politique a été de convaincre Abdou Diouf, alors président du Sénégal, d’entamer ce dialogue avec les chefs du MFDC, malgré la réticence initiale du gouvernement à négocier avec les rebelles. Marcel Bassène a su naviguer avec habileté entre les pressions politiques internes et les réalités complexes du terrain. Cet exploit est d’autant plus remarquable qu’il venait d’un député de l’opposition, une position qui, en général, limite l’influence directe sur les décisions de l’exécutif.

Un héritage de paix soutenu par des alliés stratégiques

Pour mener à bien cette mission délicate, Marcel Bassène a bénéficié de l’accompagnement fidèle de plusieurs amis et collègues. Des personnalités, comme Mansour Cama, El Hadj Amat Sy, et ses collègues députés Omar Lamine Badji, Moussa Diédhiou et Laye Diop Diatta l’ont soutenu dans son action. Des figures influentes comme Ibrahima Ama Diémé ont également joué un rôle essentiel dans l’accompagnement de son travail de médiation. De plus, le général Doudou Diop, alors soutien de premier plan à la présidence, a été un acteur clé dans la facilitation du dialogue entre le MFDC et l’État sénégalais. Le ministre des Forces armées, Médoune Fall, a su incarner l’autorité politique en faisant comprendre aux troupes que la volonté de dialogue était inébranlable. Maître Kaoussa Kaba Bodian, ami personnel de Marcel Bassène a été le conseiller juridique. Leur appui a permis à Marcel Bassène de renforcer son influence et de donner une portée nationale à ses initiatives en faveur du dialogue.

Le rôle de Marcel Bassène ne s’est pas limité aux débats politiques à Dakar. Son engagement allait bien au-delà des mots et des idées : il s’est personnellement rendu dans le maquis, rencontrant les chefs militaires indépendantistes dans les forêts de la Casamance, souvent au péril de sa vie. Il savait que la paix ne pouvait être obtenue qu’à travers la compréhension mutuelle, et il a consacré une bonne partie de sa vie à rapprocher les positions de l’État sénégalais et celles du MFDC. Son engagement indéfectible pour la réconciliation lui a valu le respect des deux camps.

Grâce à ses efforts, des factions du MFDC ont accepté de s’asseoir à la table des négociations, amorçant un processus qui allait progressivement réduire l’intensité du conflit. Sa méthode, basée sur la négociation, le compromis et la compréhension, a montré que même dans un climat de guerre et de méfiance, des ponts pouvaient être construits. Marcel Bassène n’a jamais cherché à imposer des solutions, mais à promouvoir un dialogue inclusif, prenant en compte les revendications des populations casamançaises tout en garantissant l’unité territoriale du Sénégal.

Le 20 mars 1991, les Accords de Toubacouta ont été conclus entre Marcel Bassène, représentant le collectif des députés de la Casamance, et le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC). Ces accords avaient pour objectif de préparer les négociations à venir en vue d’un cessez-le-feu, qui menèrent ensuite aux Accords de Cacheu. Le 31 mai 1991, les Accords dits de Cacheu furent signés en Guinée-Bissau, marquant la première trêve officielle entre le gouvernement sénégalais et le MFDC. Négocié sous la médiation du président guinéen Nino Vieira, garant de sa mise en œuvre, cet accord fut conclu en l’absence de l’abbé Augustin Diamacoune Senghor, figure emblématique du MFDC, alors emprisonné à Dakar. C’est Sidy Badji, chef d’état-major du MFDC à l’époque, qui a signé au nom du mouvement.

À la suite de ce cessez-le-feu, Sidy Badji a quitté le maquis, tandis que l’abbé Diamacoune et ses compagnons détenus ont été libérés en signe d’apaisement. Le 30 décembre 1992, Sidy Badji a lancé un appel aux combattants du MFDC pour qu’ils déposent les armes, renforçant l’espoir d’une paix durable, malgré les tensions internes au sein du mouvement.

Avant sa mort en 2006, Marcel Bassène m’a confié, au cours d’entretiens enregistrés durant de longues heures, les motivations profondes derrière ses actions et ses stratégies pour la paix en Casamance. Il m’a expliqué ce qu’il a fait, pourquoi il l’a fait et les espoirs qu’il nourrissait pour sa région natale. Ces archives sonores, précieuses et inédites, feront bientôt l’objet d’une publication. Elles offriront un éclairage intime et unique sur la pensée et l’engagement de cet homme qui a consacré sa vie à la réconciliation. Mais aussi une clé de compréhension de cette période de l’histoire du pays.

L’impact durable de Marcel Bassène sur la réconciliation en Casamance

Marcel Bassène est décédé le 22 août 2006, mais son héritage continue de résonner dans la politique actuelle de rétablissement de la paix en Casamance. Les initiatives de retour des déplacés et de reconstruction des infrastructures locales, telles qu’elles ont été discutées lors du conseil interministériel d’octobre 2024, s’inscrivent dans la continuité de son travail. Le processus de déminage, la réinsertion socio-économique des populations et les projets de développement sont autant de fruits des fondations posées par cet homme de paix.

Aujourd’hui, alors que la Casamance semble plus proche que jamais d’une paix durable, il est essentiel de rappeler que ce chemin vers la stabilité a été largement pavé par Marcel Bassène. Ses actions, sa vision et son engagement ont contribué à créer les conditions d’un dialogue entre l’État et le MFDC, permettant d’ouvrir la voie à une réconciliation qui semblait inimaginable dans les années 1980 et 1990.

Le parcours de Marcel Bassène illustre à quel point un individu peut avoir un impact décisif sur le destin d’une nation. En tant que député de l’opposition, il a surmonté les barrières politiques pour apporter sa contribution à la résolution d’un conflit qui semblait sans issues. Son engagement, tant sur le plan politique que sur le terrain, a permis d’amorcer un dialogue qui a changé le cours de l’histoire en Casamance.

Aujourd’hui, alors que les efforts de rétablissement de la paix se poursuivent et que les populations déplacées reviennent progressivement dans leurs villages, il est crucial de reconnaître l’héritage de Marcel Bassène. Sa mémoire doit être honorée non seulement pour le rôle qu’il a joué dans la réconciliation, mais aussi pour l’exemple qu’il incarne : celui d’un homme qui a fait de la paix une mission de vie. Grâce à lui, la Casamance entrevoit enfin un avenir plus serein, et son nom restera à jamais associé à l’effort de rétablissement de la paix dans cette région autrefois déchirée par la guerre.

Dr Félix Atchadé

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Auteur : Félix Atchadé

Je suis médecin, spécialiste de Santé Publique et d’Éthique Médicale. Je travaille sur les questions d’équité et de justice sociale dans les systèmes de santé. Militant politique, je participe à l'oeuvre de refondation de la gauche sénégalaise.

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