Les Mouvements Sociaux en Afrique subsaharienne : Une Ébullition Prérévolutionnaire

Communication à l’Université d’été du PCF.  Aix-en-Provence 27,28, 29 août 2021

Introduction

De la région sahélienne, où le désert avance inexorablement, à la Corne de l’Afrique, où les conflits semblent sans fin, en passant par les grandes villes comme Douala, Maputo, et Kinshasa, l’Afrique subsaharienne est aujourd’hui au centre d’une effervescence sociale sans précédent. Ce vaste territoire, riche en diversité culturelle, ethnique et linguistique, est aussi le théâtre de mouvements sociaux intenses et parfois violents. Ces mouvements, qui dépassent souvent le cadre des revendications économiques pour embrasser des aspirations politiques et sociales plus larges, sont les signes d’une transformation en profondeur de la région.

L’Afrique subsaharienne, bien que souvent perçue comme un continent en difficulté, est en réalité un foyer de résistance et d’innovation sociale. Les jeunes, en particulier, sont à l’avant-garde de ces luttes, refusant de se résigner à un avenir de pauvreté et d’injustice. Ils sont les porteurs d’une vision nouvelle, d’une Afrique qui pourrait se libérer des chaînes du néocolonialisme, des régimes autoritaires, et des politiques économiques destructrices imposées par des institutions internationales telles que le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale. Ce désir de changement est omniprésent et traverse toutes les couches de la société, de la rue aux réseaux sociaux, des campagnes aux villes, et des organisations de la société civile aux mouvements religieux.

I. Qu’est-ce qu’un mouvement social ?

Un mouvement social, tel que défini par les grands sociologues François Chazel et Alain Touraine, est une forme d’action collective organisée qui cherche à promouvoir ou à empêcher un changement social ou politique. Selon Erik Neveu, dans son ouvrage *Sociologie des mouvements sociaux*, ces mouvements se caractérisent par une mobilisation coordonnée d’acteurs sociaux autour d’une cause commune, souvent en opposition à un pouvoir ou à une autorité perçue comme oppressive. En Afrique subsaharienne, cette définition prend tout son sens, car les mouvements sociaux de la région sont souvent une réponse directe à des systèmes de pouvoir autoritaires et à des politiques économiques néolibérales qui ont exacerbé les inégalités et la pauvreté.

Les mouvements sociaux en Afrique subsaharienne sont multiples et variés, allant des manifestations de rue spontanées aux organisations structurées de la société civile. Ils se manifestent par des grèves, des sit-ins, des marches pacifiques, mais aussi par des formes de résistance plus radicales. Les jeunes, les femmes, les travailleurs, et les groupes marginalisés prennent de plus en plus la parole, utilisant les nouveaux outils de communication comme les réseaux sociaux pour organiser, mobiliser et sensibiliser à leur cause. Ces mouvements sont souvent la seule réponse possible face à l’inefficacité ou à l’absence des partis politiques traditionnels, qui sont perçus comme étant complices du statu quo.

II. Typologie des mouvements sociaux

Selon la typologie des mouvements sociaux proposée par Kriesi en 1993, il est possible de classer ces mouvements en différentes catégories en fonction de leurs objectifs et de leurs modes d’action. Cette typologie distingue notamment les organisations de soutien, qui fournissent des services aux membres du mouvement ; les groupes d’entraide, qui favorisent la solidarité entre les participants ; les cercles de sociabilité, qui créent des liens sociaux entre les individus; les représentations politiques, qui visent à influencer les décisions des autorités; et les organisations de mobilisation politique, qui cherchent à mobiliser les masses pour provoquer un changement social ou politique.

En Afrique subsaharienne, ces différentes catégories se retrouvent dans la diversité des mouvements qui animent la région. Par exemple, les organisations de soutien peuvent être vues dans les associations qui aident les populations déplacées par les conflits ou les catastrophes naturelles. Les groupes d’entraide se manifestent souvent sous la forme de coopératives agricoles ou de cercles de microfinance qui soutiennent les communautés locales. Les cercles de sociabilité sont présents dans les organisations communautaires qui se forment autour de pratiques culturelles ou religieuses. Les représentations politiques sont incarnées par les partis d’opposition et les groupes d’intérêt qui cherchent à influer sur les politiques publiques. Enfin, les organisations de mobilisation politique sont visibles dans les mouvements de protestation qui se multiplient à travers le continent, exigeant des réformes et des changements radicaux.

III. Le contexte géographique : L’Afrique subsaharienne

L’Afrique subsaharienne, une vaste région qui s’étend sur plus de 24 millions de kilomètres carrés, est un territoire d’une immense diversité. Composée de 48 pays, cette région abrite une population de plus de 1,1 milliard d’habitants, soit environ 14 % de la population mondiale en 2019. Cette population est en pleine expansion, avec des projections démographiques indiquant qu’elle pourrait quadrupler d’ici 2100 pour atteindre près de 3,7 milliards d’individus. Cette croissance démographique rapide pose des défis majeurs en termes de développement économique, de gestion des ressources naturelles, et de stabilité politique.

L’Afrique subsaharienne est également une région marquée par des disparités économiques considérables. Alors que certains pays, comme le Nigeria et l’Afrique du Sud, disposent de vastes ressources naturelles et d’une économie relativement développée, d’autres, comme le Niger et le Mali, figurent parmi les plus pauvres du monde. Cette hétérogénéité économique se traduit par des niveaux de vie très différents et par des tensions sociales croissantes. En outre, la région est confrontée à des défis environnementaux majeurs, tels que la désertification, les sécheresses récurrentes, et la déforestation, qui aggravent les problèmes de pauvreté et d’inégalité.

IV. Les causes des révoltes en Afrique

Les causes des révoltes en Afrique subsaharienne sont profondes et multiples. Tout d’abord, la pression démographique croissante exerce une pression énorme sur les ressources naturelles, en particulier les terres agricoles, ce qui entraîne des conflits fonciers. Ces conflits sont souvent exacerbés par la corruption endémique et la mauvaise gouvernance, qui empêchent une gestion équitable des ressources. En outre, la crise de l’économie traditionnelle, notamment l’agriculture, pousse de nombreux jeunes à migrer vers les villes en quête d’emploi, mais ils y trouvent souvent des conditions de vie précaires et des taux de chômage élevés.

La lutte pour l’égalité sociale est une autre cause majeure de mobilisation en Afrique subsaharienne. Les femmes, les jeunes, et les groupes marginalisés, tels que les minorités ethniques et les personnes vivant en milieu rural, se battent pour obtenir une place plus juste dans la société. Les politiques néolibérales imposées par les institutions internationales, comme le FMI et la Banque mondiale, ont souvent conduit à la privatisation des services publics, à la réduction des subventions et à l’augmentation des inégalités. En réponse, de nombreux mouvements sociaux se sont formés pour contester ces politiques et exiger un accès équitable aux services de base tels que l’éducation, la santé et l’eau potable.

L’accaparement des terres, souvent par des entreprises étrangères ou des élites locales, est une autre cause importante de révolte. Ce phénomène prive les communautés locales de leurs moyens de subsistance et exacerbe les tensions sociales. La lutte pour le pouvoir d’État, souvent marquée par des élections contestées et des coups d’État militaires, est également une source de mobilisation. Les citoyens se révoltent contre des régimes autoritaires qui utilisent la répression et la manipulation pour se maintenir au pouvoir. Enfin, la résistance contre l’imposition de valeurs perçues comme étrangères, notamment dans les domaines de la culture et de la religion, alimente les mouvements sociaux, en particulier dans les régions où l’influence occidentale est perçue comme une menace pour les traditions locales.

V. Les formes des mobilisations

Les mobilisations en Afrique subsaharienne prennent des formes variées et souvent innovantes. La rue reste un lieu de protestation privilégié, où des millions de personnes se rassemblent pour exprimer leur mécontentement. Les médias jouent également un rôle crucial en diffusant les revendications des manifestants et en attirant l’attention internationale sur leurs causes. Les réseaux sociaux, en particulier, ont révolutionné la manière dont les mouvements sociaux s’organisent et se mobilisent. Grâce à des plateformes comme Facebook, Twitter et WhatsApp, les militants peuvent diffuser leurs messages instantanément, coordonner des actions en temps réel et mobiliser des soutiens à travers le continent et au-delà.

Les mouvements citoyens sont parmi les plus dynamiques en Afrique subsaharienne. Des initiatives telles que Y’en a marre au Sénégal, Balai citoyen au Burkina Faso, et La Lucha en République démocratique du Congo, ont émergé en réponse à l’échec des régimes à répondre aux aspirations des populations. Ces mouvements, souvent dirigés par des jeunes, se sont distingués par leur créativité et leur capacité à mobiliser les masses. Par exemple, Y’en a marre a utilisé la musique rap pour sensibiliser et galvaniser les jeunes Sénégalais, tandis que Balai citoyen a organisé des manifestations pacifiques mais déterminées pour dénoncer la corruption et exiger des réformes.

Les mouvements religieux jouent également un rôle de plus en plus important dans les mobilisations sociales en Afrique subsaharienne. Le salafisme et le pentecôtisme, en particulier, sont devenus des moyens de mobilisation pour ceux que l’on appelle les « en bas d’en bas », c’est-à-dire les couches les plus pauvres et les plus marginalisées de la société. Ces mouvements religieux offrent non seulement un cadre spirituel, mais aussi un réseau de soutien social et une plateforme pour exprimer des revendications politiques et économiques. Cependant, ils peuvent aussi générer de la violence, notamment lorsqu’ils sont utilisés pour légitimer des actions extrémistes ou pour justifier des conflits interreligieux.

VI. Les exemples de mouvements significatifs

L’un des exemples les plus emblématiques de la puissance des mouvements sociaux en Afrique subsaharienne est la chute du dictateur Omar Al-Béchir au Soudan en 2019. Ce renversement a été précédé par des mois de manifestations massives, initiées par l’Association des professionnels soudanais (APS). Ce qui avait commencé comme une protestation contre la hausse des prix du pain et des denrées de première nécessité s’est rapidement transformé en un mouvement politique exigeant la fin de plusieurs décennies de règne autoritaire. Malgré une répression violente, les manifestants ont persisté, et leur détermination a finalement conduit à la chute d’Omar Al-Béchir, marquant ainsi un tournant majeur dans l’histoire du Soudan.

Un autre exemple significatif est la mobilisation populaire au Togo en 2017 et 2018. Ces manifestations, qui ont rassemblé des centaines de milliers de partisans de l’opposition, visaient à réclamer une alternance politique et la mise en œuvre de réformes constitutionnelles promises de longue date. Bien que le régime en place ait réussi à se maintenir, ces manifestations ont révélé la profondeur du mécontentement populaire et ont montré que la population togolaise est prête à lutter pour ses droits, malgré les risques de répression.

Conclusion

L’Afrique subsaharienne se trouve à un moment crucial de son histoire. Les mouvements sociaux qui traversent le continent sont le reflet d’une frustration accumulée face à des décennies de mauvaise gouvernance, d’injustices économiques et sociales, et de répression politique. Ces mouvements, bien que confrontés à des obstacles considérables, témoignent de la résilience et de la détermination des populations africaines à construire un avenir meilleur. Les succès de certains mouvements, comme au Soudan, montrent que le changement est possible, même dans les contextes les plus difficiles. Cependant, il est également clair que ces luttes sont loin d’être terminées, et que les défis à venir seront nombreux.

La montée de l’autoritarisme, le silence complice des grandes puissances internationales, et l’instabilité croissante dans certaines régions du continent, notamment à cause du djihadisme et des conflits ethniques, rendent l’avenir incertain. Mais l’histoire récente de l’Afrique subsaharienne montre que les peuples de cette région ne sont pas passifs face à leur sort. Ils sont prêts à se battre pour leurs droits et leur dignité, à inventer de nouvelles formes de résistance, et à tracer des chemins vers un avenir plus juste et plus équitable. Le bouillonnement actuel est peut-être le prélude à des transformations encore plus profondes, qui pourraient redéfinir non seulement l’Afrique subsaharienne, mais aussi son rôle dans le monde.

Sources et Bibliographie

Les données ouvertes de la Banque mondiale

https://donnees.banquemondiale.org

Neveu, Érik. Sociologie des mouvements sociaux. La Découverte, 2019

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Alternatives Sud Volume 23-2016/4-Etat des résistances dans le Sud Afrique

Boudet Martine (Coord) Résistances africaines à la domination néocoloniale. Le Croquant,202

Revue internationale des études du développement 2020/3 (N°243) Foncier et conflits violents en Afrique

Zanoletti, Giovanni. « Sahel : pourquoi prendre les armes ? Une revue de littérature », Sahel : pourquoi prendre les armes ? Une revue de littérature. Coordination Riche Élodie. Agence française de développement, 2020, pp. 1-76.

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Auteur : Félix Atchadé

Je suis médecin, spécialiste de Santé Publique et d’Éthique Médicale. Je travaille sur les questions d’équité et de justice sociale dans les systèmes de santé. Militant politique, je participe à l'oeuvre de refondation de la gauche sénégalaise.

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