Les sens d’un triomphe électoral

Bassirou Diomaye Faye à la veille de ses quarante quatrièmes ans, le 24 mars 2024, a été élu Président de la République du Sénégal. Il va prêter serment ce jour et deviendra ainsi le cinquième chef de l’État du Sénégal. La victoire électorale du Président Faye a été nette et sans ambages. Elle matérialise un désir de changement que le corps social attendait avec impatience, mais sans précipitation. Il devance très largement le Premier ministre Amadou Ba, candidat de la « continuité », du Président Macky Sall et de la coalition BBK. Le taux de participation au scrutin est de 61, 30 %. Il est en retrait de 5 points par rapport à la présidentielle de 2019. Cependant, il est meilleur que celui de 2012 (51,58 %) et est comparable à celui de 2000 (62,23 %). Le taux de participation au scrutin de 2024 est d’autant plus appréciable, que la date de son déroulement était inconnue au début du mois. La mobilisation est d’autant plus exceptionnelle que jusqu’aux derniers jours beaucoup d’incertitudes planaient autour de sa tenue. Sans compter qu’il a été tenu en plein ramadan et le dimanche des Rameaux pour les catholiques.

La victoire du candidat du PASTEF est l’expression d’un désir de rupture avec l’autoritarisme anachronique du président Macky Sall, la remise en cause des acquis démocratiques, l’assujettissement de la justice aux impératifs politiques des tenants du pouvoir. Elle est la traduction d’une volonté de changement de paradigme économique avec un souverainisme assumé notamment dans les domaines monétaire, alimentaire, militaire et énergétique. L’intention affirmée de résorber les inégalités sociales et géographiques par la promotion d’une croissance économique plus inclusive et mieux redistributive. C’est également l’accomplissement d’un dessein : l’expression d’un discours de rupture avec le vieux système françafricain ne conduit pas à la marginalité politique. Il existe un débouché électoral à la radicalité, à la critique du franc CFA, à la remise de la relation de soumission aux intérêts économiques et diplomatiques de la France.

Ce qui s’est passé dans notre pays est une révolution. Dans le sens, pour le moment, du mode désignation de ceux qui ont la tâche de diriger l’État. Mais il s’en faut de beaucoup pour que ce que nous vivons soit une révolution démocratique et populaire. En cette période pascale, remettons-nous à la parole du Christ pour nous en consoler : « à chaque jour suffit sa peine » (Matthieu, 6 :34). Le plus dur commencera dès la prise de fonction du Président Bassirou D. Faye. Les chantiers sont énormes, les attentes nombreuses et les embuches de la caste déchue ne vont pas manquer. Ils ont des intérêts à préserver ! C’est en cela que nous avons à apprendre de notre histoire, mais également des expériences dans la sous-région. Au-delà de la sympathie que nous avons pour Mamadou Dia, pourquoi sa liquidation politique est-elle passée comme lettre à la poste ? Que devons-nous retenir de la lutte héroïque, mais perdue de Ruben Um Nyombe, Ernerst Ouandié et l’Union des populations du Cameroun (UPC) ? Que retenir, pour nous en inspirer, des passages au pouvoir de Patrice Émery Lumumba, Sylanius Olympio, Thomas Sankara, Laurent Gbagbo ou Mouammar Kadhafi ?

La victoire électorale Bassirou Diomaye Faye a un architecte. C’est Ousmane Sonko. On peut même dire en empruntant une métaphore au génie civil qu’il est également maître d’ouvrage. Le maître d’œuvre et d’ouvrage a mouillé le maillot et a été décisif diront les footeux. Le président et tous ceux qui ont voté pour le changement ont besoin de lui. Il doit être dans la mêlée. Les prochains jours, semaines et mois seront décisifs ! Il faut créer les conditions de tenue des promesses électorales. Dans l’immédiat, il faut au Président quelqu’un en qui il a confiance, qui a l’expérience, l’autorité et la légitimité politique pour faire adopter par le Parlement actuel les mesures qui ne peuvent attendre l’installation d’une nouvelle Assemblée nationale. Le maire de Ziguinchor coche à toutes ces cases. En septembre, octobre ou novembre, il faudra aller à la conquête d’une majorité parlementaire. Qui est mieux placé qu’Ousmane Sonko pour diriger la campagne du camp présidentiel ?  Personne ! Ousmane Sonko est le Premier ministre dont le pays et le président ont besoin. Sa place n’est pas dans la position confortable de conseiller de l’ombre ou de figure tutélaire du Président. Il ne doit pas se mettre en une quelconque réserve de la République.